Excès savant, excès populaire : le saturationnisme à l’écoute du rock ?

1 La distinction qui s’est constituée et cristallisée au xixe siècle entre musiques savantes et musiques populaires de tradition orale a connu une seconde jeunesse avec l’apparition, à partir des années trente, des musiques populaires enregistrées. Dans cette seconde forme, elle a été conceptualisée de manière radicale et systématique par T. W. Adorno, dont les analyses, par-delà leurs multiples biais [1], ont eu pour effet décisif d’associer aux questions de l’essence et de la valeur d’une musique, dans les oppositions mêmes qu’il construit, non son seul contenu mais également son mode de production et sa réception. De ce fait, les approches plus nuancées qui ont suivi ont fait s’estomper les frontières établies par le philosophe entre une musique « sérieuse » au contenu autonome, quoique dotée d’une signification sociale, et une musique « légère » asservie à sa fonction idéologique et à son mode de production, dictant une réception massive et passive. On peut ainsi, rétrospectivement, mettre en regard les analyses soulignant la complexité de la réception des musiques populaires [2] et le développement d’un discours critique attaché à la déconstruction de l’idée romantique d’œuvre [3] ; l’effacement de la question de l’autonomie se retrouve également dans certaines analyses, inspirées par le pragmatisme de J. Dewey, qui se sont appuyées sur le concept d’expérience esthétique pour envisager musiques savantes et populaires dans une perspective commune [4]. Parallèlement, les approches sociologiques, et plus largement sociales, un temps réservées à la musique populaire [5], se sont étendues au domaine du savant [6] – tout comme à cette distinction elle-même [7] – sans toutefois que l’analyse musicale des musiques populaires enregistrées ait connu le même succès, comme en témoigne, en France par exemple, la place restreinte qu’occupent ses spécialistes dans les départements de musicologie.

2 Or il semble que cet échec trouve un écho dans la pratique musicale elle-même. La musique savante contemporaine, à la faveur d’une évolution qui l’a vue s’intéresser à de nouveaux aspects du son (le timbre en particulier) ou à certains de ses courants musicaux non savants, s’est parfois saisie d’éléments appartenant aux musiques populaires enregistrées, au point qu’on a pu parler, de manière générale, de « porosité [8]» ou de « convergence [9]» depuis la seconde moitié du xxe siècle. Mais lorsqu’elle a emprunté à ces musiques de tradition phonographique, la musique savante paraît s’être la plupart du temps contentée de citer ou de reprendre des schémas convenus plutôt que d’offrir de véritables hybridations [10], qui supposeraient une compréhension de la manière spécifique dont fonctionnent ces musiques.

3 Un courant récent de musique contemporaine ayant émergé en France, le saturationnisme, semble pourtant proposer une autre démarche, empruntant aux musiques populaires enregistrées, au rock en particulier, l’une de ses sonorités emblématiques, la saturation, et, plus encore, son thème de prédilection, l’excès. Il ne s’agirait donc pas simplement, pour ses principaux représentants, de reprendre et de citer des motifs typiques des musiques populaires, mais de s’emparer d’un certain type de sonorités et du sens qui s’en dégage pour en faire leur objet propre. On aurait dès lors pu espérer que s’engage un véritable dialogue entre les deux traditions ; plus encore, que la réflexivité, la complexité, le travail d’écriture musicale qui rangent le saturationnisme du côté des musiques savantes offre des éléments d’analyse permettant de guider une nouvelle compréhension du rock dans son contenu : la manière dont il travaille et organise lui-même les sonorités saturées ou excessives qu’on lui reconnaît pourrait en être éclairée, loin des analyses musicologiques ou sémantiques parfois décevantes [11] et des conceptions voyant sa spécificité dans ses effets sur le corps, les affects ou dans sa dimension communautaire [12].

4 Mais de fait, si le saturationnisme est un cas significatif des rapports entre savant et populaire, c’est bien plutôt par ce qu’il révèle d’un clivage persistant entre ces deux traditions, où plutôt du point précis où il peut se produire, qui est celui du sens que peuvent véhiculer, ensemble ou individuellement, certaines sonorités déterminées, c’est-à-dire fixées de manière phonographique. Ce clivage prend en premier lieu un tour discursif : la proximité qui semble caractériser le rock et le saturationnisme se paie en effet dans le saturationnisme d’une stratégie de mise à distance, dans ses discours et par son écriture musicale, de l’origine indéniablement populaire de son projet musical. Il en découle en second lieu une certaine cécité vis-à-vis de la manière dont le rock lui-même traite la question de l’excès dans le domaine sonore, qui relève – du moins peut-on en faire l’hypothèse – d’une attention insuffisante à sa dimension phonographique, c’est-à-dire à sa manière d’agencer sur bande ses sonorités. Le saturationnisme semble ainsi mobiliser toutes les ressources de la tradition savante pour se distinguer du rock et semble précisément y perdre sa capacité à faire entendre l’un des aspects de l’excès dont il se réclame.

5 Or, paradoxalement, la manière dont le saturationnisme pense et traite l’excès est ce qui permet de souligner en négatif une certaine logique du rock aussi bien que les lieux possibles de son analyse. Le savoir qui s’y déploie de fait ne s’expose pas en effet dans un langage manifeste et spécifique ni ne vise la reconnaissance d’un public ciblé, mais réside de manière tacite dans des pratiques et savoir-faire qui peuvent être décodés et rendus explicites. C’est en ce point que se situent à la fois une clé décisive de la compréhension des musiques populaires et la condition de véritables hybridations entre les deux traditions encore largement antagonistes.

