Musiques africaines et musiques techno : une parenté inattendue ? Quelques réflexions sur le « triangle axiomatique » savant-traditionnel-populaire

1 Les travaux sur l’émergence du concept de « musique populaire » dans le monde occidental moderne sont très nombreux. Les historiens de la culture populaire comme Lawrence Levine [1], ou de la musique comme Derek Scott [2], ont établi comment la culture populaire se construit au xixe siècle comme l’envers en négatif d’une culture bourgeoise et savante. Ce que Scott qualifie de « révolution de la musique populaire » s’opère dans des métropoles comme New York, Londres, Paris ou Vienne. Elle traduit des changements sociaux dans les pays occidentaux avec le développement d’un prolétariat urbain, mais également « l’incorporation de la musique dans un système de production capitaliste [3] » et une culture de masse. Scott ajoute que la « musique populaire » du xixe siècle a en outre développé des traits stylistiques caractéristiques. Cette polarisation musicale et sociologique fournit aux critiques « des clés pour condamner la musique qui portait les stigmates du populaire, qu’ils regardaient comme superficielle et facile, plutôt que sérieuse et innovante [4]».

2 Dans les années trente, Theodor W. Adorno consacre cette bipolarisation, en pointant symboliquement le dernier moment historique où la musique put encore être savante et populaire, dans l’opéra de Mozart La Flûte enchantée et le succès « tubesque » de l’air de la Reine de la Nuit [5]. Au terme d’une longue période d’Ancien Régime où la séparation entre culture savante et populaire était beaucoup plus poreuse, le divorce semble irrémédiablement consommé, et Adorno se charge d’en définir les contours sur un plan philosophique et musicologique. Pour lui, les différentes « modes » qui traversent les musiques issues de l’industrie de la culture ne remettent jamais en cause le modèle fondamentalement standardisé de la chanson populaire. Ni le jazz qu’il épingle à de nombreuses reprises [6], ni le rock et ses contre-cultures dont il est encore le témoin tardif et incrédule, ne remettront en cause la perniciosité du « bain d’acier du fun [7] », soit l’expérience proposée par la Kulturindustrie. Les musiques populaires sont, musicologiquement, faites d’un seul bloc, et leur apparente diversité, fut-elle ethnique, comme semble le revendiquer le jazz, n’est qu’un leurre marketing [8].

3 À la fin des années soixante-dix, des chercheurs comme Philip Tagg, Richard Middleton, Franco Fabbri et Simon Frith vont toutefois s’emparer de l’objet « popular music » pour en faire un objet de recherche autonome méritant « d’être pris au sérieux [9] ». Dans « Analysing Popular Music », un essai séminal délimitant les contours de la notion de musique populaire paru initialement en 1982, Philip Tagg propose une tripartition entre les catégories de savant, traditionnel et populaire qui fera date dans un champ d’études alors en cours de construction : les popular music studies. Cette tripartition a le mérite de sortir de l’opposition binaire entre savant et populaire pour pointer les spécificités ontologiques de trois grands ensembles socio-musicaux. Alors que la musicologie en tant que discipline académique née au xixe siècle privilégie l’étude des œuvres de musiques savantes à partir de leur forme achevée parce qu’écrite, que l’ethnomusicologie s’est, elle, instituée tout au long du xxe siècle comme étude des musiques de tradition orale observées in situ, l’étude des musiques populaires a affaire à des musiques enregistrées qui circulent sous forme de marchandises dans un contexte économique capitaliste :

4

Pour définir le concept de « musiques populaires » – écrit Philip Tagg –, je proposerai ici un triangle axiomatique articulant les notions de « musiques savantes » (Art music), de « musiques traditionnelles » (Folk music) et de « musiques populaires » (Popular music). […] Alors que la notation peut être un point de départ pertinent pour l’analyse des musiques savantes dans leur plus grande part, dans la mesure où l’écrit était l’unique forme de conservation de la musique pendant près de dix siècles, les musiques populaires, et en particulier celles issues de la tradition noire américaine, ne sont ni conçues ni pensées pour être conservées ou distribuées sous forme écrite – un grand nombre de paramètres majeurs de l’expression musicale étant difficiles, voire impossibles à encoder dans la notation traditionnelle [10].

5 Bien que les technologies permettant la captation sonore des musiques populaires au sens moderne du terme soient postérieures à l’émergence de cette catégorie au xixe siècle [11], on peut considérer que le médium de l’enregistrement est malgré tout venu consacrer et fixer la spécificité des musiques populaires par rapport à la tradition savante occidentale et aux musiques de traditions orales. Selon Philip Tagg, le studio qui permet la production des musiques populaires les dote d’une ontologie propre dans laquelle l’œuvre, c’est l’enregistrement. Cette technologie permet aux musiques populaires de préserver la dimension performative comme essentielle à chaque œuvre et non pas simplement à leur interprétation, mais d’intégrer également à leur identité sonore le travail électroacoustique du timbre, qui, depuis les années soixante et les expérimentations des Beatles [12], est devenu essentiel au travail de composition, comme d’ailleurs au processus narratif propre aux chansons populaires [13]. Comme le rappelle à son tour Agnès Gayraud : « L’enregistrement et ses implications technico-industrielles constituent les critères déterminants, révélés indispensables à toutes les recherches d’ontologie esthétique sur la définition de la popular music moderne [14] ». La nature centrale de l’enregistrement pour la compréhension de la spécificité des musiques populaires au sens moderne est donc un point de consensus important au sein des popular music studies[15].

