Fukushima : une mutation épistémico-politique

Situer Fukushima dans l’histoire mondiale [1]

1 Cinq ans après la catastrophe, en apparence, le choc initial semble assimilé par nos vies quotidiennes, intégré à nos attitudes et nos comportements. Mais rien n’est oublié : le sens de l’événement continue à se déployer et se construire. Dès le 11 mars 2011, la catastrophe a déclenché une investigation et un apprentissage collectifs d’une profondeur semblable aux événements disruptifs qui ont marqué l’histoire moderne. Ce processus ne peut être comparé qu’à un tsunami. La vague ne cesse de monter, elle n’a pas encore pleinement déferlé. Le sens historique de l’événement est encore en gestation. Mais la vague a depuis longtemps dépassé son lieu initial : l’Allemagne et la Suisse ont renoncé au nucléaire, l’ancien Premier ministre Koizumi explique pourquoi le Japon doit suivre leur exemple, Areva, « géant français du nucléaire », est en train de disparaître, la Chine envisageait en octobre 2015 la construction d’une centaine de centrales nucléaires. Mon travail sur Fukushima surfe sur la vague de l’événement, il a donc connu plusieurs étapes qui tentent chaque fois d’être une avancée. Mais les étapes précédentes sont tout aussi importantes que les suivantes et ne les annulent pas : elles sont les traces d’un parcours. On le sait depuis le premier jour : le désastre ne se réduit pas à un tremblement de terre d’une intensité improbable suivi d’un tsunami d’une puissance non prévue. Il ne se réduit pas non plus aux problèmes de contamination et de décontamination, de sécurité nucléaire, de prise en charge et de traitement des populations, ni non plus à la compassion due aux victimes. Mais produire des variantes des mêmes discours, c’est finalement nier l’enjeu et participer au refoulement. La catastrophe travaille toujours plus profondément nos sociétés, l’enjeu est d’avancer avec elle.

2 Fukushima est le nom d’un tournant de l’histoire mondiale mais ce tournant ne peut s’opérer que si la pensée accepte de l’explorer. Les relations entre la technologie, la politique, l’industrie, la société et l’écologie sont transformées en un objet d’investigation d’une complexité inédite. C’est pourquoi l’impact à long terme de la catastrophe est à la fois imprévisible et impossible à refouler : l’énergie, les industries nucléaires et les politiques énergétiques sont désormais envisagées dans une perspective que Tchernobyl avait certes ouverte mais n’avait pas performée à cause des conditions particulières à un État post-soviétique, supposé incomparable [2] à un pays comme la France ou le Japon. L’avancée la plus pertinente concerne la question des politiques énergétiques et l’analyse des systèmes industriels qui exploitent l’environnement biophysique en produisant les milieux dans lesquels nous vivons. Des milliers de commentaires et de rapports ont été produits mais une chose est claire : dès le 11 mars 2011, la catastrophe de Fukushima fut un appel à une connaissance nouvelle. Elle le reste. Cette situation n’est pas inédite : le tremblement de terre de Lisbonne en 1755 a transformé en Europe les rapports entre l’humanité, la société, la nature, la philosophie, Dieu et la politique. Certes je ne suis pas Voltaire et lis plus volontiers Hannah Arendt. Si la posture de Candide serait suicidaire, la leçon de Voltaire dans Candide est d’actualité : on ne peut plus penser après Fukushima comme on en pensait auparavant. Les disciplines et les discours par lesquels ces problèmes sont identifiés, étudiés et débattus, sont invalidés. Je ne prétends pas apporter de solution, je cherche juste à avancer dans la brèche pour avoir compris que cette brèche conduit à une reconfiguration épistémique et politique.

1 – Événement disruptif, réflexivité collective, production de connaissances

3 Comment une expérience se construit-elle en associant de multiples acteurs ? Comment se structure-t-elle pour devenir un champ de connaissances irradiant au cœur d’une société ? L’événement Fukushima ne se réduit pas aux conséquences d’un accident nucléaire. Il est tout autant la formation d’une expérience collective, locale d’abord, puis à l’échelle du Japon et du monde entier. Cette expérience n’est pas une émotion partagée, elle associe de multiples sources, franchit des seuils de complexité en se condensant pour ouvrir de nouveaux problèmes engageant des acteurs disparates, des victimes bien sûr, des mères de famille inquiètes pour leurs enfants et menant des enquêtes de terrain, des officiels devant répondre à la situation, mais aussi des experts, des journalistes, des universitaires, des partis politiques et des commentateurs de tout bord. Ce processus d’auto-organisation d’une expérience collective suscite et structure le débat et la réflexion. Le risque de cet effet cumulatif est la répétition et la saturation [3]. Ce processus ouvre en effet chaque fois de nouvelles perspectives à explorer.

4 On assiste donc, depuis mars 2011, à la transformation d’une catastrophe en un processus de réflexivité collective qui se structure progressivement en un champ de connaissances spécifiques, à la fois un attracteur de commentaires, d’enquêtes et de recherches et un diffuseur de problèmes, de connaissances, de modèles d’investigation et de débat. Ce champ de connaissances a des propriétés fortes : étant donné son mode d’émergence et de développement, il recoupe tous les composants du système social, les différentes classes sociales, les institutions politiques, les entreprises, les médias, les universités, les grandes métropoles aussi bien que les campagnes. Ce processus de réflexivité et ce champ de connaissances engagent finalement le Japon tout entier, son histoire sociale, politique et industrielle ainsi que son devenir. Surprenante est la mondialisation rapide de cette expérience grâce à la traduction systématique en anglais, pendant des mois, de textes et de témoignages par une équipe de chercheurs : le site de l’Asia-Pacific Journal : Japan Focus donne accès à un dossier structuré, très complet [4] mais sans suite depuis 2014. Le document avait priorité sur l’interprétation traitée elle-même comme document. Le but était d’élargir et d’approfondir la pensée de l’événement, de ne pas le réduire aux matrices d’interprétation établies, de franchir des seuils de complexité et de reconfiguration de la pensée et de la recherche [5].