I – Le discours du saturationnisme

À distance

6 Se situant dans la continuité des musiques du xxe siècle attentives aux bruits et aux timbres davantage qu’au langage de l’harmonie, le mouvement saturationniste rassemble essentiellement les travaux un temps convergents de trois compositeurs à partir des années 2000 [13] : Raphaël Cendo, Frank Bedrossian et Yann Robin [14]. On peut repérer dans leurs œuvres et leurs discours, par-delà ce qui les distingue ponctuellement, la volonté de faire servir la saturation du son à la manifestation d’un excès [15], dont l’origine populaire est clairement repérée [16].

7 Le saturationnisme n’entend pourtant pas renoncer à la distinction du savant et du populaire et s’attache à mettre à distance les musiques auxquelles se rattache pourtant leur matériau, et qui, de manière générale, reviennent régulièrement hanter leur compositions – dans les sonorités free jazz de la clarinette basse de Art of Metal de Yann Robin, dans la voix gutturale de l’Introduction aux ténèbres de Raphaël Cendo, qui semble pasticher John Tardy (Obituary) et de Till Lindemann (Rammstein), dans la musique de films d’horreur à laquelle semblent se rattacher certaines séquences d’Inferno de Yann Robin par exemple [17]. De fait, le choix privilégié de certains timbres évoque immanquablement la distorsion des guitares typique d’un certain genre de musique populaire enregistrée, le rock, parfois dans ses formes les plus extrêmes [18]. Sans pouvoir éviter ce rapprochement, Cendo ou Bedrossian ont toutefois en commun de minimiser cette référence – soit en renvoyant à des artistes proches d’une démarche savante (R. Cendo évoque ainsi Merzbow et Meshuga [19]), soit en soulignant la transformation qu’ils imposent à cette matière sonore. R. Cendo insiste ainsi sur le passage à une « écriture du timbre [20]» pour instruments acoustiques, qui distingue son travail de l’utilisation de la saturation électrique, dont il s’empresse de travailler la notion afin d’« abandonn[er] toute référence aux musiques populaires [21] » ; F. Bedrossian, pour sa part, perçoit rétrospectivement le phénomène de la saturation dans l’ensemble de l’histoire de l’art, art pictural compris [22]. Car ce qui est retenu de la saturation dans le rock, c’est qu’elle n’est qu’un « habillage [23] », une couleur sonore apposée à une musique considérée, d’un point de vue formel, comme pauvre et stéréotypée [24].

8 Le choix même du terme de « saturation » semble n’avoir de sens qu’à exclure celui de « distorsion [25] », sans doute trop connoté « populaire », alors même qu’il est littéralement impropre : c’est un dispositif physique qui est saturé (en l’occurrence et historiquement, les tubes à vide des premiers amplificateurs) tandis que la distorsion caractérise un son. Ce qu’entendent conserver en revanche les saturationnistes, c’est le sens d’excès qui accompagne la distorsion, afin de l’étendre et d’en faire le nom d’un nouveau champ d’exploration du sonore.

Travail du concept : typologies de l’excès

9 Comme l’indique Cendo dans un des textes les plus précis sur la nature et l’origine de la saturation selon les saturationnistes, son premier modèle est celui d’une sonorité qui se transforme en conduisant des dispositifs d’amplification à un état critique [26]. La distorsion électrique est alors perçue comme manifestant un excès de puissance, qu’il s’agit d’étendre à d’autres champs en les saturant à leur tour. Cendo élabore ainsi une typologie programmatique désignant les lieux où peut se déployer la saturation : il distingue le timbre (lieu de saturation du son produit par un instrument, visant à produire des sons complexes), l’espace sonore (où c’est tout le spectre des fréquences qui est saturé), l’intensité (qui exprime l’énergie du geste instrumental) et les gestes (où il s’agit par leur démultiplication « de saturer un registre précis du spectre dans lequel ils évoluent [27] »). De même pour Bedrossian, l’excès se dit, à la manière aristotélicienne, en plusieurs sens : « selon la quantité (la saturation de l’information, qui peut concerner les hauteurs, l’espace, les dynamiques) ; selon la qualité (saturation du son) ; selon la relation (saturation de l’énergie gestuelle ou instrumentale) ; selon l’aura (saturation du sens) [28] ».

10 Ces différents lieux de la saturation restent sans doute, à des degrés divers, interdépendants, mais les catégories des saturationnistes esquissent un double partage. D’une part, entre une saturation acoustique, qui convient à des éléments spectraux, et l’excès énergétique de gestes, qui renvoie davantage à la dimension causale de l’écoute [29], à travers l’identification d’une dépense d’énergie. D’autre part, entre cette saturation acoustique et une saturation comprise comme dépassement des points d’identification (en termes de hauteur, de rythme, d’histoire et d’identification instrumentales) de la musicalité traditionnelle. Ces trois lieux possibles de la saturation ne sont pas distingués ; ils traversent les catégorisations proposées par les saturationnistes sans être articulés, préludant à leur dissociation et annonçant un travail d’abord axé sur le timbre.

11 Ce faisant, des dimensions qui dans le rock sont toujours, nous allons y revenir, indissolublement liées et manifestent ensemble l’excès énergétique, se trouvent dissociées, en même temps que l’accent se trouve déplacé de l’énergie du geste vers le timbre [30]. Or la mise à distance du modèle populaire de l’excès semble aller de pair avec une dilution du lien entre saturation et excès, et conduire à une extension métaphorique de la notion d’excès qui la vide de son sens davantage qu’elle ne révèle sa présence dans des formes de saturations d’emblée multiples.