6 Toutefois, on peut légitimement se demander si l’intégralité des pratiques musiciennes aujourd’hui subsumées sous le terme anglais de popular music, et issues à l’origine des pratiques musicales occidentales euro-américaines [16], continue de fonctionner sur le même régime esthétique, plus de cinquante ans après Sgt Pepper’s Lonely Hearts Club Band, l’album fondateur des Beatles. Malgré les parentés évidentes entre pop, rock, techno, hip hop ou reggae en termes de fonctionnement économique et sociologique (c’est-à-dire leur intégration à un marché capitaliste et leur incorporation dans une logique sociale affinitaire ou subculturelle telle qu’elle a pu être mise au jour par les cultural studies), on peut se demander si l’unité ontologique « enregistrée » des musiques populaires modernes est vraiment soutenable sur un plan musicologique. Derrière ce concept fondateur pour les popular music studies, n’y a-t-il pas une diversité de pratiques qui mériteraient d’être interrogées ? L’idée ici n’est pas de déconstruire le concept de musiques populaires ni d’en contester la pertinence, mais plutôt de l’enrichir qualitativement en détaillant ses propriétés musicales et en montrant la pluralité ontologique des types d’œuvres qui le traversent.

7 Pour ce faire, je propose d’user d’une méthode comparative en concentrant la réflexion sur les musiques électroniques, qui forment depuis les années quatre-vingt un important segment des musiques populaires. Comparer la musique techno à des répertoires éloignés (les musiques traditionnelles centrafricaines) et proches (le rock), peut permettre de faire apparaître une diversité de fonctionnements esthétiques qui traversent la méta-catégorie des musiques populaires. Réfléchir aux similarités entre des répertoires très éloignés dans le temps et l’espace permet parfois de repenser à nouveaux frais les oppositions catégorielles qui nous servent à appréhender les genres musicaux. C’est ce qu’avait notamment fait l’ethnomusicologue Simha Arom dans un article sur les parentés inattendues entre polyphonies africaines et polyphonies médiévales. En décal(qu)ant ce rapprochement avec la musique techno née à Detroit dans les années quatre-vingt, j’aimerais montrer que l’opposition entre musiques savantes, traditionnelles et populaires, qui continue d’être opérante dans le monde occidental depuis le début du xixe siècle, gagne à être enrichie par d’autres grilles d’analyse pour complexifier la cartographie des objets musicaux qui peuplent aujourd’hui le monde de la musique.

Simha Arom et la perspective savante sur les musiques centrafricaines

8 L’ethnomusicologue de renommée internationale Simha Arom a consacré une grande partie de ses recherches aux traditions musicales centrafricaines, notamment chez les populations pygmées et banda linda, à partir desquelles certaines montées en généralité ont pu être établies. Dans son article « Une parenté inattendue : polyphonies médiévales/polyphonies africaines », il a réfléchi aux points communs entre deux traditions extrêmement éloignées dans le temps et l’espace et démontré de façon stupéfiante leur parenté formelle. Ce rapprochement s’appuie principalement sur les techniques d’écriture polyphonique, comme le contrepoint ou le hoquet, mais aussi l’absence de hiérarchie entre les pulsations [17] et les jeux d’asymétrie entre les couches de la polyphonie [18]. Force est pourtant de constater la distance historique et culturelle entre ces deux traditions, aux antipodes, et leur opposition en termes de médiations, écrite et orale (soit 2 pointes sur 3 du triangle de Philip Tagg). Dans la tradition polyphonique médiévale, les règles de composition se traduisent dans la partition écrite. Dans les traditions africaines, on retrouve certes les mêmes règles, mais qui s’appliquent cette fois à un noyau musical constant, mémorisé par les participants et destiné à être improvisé, varié. C’est ce que Arom caractérise par la notion de « modèle ». Cet étonnant et savant rapprochement inspirait à Simha Arom une conclusion sur l’universalité des procédés musicaux et l’inventivité musicale humaine :

D’une certaine manière, le modèle est aux musiques de tradition orale ce que la chose écrite est aux musiques savantes. L’écriture confère à l’œuvre un caractère fini, achevé et à laquelle rien d’essentiel ne peut être ajouté, alors que le modèle est une esquisse dont rien ne peut être retranché. […] C’est ainsi que deux civilisations, sans le moindre contact entre elles, peuvent aboutir à la mise en œuvre de techniques musicales qui reposent sur les mêmes principes. Ce qui tendrait à prouver, si besoin en était encore, que l’ingéniosité de l’esprit humain est universelle [19].
Cette conclusion est intéressante parce qu’elle établit un lien entre des considérations ontologiques et le type d’analyse approprié aux musiques étudiées, exactement comme chez Tagg à propos de la médiation enregistrée et l’analyse de la pop. Dans les musiques orales centrafricaines, la structure (le « modèle ») est un préalable minimal à l’improvisation. Sa richesse témoigne d’un génie musical comparable à la pensée savante occidentale, qui, elle, s’exerce sur des structures maximalistes, achevées du point de vue de la combinatoire sonore, parce qu’écrites. Mais ce dont témoigne également cet article, c’est des propres positions de Simha Arom sur la musique : son axiologie. Lui, le musicien savant, d’ascendance juive hassidique, formé au cnsm de Paris et musicien d’orchestre à Jérusalem [20], s’est intéressé aux musiques de tradition orale, mais pas n’importe lesquelles. En effet, on ne peut s’empêcher de remarquer que les traditions qu’il a étudiées pendant de nombreuses années sont parmi les plus complexes d’Afrique subsaharienne [21]. Il est alors possible de se demander s’il n’existe pas comme un impensé savant chez Arom qui lui fait privilégier, dans son travail d’ethnomusicologue, l’analyse des procédés formels des musiques pygmées ou banda linda. On peut ainsi poser l’hypothèse que, par sa formation, Arom était plus enclin à rechercher un certain type de complexité sonore transcriptible par l’écrit. Il lui était naturel d’effectuer des rapprochements avec les musiques savantes occidentales qui, par le truchement de l’écriture (qui ne retient que les paramètres abstraits, hauteur et durée), ont fini par faire coïncider l’œuvre avec sa transcription. Le paradigme savant continue donc d’opérer secrètement dans l’étude de musiques qui, bien que complexes, ne relèvent pas de cette catégorie.

