Les Lumières et les réformistes tunisiens

1La Tunisie a connu comme le monde arabe au xixe siècle un mouvement de réformes lui permettant de s’inscrire dans la modernité. Notre propos se limite à cerner la pensée politique et sociale de deux figures représentatives de l’esprit réformateur et moderniste. Il s’agit de Kheireddine, penseur politique et réformiste et Tahar Haddad, syndicaliste, réformiste social et défenseur de l’émancipation des femmes.

2Notre objectif à travers cette recherche est d’analyser la spécificité d’une pensée rationnelle et réformatrice orientée vers la modernisation de la Tunisie grâce à un équilibre réfléchi entre authenticité et ouverture, illustrant ainsi une logique d’imitation et d’assimilation de l’Autre (l’Occident dans ce cas de figure) dans un En-soi qui est à la fois proche et lointain, identique et différent.

Kheireddine, les Lumières et la réforme

3La pensée moderniste et réformiste de Kheireddine puise sa source d’abord dans l’ouverture sur l’Occident avec ses penseurs, ses régimes politiques, ses réformes et sa rationalité, et ensuite dans une rationalité interne dont les éléments et la méthode sont recherchés dans les sources essentielles de l’Islam ancien et de la pensée politique d’Ibn Khaldoun.

4Ces trois éléments constitutifs de la pensée de Kheireddine font l’objet d’une assimilation particulière qui leur fait perdre toute identité extrinsèque. Ces éléments sont nécessaires pour donner une dimension endogène à ce qui de prime abord semble étranger ou anachronique. L’Islam auquel se réfère Kheireddine n’est nullement l’Islam des théologiens mais l’Islam qui remonte à ses sources ; il est revisité, relu et interprété de façon rationnelle.

5Dans son ouvrage Les meilleures voies pour la connaissance des États, Kheireddine analyse la grandeur et la décadence de la civilisation islamique et montre la nécessité des réformes pour que les pays musulmans parviennent à reconquérir puissance et grandeur ; mais c’est surtout dans l’introduction de son ouvrage en arabe intitulé Essai sur les réformes nécessaires des États musulmans que la réflexion politique de Kheireddine trouve sa meilleure expression à travers sa défense de l’idée de progrès, de la liberté et de la raison [1]. En effet, c’est dans ce texte que Kheireddine illustre les Lumières tunisiennes en introduisant l’idée moderne de liberté dans la pensée arabo-musulmane sous l’influence du libéralisme. En effet, Kheireddine a su proposer un libéralisme économique et politique qui soit adéquat aux exigences de la réalité des pays musulmans et qui se distingue du libéralisme progressiste [2].

6Son projet consiste à proposer un libéralisme économique et une réforme politique afin de combattre le despotisme maintenu par les hommes d’État, et non la tyrannie de la société telle que décrite et critiquée par John Stuart Mill [3]. Dans cet esprit Kheireddine accorde au progrès un sens bien particulier. Malgré son effort pour proposer un discours universel relatif à la notion de progrès comme étant un bien en soi, Kheireddine ne lui donne pas moins un sens particulier. Le progrès comporte, selon lui, une signification économique et technique comme il le souligne en ces termes : « Améliorer l’état de la nation islamique, accroître et développer les éléments de la civilisation, élargir le cercle des sciences et des connaissances, augmenter la richesse par le développement de l’agriculture, du commerce et de l’industrie [4]. » Pour Kheireddine, les réformes économiques et politiques ne sont qu’un moyen pour sortir les pays musulmans en général et la Tunisie en particulier de leur décadence et de leur léthargie. Il est à noter aussi que le positivisme de Kheireddine consiste à accorder à la science une place privilégiée puisqu’elle est le moyen infaillible d’améliorer à la fois la civilisation, l’économie, et la politique. D’ailleurs, lorsque Kheireddine fut ministre en Tunisie, il créa le Collège Sadiki où un enseignement scientifique moderne est dispensé à l’élite tunisienne qui a permis la libération du pays et qui a assuré la continuité de l’esprit réformateur de Kheireddine en Tunisie après l’indépendance.

7Bien que limitée et élitiste, cette conception du progrès permit à la Tunisie d’imiter les pays occidentaux. Mais une telle imitation ne constitue-t-elle pas un danger pour la religion ?