5 En rédigeant ce texte, je participe au travail collectif de réflexivité en travaillant le corpus de connaissances devenu le support de cette expérience. Même si le sens de l’événement ne réside pas dans les disciplines qu’on peut projeter sur lui, même s’il réside dans la précision des faits, l’analyse de l’expérience et la connaissance qu’elle rend possible, accumuler les informations, les témoignages et les rapports n’est pas suffisant. L’objectif est de franchir un nouveau seuil de complexité en proposant non pas une synthèse mais en découpant dans le système social japonais des structures, des fonctions et leurs relations permettant d’analyser sur le même modèle les conditions institutionnelles rendant possibles de telles catastrophes systémiques. La difficulté est d’analyser le cas Fukushima d’une façon précise mais condensée, afin d’en extraire un modèle pouvant être testé sur d’autres cas dans le but d’accroître la connaissance commune [6].

2 – Mutation épistémique. Qu’a-t-on appris ? Que sait-on désormais ?

6 Penser un événement disruptif, quel qu’il soit, conduit à poser deux questions indissociables : que s’est-il réellement passé ? Qu’avons-nous appris ? Si le tremblement de terre a bien été le déclencheur de la catastrophe, sa cause effective est le système institutionnel qui l’a rendue possible. La catastrophe de Fukushima est systémique parce qu’elle est à la fois humaine, sociale, technologique, industrielle et politique. Elle associe des victimes, des disparus et des déplacés, des villes abandonnées, des terres contaminés, des animaux abandonnés. Mais elle associe aussi les technologies mises en œuvre dans la centrale et dans le milieu technique associé à son fonctionnement, aussi bien les systèmes de sécurité des réacteurs que ceux concernant les populations vivant à proximité. Il faut y ajouter TEPCO [7], la société propriétaire de la centrale, les groupes industriels producteurs et distributeurs d’électricité, les différents secteurs d’activité qui en dépendent. Sans oublier les différents niveaux administratifs et politiques à l’interface des populations, des entreprises et des producteurs d’énergie. Tirer le fil de Fukushima, c’est traîner tout le Japon et même finalement la France après lui.

7 Mais cet assemblage est scindé entre, d’une part, la population des victimes et, d’autre part, un complexe techno-industriel et politique reposant sur la production et la distribution d’énergie. Certes les populations en dépendent parce qu’elles en tirent d’une façon ou d’une autre leurs revenus. Mais cette scission est en cause dans la catastrophe : elle comprend tous ceux qui ont été trahis par le système institutionnel et ceux qui en ont été les victimes. Même s’ils sont des employés et des consommateurs, ces individus et ces groupes constituent une société civile des victimes et des trahis. Par sa composition, le complexe techno-industriel et politique est manifestement plus puissant que ses différents composants. Le complexe dispose non seulement d’une influence par le poids social et économique des activités qui s’y trouvent associées, mais il dispose surtout d’une performativité implicite : par sa composition, sa fonction économique et son impact sur le territoire, il possède une capacité de performer ses intérêts, de mettre en œuvre ses orientations, de réaliser ses décisions et ses projets. Ce complexe est un quantum de pouvoir : un pouvoir de faire, d’orienter, d’influencer et de gérer. Fukushima est devenu le nom d’un analyseur[8] de ce complexe. Ce pouvoir est composite : c’est un réseau d’intérêts, de compétences et de ressources financières. Surtout, ces réseaux sont associés en une structure hiérarchisée stable. On a compris grâce à Fukushima que les industries énergétiques sont le noyau de cette structure, la base agglomérant les différents réseaux d’intérêt. L’asymétrie flagrante entre la population et le complexe techno-industriel pose une question impérieuse : quel est le rôle des institutions politiques et administratives dans cet agencement ? Poser cette question, c’est comprendre qu’elles sont supposées combler, au moins réguler, cette asymétrie. En sont-elles capables ? Est-ce même leur fonction ?

8 L’enjeu est donc d’élucider la structure du pouvoir dans un système social. Or le travail que la société japonaise a conduit sur elle-même depuis mars 2011 permet de répondre avec précision à ces questions. Ce processus de réflexivité a mis au jour et à nu la structure du pouvoir qui constitue en fait le Japon, sa densité, sa résilience et sa capacité évolutive. Tout est dans la précision des connaissances. Mais l’objectif n’est pas ici d’en donner le détail. Ce qui compte est l’exemple d’une analytique du pouvoir. Elle comprend au moins deux niveaux : une analyse des réseaux de pouvoir, une analyse de la structure associant ces réseaux.