Rapprochements formels entre polyrythmies africaines et musique techno

9 Au moment d’aborder cette comparaison, il pourra être utile ici de préciser ce qu’on entend par la notion de « musiques africaines ». Est-il seulement possible de tenir un discours scientifique sur un ensemble aussi vaste ? En effet, les ethnomusicologies sont d’habitude extrêmement prudentes en la matière, tant la généralisation peut conduire à des formes critiquables d’essentialismes, qui ne sont pas sans rappeler les travaux d’Edward Said sur les liens entre orientalisme et colonialisme [22]. Ainsi, dans un article paru dans l’encyclopédie Musiques de Jean-Jacques Nattiez portant sur « La présence de la musique africaine dans le jazz », l’ethnomusicologue africaniste Gerard Kubik prenait soin de délimiter la portée de la comparaison à certaines musiques d’Afrique de l’Ouest : « Seules certaines cultures sont passées d’un lieu à un autre – et non pas la culture noire. Les cultures de langues nilotiques sahariennes et Khoisan, ainsi que celles de la plupart de l’Afrique de l’Est et du Sud, n’ont presque jamais gagné le Nouveau Monde [23] ». Prise dans la littéralité, la notion de « musiques africaines » pourrait donc présenter le risque d’essentialiser un concept au mépris de la diversité des traditions africaines. Toutefois, comme l’a entrepris Simha Arom, ou bien Marc Chemillier après lui, certains principes restent suffisamment généraux pour être appliqués à différentes traditions musicales africaines [24]. Ainsi de la contramétricité, principe global très prégnant en Afrique, que l’on peut relever dans des corpus de musiques traditionnelles variées, de la Mauritanie à Madagascar [25]. C’est dans cet esprit que nous utiliserons le terme de « musiques traditionnelles africaines » dans la suite de cet article.

10 Que donne alors à penser le rapprochement entre les principes développés par ces musiques traditionnelles africaines et la musique techno, telle qu’elle a pu émerger à Détroit dans les années quatre-vingt ? Il s’agit là aussi de répertoires que leurs médiations opposent totalement, entre oralité et enregistrement cette fois. Rappelons que la musique techno est jouée par des musiciens électroniques dans le cadre de soirées dansées, dans lesquelles la musique est produite à partir d’échantillons musicaux eux-mêmes préenregistrés, qu’il s’agisse d’un dj mixant des vinyles ou d’un « laptop performer » qui compose la musique en temps réel à partir d’éléments préenregistrés (des boucles) sur un logiciel qui permet de les manipuler. Ce rapprochement pourrait signer a priori une méconnaissance primitiviste des deux univers en rabattant la musique techno sur le « boum-boum » de la jungle – le principal point de rapprochement étant la prééminence du rythme sur la mélodie et l’harmonie (et l’absence de ces deux derniers paramètres la plupart du temps dans la techno). Du point de vue du musicologue africaniste, comparer les musiques africaines à la techno pourrait ainsi s’avérer choquant compte-tenu de la sophistication des polyrythmies africaines, rapportée à l’apparente simplicité des musiques électroniques de danse. Celles-ci s’appuient en effet sur des métriques rigides à 4 noires par mesure, chaque temps étant systématiquement marqué par un coup de grosse caisse (le « kick »). Pourtant, on peut relever plusieurs aspects fondant la parenté entre les deux cultures musicales à un niveau structurel et non pas superficiel, comme je vais tenter de le montrer à présent.

Principes rythmiques

11 Dans les deux traditions, la musique est composée de couches qui se superposent et qui reposent sur des éléments récurrents qu’on appelle des boucles dans la musique techno et des ostinatos dans l’ethnomusicologie africaniste. C’est un premier point très général, mais qui fonde en réalité les suivants, car la répétition est un socle crucial pour le développement de pratiques improvisées, qu’elle rend possible par la stabilité temporelle qu’elle instaure. Sur cette stabilité vont se superposer différentes couches sonores qui vont entrer en conflit créatif les unes avec les autres. Une grande partie des travaux de Simha Arom sur les polyrythmies centrafricaines est consacrée à ces phénomènes [26].