8Avant de résoudre ce problème, Kheireddine commence par dissocier le progrès de la religion dans les États européens afin de le ramener à ses causes essentielles qui sont selon lui indépendantes de toute religion. Le progrès de l’Europe résiderait dans « les connaissances dont le développement est favorisé par les institutions politiques basées sur la justice et la liberté » [5]. Pour Kheireddine, les États musulmans doivent imiter les pays occidentaux car la religion n’est pas à l’origine de leur progrès comme le confirme l’histoire. C’est par le recours au rationalisme et par la critique des préjugés qu’il espère lever tous les obstacles qui entravent son projet de réformes comme il le souligne dans son Essai[6]. Mais une telle analyse risquerait de compromettre Kheireddine et d’en faire un réformateur athée ou du moins agnostique, raison pour laquelle il se hâte de fournir une pléiade de références musulmanes de Ghazali à Ibn Khaldoun pour montrer que les principes de justice et de liberté sont des principes déjà connus et défendus par les musulmans eux-mêmes. Dans ce cas, tout danger est éloigné et l’imitation des pays occidentaux n’est qu’une réappropriation de ces mêmes principes.

9Mais si Kheireddine défend les institutions politiques et lance un appel aux réformes économiques, il accorde au politique un statut supérieur non seulement à l’économique mais aussi au religieux. On le voit clairement à travers sa critique subtile des Ulémas dans les États musulmans ainsi qu’à travers les limites de la fonction qu’il leur accorde. Les Ulémas souffrent selon lui d’une ignorance politique qui sert le despotisme. Ils ont aussi failli à leur rôle parce qu’ils manquent d’interprétation intelligente du Coran, par leur vision bornée. Mais une telle critique n’empêche pas Kheireddine de se référer à la loi théocratique sur laquelle se fondent la justice et la liberté, objets des institutions politiques. Il n’y a pas la moindre contradiction à fonder les institutions sur une loi théocratique qui ne remplace pas les institutions, n’étant, en fait, qu’une loi morale qui renforce les institutions et qui veille à leur bonne marche en jouant le rôle de contrôleur.

10La troisième caractéristique des Lumières selon Kheireddine est la liberté. La liberté dont il est question dans l’Essai est une liberté politique qui ne doit être confondue ni avec l’arbitraire ni avec l’injustice. La liberté entre par conséquent dans un rapport dialectique avec les institutions : elle en constitue le fondement et elles permettent de la garantir. Mais dans ce cas, si les institutions préservent la liberté elles doivent être à leur tour protégées. Mais par qui ? Sûrement pas par le pouvoir politique qui se transformerait ainsi en juge et parti. C’est seulement dans la loi et par la loi que se manifeste la liberté et qu’elle se trouve garantie. L’influence de la pensée politique moderne telle que représentée par Locke et Rousseau se fait ressentir dans ce rapport entre la loi et la liberté. Mais pour Kheireddine, la loi dont il est question est une loi théocratique. Ainsi les Ulémas se trouvent réhabilités pour jouer un rôle politique qui est le contrôle des décisions du souverain. Ce contrôle consistera à éviter le mal ou à l’éradiquer en allant même jusqu’à démettre le roi de ses fonctions [7]. Ainsi les Ulémas qui n’exercent pas le pouvoir politique contrôlent ses détenteurs afin d’éviter l’injustice, l’arbitraire, et le despotisme par la défense des droits des sujets.

11Ainsi Kheireddine aurait présenté une vision éclairée du pouvoir politique réformé et institutionnalisé afin de permettre aux États musulmans de progresser et de préserver la liberté économique et politique tout en adaptant le modèle européen à la réalité culturelle et religieuse des pays musulmans en général et de la Tunisie en particulier. Cependant ces Lumières défendues par Kheireddine demeurent entourées de certaines ombres et d’une certaine obscurité parce qu’elles ne rejaillissent pas directement sur la société et touchent une élite destinée à faire triompher le libéralisme économique et politique comme marques du progrès.