9 Les réseaux de pouvoir sont enchâssés les uns dans les autres : il est vain de chercher le premier ou le plus profond. En revanche, le réseau omniprésent à Fukushima est piloté par TEPCO, propriétaire à l’époque de la centrale nucléaire et de ses six réacteurs. Ses responsables successifs ont choisi la technologie des réacteurs, définit les normes de construction de la centrale, ses modalités de maintenance et ses systèmes de substitution en cas de panne des systèmes de sécurité [9]. Mais ils ont aussi choisi le type de protection des populations vivant à proximité de la centrale mais aussi celui de l’environnement terrestre et maritime. Ce réseau est le responsable premier de la catastrophe [10]. Le cas ne se limite pas à la côte du Tōhoku : d’autres centrales ont été construites dans des régions fortement sismiques. Depuis mars 2011, des enquêtes ont établi que les dangers de cette localisation, les erreurs de construction et l’insuffisance de la maintenance étaient connus, y compris la hauteur insuffisante du mur de protection de la centrale dans une région réputée pour ses risques de tsunami. Les investigations civiles ont établi que cette information n’était pas secrète : elle était à la disposition des médias, des politiciens et des administrateurs des ministères compétents, des chercheurs et experts de tout sorte.

10 La découverte la plus perturbante depuis mars 2011 concerne les liens entre les différents réseaux de pouvoir [11] : ces liens ont aggravé la probabilité (le risque donc) d’une catastrophe. En réalité, tout se savait, au moins se soupçonnait : le problème commence quand on choisit ou feint d’ignorer. Ce qui s’est donc réellement passé avec Fukushima est la mise au grand jour d’une structure associant différents réseaux de pouvoir qui s’avèrent contrôler et gérer toute la société et l’économie japonaises par leurs interactions. Cette immense réticulation associe les départements des deux grands ministères en charge de la recherche technologique et de l’approvisionnement en énergie, le MEXT [12] et le METI [13]. Elle associe aussi les différents secteurs composant l’industrie nucléaire et les firmes énergétiques. Elle associe surtout les industries qui dépendent des groupes contrôlant la production et la distribution d’électricité dans tout le pays. La liste est aussi évidente qu’impressionnante : les industries mécaniques (dont l’automobile) et électroniques, les industries métallurgiques, chimiques (y compris donc pharmaceutiques), les sociétés de construction et de transport. Chaque industrie est un réseau qui est un pouvoir, de faire et d’agir, de former et d’employer, de décider et d’entreprendre, de contrôler et de gérer, de financer et d’investir. Dans le cas du Japon, la structure associant ces réseaux de pouvoir comprend en vérité toutes les industries des première et seconde révolutions industrielles japonaises, celles qui ont reconstruit le Japon après 1945 mais aussi celles qui ont pris le relais des premières dans les années quatre-vingt, à savoir les industries du hardware électronique : ordinateurs, téléviseurs, appareils photo, robots industriels, appareils ménagers, etc., tous les équipements susceptibles d’incorporer l’électronique de l’époque.

11 De fait, ces pôles de pouvoir possèdent et contrôlent toutes les infrastructures de l’économie et de la société japonaises, y compris celles du traitement de l’information et de la communication. Mais la structure qui assemble ces réseaux repose sur les industries énergétiques, aussi bien sur leurs intérêts et leurs technologies que sur leur puissance financière. À travers le prix de l’énergie, ses profits générés et ses investissements réalisés, cette structure et ses réseaux gèrent la population, l’économie et le territoire même où les installations sont implantées, les emplois créés et les salaires versés. Le réseau énergétique a pris le pouvoir dans les années soixante-dix, lorsqu’en réponse à la première crise de l’énergie, le nucléaire est apparu comme la réponse d’avenir, celle qui garantirait la quantité d’énergie nécessaire à un coût prévisible et, une fois les investissements initiaux réalisés [14], adaptables à la compétitivité des industries japonaises.

12 À cause de leur poids industriel et social, du capital accumulé et des investissements nécessaires, à cause aussi de leur impact sur le territoire et les populations, les industries énergétiques (les utilities) ont une fonction politique majeure dans tout pays [15]. Elles ont aussi leur propre géopolitique : les sources d’approvisionnement dont elles dépendent constituent la base de la politique étrangère des États. Ainsi, au niveau local comme au niveau national, dans tous les ministères et les administrations, à l’intérieur même des gouvernements, de gauche ou de droite, les relations avec les industries énergétiques sont non seulement étroites mais intimes. Au Japon comme en France et ailleurs. Les réseaux d’intérêt et d’influence sont directement liés à différentes factions de tous les partis politiques. Ils les financent, emploient certains hauts fonctionnaires influents quand ceux-ci prennent leur retraite. Étant donné le poids de cette structure de pouvoir, des politiciens et des bureaucrates expriment et reproduisent à tous les niveaux ses intérêts et ses valeurs, y compris sa vision de la nation, sa politique étrangère. Fukushima a perturbé et perturbe encore non pas tant les réseaux industriels de l’énergie que la structure qui impose sa hiérarchie à partir des industries nucléaires.

13 Une autre prise de conscience perturbante produite par la catastrophe concerne l’information : la structure du pouvoir inclut les médias de tout bord et de tout genre, aussi bien la presse écrite que la télévision. Tous sont largement financés par les industries énergétiques. Ce ne fut pas une révélation, mais les Japonais ont mesuré le risque qu’engendre une telle situation, la différence entre un soupçon permanent et une connaissance avérée, le danger que font courir la désinformation et la méfiance. Le financement des médias par les groupes industriels quelle que soit leur diversité de points de vue, ne passe plus pour une neutralité vénale mais comme la preuve que cette structure de pouvoir est indifférente à la diversité de l’opinion publique et de la vie politique. Elle se situe à un autre niveau. Depuis mars 2011, la confiance dans les médias a disparu. Les médias ont trahi le seuil de confiance nécessaire pour justifier leur prétention aussi bien à informer qu’à exprimer une « opinion publique ». En même temps, la nécessité d’être informé de façon fiable et précise n’a jamais été aussi urgente pour la vie quotidienne des Japonais. Aux médias succèdent les réseaux sociaux au niveau même de la société civile et par delà des frontières.