12 Du côté de la techno, on peut se référer aux travaux du musicologue Mark Butler, qui a consacré en 2006 une étude tout à fait méthodique à ces principes musicaux [27]. En décomposant un grand nombre de titres, il a établi que, loin d’en rester à une approche binaire du rythme (grosse caisse martelant uniformément les temps, charleston sur les contre-temps, et caisse claire sur les temps 2 et 4), les patterns dans la techno suivaient très souvent des structures asymétriques. Une brève analyse musicale permet de s’en rendre compte aisément. Dans le morceau « Cubik » du musicien techno 808 State sorti en 1990 [28], le riff principal divise une mesure qui compte 16 double-croches (4 temps contenant chacun 4 double-croches) en 5 valeurs, qui, par conséquent, ne peuvent être isochrones, c’est-à-dire de même longueur (16/5 ne peut donner des durées musicales entières de même valeur). Comme on le constate sur ce relevé ci-dessous (voir la portée supérieure intitulée Riff 1 de la figure 1), les valeurs rythmiques combinent donc 4 croches pointées (soit l’équivalent de 3 double-croches) et une noire (4 double-croches) : 3 3 3 3 4. Le résultat sonore est comparable à de nombreuses clés rythmiques centrafricaines, comme ce rythme diketo joué par les lames de fer qui divise une période de 24 croches en 13 unités dont la durée sera, là aussi, forcément inégale : 2 2 2 2 2 3 2 2 2 2 3. La similarité entre les deux patterns, techno et centrafricain, vient du fait qu’on ne peut les diviser par la moitié : ils sont dits « asymétriques ». Dans le cas de la techno, cette asymétrie contribue à la dynamique musicale, au groove du passage en question.

Figure 1

Transcription d’un extrait du morceau « Cubik (King County Perspective) », par 808 State (mesures 9 à 12), d’après Mark Butler (2006 : p. 102)

Figure 1

Transcription d’un extrait du morceau « Cubik (King County Perspective) », par 808 State (mesures 9 à 12), d’après Mark Butler (2006 : p. 102)

Figure 2

Transcription du rythme Diketo issu de l’enregistrement « Divots » dans l’Anthologie de la musique Pygmées Aka 1 (Occora 1987), d’après Simha Arom (2007 : p. 315)

Figure 2

Transcription du rythme Diketo issu de l’enregistrement « Divots » dans l’Anthologie de la musique Pygmées Aka 1 (Occora 1987), d’après Simha Arom (2007 : p. 315)

13 Au-delà de ces spécificités rythmiques comparables à l’échelle d’un pattern donné, Mark Butler fait comprendre au travers du concept de « multiplicité interprétative », que, loin d’être une musique monotone rythmiquement, la techno repose sur l’empilement de strates de sons (« layers ») qui s’enrichissent et se complètent mutuellement. Dans son analyse du morceau « Televised Green Smoke » de Carl Craig par exemple [29], il montre comment à l’écoute, on commence par identifier une première couche qui paraît ternaire. Mais quand la grosse caisse entre en scène :

Elle arrive à un endroit où on ne l’attend pas du tout. Cela crée ce que j’appelle un « renversement du beat » (turning the beat around), et quand ce renversement se produit, on se sent momentanément comme désorienté. Les couches rythmiques continuent à s’empiler et elles finissent par confirmer une interprétation, en quelque sorte, bien que notre impression précédente sur les différentes couches qui ont des temporalités autonomes persiste [30].
En composant une musique de couches aux imbrications rythmiques complexes et plurivoques, à partir de moyens instrumentaux pourtant particulièrement limités [31], les pionniers de la techno de Detroit ont réactualisé des principes rythmiques africains qui avaient partiellement survécu dans certaines musiques africaines-américaines comme le jazz ou les musiques caribéennes [32].

Conduite musicale et téléologie

14 Pour conclure sur ces brefs rapprochements formels entre deux répertoires très éloignés dans le temps et l’espace, nous pouvons souligner à un niveau plus macro l’absence de développement téléologique de la structure musicale. Dans un chœur polyphonique pygmée, sur un morceau donné basé sur 4 lignes vocales indépendantes perpétuellement variées par des dizaines de chanteurs, il ne faut pas plus de quelques secondes pour que l’ensemble du matériau musical (soit 4 ostinatos superposés sur 8, 12, 24 ou 36 pulsations la plupart du temps) soit exécuté. La suite n’est que variations improvisées sur ces 4 boucles de base qui se répètent indéfiniment. Les interprétations durent malgré tout plusieurs dizaines de minutes et ne s’arrêtent que lorsque les chanteurs se sont lassés ou ont épuisé les possibilités d’improvisation sur le matériau donné [33]. Aussi, il n’y a pas de structure globale dans ces œuvres polyphoniques, pas de trajectoire narrative avec un début, un milieu et une fin, mais uniquement un jeu improvisé sur un matériau à la fois très simple (un ostinato de quelques temps) et très complexe, car susceptible d’être varié de nombreuses façons.

15 De façon similaire, dans la techno, il faut distinguer les morceaux produits par les compositeurs et qui circulent dans le commerce sous la forme de singles de quelques minutes, et leur usage dans le mix d’un dj lors d’une soirée dansée. Or, si les singles sont des entités finies qui peuvent avoir une introduction (avec une texture d’une seule couche qui va en se complexifiant), une structure avec des points culminants et une conclusion où l’intensité musicale décroît, ils ne sont en aucun cas le lieu idéal de la consommation musicale du genre. En effet, ces titres gravés sur les sillons des disques vinyles ne prennent leur véritable sens musical qu’une fois intégrés dans le flux improvisé du dj set dans lequel ils sont destinés à jouer un rôle en relation à d’autres :

16

L’étude d’enregistrements isolés n’est pas représentative de la manière dont on éprouve l’edm pendant la performance, d’autant plus que celle-ci est le moyen le plus important par le biais duquel on peut en faire l’expérience. Quand les musiciens produisent des morceaux, ils sont assurément attentifs à leurs sons, ils veulent que ce soient de bons morceaux, mais ces derniers sont finalement destinés à s’intégrer le mieux possible dans une performance dj ou laptop, dans laquelle ils seront combinés, superposés ou altérés par divers moyens [34].