Tahar Haddad : les Lumières et l’émancipation des femmes

12Tahar Haddad, tout en étant zeitounien [8], incarne une pensée libre et libératrice qui examine deux questions des plus brûlantes en Tunisie au xixe et au début du xxe siècle, celle des travailleurs tunisiens et celle des femmes. Nous nous limiterons à l’examen de cette dernière question qui fut traitée par Haddad dans son ouvrage : Notre femme, la législation islamique et la société, publié en 1930 en langue arabe [9], dans lequel il exprime ses idées progressistes à propos de l’émancipation de la femme, de la famille et de la société. Cet ouvrage, qui suscita des réactions violentes et nourrit la polémique entre les modernistes et les conservateurs, exprime le projet social de Haddad qui s’inscrit dans le prolongement du courant réformiste initié par Kheireddine à côté de Mahmoud Kabadou, Ahmad Ibn Abi Dhiaf et Mohamed Snoussi. Son propos consiste essentiellement à examiner l’impact de la religion sur la loi et sur la société relativement à la condition des femmes, à s’interroger sur les moyens de concilier la religion avec la vie moderne dans un pays colonisé qui risque de perdre son identité et qui est incapable de se projeter dans l’avenir. Cette exigence d’adapter la religion est la seule issue pour présenter une autre lecture du Coran à la lumière de la raison qui permet de saisir le fond de la religion et de le séparer des mauvaises interprétations sociales qui sont à l’origine de la décadence de la Tunisie. Ce discours de la religion est d’autant plus percutant qu’il est tenu par un penseur qui a poursuivi des études théologiques à l’université de la Zitouna, un haut lieu de l’enseignement de la théologie en Tunisie et dans le monde arabe. Il propose d’abord une lecture complexe et dynamique de l’Islam dans lequel il distingue deux niveaux : celui des vérités fondamentales et absolues et celui des lois qui sont des prescriptions relatives à des circonstances particulières et qui sont amenées à changer. L’amalgame de ces deux niveaux est à l’origine de la décadence de la société musulmane. Et si cette décadence et cette obscurité règnent encore c’est que les femmes qui représentent la moitié de la société subissent les méfaits de la claustration, de l’ignorance et qu’elles sont emmurées dans leur foyer. Ainsi donc, elles ne peuvent pas participer à l’évolution de la société. Haddad le souligne explicitement dans cet extrait : « Il faut croire qu’un peuple ne peut arriver à la condition sociale et culturelle espérée tant que sa moitié continue à vivre à l’ombre et à l’écart de toute activité [10]. » Parmi les motifs de cet obscurantisme social et de cette condition défavorable aux femmes à l’époque de Haddad il y a le recours au passé et la crainte de la liberté qui empêchent la femme de s’instruire. C’est la liberté qui représente chez Haddad l’argument majeur en faveur de l’instruction et de l’éducation des femmes. À côté de l’instruction des femmes, Haddad considère le statut civil et social comme la condition sine qua non de la dissipation des ténèbres. Celles-ci ne seront dissipées que de manière progressive et parcimonieusement afin que la société soit éclairée et non éblouie. La propagation de ces lumières est la fonction de la femme. C’est à elle que revient le devoir de répandre le savoir après l’avoir reçu, devenant ainsi la source de l’illumination de toute la société. Elle est considérée par Haddad comme l’être de l’Avenir par excellence qui par son instruction et son éducation est capable de réaliser les espoirs d’une société désuète, ignorante, vivant dans la misère et la souffrance. Ce statut privilégié de la femme dans la réforme de la société et dans sa libération est justifié par sa dimension génétique : la femme est la mère de l’homme et l’origine de l’humanité. Elle est aussi l’épouse, terme relatif mais qui exprime aussi en arabe la notion de pair et de dyade dans un couple inséparable. En plus la femme représente quantitativement la moitié de l’humanité. Le dernier argument de Haddad en faveur de la défense du statut que doit occuper la femme c’est qu’elle est l’Autre qui reflète notre propre moi ; elle est le miroir à travers lequel nous reflétons notre image. Tout comportement vis-à-vis de la femme et toute attitude que nous avons envers elle ne sont qu’un comportement et qu’une attitude envers nous-mêmes : tout dénigrement, ou toute approbation d’avilissement de la femme n’est que l’acceptation de notre propre avilissement. Ainsi l’amour de soi ne peut être accepté s’il ne comprend pas l’Autre qui n’est en réalité qu’une partie intégrante de soi-même. Haddad mène cette analyse ontologique de la femme plus loin puisqu’il considère que notre désespoir et notre échec ne sont que les signes de notre point de vue négatif sur la femme.