II – Excès saturationnistes, excès rock

12 Dans leurs œuvres même, il semble en effet que les compositeurs saturationnistes aient très rapidement privilégié les explorations de timbre et leur aient subordonné les autres dimensions de l’excès – ce qui en menace précisément, selon nous, la production et l’audition. Le saturationnisme tend en ce sens à diluer la spécificité de son matériau populaire, et même à l’appauvrir.

Pratiques saturationnistes de l’excès

13 L’excès est parfois particulièrement sensible dans les œuvres saturationnistes. Chez Cendo, il se produit lorsque la clarinette contrebasse de Décombres (2006) décroche de son registre grave pour se faire cri ; il est encore frappant semblablement dans le son des clarinettes, moins centrales, d’Art of Metal III (2007-2008) de Robin, le basson de Transmission (2002) ou le saxophone de Propaganda (2008) de Bedrossian, qui y ajoute une saturation électronique immédiatement lisible comme excès – comme elle le sera de manière récurrente dans son œuvre (dans son Twist de 2016 par exemple). On l’entend encore dans certains types de gestes et certains mouvements d’exécution rapide de l’ensemble à cordes (2 altos, violon, violoncelle [31]) d’In Vivo I-III (2008-2011) de Cendo, de Tracés d’ombres (2005-2007) de Bedrossian, dont les sonorités sont plus grinçantes encore. Mais déjà chez Cendo la structure et la recherche semblent s’organiser autour de bruits et des mouvements qu’ils permettent de délimiter (des glissandi que viennent clore des coups d’archets dans In Vivo III), attirant l’attention sur les modifications de timbre qu’ils produisent, davantage que sur les recherches d’excès énergétiques – tendance que confirmeront des travaux ultérieurs, réintégrant une harmonie déchiquetée, comme Graphein (2014), et même Badlands (2015), pourtant œuvres pour percussion, soit le geste instrumental au sens énergétique le plus lisible. Il en va de même pour le Robin de Quarks (2016) ou le Bedrossian d’Epigram (2019).

14 Cette évolution de chacun des compositeurs, l’attention accrue portée aux relations, synchroniques ou diachroniques, entre timbres [32], peuvent être considérées comme le prolongement dans la pratique des options théoriques prises par les saturationnistes où il dominait déjà. Des sons complexes et granuleux s’éloignent certes de la norme du « beau son », mais semblent relever d’un travail sur le timbre et le bruit, dans la continuité de l’histoire de la musique savante [33] davantage que d’une musique de l’excès. Certes, « le bruit peut aller sans la fureur [34] », mais les sons manifestant le sens de l’excès ne sont précisément pas de simples bruits ou des sons que caractérise leur seul grain : comme le laissait pourtant entendre Cendo, si la distorsion des guitares peut revêtir le sens de l’excès, c’est en raison de la perception intuitive du processus matériel à l’œuvre dans le circuit d’amplification – et non pas en raison du brouillage de repères musicaux traditionnels, que le rock respecte pour l’essentiel. De ce point de vue, l’invocation d’un « excès du sens [35] » pour désigner spécifiquement l’écart que présentent des sonorités bruissantes vis-à-vis du langage tonal et timbral traditionnel semble attribuer au terme d’excès un sens bien large, et assez loin de ce que l’audition peut reconnaître comme tel.

15 Ce n’est naturellement pas là déprécier la qualité de ces musiques, mais simplement interroger la capacité du saturationnisme à faire effectivement entendre l’excès qu’elle revendique. Le saturationnisme, s’il met à distance dans ses discours, et en définitive dans sa pratique, la musique rock, se détache du paysage sonore et des musiques qui non seulement le font effectivement entendre, mais forment également l’oreille de ses auditeurs, si versés soient-ils dans les musiques savantes [36].

Le rock et la grammaire sonore du monde

16 Car ce qui est alors manqué, et perdu, c’est précisément la manière dont le rock fait entendre l’excès, qui ne tient pas tant aux timbres saturés qu’il emploie qu’à la grammaire énergétique à laquelle il recourt, qui leur donne sens et sur laquelle il construit nombre de ses titres.

17 Si le rock appartient au genre des musiques populaires enregistrées (qu’on a pu désigner par le terme générique de « pop » ou de « rock »), par son mode d’existence et de diffusion prioritairement phonographique [37], c’est d’abord par la persistance de ses racines rythm and blues qu’il se spécifie [38], particulièrement dans le rock ‘n’ roll des années cinquante et soixante. L’apparition de la distorsion au cours des années cinquante s’accompagne toutefois d’une modification profonde de sa physionomie, dont on peut lire l’émergence dans une évolution qui va de Chuck Berry aux Rolling Stones et aboutit à une esthétique nouvelle, qui reconfigure, à partir de la figure de l’excès, les éléments musicaux issus de la tradition des musiques noires américaines. Si la distorsion des guitares a pu en effet être utilisée pour ses affinités avec le timbre rauque et heurté du chant blues, c’est elle qui découvre en retour, et en interaction avec la voix, des potentialités sonores nouvelles, aussi bien pour l’instrumentarium des musiques populaires que pour la logique d’ensemble qui gouverne ses titres. Il semble en effet désormais que tout un courant musical et ses nombreuses déclinaisons (hard rock, metal, hardcore, rock indépendant, punk…) portent une attention particulière, ce qui ne signifie pas exclusive et systématique, à l’investigation de sonorités et d’effets d’excès, dont le bruit et la puissance sonore ne constituent que l’aspect le plus immédiatement manifeste.