17 La durée du set est donc l’échelle musicale privilégiée pour les amateurs et performeurs de musique techno. Nous constatons alors la disparition du principe de téléologie musicale si prégnant dans la tradition occidentale savante. Comme le remarque Butler ailleurs :

18

Le fil narratif qui unifie un set est donc spécifique à un événement particulier. Quelque chose de cohérent est produit, mais le résultat final n’est pas forcément défini au préalable et pourrait bien se développer de façon différente lors d’une autre occasion. Cet aspect contingent du set apparaît lorsqu’il se termine : il s’arrête lorsque le temps dévolu au DJ est écoulé, souvent au travers d’un fade out, et non pas sur une conclusion claire et précise. Ses limites sont définies contextuellement et non pas essentiellement. Le début et la fin ne sont pas des critères essentiels à son unité [35].

19 « Boundedness is not an important aspect of their unity » : la finitude ou la clôture de l’œuvre ne participe pas de façon décisive à son identité musicale. Exactement comme dans le cas des chœurs polyphoniques pygmées, il s’agit d’un flux improvisé plus que d’une narration écrite et construite en amont de la performance. C’est une boucle perpétuelle dans laquelle on rentre à n’importe quel moment, pourvu qu’on soit en rythme, et qu’on abandonne une fois qu’on a épuisé/qu’on s’est lassé des possibilités de variation qu’elle permet [36].

L’héritage africain dans les musiques populaires modernes

20 Cette excursion musicologique dans les mondes de la techno et des musiques traditionnelles africaines nous permet de revenir plus savant à notre réflexion sur les musiques populaires. Car en effet que constatons-nous ? Les différents principes évoqués ci-dessus rapprochent un dj set de Jeff Mills au Tresor club de Berlin d’une performance d’un chœur de Pygmées Aka sur de nombreux points, bien davantage en tous cas que d’une chanson des Rolling Stones enregistrée à Abbey Road. Certes, « (I Can’t Get No) Satisfaction » des Stones et « The Bells » de Jeff Mills sont bien deux morceaux de musiques populaires, parce que :

  • ils se dansent,
  • ils ont émergé dans un contexte communautaire et s’y référent sémiologiquement,
  • ils circulent sous la forme de marchandises,
  • ils appartiennent à des mondes sociaux et esthétiques qui communiquent et s’influencent très largement entre eux.

21 Mais ils ne mettent pas en jeu les mêmes principes musicaux :

  • L’un utilise une grille d’accords qui sous-tend une mélodie chantée quand l’autre se passe de logique compositionnelle tonale,
  • L’un segmente ses parties en couplets et refrains et raconte une histoire avec des paroles dont la narrativité est soutenue par l’organisation sonore, quand l’autreutilise différents éléments tout au long du morceau sans que ceux-ci ne fassent directement sens en tant segments identifiables par l’auditeur,
  • L’un sera rejoué à l’identique lors du concert quand l’autre sera profondément remanié lors d’un dj set où il figurera déformé et superposé à d’autres morceaux qui en changeront complètement la physionomie sonore.

22 Ce rapprochement formel entre une partie des musiques populaires (les musiques électroniques) et un corpus distinct ontologiquement parlant (les musiques centrafricaines de tradition orale) indique d’abord que l’enregistrement ne saurait garantir à lui seul la définition du type d’œuvres que l’on rencontre dans les musiques populaires. C’est en réalité du fait de l’importance accordée à la performance dans les musiques électroniques que ces dernières retrouvent certaines caractéristiques des musiques traditionnelles africaines. Dans les musiques électroniques, l’enregistrement reste central, mais il est mis en mouvement par l’usage qu’en fait le dj au cours de la performance. Dans la techno, la performance (le si bien nommé « live set ») consiste à remixer des échantillons enregistrés, et non pas à produire des performances fidèles à des œuvres préalablement gravées dans des phonogrammes faisant référence. Pour caractériser cette distinction entre ce qui se passe dans la techno et dans le rock, on pourrait reprendre le vocabulaire de David Davies qui parle de « work-performance » pour désigner une pratique musicale instanciant une œuvre préalablement fixée (indépendamment du type de trace – orale, écrite ou enregistrée – en question) et de « performance-work » pour les cas où l’œuvre n’est pas distinguable de la performance observée [37], ce qui donc me paraît correspondre à la musique techno.

23 Deuxièmement, ce rapprochement entre techno et polyrythmies africaines nous incite à réfléchir à l’origine des caractéristiques des musiques électroniques que nous venons de mettre en évidence. À la différence de ce qui se passait chez Arom qui comparait deux traditions n’ayant absolument aucun rapport historique entre elles, le lien entre ces deux univers séparés géographiquement et en termes de médiation peut cette fois être pensé en termes historiques et culturels. On peut poser l’hypothèse que l’intérêt pour la structuration polyrythmique du temps musical et la priorité donnée au « performance-work » sur le « work-performance » dans les musiques techno s’inscrit dans une tradition plus large, celle des musiques africaines-américaines, qui s’explique en partie par leurs origines communes dans les traditions musicales africaines. La prééminence donnée à la performance sur l’œuvre a été souvent relevée dans le domaine du jazz. Dans la mesure où ce dernier se situait dans un rapport de plus en plus distant avec les industries culturelles et le format enregistrement, de nombreux théoriciens se sont satisfaits de lui attribuer un statut exceptionnel dans l’histoire des musiques noires. (Là encore, l’influence du paradigme savant sur les historiens et musicologues du jazz, et leur défiance vis-à-vis de l’univers des musiques populaires, pourrait être discuté [38].) Toutefois, d’autres musiques du continuum africain-américain méritent également de s’insérer dans cette problématique, même si l’enregistrement semble y jouer un rôle plus structurel, pouvant à première vue nous éloigner de ce rapprochement.