3 – Connaissance disruptive : une tectonique politique

14 Le problème est de savoir comment peuvent se modifier les connexions entre les blocs de pouvoir ? Que se passe-t-il lorsqu’à la suite d’une catastrophe, un processus collectif s’enclenche et produit pas à pas une connaissance de l’ADN même de cette société, lorsque la catastrophe devient un analyseur mettant au centre de la sphère publique l’organisation et la hiérarchie des instances de pouvoir qui conditionnent et gèrent cette société ? Que fait-on d’une telle connaissance ? Cette connaissance est disruptive par son mode de production, par son statut et son rôle dans cette société et par son contenu, par les idées et les théories qu’elle enveloppe et qui l’organisent. La catastrophe de Fukushima est un marqueur dans l’évolution du Japon comme dans l’histoire mondiale par le type de connaissances qu’elle génère. Notre responsabilité collective est d’abord épistémique puisqu’il s’agit de parcourir ce nouveau champ de connaissances. Elle est immense : réactiver des idées d’un autre âge, manipuler des théories nées d’autres contextes risquent de bloquer ou entraver le mouvement social, d’orienter vers des répétitions philosophiques ou des impasses idéologiques, vers la confirmation d’idées a priori[16]. Il n’y a qu’une solution : surfer sur le tsunami, chercher à s’y orienter pour comprendre quelles voies il peut prendre, tenter de les explorer conceptuellement et politiquement [17]. Certains commentaires s’imposent d’ores et déjà.

15 Les blocs de pouvoir bougent, entre eux et de l’intérieur. On a mentionné la scission entre la population des victimes et le complexe techno-industriel et politique dont on a montré la composition et la structure. Ce qui est donc en jeu est communément nommé « société civile ». Une notion à tout faire, dont le contenu et les usages se transforment rapidement sans qu’on puisse encore pleinement les circonscrire. Cette notion a toujours été un enjeu politique dans le Japon moderne et toujours en échec. Aujourd’hui la chose est claire. Comme on l’a montré, cette scission repose sur une trahison, trahison des institutions politiques, des milieux patronaux, des experts académiques, de la bureaucratie d’État. Trahison aussi des hommes politiques qui n’ont jamais choisi de se situer du côté de la population pour la protéger des milieux qui faisaient pression sur eux, trahison enfin des médias qui n’ont pas exercé leur mission d’investigation, d’information et d’expression de l’opinion publique. Voilà pourquoi la catastrophe de Fukushima s’apparente aux pires heures de l’histoire japonaise moderne.

16 Après la défaite de 1945, l’état de guerre pouvait être invoqué comme une excuse ou une explication des sacrifices imposés à une population trompée, mais aussi culpabilisée par sa passivité ou sa complicité. La culpabilité collective d’après-guerre n’existe plus. Parce que la société civile d’après-guerre était effectivement une « communauté du remords », elle a pu être manipulée puis anesthésiée après 1949 par la collaboration entre le commandement américain et les milieux conservateurs japonais entendant reprendre en main le pays pour le gouverner. Mais la trahison délibérée en temps de paix, répétée pendant des dizaines d’années par les gouvernements conservateurs successifs, ayant conduit à la contamination d’une partie du territoire, probablement du pays tout entier [18], est d’une magnitude au-delà du pardon ou de l’oubli.

17 Le gouvernement et l’appareil d’état s’efforcent de passer à une nouvelle séquence historique, « la relance de l’économie », en minimisant la portée de la catastrophe. L’argumentaire est au point : une partie du territoire est momentanément contaminée mais le gouvernement fait « tout ce qu’il peut », les normes sont trop strictes et la décontamination progresse, certains villages peuvent être rendus à leurs habitants, les déplacés les plus âgés feraient mieux de rentrer chez eux. Certes la situation est ambiguë puisque la population est immergée dans le système techno-industriel et politique : elle y travaille, il la rémunère, l’un n’existe pas sans l’autre. Mais rien n’efface la fracture. Elle marque l’émergence au Japon d’un nouveau type de société civile : une société civile fondée sur l’expérience partagée d’une trahison par le système techno-industriel et politique.

18 Ce nouveau type de « société civile » se retrouve depuis 2008 dans de nombreux pays en crise systémique. Elle est encore pourtant en mode méfiance, résistance, dénonciation : nous sommes tous trahis. La différence du Japon tient au fait que les individus et les groupes composant cette société civile ont non seulement en commun cette expérience mais ils disposent aussi d’une base commune dont il faut encore concevoir l’usage : la connaissance partagée des réseaux de pouvoir enchevêtrés les uns dans les autres, responsables de leur condition présente. En fait la société civile est elle-même un réseau de pouvoir multiforme. Le basculement, s’il se produit, commencera quand certains pôles de pouvoir s’émanciperont de la structure les associant encore. Depuis Fukushima, les maillons faibles de la réticulation dominante sont ceux directement liés à cette société civile. Une reconfiguration virtuelle[19] est en cours.