18 Que cette tradition musicale et son esthétique soient manquées par les saturationnistes, la maladresse avec laquelle est analysé l’excès électrique en est le premier signe [39] ; mais plus largement, c’est la liaison entre les excès sonores du rock et les régimes énergétiques normaux qu’il fait entendre qui est ignorée. Lorsque le rock fait entendre des excès, ce ne sont que secondairement des excès quantitatifs touchant au volume, à la masse ou au grain de ses sons ; c’est en premier lieu vis-à-vis de normes énergétiques qualitativement établies dans le monde sonore courant, selon une physique sonore naïve [40] façonnée par l’audition de l’environnement sonore ordinaire, que certaines sonorités prennent le sens d’un excès. De manière générale, un son peut être identifié à un événement, c’est-à-dire une entité dont les parties sont successives et non simultanées, et témoigne lui-même d’un événement, porteur d’une dimension énergétique dans la mesure où il « fournit une information à propos de l’interaction de matières en un lieu et dans un environnement [41] » : des corps (solides, liquides…) entrent en contact, dans des modalités déterminées et avec une intensité particulière. L’événement dont témoigne le son consiste d’abord en un événement énergétique (« interaction ») entre objets matériellement déterminées, c’est-à-dire la rencontre ou l’exercice de forces et leurs conséquences [42].

19 Des normes s’établissent concernant les énergies habituellement en jeu, qui mêlent différents aspects du son – le grain, l’attaque, la puissance, la hauteur – vis-à-vis desquels les sons porteurs d’un sens d’excès se détachent aussi bien par des différences en degré (des coups plus forts, un flux plus intense) que par des différences de nature (le son du bris n’est pas celui du coup, mais nous les associons néanmoins). On peut à ce titre distinguer deux types d’excès : l’excès relatif, qui se rattache à une norme énergétique connue ou précédemment entendue comme telle ; l’excès-limite, qui marque le moment où l’énergie devient destructrice pour l’objet auquel elle s’applique ou qu’elle traverse.

20 L’une des caractéristiques du rock consiste à user de ces excès, à en inventer de nouveaux en préservant cette association entre dimensions énergétiques, timbrales et dynamiques, qui apparaît comme la condition pour qu’un excès soit effectivement entendu. La corde de guitare qui ploie dans les bend des soli de Jimmy Page (Led Zeppelin, « Whole Lotta Love », Led Zeppelin II, 1969, 3’05 sq), la puissance croissante d’un martèlement de batterie (celle de Chad Smith dans les premières mesures de « Can’t Stop », Red Hod Chili Peppers, By the Way, 2002) ou l’effet d’accélération des frappes d’un break (parmi tant d’autres, ceux de Keith Moon qui mettent fin à la place d’accalmie de « Won’t Get Fooled Again », The Who, Who’s Next 1971, 7’ 38 sq), le chant flirtant avec le cri du Lennon de « Twist and Shout » (The Beatles, 1963) ou Black Francis (« Monkey’s Gone To Heaven », Doolittle, 1989, 2’02 sq), enfin la distorsion elle-même, dans ses multiples formes, des expérimentations d’Hendrix aux distorsions d’allure numérique de Low (sur l’album Double Negative, 2018) ne produisent leur sens d’excès qu’en empruntant aux catégories du monde sonore ordinaire qui constitue le fonds d’intelligibilité sur lequel elles sont entendues. L’« état critique » du matériau, dans lequel P. Rigaudière voit l’objet précis du travail saturationniste [43], est d’abord dans le rock un état critique du corps sonnant, tel qu’il se laisse lire à travers la grammaire énergétique de l’audition et qui, seul, peut conférer ce sens à l’objet sonore. C’est exemplairement le cas pour la distorsion, qui ne manifeste un excès que pour une audition nourrie par le bruissement constant des appareils électriques [44] et les régimes de moteurs automobiles par exemple [45], qui font respectivement figure de norme énergétique et de modèle de sonorités en excès.

21 Les sonorités d’excès qualitativement déterminées, littérales, ne sont pas absentes des œuvres saturationnistes, comme nous l’avons noté ; elles font parfois l’objet d’une attention théorique particulière, lorsque Bedrossian, par exemple, souligne la spécificité de ce qu’il nomme l’« excès par relation », pour lequel il envisage une « écriture de l’énergie, qui sature le geste instrumental en terme de vitesse, d’accumulation ou de superposition d’actions sonores. La qualité du son qui en résulte, dans sa rugosité, son épaisseur, son instabilité, est alors indissociable de l’énergie déployée [46] ». Mais une écriture de l’énergie est-elle seulement possible ?