24 En effet, la filiation mise en avant dans cette contribution concerne les courants post-tonaux des musiques noires américaines (soit, ici, la techno, mais ce serait également vrai du funk et du rap), qui émergent à partir de la fin des années soixante. Ces différents courants proposent une démarcation avec les principes musicaux hérités de la culture musicale populaire euro-américaine – et en premier lieu la forme chanson – sans pour autant s’affranchir des liens avec le dancefloor et donc ce qu’on appelle les « musiques populaires ». En effet, c’est bien l’un des enseignements de la techno de Detroit : certains grands principes des musiques traditionnelles d’Afrique sub-saharienne sont réapparus aux États-Unis à partir des années soixante-dix, quand on est passé d’une logique de construction du temps basé sur le chemin harmonique de la grille d’accord à une conception du groove non directionnel en termes d’harmonie [39]. Cette sortie du discours musical de son ancien cadre téléologique a remis en lumière des pratiques de la performance qui avaient toujours été présentes dans les cultures noires des Amériques, mais qui avaient été invisibilisées par le format chansonnier proposé/imposé par les industries culturelles, dans lequel elles s’étaient pour ainsi dire coulées. Qu’il s’agisse du jazz et de ses jam sessions interminables, du funk et de ses durées qui s’allongent sur plus de 10 minutes sur un seul accord, des premières soirées de hip-hop dans les années soixante-dix dans lesquelles dj et mc officiaient sans interruption durant des heures ou encore de la musique techno telle que présentée dans cet article, la priorité ontologique est donnée à la performance.

Conclusion : ontologie, culture et médiations

25 Aujourd’hui, l’unité des musiques populaires comme forme enregistrée laisse ainsi apparaître de nombreux points de fracture. Il paraît donc téméraire de raisonner de façon purement analytique sur l’ontologie des œuvres musicales en se focalisant uniquement sur la médiation de l’enregistrement. Comme le souligne Alessandro Arbo, dans la mesure où l’art musical s’inscrit dans une tension fondamentale entre œuvre et performance, il nous faut impérativement adopter une approche empirique dans l’analyse des faits musicaux :

26

La question qu’il convient de poser préalablement à toute tentative de construction de connaissances valables en musicologie pourrait donc être formulée ainsi : la musique que nous écoutons se comporte-t-elle avant tout ou principalement comme un art de la trace ou comme un art de la performance ? Il est sans doute improbable que l’on puisse répondre de manière convaincante à cette question par un raisonnement analytique : on ne pourra trouver une réponse suffisamment convaincante qu’à partir de l’observation des contextes dans lesquels ou pour lesquels une certaine musique a été conçue [40].

27 La comparaison entre musique techno et musiques traditionnelles africaines a donc fait apparaître différentes lignes de forces au sein du grand ensemble des musiques populaires. Ce dernier semble abriter des traditions musicales plurielles qui explorent des directions où différents principes musicaux se croisent et s’articulent. Nous pouvons les synthétiser comme suit :

  • Culture du groove vs narration cantologique (forme set vs forme chanson)
  • Temps réel vs temps différé (performance sur scène vs œuvre fixée en studio)
  • Culture expérimentale vs culture du dancefloor (avant-garde vs populisme)

28 Ces différents couples conceptuels s’actualisent de façon variable dans les différents styles des musiques populaires et contribuent à leur diversité, qui s’est pleinement libérée depuis les années soixante, sans pour autant rendre caduc le concept moderne de « musiques populaires », tel que défini au début de cet article en référence aux travaux de Scott, Levine, Tagg, ou même Adorno. La catégorie de « musique populaire » reste ainsi opérante sur le plan économique et sociologique (avec les notions de marchandise, de danse, de communauté qu’elle convoque), mais on tombe sur une impasse si on essaie de lui attribuer une homogénéité ontologique trop forte, basée sur la phonographie. Le terme de populaire ne suffit donc pas à définir complètement l’ensemble qu’il désigne. Ce dernier est traversé de logiques musicales et médiatiques multiples qui se croisent en se créolisant dans le grand bain de la mondialisation des échanges musicaux et des différentes traditions, notamment africaines et européennes dans le contexte occidental moderne. D’où l’importance d’une approche empirique ou ethnomusicologique des musiques populaires, sensible aux conséquences musicales des médiations (et pas seulement au sens de médias, mais de la suite d’intermédiaires matériels qui permettent de faire exister la musique) organisant la production et la réception des faits musicaux.