19 D’abord, les médias ont d’entrée compris qu’ils ne pouvaient s’engager dans la couverture de la catastrophe qu’en s’identifiant aux victimes, qu’en cherchant les causes et les responsabilités. Les processus de décision dans la centrale, dans l’entreprise TEPCO et dans le gouvernement ont été couverts avec précision : tout le monde a pu lire et voir comment fut gérée une telle catastrophe [20]. Les enseignements sont immenses. Les médias ont dû choisir leur camp et ils l’ont fait : de très nombreux journalistes, photographes et éditorialistes ont joué un rôle majeur dans le recueil des témoignages et l’investigation collective. Entre le rôle des médias qu’escomptent les responsables politiques, l’usage qu’en font les groupes industriels et leur capacité à exprimer les intérêts de leurs lecteurs, ils ont choisi le point de vue de la société civile. Certains médias ne sont pas revenus en arrière. Ce choix des médias a modifié leur fonction dans le système social. C’est important pour la reconfiguration du système social : les médias ont un intérêt primaire à exhiber le rôle qu’ils jouent dans l’information, l’expression et la communication d’une société civile transversale à toutes les instances du système social. Il ne leur est pas demandé de se convertir en organe de presse de la société civile des trahis. Mais leur indépendance et leur responsabilité s’expriment dans leur pouvoir d’investigation, d’information et de débat. Ainsi participent-ils pleinement à la production, à la structuration et à la diffusion de la connaissance commune [21]. En cela ils sont les acteurs d’une société civile dont le poids actuel leur assure une indépendance nouvelle, plus forte en tout cas. Une clarification s’est donc opérée : la place des médias dans la structure du pouvoir est transformée. Reste pour les organes de presse à vouloir cette indépendance virtuelle et à regagner la confiance de la population.

20 Le deuxième réseau de pouvoir dont le statut et le rôle dans le système institutionnel ont été profondément ébranlés est l’université, en un sens générique, comprenant les divers organismes de formation et de recherche. Certains experts appartenant à des départements de physique appliquée, d’ingénierie et de biologie humaine spécialisée dans les radiations sont intervenus publiquement pour dire que la situation à Fukushima était maîtrisable, que l’impact de la contamination nucléaire sur les populations et l’environnement restait dans des limites tolérables. Ces seuils ont été régulièrement révisés. Au nom de qui ces experts se sont-ils exprimés ? Il n’est pas certain que l’Université de Tokyo leur ait expressément demandé de le faire. Peut-on imaginer TEPCO leur demander ce soutien pour les avoir financés ou consultés dans le passé ? Peut-être. J’ai tendance à croire qu’ils se sont d’abord exprimés pour marquer un rapport de force entre les experts et les autres, pour paraître s’exprimer au nom du pouvoir institutionnel de la techno-science au Japon. C’est à de tels moments et par de telles déclarations que le pouvoir devient visible en voulant poser des digues et en marquant des limites à ne pas franchir. C’est dans ces moments que certains marquent leur allégeance afin d’être défendus ou considérés comme intouchables. Il est clair que les grandes universités nationales appartiennent à la structure du pouvoir. Cela ne veut pas dire qu’elles en servent simplement les intérêts. Mais leur légitimité scientifique est en jeu.

21 Comme pour les médias, outre le cas de certains chercheurs et directeurs de laboratoire, ce réseau d’influence qu’est dans tout pays le système universitaire est contraint face à une catastrophe comme celle de Fukushima d’exprimer sa position et son rôle spécifiques dans le système social bouleversé. La connaissance, la recherche scientifique, le progrès technologique, l’éducation sont mis en cause. Dès avant Fukushima, divers sondages montraient une perte d’attractivité des sciences et des techniques, puis une méfiance croissante envers la capacité des universités à contribuer à la sortie de la crise, à la croissance, à l’emploi, à une amélioration des conditions de vie de la population. Les gouvernements ne peuvent ignorer cette attitude et cette demande de la population. Fukushima a rendu ces questions plus urgentes encore. Cinq ans plus tard, le problème est plus complexe : le gouvernement entend montrer que les politiques de recherche et les universités contribuent à l’essor économique, social et culturel du pays [22]. Mais les universités entendent montrer que la formation des étudiants, les compétences et l’expertise, les processus de recherche et d’innovation ne se réduisent pas aux exigences de communication et de légitimité des gouvernements. Pourtant, comme pour les médias, l’université ne se réduit pas non plus à la satisfaction d’une « demande sociale » immédiate.

22 En fait, l’université est contrainte d’élucider publiquement sa place et son rôle dans le système social actuel. C’est vrai au Japon comme ailleurs. L’important est que cet énorme bloc de pouvoir qu’est l’université soit contraint de s’extraire d’une structure de pouvoir dominée par les industries énergétiques, d’exprimer et surtout d’établir son indépendance, y compris ses responsabilités sociales, économiques et culturelles. Il est clair qu’elle est destinée à collaborer avec le gouvernement, les administrations et les industries. Mais elle est tout autant destinée à collaborer avec la « société civile » qui paye des impôts, fait des études, cherche un emploi et attend des réponses aux nombreux défis que les sociétés actuelles sont en train d’affronter.

23 Concrètement, on assiste à une dislocation virtuelle de la structure de pouvoir en place au Japon depuis les années soixante-dix. La catastrophe de Fukushima est l’effet non voulu de cet empilement hiérarchique des pôles de pouvoir et d’influence qui s’est investi dans le nucléaire en réponse à une crise énergétique qui parassait menacer l’indépendance et la puissance nationales. La catastrophe disloque cette structure et remet en mouvement la tectonique des plaques de pouvoir [23]. Mais rien ne se fait tout seul. Ces évolutions ne se produisent que si elles sont conscientes, voulues et partagées par des groupes en compétition et en collaboration les uns avec les autres pour conduire l’évolution du système social. Mais ce qui associe des groupes sociaux d’intérêt divergent est la connaissance qu’ils ont en commun de l’état et du fonctionnement du système social dont ils sont les acteurs. La dynamique ouverte depuis Fukushima a pour pôle de recomposition la « société civile des trahis » et, autour de ce pôle, le réseau de pouvoir des médias et celui des universités. Un nouvel agencement de pouvoir est donc en gestation.