III – L’écriture ou l’excès

Écriture ou fixation de l’excès

22 On a noté la tendance du saturationnisme à une certaine « surdétermination de l’écriture [47] », qui paraît assez significative. Cette expression vise en premier lieu la codification excessivement précise des sonorités et de leurs moyens de production qu’on trouve, à des degrés et avec des accents divers, chez ses trois principaux représentants [48]. Relevant d’une fonction descriptive et prescriptive (et partant, d’affirmation auctoriale [49]) davantage qu’elle n’est le lieu de construction de la musique, cette écriture paraît participer, à travers l’exposition d’une maîtrise des symboles, de la volonté d’élever au savant ces sonorités aux ancrages populaires. Mais plus encore, la valeur centrale qui lui est accordée entre en tension avec le lieu même de la manifestation de l’excès, celui du jeu instrumental. Si le rock peut revendiquer le titre de musique de l’excès, ce n’est pas seulement par son antériorité historique, mais également du fait de la spécificité de son existence, de nature phonographique. Ses sonorités d’excès sont en effet toujours engagées dans un dialogue avec une norme sonore qui, si elle renvoie aux sonorités du monde ordinaire, se détermine à chaque fois dans un contexte particulier, impliquant un jeu et des sonorités en régime normal qui s’établissent singulièrement pour chaque instrument et chaque instrumentiste et vis-à-vis duquel sont perçues des variations d’intensité significatives. Dans ces conditions, seule une fixation phonographique peut faire entendre à coup sûr la norme et son dépassement, voire l’état critique de l’objet sonore, et ainsi faire effectivement entendre l’excès. La surdétermination de l’écriture saturationniste peut ainsi par certains de ses aspects prendre le sens d’une tentative pour écrire des sons, y compris en passant par l’écriture des gestes producteurs laissant place à l’indétermination [50], dont l’excès ne peut être que fixé. Parmi les saturationnistes, Cendo est celui qui a porté le plus d’attention à la notation de ce qu’il nomme des « gestes / timbres [51] ». Il insiste également sur la perte de contrôle qu’il attend des instrumentistes, ce qui n’est rien d’autre que signaler la fonction paradoxale de sa notation [52] – point que relève Bedrossian [53] – et en définitive attester du lien indissoluble entre le sens énergétique d’un son et ses conditions effectives de production.

23 L’écriture savante saturationniste ne peut se réapproprier les figures sonores fixées de l’excès du rock et c’est également ce qui lui ferme l’accès aux formes globales d’excès qui sont le lieu où se déploie l’un de ses savoirs propres.

Plateaux et excès d’ensemble

24 Le saturationnisme a également cherché l’excès dans ses mouvements d’ensemble, quoique cette dimension soit nettement moins présente dans leurs écrits. Rigaudière mentionne ainsi les « périodes de stase et périodes d’agitation extrême » dans « la majorité des pièces » de Bedrossian [54]. Des trois compositeurs, c’est Robin qui propose les mouvements les plus étendus, l’orchestration la plus convergente, où s’ébauchent des plages sonores dont l’intensité évolue jusqu’à atteindre des points de climax (dans Inferno ou Quarks) qui ne se révèlent toutefois comme tels que dans la retombée qui leur succède et les marque après-coup comme des moments d’intensité maximale, et d’excès en ce sens. De ce fait, les saturationnistes abandonnent, dans leurs mouvements énergétiques, toute forme de résolution harmonique, toute forme de cadence, dans laquelle Boucourechliev voyait le modèle indépassable des œuvres musicales, « qu’elles soient “savantes” ou populaires, de Mozart ou des Beatles [55] ». Mais les œuvres saturationnistes restent soumises à la conséquence, selon Boucourechliev, de ce primat de la cadence, qui le conduit à déclarer « absurde ou insupportable [de] tout excès de puissance soutenue ou croissante [56] ».

25 Or il semble précisément que le rock, de ce point de vue, soit capable de proposer une figure spécifique de l’excès. Quoi qu’il reste fidèle au sentiment de la tonalité et use de cadences, il semble proposer des résolutions spécifiquement énergétiques à ses mouvements d’intensité croissante. On a noté le fonctionnement par plateaux d’intensité du rock et plus précisément la présence de climax prolongés [57] : le rock parvient en effet à élever de manière qualitative le niveau de ses régimes d’intensité, ce qui lui permet de manifester l’excès d’une manière différente. L’excès n’est plus l’effet d’une saturation progressive et plus ou moins convergente du timbre, du rythme ou des gestes, mais une strate d’intensité d’ensemble supérieure à celle où avait lieu cette progressive saturation. Certains de ces plateaux peuvent même apparaître comme des niveaux d’intensité ne pouvant être dépassés – quoiqu’ils puissent toujours l’être en droit – produisant un effet d’excès absolu, et non plus simplement supérieur à celui qui précède. Or, c’est par l’agencement de sonorités déterminées que le rock, impliquant aussi bien le travail des musiciens que celui de tous les recordistes [58] (ingénieurs du son, de mastering, producteurs) parvient à produire ces plateaux et ses excès absolus : par un jeu de changements qualitatifs d’intensité dans la voix et/ou la guitare, préparés et anticipés dans le plateau précédent par des manifestations d’énergies croissantes, marqués ensuite par différents moyens sonores [59]. Ces agencements peuvent être réduits à leurs formes les plus efficaces, qui ne sont pas les moins subtiles – c’est le cas dans le Nevermind (1991) de Nirvana, produit par Butch Vig – ou appuyées par un travail de production élaboré – c’est le cas, la même année, du Loveless de My Bloody Valentine, sous la conduite de Kevin Shields. Si leur organisation peut être décrite par l’écriture musicale, leur fonctionnement renvoie à l’énergie qui s’y déploie, qui, elle, ne peut être notée.

26 C’est ce que confirme a contrario l’insuffisance d’analyses reposant pour l’essentiel sur les paramètres susceptibles d’être notés sur partition. B. Osborn use ainsi de la distinction entre climax statistique (croissance de paramètres quantitative et mesurable en masse, volume et hauteur) et climax syntaxique (croissance par utilisation de la grammaire du langage musical traditionnel), forgée par B. Meyer [60], pour analyser les évolutions en plateaux de titres rock [61]. Mais ces outils forgés au contact de la musique savante ne lui permettent précisément pas de distinguer, dans les titres qu’il étudie, un simple changement d’intensité (« Faust Harp » de Radiohead, In Rainbows, 2007) d’un excès global (« Root » des Deftones, Adrenaline, 1995). La prise en compte des sonorités singulières de l’excès et la manière dont elles organisent des changements de plateaux paraît en ce sens indispensable.