Notes

  • [1]
    Lawrence Levine, Culture d’en haut, culture d’en bas. L’émergence des hiérarchies culturelles aux États-Unis [1988], trad. Olivier Vanhee, Éditions de la découverte, Paris, 2010.
  • [2]
    Derek Scott, Sounds of the Metropolis: The 19th Century Popular Music Revolution in London, New York, Paris and Vienna, New York, Oxford University Press, 2008.
  • [3]
    Ibid., p. 4.
  • [4]
    Ibid., p. 5.
  • [5]
    « La Flûte Enchantée, en tant qu’opéra dans lequel l’utopie de l’émancipation et le divertissement que peut procurer un couplet de Singspiel coïncident exactement, n’est elle-même qu’un tel instant d’équilibre. Après La Flûte Enchantée, il n’a plus jamais été possible de contraindre musique sérieuse et musique légère à coexister. » T. W. Adorno, Le Caractère fétiche dans la musique et la régression de l’écoute [1938], trad. Christophe David, Paris, Allia, 2001, p. 14. Voir également Agnès Gayraud, Dialectique de la pop, Éditions de la découverte/Philharmonie de Paris, collection « La rue musicale », 2018, p. 78-79.
  • [6]
    Joana Desplat-Roger, Le jazz comme résistance à la philosophie, thèse de doctorat d’Esthétique sous la direction de Peter Szendy, Université Paris Nanterre, 2020, p. 231 et sq.
  • [7]
    Max Horkheimer et Theodor W. Adorno, « La production industrielle des biens culturels », in La Dialectique de la raison, trad. Éliane Kaufholz, Paris, Gallimard, 2003, p. 153.
  • [8]
    « Les relations que le jazz entretiendrait avec une musique noire authentique sont sujettes à caution ; que beaucoup de Noirs le pratiquent et que le public réclame de la “musique nègre” [Neger-Jazz] comme un produit du marché ne prouve pas grand-chose, même si les recherches ethnomusicologiques devaient confirmer l’origine africaine des pratiques qui le caractérisent. » Theodor W. Adorno, « À Propos du jazz » [1936], in Moments musicaux, trad. Martin Kaltenecker, Genève, Contrechamps, p. 73.
  • [9]
    Simon Frith, Taking Popular Music Seriously. Selected Essays, Londres, Routledge, 2007.
  • [10]
    Philip Tagg, « Analysing popular music : theory, method and practice », in Popular Music, n° 2, 1982, p. 41 (trad. fr dans G. Guibert et G. Heuguet (dir.), Penser les musiques populaires, Éditions de la Philharmonie, 2022, p. 31).
  • [11]
    Cf. Derek Scott, Sounds of the Metropolis, op. cit.
  • [12]
    Olivier Julien, « Le son Beatles et la technologie multipiste », in Les Cahiers de l’omf, n° 4, Observatoire Musical Français, Université Paris-Sorbonne (Paris IV), 1999, p. 35-52.
  • [13]
    Serge Lacasse, « Stratégies narratives dans Stan d’Eminem. Le rôle de la voix et de la technologie dans l’articulation du récit phonographique », in Protée, 34 (2-3), 2006, p. 11-26.
  • [14]
    Agnès Gayraud, Dialectique de la pop, op. cit., p. 44-45.
  • [15]
    On pourra relever ici que la question de l’unité ontologique des musiques populaires fait débat dans d’autres champs de recherche, comme au sein de l’esthétique analytique. Ainsi, Roger Pouivet (Philosophie du rock, Paris, puf, 2010), restreint cette conception de « l’œuvre-enregistrement » au style « rock », quand d’autres auteurs comme Clément Cannone proposent à l’inverse d’élargir la notion d’œuvre-enregistrement à la musique improvisée enregistrée (« Improvisation et enregistrement », in Alessandro Arbo & Pierre-Emmanuel Lephay (dir.), Quand l’enregistrement change la musique, Paris, Édition Hermann, 2016, p. 195-217). De fait, les popular music studies restent un champ de recherche qui a longtemps été centré sur l’esthétique du rock anglo-américain, pensée comme matrice ou centre de stabilité des musiques populaires modernes. Voir sur ce point le récit par Antoine Hennion de la conférence de l’iaspm à Paris en 1989 et ce qu’il dénonce comme « le côté sectaire des Rock Studies » dans l’article « Vibrations, le retour », in Volume 8, n° 14 (2), 2018, p. 237-242.
  • [16]
    La notion de « popular music » est une catégorie issue du monde occidental qui a pu prendre le rôle d’un meta-genre réunissant de façon hégémonique des musiques n’appartenant pas à la sphère occidentale mais au marché globalisé de la musique. Un débat a émergé dans les années quatre-vingt-dix sur la dimension ethnocentrée de ce concept. Sur ce point, voir Marta Amico, Emmanuel Parent, « Quels terrains communs pour l’ethnomusicologie et les popular music studies ? », in Volume 8, 19-2, 2022, p. 7-16, en particulier p. 10.
  • [17]
    Soit l’absence du concept de mesure, qui les rassemble et les hiérarchise par groupe de 3 ou 4 pulsations le plus souvent dans la tradition musicale occidentale moderne.
  • [18]
    Voir les concepts de talea/color dans le courant médiéval de l’ars nova, et les rapports asymétriques entre les différentes couches polyrythmiques chez les Pygmées.
  • [19]
    Simha Arom, La Boîte à outils de l’ethnomusicologue, Presses de l’Université de Montréal, 2007, p. 118-119.
  • [20]
    Simha Arom, La Fanfare de Bangi. Itinéraire enchanté d’un ethnomusicologue, Paris, La Découverte, 2009.