4 – Connaissance disruptive : la question du politique

24 La plaque déterminante de cette tectonique conceptuelle et sociale est l’appareil d’État. Il comprend d’une part les ministères et les diverses administrations, d’autre part les institutions politiques, le gouvernement et le parlement. L’appareil d’État est directement en cause dans la catastrophe, considéré comme responsable et complice de la domination exercée par cette réticulation d’intérêts et d’influences pilotée par les industries énergétiques et leurs liens étroits avec les grands secteurs industriels constituant l’infrastructure de l’économie japonaise. À l’intérieur de l’appareil d’État, le gouvernement est l’enjeu majeur de la conception moderne de la politique à travers le rôle du parlement élu par le peuple. C’est la conception moderne, restreinte donc, de la démocratie. Penser après Fukushima, c’est poser ces problèmes autrement : on associe désormais une expérience collective, une connaissance partagée (celle des réseaux de pouvoir agrégés) et des pratiques à inventer. L’enjeu est de savoir si l’appareil d’État va transformer sa place dans la structure du pouvoir, s’il va se positionner du côté de la « société civile ». Les institutions politiques vont-elles prendre le parti de cette société des trahis, victimes et laissés pour compte ? Ce glissement renforcerait et justifierait celui des médias et l’université. La nouvelle situation serait décisive, peut-être irréversible. L’enjeu, c’est la démocratie.

25 Cette avancée démocratique virtuelle ne prend son sens réel qu’en la situant dans le contexte de la crise économique et sociale qui transforme le Japon depuis la fin des années quatre-vingt. Cette « stagnation de long terme [24] » est considérée comme le précurseur et un modèle de la crise qui transforme les sociétés industrielles depuis 2008. Avec une différence : les politiques disponibles s’étant révélées inefficaces ou contre-productives, les Japonais en ont déduit à partir de 1996-1997 que leur système économique et social n’était pas en crise mais en transition. La catastrophe de Fukushima ajoute à ce contexte une perturbation supplémentaire : elle intensifie et injecte une nouvelle dynamique. La stagnation de long terme du Japon et la catastrophe de Fukushima sont directement liées : la cause de la crise est le système de pouvoir à la source de la catastrophe. Ainsi le champ de connaissances construit à partir de la catastrophe porte-t-il directement sur la cause de la crise et ouvre-t-il une recherche sur les moyens d’en sortir. C’est une occasion de sortir de l’impasse. Les Japonais doivent s’en saisir pour sortir du piège d’une transition sans fin et pour le moment sans issue.

26 Mais cette dynamique est manifestement gelée par le gouvernement conservateur du Premier ministre Abe actuellement au pouvoir. Son gouvernement refuse ouvertement de positionner le gouvernement du côté de la « société civile ». Il n’hésite pas à renforcer l’effet de trahison[25]. Mais refouler une dynamique de fond, c’est bloquer l’évolution aussi bien économique que politique, sociale et même culturelle du pays. Or il suffit d’ouvrir les yeux et les oreilles : le Japon est en manque de futur et d’espoir. C’est bien du futur dont parle la politique de relance du gouvernement d’Abe Shinzô mais la version qu’il en propose entrave la dynamique ouverte. Abe a choisi son camp : sécuriser le système de pouvoir en place, menacé par le sens de la catastrophe de Fukushima. Pour lui, ce n’est qu’un accident terrible dont on a appris la leçon mais qui ne doit pas entraver l’évolution du pays. Mais il est très difficile de gouverner un pays dans ces conditions : les règles tacites d’une bonne gouvernance justifiant l’assentiment et la confiance de la population n’existent pas. La situation s’est renversée, la population ne croit plus aux promesses : elle en attend immédiatement les preuves dans la vie quotidienne : des emplois, des augmentations de salaire, des services fiables, des marques de respect, des preuves d’honnêteté, de compétence et d’engagement. Comment relancer les centrales atomiques dans ces conditions, quand les cours du pétrole et du gaz sont au plus bas, quand les entreprises énergétiques ont déjà construit des centrales thermiques plus efficaces et moins polluantes [26] ? La population n’accepte pas d’être brutalisée. Le gouvernement Abe semble avoir choisi de l’ignorer et même d’en profiter [27]. Les conditions de gouvernabilité du pays ne sont pas remplies. Le minimum de confiance nécessaire à la réalisation d’une politique n’existe pas. Le gouvernement éternise la crise dont il promet de sortir le pays.