27 S’il existe une logique énergétique qui parcourt et spécifie à grands traits la musique rock, elle repose sur des éléments qualitatifs qui ne peuvent faire l’objet d’une écriture et ne sont en ce sens pas appropriables par une musique savante qui voit dans la partition le lieu de l’œuvre [62], selon une conception de la musique encore prégnante et héritée du xixe siècle qui en fait l’expression adéquate et intangible de l’intention du compositeur ainsi que la manifestation suffisante, à travers l’exposition d’un ensemble structuré de propriétés et relation tonales, rythmiques et instrumentales, de son sens [63]. Cette conception, alors même qu’elle a été abandonnée par certains courants de musique savante contemporaine (la musique concrète, la musique électroacoustique notamment), ne peut que faire écran, y compris dans le saturationnisme, à une juste compréhension du rock comme musique populaire.

Conclusion

28 Le cas du saturationnisme permet de mesurer certaines limites de l’association du savant et du populaire dans la pratique musicale savante et d’en identifier les motifs, ressortissant pour l’essentiel à une mécompréhension, qui est également le fait d’un certain nombre de théorisations, de la manière dont la musique populaire enregistrée exploite les possibilités du médium phonographique et des savoirs qui s’y déploient. C’est plus particulièrement la capacité du rock, par des sons fixés, d’entrer en dialogue avec la dimension causale de l’écoute ordinaire et d’inventer des figures énergétiques complexes, et, plus particulièrement, des figures d’excès, qui est ici ignorée. S’y exerce un savoir pratique, empirique même, qui tend certes à disparaître dans l’œuvre phonographique, à rebours de celui qui s’expose dans la partition savante, mais dont l’effectuation peut être connue ou retrouvée par de multiples moyens – dans les entretiens, témoignages, documents génétiques que l’industrie musicale, à ses propres fins, tend à rendre accessibles à tous [64]. Visant l’articulation de différents régimes d’intensité, et particulièrement la production de sonorité d’excès, ses moyens peuvent à leur tour être identifiés par différentes catégories et leur efficace justifiée au moins en partie. Le savoir du populaire peut être explicité dans un discours réglé : la musique populaire ne laisse pas d’être savante dans son ordre, sans que ce savoir se réduise à un contenu objectivable dans une partition, et sa logique peut être analysée indépendamment des fonctions ou effets sociaux et corporels qui lui sont liés.

29 Le développement d’une analyse des figures énergétiques de la musique pourrait plus largement venir s’associer aux analyses savantes dans le cadre d’une investigation des procédés de l’« expressivité », que la récente investigation de la condition organologique de la musique a mis en avant. J. Levinson souligne ainsi que, nous ne percevons pas un son de la même manière ni ne lui donnons les mêmes qualités esthétiques selon que nous l’associons à un mode de production ou un autre. Plus spécifiquement encore, les qualités expressives d’une œuvre reposent en grande partie sur notre représentation des gestes qui les produisent, et par leur biais à « l’expression comportementale d’émotions » qui semblent leur être semblables. C’est par exemple dans l’exemple de la sonate Hammerklavier telle que l’analyse Levinson, qui tire, selon lui, sa force, dans sa conclusion, du fait « qu’il nous semble entendre le piano se fissurer, le clavier comme au bord de l’épuisement [65] ». Comprendre, analyser et décrire les raisons de cette impression d’excès et plus généralement les effets expressifs que la musique tire de la mise en scène des corps sonnants, c’est ce que le populaire peut apprendre à l’analyse savante.