13Cette analyse psychologique fut suivie d’une analyse sociologique par la comparaison entre la condition de la femme dans les sociétés arabo-musulmanes en général et en Tunisie en particulier à celle des femmes en Occident. Haddad rappelle les droits acquis par les femmes au lendemain de la première guerre mondiale : le droit à l’instruction, les droits civils et les droits politiques. Par contre, les femmes en Orient vivent toujours sous les voiles, recluses, sans aucun rôle social à jouer et par conséquent elles ne jouissent d’aucun droit. Cette condition perdure puisque certains pensent que l’effort des hommes suffit à lui seul au progrès de la société. Ils présentent comme exemple la civilisation arabe ancienne. Mais selon Haddad le progrès de la modernité a un caractère inéluctable et il faudrait plutôt aller dans le sens de l’histoire tout en préservant la spécificité de la culture arabo-musulmane comme il l’affirme dans cet extrait : « Ce courant l’on ne peut s’y opposer sans être emporté vers l’inconnu [11]. »

14Cette attitude de Haddad se repère à travers le programme d’enseignement qu’il propose pour l’instruction des femmes qui est à la fois moderne et spécifique. Cette instruction comprend la théologie, l’histoire, les mathématiques, les sciences naturelles, les Beaux-arts, les arts et métiers, la culture physique, la puériculture, les arts ménagers, la pédagogie, la littérature, la musique et le dessin. Ce programme riche et varié permettra aux filles de libérer leur esprit d’une pensée mythique et irrationnelle puisque les sciences jouent un double rôle, théorique et pratique : « Sans doute la science et la culture furent à travers le temps la lumière qui a guidé l’homme vers le progrès, vers une vie meilleure [12]. » Cette vie meilleure repose sur une éducation qui cultive l’indépendance et la liberté. Haddad a su donner un sens à la fois particulier et large de l’indépendance qui n’est pas seulement prise dans le sens politique qui fit d’elle la fin des combats nationalistes dans les pays colonisés à l’époque. Elle a un sens économique, social et intellectuel. L’indépendance vaut pour tout individu qu’il soit homme ou femme et trouve son point de départ dans et par le travail qui assure à chacun l’indépendance économique, raison pour laquelle Haddad a défendu le travail des femmes. Elle apparaît dans le choix de vie de l’individu et surtout dans le mariage qui ne doit jamais être ni forcé ni arrangé et qui exige une maturité physique et mentale. La défense de l’indépendance économique et sociale va de pair avec l’autonomie de la pensée. Haddad dénonce toute éducation fondée sur le respect des coutumes et des habitudes sociales que les parents incarnent et imposent à leurs enfants : « Les parents peu conscients d’une éducation basée sur l’indépendance et la liberté n’obtiennent par leur caractère possessif et leur tyrannie qu’une génération sans volonté [13]. »

15Haddad dénonce ainsi la léthargie de la raison causée par une telle éducation fondée sur l’habitude et la coutume alors que la raison est un mouvement qui prend en considération l’expérience. Un tel pragmatisme de la pensée doit empêcher la discussion de questions stériles telle que celle du voile et doit plutôt agir en vue de soigner la société et l’aider à panser ses blessures par la réforme de l’éducation, de l’enseignement et de la législation. Certes la décadence de la société a pour cause la déchéance morale et intellectuelle qui entraîne la dissolution du lien social ; elle est aussi matérielle et économique ; elle a comme autre cause la colonisation ; mais la raison profonde de cette décadence du pays est l’absence d’une pensée autonome c’est-à-dire une pensée qui se donne à elle-même ses propres règles. Tel est le premier moment de la réforme de la société à travers l’instruction des femmes qui inscrit le projet de Haddad dans la modernité.

16Le second moment concerne la conception de la religion derrière laquelle certaines voix se réfugient pour s’élever contre toute réforme sociale en général et celle relative aux femmes en particulier, qui est le fondement même de cette réforme. Haddad, dès l’introduction de son ouvrage, commence par innocenter l’Islam représenté comme l’obstacle majeur à la réforme. Une telle entreprise inscrit Haddad dans les sillons d’une pensée des Lumières qui luttent contre les illusions, les croyances et les habitudes néfastes. La conception de l’Islam défendue par Haddad est bien particulière.