27 Il y a plus grave. Les économistes japonais et les spécialistes du Japon se demandent régulièrement pourquoi le système économique qui avait surfé sur la vague de l’informatique dès les années soixante-dix avait pu manquer dix ans plus tard la révolution du software, du logiciel, alors que les entreprises japonaises produisaient les équipements que pilotent les logiciels. La vague suivante ne s’était pas produite au Japon mais aux États-Unis. Peut-on croire à l’aveuglement de ceux qui étaient à la pointe de la recherche ? Le type de connaissance que rend possible l’analyse de Fukushima fournit une réponse : la structure globale du pouvoir était trop puissante et trop saturée pour favoriser l’émergence d’une industrie nouvelle pouvant contester sa domination, ses modes d’organisation du travail, ses relais politiques, sa relation au public des consommateurs, à l’appareil d’État et aux universités. Cette industrie du software est indépendante des industries énergétiques, elle est développée par des entreprises de taille réduite pour être réactives. Elle ne cherche pas d’entrée à saturer le marché pour se pérenniser mais au contraire à innover. Elle ne cherche pas à dominer la société mais à s’y immerger. La preuve de son existence virtuelle est qu’il en reste une industrie des jeux numériques, plus de grandes firmes électroniques généralistes. C’est un cas d’école à la Schumpeter [28] : une innovation disruptive a été bloquée par une structure oligopolistique qui a absorbé l’innovation pour qu’elle ne devienne pas une industrie entrant en concurrence avec son pouvoir. La « destruction créatrice » n’a pas eu lieu : il n’y pas eu de destruction du complexe techno-industriel et énergétique, il n’y a pas eu de création d’une industrie du software et des pratiques numériques. Mais une lente destruction du système économique et social japonais a commencé. La catastrophe de Fukushima ouvre donc une issue, à condition de prendre pour support les connaissances qu’elle a permis de produire.

28 Quelques remarques pour montrer l’impact virtuel sur l’emploi et plus généralement le style de société : ces entreprises cherchent à l’extérieur les compétences et les services dont elles ont besoin au lieu d’internaliser toutes les fonctions nécessaires à leur croissance. Ces services externalisés concernent des compétences juridiques et financières, mais aussi la communication, les études de marché, la promotion et la commercialisation. L’exemple californien que les élites japonaises ne cessent d’étudier montre que les processus d’innovation attirent et génèrent des compétences qui diffusent et stimulent l’innovation dans toute l’économie aussi bien que dans la société. Le mode de production et de réception des connaissances est transformé. Cette transition n’a pas eu lieu. Le néolibéralisme japonais n’a jamais cherché à casser le complexe d’après-guerre mais seulement à briser certains monopoles sans toucher à la structure du pouvoir. L’enjeu était le relais entre le gouvernement, l’administration et les entreprises. Mais les relais sont plus efficaces s’ils reposent sur l’autonomie des partenaires dans un modèle (plus) horizontal. C’est un autre type de société, celui dont manque le Japon actuel qui piétine dans une économie dépassée, à l’avenir incertain.

5 – Pour conclure, l’enjeu philosophique

29 Ce type d’analyse pose de nombreux problèmes. Le premier concerne l’objet et la méthode : pour expliquer la catastrophe, l’analyse a mis au jour un niveau de la réalité sociale que les sciences humaines et sociales établies n’atteignent pas. Seuls les travaux de Michel Foucault posent les problèmes et proposent des concepts adaptés à l’analyse de cette réalité. Je les ai reformulés pour rendre compte des explications produites depuis mars 2011. Le but est de montrer comment, dans un système social donné, les différents réseaux de pouvoir sont agrégés en une structure qui assure leur stabilité et leur capacité d’adaptation aux événements perturbant cette structure. Le cas Fukushima prouve qu’on ne connaît pas réellement une société sans atteindre ce niveau où les divers composants d’un système social sont associés. Ce niveau est connaissable par un type d’analyse modifiant les démarcations des sciences humaines et sociales. Bien au-delà du Japon, cette mutation de la connaissance des sociétés afin d’y intervenir est un enjeu majeur pour toutes les sociétés en crise systémique depuis 2008.

30 La situation post-Fukushima est claire : porter la démocratie au niveau des réseaux de pouvoir qui pilotent l’organisation et l’évolution du système social japonais. Il ne s’agit pas de les détruire mais de les reconfigurer en y inscrivant un nouveau type de société civile. L’enjeu est de concevoir et organiser la société civile comme un réseau de pouvoir capable de restructurer le système social. Ce processus collectif est amorcé au Japon, mais reste encore à performer. Comment ? Surtout ne rien inventer, simplement explorer l’événement Fukushima. La première étape est une analytique des réseaux de pouvoir. L’enjeu est de les reconstituer afin de pouvoir y intervenir. Cette connaissance collectivement produite est désormais la base de toute action politique, du débat et des diverses formes de délibération. C’est cette base qui importe désormais. Une société civile à la fois critique et efficiente repose ainsi un champ de connaissances nécessairement composites : des investigations collectives, des analyses issues des sciences humaines et sociales, des enquêtes ponctuelles sur des situations locales, des lanceurs d’alerte. Des études de long terme sont tout aussi nécessaires pour comprendre les trajectoires expliquant les situations actuelles et les objectifs que se donnent les réseaux de pouvoir. Chaque fois, ces analyses sont donc multi-agents et transdisciplinaires. Fukushima nous conduit déjà très loin des conceptions usuelles de la démocratie.