Notes

  • [1]
    Cf. p. ex. T. A. Gracyk, « Adorno, Jazz, and the Aesthetics of Popular Music », in The Musical Quarterly, vol. 76, no 4, Oxford University Press, 1992, p. 526-542.
  • [2]
    R. Williams, N. Calvé et É. Dobenesque, Culture & matérialisme [1973], Paris, les Prairies ordinaires, 2009.
  • [3]
    Cf. p. ex. L. Goehr, Le Musée imaginaire des œuvres musicales [1992], C. Jaquet et C. Martinet (trad.), Paris, Cité de la musique-Philharmonie de Paris, 2018.
  • [4]
    R. Shusterman, L’Art à l’état vif : La pensée pragmatiste et l’esthétique populaire, Paris, Les Éditions de Minuit, 1992.
  • [5]
    Cf. A. Hennion, « D’une distribution fâcheuse : Analyse sociale pour les musiques populaires, analyse musicale pour les musiques savantes », in Musurgia, vol. 5, no 2, Éditions eska, 1998, p. 9-19.
  • [6]
    Cf. p. ex. P.-M. Menger, Le Paradoxe du musicien: le compositeur, le mélomane et l’État dans la société contemporaine, Paris, Flammarion, 1983.
  • [7]
    Cf. p. ex., à partir de Bourdieu et sur la question de la musique P. Coulangeon, « La stratification sociale des goûts musicaux. Le modèle de la légitimité culturelle en question », in Revue française de sociologie, vol. 44, no 1, Éditions Ophrys, 2003, p. 3-33.
  • [8]
    D. Francfort, « Musiques populaires et musiques savantes : une distinction inopérante ? (Document de travail) » communication présentée au Colloque fondateur de l’International Society for Cultural History, Gand, 2008.
  • [9]
    M. Solomos, « Le “savant” et le “populaire”, le postmodernisme et la mondialisation », in Musurgia, vol. 9, no 1, Éditions eska, 2002, p. 86.
  • [10]
    M. Solomos parle de « clins d’œil » et de « citations » (ibid., p. 79). On mentionne habituellement le « Psyche Rock » de la Messe pour le temps présent (1967) de Pierre Henry et Michel Colombier, Hungarian Rock (1978) de Ligeti et Professor Bad Trip (1998-1999) de Romitelli, dont l’intention et la fonction diffèrent toutefois.
  • [11]
    C’était le constat que dressait C. Rudent, il y a quelques années toutefois, dans C. Rudent, « Analyse musicale des musiques populaires modernes : un état des lieux », in Musurgia, vol. 5, no 2, Éditions eska, 1998.
  • [12]
    Cf. p. ex. l’article, brillant et nuancé, de M. Kaltenecker, « Comparer l’incomparable ? », in Volume 8. La Revue des musiques populaires, 10 : 1, Éditions Mélanie Seteun, 30 décembre 2013, p. 267-283.
  • [13]
    Bedrossian souligne leur compagnonnage intellectuel autour de conférences entre 2005 et 2008 (cf. P. Albera, « “La forme est un sentiment complexe”. Un entretien avec Franck Bedrossian », in op. cit., p. 13).
  • [14]
    Auxquels on peut adjoindre Dimitri Kourliandiski.
  • [15]
    Cf. R. Cendo, « Les paramètres de la saturation », in P. Ianco (éd.), Franck Bedrossian : de l’excès du son, Champigny-sur-Marne, Ensemble 2e2m, 2008, p. 31-37 ; cf. également Bedrossian dans P. Albera, art. cit., p. 14.
  • [16]
    Particulièrement dans R. Cendo, « Les paramètres de la saturation », art. cit.
  • [17]
    Je dois cette remarque et ces exemples à Lambert Dousson, que je remercie chaleureusement ici pour la relecture bienveillante, savante et précise qu’il a faite de ce texte.
  • [18]
    Le terme de rock peut servir à définir comme genre l’ensemble des musiques populaires enregistrées ; il désigne ici une catégorie spécifique aux limites poreuses, dont les guitares électriques saturées peuvent être considérées comme un marqueur. Nous revenons plus bas à cette question.
  • [19]
    B. Gallet, « Dérives. Entretien avec Franck Bedrossian et Raphaël Cendo », in L’Étincelle, le journal de la création à l’Ircam, no 4, juin 2008, p. 22.
  • [20]
    R. Cendo, « Les paramètres de la saturation », art. cit. (disponible sur https://brahms.ircam.fr/fr/documents/document/21512/).
  • [21]
    Ibid., cf. également B. Gallet, art. cit., p. 22.
  • [22]
    P. Albera, art. cit., p. 13.
  • [23]
    R. Cendo, « Les paramètres de la saturation », op. cit.
  • [24]
    Ibid. Bedrossian s’avoue peu intéressé par l’emploi de ce qu’il identifie comme typique du rock, « par l’intégration, ou par la citation d’éléments issus du rock, comme la permanence du sentiment de la pulsation, ou encore un rapport très référencé à la tonalité, à la modalité » (P. Albera, art. cit., p. 13).
  • [25]
    Il n’est employé dans le texte de Cendo que dans le rejet d’une simple « distorsion instrumentale » (R. Cendo, « Les paramètres de la saturation », op. cit.)
  • [26]
    Ibid. On peut noter l’absence de mentions des guitares électriques qui les premières la font entendre et l’investissent d’un point de vue esthétique.
  • [27]
    Ibid.
  • [28]
    B. Gallet, art. cit., p. 23.
  • [29]
    Le concept d’« écoute causale » est développée par M. Chion dans M. Chion, Le Son. Traité d’acoulogie, 2e éd. revue et corrigée, Paris, A. Colin, 2010, p. 122-123.
  • [30]
    Cf. P. Rigaudrière, art. cit., p. 44.
  • [31]
    « In Vivo, Raphaël Cendo », s. d. (en ligne : https://brahms.ircam.fr/fr/works/work/22583/#program ; consulté le 25 juin 2023).
  • [32]
    Au sujet de Bedrossian, cf. P. Rigaudrière, art. cit., p. 44 et les déclarations du compositeur lui-même, opposant à une logique des hauteurs celle « du timbre, du registre, de la densité spectrale », induisant le fait que « le rôle de ces sons est désormais principalement relie a la couleur du timbre » (P. Albera, art. cit., p. 16.) ; Cendo parle pour sa part́̀ d’une « polyphonie de timbres » (P. Rigaudière, art. cit., p. 45).
  • [33]
    Rigaudière cite Murail, Grisey pour le timbre, Ligeti et Lachenmann pour le bruit (ibid., p. 38-39). Bedrossian souligne l’importance de Ligeti et de la musique spectrale dans sa formation (P. Albera, art. cit., p. 13).