17Il commence par rappeler que l’Islam a succédé à la Jahilia, période pré-islamique qui représentait pour lui le passé et qu’il fallait critiquer et dépasser. Avant l’Islam, les Arabes étaient soumis soit à la force soit aux traditions et aux croyances de leurs ascendants et ancêtres. L’Islam est par conséquent anti-traditionaliste et sa législation à l’origine est le fruit du progrès de la vie : cette législation n’a été ni préconçue ni imposée, ce sont les événements de la vie qui la justifient pour la faire évoluer. Dans l’Islam, Haddad distingue ce qui relève des principes éternels qui constituent l’essence de la religiosité tels que l’Unicité de Dieu, la morale, la justice, l’égalité d’une part et le corpus qui représente un ensemble de législations relatives à un contexte particulier et prêtes à se transformer pour mieux s’adapter aux circonstances particulières d’autre part. La législation islamique concernant la femme relève de ce second aspect. D’ailleurs il fallait associer cette législation au contexte historique, celui de la période pré-islamique où on enterrait vivants les nouveau-nés de sexe féminin. L’Islam a dû réhabiliter la femme en établissant l’égalité entre les hommes et les femmes à propos des devoirs, des responsabilités et des droits, même si par ailleurs certains versets coraniques attestent la supériorité des hommes sur les femmes. Ceci ne signifie pas, pour lui, le rejet par l’Islam du principe d’égalité entre les sexes. L’essence de l’Islam qui, selon Haddad, tend vers la justice à travers la progression de la législation, est à rechercher dans ses sources : le Coran et l’exemplarité du prophète ne justifient ni l’inégalité entre les deux sexes ni l’infériorité de la femme.

18Nous avons essayé de montrer, dans cette recherche, que Kheireddine et Tahar Haddad ont incarné aux xixe et xxe siècles en Tunisie et pour le monde arabo-musulman une certaine philosophie des Lumières, caractérisée par l’exercice et la défense d’une pensée rationnelle et critique. Cette philosophie entre en combat déclaré avec les traditions, les institutions et les mentalités qui représentent un obstacle à la modernité, à la défense du progrès et surtout à la liberté. Mais nos deux penseurs eurent des destins différents. Kheireddine, en homme politique, a pu appliquer une partie de ses réformes et a essayé d’inscrire la Tunisie dans la modernité du libéralisme économique et de l’institutionnalisme. Haddad fut martyr de son réformisme qui ne vit le jour qu’à titre posthume, c’est-à-dire un quart de siècle après la publication de son ouvrage à travers la promulgation du Code du Statut personnel par le premier gouvernement de l’indépendance (1956).

19Aujourd’hui, la plus grande partie des réformes que ces deux penseurs ont préconisées font partie de la réalité sociale et politique de la Tunisie. La pensée philosophique, depuis, n’a fait que renforcer ces acquis en s’orientant vers deux objectifs fondamentaux inscrits dans leurs programmes rationnels : la défense des institutions et de la société civile d’une part et la défense des libertés, du droit et de l’individu d’autre part.

Notes

  • [1]
    Khayr ed Din (ou Kheireddine), Essai sur les réformes nécessaires aux États musulmans, Aix en Provence, Edisud, 1987.
  • [2]
    Le libéralisme recherché par Kheireddine se distingue du libéralisme progressiste ou à tendance socialiste conçu par Stuart Mill dans son ouvrage Principes d’économie politique essentiellement au niveau de la 6e édition.
  • [3]
    Le même décalage entre Kheireddine et Mill se répète aussi à propos du despotisme dont parle Kheireddine et qui est relatif à la politique alors qu’à la même époque John Stuart Mill parle du dépassement de la tyrannie politique et dénonce plutôt la tyrannie de la société exercée sur l’individu. Cf. John Mill, De la Liberté, introduction.
  • [4]
    Khayr ed Din, Essai sur les réformes nécessaires aux États musulmans, op. cit., p 87.
  • [5]
    Khayr ed Din, Ibid., p.91.
  • [6]
    Ibid., p.93.
  • [7]
    On pourrait établir une analogie entre le rapport conçu par Kheireddine entre les institutions politiques et la loi théocratique et celui établi par Locke entre la loi de nature et le pouvoir politique. cf. John Locke, Second Traité du gouvernement civil.
  • [8]
    C’est-à-dire formé par l’université théologique de Tunis.
  • [9]
    Nous nous référons à la traduction française publiée à Tunis par La Maison tunisienne d Édition en 1978.
  • [10]
    Tahar Haddad, Notre femme dans la législation islamique et la société, p.210.
  • [11]
    Tahar Haddad, op. cit., p.235.
  • [12]
    Ibid., p.225.
  • [13]
    Haddad, ibid., p.163.