  • [21]
    En effet, seuls les Pygmées et les Bochimans d’Afrique du Sud pratiquent la polyphonie vocale et un tel art du contrepoint (voir Emmanuelle Olivier, « Musiques vocales pygmée et bochiman : deux conceptions africaines du contrepoint », in Musurgia, n° 4 (3), 1997, p. 9-30, en collaboration avec S. Fürniss).
  • [22]
    Edward Said, L’Orientalisme. L’Orient créé par l’Occident [1978], trad. Catherine Malamoud, Paris, Seuil, 2003.
  • [23]
    Gerhard Kubik, « Présence de la musique africaine dans le jazz », in Jean-Jacques Nattiez (dir.), Musiques. Une encyclopédie pour le xxie siècle, volume 1 « Musiques du xxe siècle », p. 1205.
  • [24]
    Ce qui en retour a été confirmé par d’autres enquêtes, comme par exemple dans la thèse de Julien André qui a retrouvé dans les traditions rythmiques maliennes des principes observés par Arom en Centrafrique, à plus de 3 000 kilomètres de distance. Voir Julien André, Systématique de la polyrythmie malinké : Mali / Guinée, thèse de doctorat sous la direction de Marc Chemilier et Simha Arom, ehess, 2020.
  • [25]
    Marc Chemillier, Jean Pouchelon, Julien André, Jérôme Nika, « La contramétricité dans les musiques traditionnelles africaines et son rapport au jazz », in Anthropologies et sociétés, vol. 38 (1), 2014, p. 105-137.
  • [26]
    Simha Arom, La Boîte à outils de l’ethnomusicologue, op. cit., chap. 4.
  • [27]
    Mark Butler, Unlocking the Groove. Rhythm, meter, and musical design in electronic dance music, Bloomington et Indianapolis, Indiana University Press, 2006.
  • [28]
    808 State, « Cubik (King County Perspective) », Tommy Boy, 1990.
  • [29]
    Carl Craig, « Televised Green Smoke », Planet E, 1987. Voir Mark Butler, Unlocking the Groove…, op. cit., chapitre 3, p. 124 et sq.
  • [30]
    Mark Butler, « Rythme, affordance, enregistrement, ontologie de la performance dans l’edm : de nouveaux objets d’étude pour la musicologie », entretien avec B. Bacot et E. Parent, in Volume 8, 15 (2), 2019, p. 126.
  • [31]
    Avant le développement des « stations de travail audionumérique » avec des logiciels musicaux comme Logic Pro ou Live, la musique techno a été composée sur des boîtes à rythmes rudimentaires de la marque Roland comme la TR-808, 909 ou 303, qui n’avaient absolument pas été conçues pour produire des lignes rythmiquement indépendantes, c’est-à-dire des polyrythmies (voir Butler, Unlocking the Groove…, op. cit.).
  • [32]
    Marc Chemillier et al., « La contramétricité dans les musiques traditionnelles africaines et son rapport au jazz », art. cit.
  • [33]
    Susanne Fürniss, « Rigueur et liberté: la polyphonie vocale des Pygmées Aka (Centrafrique) », in C. Meyer (ed.), Polyphonies de tradition orale. Histoire et traditions vivantes, Paris, Créaphis, Coll. Rencontres à Royaumont, 1993, p. 101-131.
  • [34]
    Mark Butler, « Rythme, affordance, enregistrement… » art. cit., p. 126-127.
  • [35]
    Mark Butler, Playing with Something That Runs. Technology, Improvisation, and Composition in DJ and Laptop Performance, New York, Oxford University Press, 2014, p. 42.
  • [36]
    Notons que ce passage de l’analyse du single à celui du set dans le cadre live d’une soirée dansée est celui effectué par Mark Butler entre son premier ouvrage de 2006, qui constitue une grammaire des principes compositionnels des titres de techno considérés indépendamment du contexte du club (à l’instar d’un manuel de solfège ou de théorie musicale), et son ouvrage de 2014 (op. cit.), qui choisit d’étudier la musique en situation de performance dans le cadre improvisé des soirées dansées, où la dimension méthodologique le rapproche de l’ethnomusicologie.
  • [37]
    Voir David Davies, Philosophy of the Performing Arts, Chichester, Wiley and Blackwell, 2011, p. 18.
  • [38]
    Voir par exemple LeRoi Jones/Amiri Baraka, Le Peuple du blues [1963], trad. Jacqueline Bernard, Paris, Gallimard, 2000. Baraka rattache la priorité donnée à la performance sur l’œuvre à un « Esprit Africain », qui culmine selon lui dans les années soixante lorsque le free jazz se libère de toute attache avec la culture populaire dominante de l’Amérique blanche. Le jazz se situe au sommet d’une évolution des musiques noires vers ses propres racines africaines. C’est donc par la composante avant-gardiste des musiques noires, et par le détachement de ses attaches avec la culture « populaire » que le lien avec l’Afrique peut, chez Baraka, être pensé. De même, chez des théoriciens du milieu du xxe siècle comme André Hodeir ou Gunther Schuller, c’est toujours quand le jazz s’éloigne des caractéristiques sonores des musiques populaires de leur époque (comme le rock ou le rhythm and blues) qu’il devient valorisable esthétiquement.
  • [39]
    Anne Danielsen, Presence and Pleasure: The Funk Grooves of James Brown and Parliament, Middletown, Wesleyan University Press, 2006.
  • [40]
    Alessandro Arbo, « Entre œuvre et performance : réflexions sur le double statut de l’art musical », in Musurgia, n° 28 (2-3), 2021, p. 29.