Notes

  • [1]
    Étude réalisée avec le soutien de la Fondation du Japon.
  • [2]
    Sauf aux yeux de Jean-Pierre Dupuy, Retour de Tchernobyl, Paris, Éditions du Seuil, 2006.
  • [3]
    Mon travail « Fukushima+2 » (http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00701744) portait sur les matrices discursives projetées sur la catastrophe pour montrer qu’elles étaient inopérantes et participaient au refoulement de sa valeur disruptive. Le programme NEEDS du CNRS a considéré au contraire que la redondance était une preuve de validité des interprétation/explications proposées.
  • [4]
    Guide to sources : Japan’ 3-11 triple disaster (http://japanfocus.org/site/view/3591/article.html).
  • [5]
    Toutes les pratiques (y compris esthétiques, littéraires, etc.) se renforcent les unes les autres. Aucune ne peut prétendre parvenir seule à égaler la magnitude de l’événement.
  • [6]
    Le cas de la France est étudié dans un texte à paraître en Allemand, dont la version originale anglaise est disponible sur Internet : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01213204. Voir aussi : http://link.springer.com/article/10.1186/s40604-014-0008-8
  • [7]
    La Tokyo Electric power Company était avant Fukushima le plus grand producteur privé d’électricité. Elle possède des parcs éoliens, des centrales thermiques et trois centrales atomiques. La centrale de Fukushima avait connu de nombreux problèmes techniques graves.
  • [8]
    Au sens de René Lourau ou Félix Guattari. Un analyseur est un événement, un dispositif ou un concept ouvrant la possibilité d’analyser un syndrome ou un symptôme, un événement, un contexte, etc. Peu importe leur nature (sociale, politique, économique ou culturelle), ce qui compte est leur degré d’intrication et de complexité. Découvrir un analyseur et engager une telle analyse prolongent la notion de schizo-analyse proposée par Deleuze et Guattari. L’enjeu est de passer d’une philosophie herméneutique ou phénoménologique à une pratique de la pensée susceptible de produire des connaissances et non pas seulement des interprétations ou des descriptions.
  • [9]
    Noboyuki Nishioka, « Toward a peaceful society without nuclear energy : understanding the power structures behind the 3.11 Fukushima nuclear disaster », in The Asia-Pacific Journal , Vol. 9, issue 52, n° 2, December 26, 2011. Richard Hindmarsh (ed.), Nuclear disaster at Fukushima Daiichi, Routledge, London, 2013.
  • [10]
    Todd Crowell, « The roots of Fukushima », in Asia Sentinel, 24 March 2011. Hirohaki Koide, « The Truth About Nuclear Power : Japanese Nuclear Engineer Calls for Abolition », in The Asia‐Pacific Journal vol. 9, issue 31, n° 5, August 1, 2011.
  • [11]
    Richard Samuels, Disaster and change in Japan, Ithaca, Cornell University Press, 2013.
  • [12]
    Ministry of Education, Culture, Sports, Science and Technology.
  • [13]
    Ministry of Economy, Trade and Industry.
  • [14]
    C’est pourquoi, comme en France, la question de la « durée de vie » des centrales est essentielle, plus que celle des populations.
  • [15]
    Sur ces « industries souveraines », voir http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00701743
  • [16]
    Répétition de doctrines philosophiques bien connues sur la « technique moderne », la « modernité », invocation rituelle des valeurs, incantations morales et métaphysiques. On a tout (déjà) entendu sur Fukushima.
  • [17]
    C’est simplement retrouver le sens de l’avant-garde.
  • [18]
    C’est tabou : la contamination est-elle restreinte ou touche-t-elle tout le pays ? Une réponse est apportée par l’étude de Eiichiro Ochiai, « The human consequences of the Fukushima Dai-ichi nuclear power plant accidents » in The Asia Pacific Journal, vol. 13, issue 38, n°2, September 28, 2015. Elle ne repose pas sur la mesure de la radioactivité (toujours discutée) mais sur l’augmentation de certains cancers observable depuis 2011 dans tout le pays.
  • [19]
    Le virtuel n’est pas le possible : la notion indique une modalité du réel effectif. Le virtuel n’est pas non plus le potentiel, ce qui est déjà là et en attente de son actualisation. Le virtuel ne se réalise pas par lui-même ou lorsque les obstacles sont levés. Il n’est même pas préformé : il est ce qu’on est capable d’en faire. Son émergence est une innovation, un acte collectif supposant une connaissance, une volonté, un choix ou un conflit pouvant conduire au blocage, au refoulement.
  • [20]
  • [21]
    C’est la carte jouée pendant quelques années par Mediapart en France. Sans cela, les médias seront rapidement remplacés par des réseaux sociaux spécialisés et les plateformes d’information comme Google News.
  • [22]
    C’est pourquoi le MEXT couvre un champ si vaste.
  • [23]
    Un point évident : la dislocation en cours met directement et définitivement en cause la place de l’énergie nucléaire dans le système social.
  • [24]
    Je me réfère au débat autour de l’idée et du risque de « stagnation séculaire ».
  • [25]
    En ce printemps 2016, le redémarrage de deux centrales est préparé. Après une longue bataille parlementaire, des oppositions dans les médias et de grandes manifestations de rue, il est parvenu à faire passer le 17 septembre 2015 des amendements de loi sur la sécurité nationale permettant de contourner l’article 9 de la Constitution et d’engager l’armée japonaise dans des conflits extérieurs, particulièrement en appui des États-Unis. La méthode employée par le gouvernement Abe est pour la population une provocation ouverte.
  • [26]
    L’ancien Premier ministre conservateur Koizumi a ajouté un argument décisif contre le redémarrage des centrales : le problème n’est pas la fiabilité des installations mais le traitement et le stockage des déchets radioactifs.
  • [27]
    Chercher à réviser dans ce contexte éthique, social et politique la Constitution est une provocation d’autant plus flagrante qu’elle est supposée garantir la sécurité du peuple et du territoire. Fukushima prouve que les gouvernements successifs n’ont pas respecté leur responsabilité première envers le peuple.
  • [28]
    Capitalism, socialism and democracy (1950), chapitre 7 « The process of creative destruction », § 83, New York, Harper Torchbook 1962.