  • [34]
    P. Rigaudrière, « Biographie de Franck Bedrossian », sur Ressources.Ircam, 2018 (en ligne : https://brahms.ircam.fr/fr/franck-bedrossian#parcours ; consulté le 28 juin 2023).
  • [35]
    C’est une formule qu’emploie à ce sujet F. Bedrossian (cf. B. Gallet, « Dérives. Entretien avec Franck Bedrossian et Raphaël Cendo », op. cit., p. 23).
  • [36]
    L’éclectisme des écoutes et des goûts mêlant savant et populaire a été plusieurs fois souligné ; cf. p. ex. P. Coulangeon, « La stratification sociale des goûts musicaux », op. cit.
  • [37]
    Cette appellation est proposée et justifiée par O. Julien, notamment dans O. Julien, « “A lucky man who made the grade”. Sgt. Pepper and the rise of a phonographic tradition in twentieth-century popular music », in Sgt. Pepper and the Beatles. It Was Forty Years Ago Today, Aldershot, Hampshire, England - Burlington, vt Ashgate, 2008).
  • [38]
    Voir la caractérisation nuancée que propose T. Gracyk dans T. Gracyk, Rhythm and Noise. An Aesthetics of Rock, Durham, Duke University Press Books, 1996, p. 7.
  • [39]
    Pour Cendo, « la saturation est la transformation d’une onde sinusoïdale en onde carrée » (R. Cendo, « Les paramètres de la saturation », op. cit.), ce qui n’est historiquement vrai que des dispositifs d’amplification par transistor induisant un effet de « hard clipping » tel qu’on le trouve dans les pédales fuzz à partir du début des années soixante. Il faut encore ajouter que ceci ne concerne que la forme d’onde et non le profil harmonique du son saturé.
  • [40]
    Cf. B. Smith et R. Casati, « La physique naïve : un essai d’ontologie », in Intellectica, vol. 17, no 2, Persée – Portail des revues scientifiques en shs, 1993, p. 173-197 et W. W. Gaver, « What in the World Do We Hear? An Ecological Approach to Auditory Event Perception », in Ecological Psychology, vol. 5, no 1, Routledge, 1er mars 1993, p. 1-29.
  • [41]
    W. W. Gaver, op. cit., p. 4.
  • [42]
    C. O’ Callaghan, « Object Perception: Vision and Audition », in Philosophy Compass, vol. 3, no 4, 2008, p. 824.
  • [43]
    P. Rigaudière, « La saturation, métaphore pour la composition ? », art. cit., p. 38.
  • [44]
    R. Walser, Running with the Devil. Power, Gender, and Madness in Heavy Metal Music, Hanover, NH, Wesleyan, 1993, p. 41-42 ; R. Walser, « The Body in the Music: Epistemology and Musical Semiotics », in College Music Symposium, vol. 31, College Music Society, 1991, p. 125.
  • [45]
    Cf. P. Arnoux, « L’invention de la distorsion », in Audimat, no 9, juin 2018 (en ligne : http://revue-audimat.fr/numero-9/).
  • [46]
    B. Gallet, art. cit., p. 23.
  • [47]
    P. Rigaudière, « La saturation, métaphore pour la composition ? », art. cit., p. 41.
  • [48]
    Ibid.
  • [49]
    On peut interpréter dans ce sens une déclaration de Bedrossian au sujet de son travail avec des instrumentistes : « Il m’arrivait souvent de revenir vers eux avec des propositions de notation, qui devaient être les plus claires possibles, ne risquaient pas de trahir mes intentions » P. Albera, art. cit., p. 15.
  • [50]
    P. Rigaudière, « La saturation, métaphore pour la composition ? », art. cit., p. 45.
  • [51]
    Ibid., communication privée à l’auteur et R. Cendo, « Excès de geste et de matière », in Dissonance, no 125, 2014, p. 27 et 33.
  • [52]
    B. Gallet, art. cit., p. 23.
  • [53]
    Ibid.
  • [54]
    P. Rigaudière, « Biographie de Franck Bedrossian », art. cit.
  • [55]
    André Boucourechliev, Le Langage musical [1993], Paris, Fayard, 1993, p. 103.
  • [56]
    Ibid., p. 50.
  • [57]
    Cf. p. ex. B. Osborn, « Subverting the Verse–Chorus Paradigm: Terminally Climactic Forms in Recent Rock Music », in Music Theory Spectrum, vol. 35, no 1, 2013.
  • [58]
    Nous empruntons à A. Zak (A. J. Zak, The Poetics of Rock, op. cit., p. xii) ce terme pour désigner tous les individus prenant part de manière directe à la création d’un artéfact-enregistrement (compositeurs, musiciens, ingénieurs du son, producteurs).
  • [59]
    Cf. par exemple le cas de « (I Can’t Get No) Satisfaction » des Rolling Stones in P. Arnoux, « L’invention de la distorsion », art. cit. Un bon exemple de progression par plateaux d’intensité, suivie d’un excès absolu, peut être entendu dans « The Pretender » des Foo Fighters (Foo Fighters, Echoes, Silence, Patience & Grace, rca, 88697 11516-2 [CD], 2007).
  • [60]
    L. B. Meyer, « Exploiting Limits: Creation, Archetypes, and Style Change », in Daedalus, vol. 109, no 2, The mit Press, 1980, p. 177-205.
  • [61]
    B. Osborn, « Subverting the Verse–Chorus Paradigm: Terminally Climactic Forms in Recent Rock Music », in Music Theory Spectrum, vol. 35, no 1, 2013, p. 23-47.
  • [62]
    Cf. par exemple Nelson Goodman, qui considère qu’une « concordance complète avec la partition est la seule condition requise pour qu’on ait un exemple authentique d’une œuvre ». N. Goodman, Langages de l’art. Une approche de la théorie des symboles (1968), tr. fr. Jacques Morizot, Nîmes, Éditions Jacqueline Chambon, 1990, p. 225.
  • [63]
    L. Goehr, Le Musée imaginaire des œuvres musicales [1992], C. Jaquet et C. Martinet (trad.), Paris, Cité de la musique-Philharmonie de Paris, 2018, p. 77.
  • [64]
    La technologie et les acteurs du travail en studio ont fait l’objet de recherches depuis quelques années dans les popular music studies – on peut citer les noms de A. J. Zak, les travaux de S. Bennett ou S. Zagorski-Thomas.
  • [65]
    J. Levinson, « Interprétation authentique et moyens d’exécution », C. Canonne et P. Saint-Germier (trad.), in Essais de philosophie de la musique : définition, ontologie, interprétation, Paris, Vrin, 2015, p. 94.