Quelques remarques sur une comparaison entre l’École de Francfort et « Socialisme ou barbarie »

1Nous proposons ici quelques réflexions sur une comparaison plusieurs fois utilisée pour décrire le mouvement « Socialisme ou barbarie ». Ont été en effet rapprochés le « projet » du groupe « Socialisme ou Barbarie » et celui de ce qu’on appelle classiquement l’École de Francfort, plus précisément la première École de Francfort ou première Théorie critique, qui, marquée par la collaboration d’Horkheimer et d’Adorno, prend la forme d’une philosophie sociale dans les années trente. Cette dynamique intellectuelle associant des chercheurs de différentes disciplines (Fromm, Benjamin, Neumann, Marcuse, Pollock, Löwenthal, etc.), qui alimente la revue Zeitschrift für sozialforschung et dont le lieu institutionnel est l’Institut de recherche sociale, Institut für Sozialforschung, fondé à Francfort en 1923 par Carl Grünberg, œuvre à l’élaboration d’une théorie critique dont on trouve une formulation décisive dans l’article de M. Horkheimer de 1937 « Théorie traditionnelle et théorie critique ».

2Dans le livre d’entretien paru en 2014, La Communauté politique des « tous uns », Miguel Abensour affirmait ainsi : « C’est en toute légitimité que l’on peut comparer jusqu’à un certain point « Socialisme ou Barbarie » à la Théorie critique [1] ». Il est remarquable également que l’entretien d’Herbert Marcuse réalisé par Jean Daniel et Michel Bosquet (André Gorz) et publié le 8 janvier 1973 dans Le Nouvel Observateur ait été intitulé par ces derniers « Socialisme ou barbarie [2] ». Lyotard, nous y reviendrons, a plusieurs fois mobilisé cette comparaison pour expliquer rétrospectivement ce qu’avait pu être le projet de « SouB » (Abensour détaille ainsi les « trait[s] distinctif[s] du groupe, selon Jean-François Lyotard qui l’a souvent comparé à la Théorie critique [3] »). Il ne s’agit pas arbitrairement pour nous de comparer deux courants d’idées, mais de montrer que leur confrontation permet de faire saillir des gestes communs, des opérations de pensée communes appliquées au politique, mais aussi, en manifestant leurs différences, de produire une singularisation de chacun des deux groupes. Il s’agit ici néanmoins d’un travail préparatoire ou de réflexions simplement esquissées, l’aboutissement de cette recherche exigeant un étayage et un temps bien plus importants.

1 – « SouB »/IFS : quel dialogue ?

3Ce rapprochement pourrait être abordé de bien des manières. Néanmoins, les étayages internes aux deux constellations de penseurs possèdent de faibles ressources. Autrement dit, la comparaison entre « SouB » et IFS ne peut pas vraiment s’autoriser d’un dialogue existant ou d’une connivence explicite. Il n’est pas facile en effet d’établir la connaissance qu’avaient les militants de « SouB » de la Théorie critique. Nous commencerons par cinq remarques générales sur cet aspect du sujet.

4(1) D’abord, nous n’ignorons pas que plusieurs chercheurs ont récemment entrepris de déconstruire le « lieu commun d’une réception tardive ou non vivante d’Adorno », relayés selon eux par M. Abensour, en établissant la connaissance qu’avaient de sa pensée un certain nombre de penseurs français dès les années cinquante dont certains ont correspondu avec lui [4]. Néanmoins, dans l’ensemble, la diffusion des écrits de l’École de Francfort en France n’est pas très rapide et date des années soixante – soixante-dix. Celle-ci est liée à la collection dirigée par M. Abensour aux Éditions Payot à partir de 1974 « Critique de la politique », où il fit traduire et publia entre autres : d’abord Éclipse de la raison (1974, n° 1) de Horkheimer, tout comme Les Débuts de la philosophie bourgeoise de l’histoire (1974, n° 4) ou Théorie critique (1978, n° 18) ; Dialectique négative d’Adorno (1978, n° 22), Trois études sur Hegel (1979, n° 25), Minima Moralia (1980, n° 26), Modèles critiques (1984, n° 34), Prismes (1986, n° 37), Le Jargon de l’authenticité (1989, n° 39) ; de W. Benjamin, Charles Baudelaire (1982) et Romantisme et critique de la civilisation (2010) ; de Neumann, Béhémoth (1987, n° 38) ; de très nombreux ouvrages de Habermas dont Théorie et pratique (1975, n° 6) et L’Espace public (1978, n° 17), mais aussi des livres d’E. Bloch (Droit naturel et dignité humaine, (1976, n° 11) ; Héritage de ce temps, (1978, n° 16) ; Experimentum mundi, (1981, n° 29) ainsi que des ouvrages de Kracauer et de Simmel.

5À notre sens, M. Abensour n’a pas seulement souligné le caractère difficile et différé de la réception d’Adorno en France, insistant sur le désintérêt dont sa pensée fut longtemps victime [5], retardant sa lecture à la fin des années soixante voire aux années soixante-dix. Mais, il a aussi émis l’hypothèse, légèrement différente, d’une résistance d’un certain nombre de penseurs français à la théorie critique adornienne. Interrogé par Michel Énaudeau sur les raisons d’une certaine « discrétion » intellectuelle française à l’égard de l’École de Francfort, il répond ainsi :

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Pour une fois, il semble qu’il y ait eu une conjonction entre libéraux et staliniens, comme si les uns et les autres avaient voulu étouffer une voix critique dissidente. D’une part, les libéraux n’avaient pas envie de faire connaître l’École de Francfort. Peut-être était-ce le cas de Raymond Aron[6]  ? Quant aux marxistes de l’époque, ils étaient bien trop staliniens pour tolérer la confrontation avec un courant intellectuel dissident, très constitué, très argumenté. Il fallait surtout éviter une réactivation révolutionnaire, comme cela était arrivé en Italie. Dans le champ philosophique, il faut compter aussi avec la présence des heideggériens opposés à la pensée d’Adorno, critique de Heidegger.

7Et il ajoute que les textes de Francfort « dérangeaient » les positions des uns et des autres :

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À une certaine période, il fut question de publier un numéro sur l’École de Francfort dans une revue marxiste, relativement indépendante du Parti semblait-il, qui s’appelait Praxis. Pour ma part, je n’y croyais guère et mon pessimisme fut très vite confirmé par une réponse négative agrémentée des prétextes les plus divers. Reste la question : pourquoi les non-staliniens n’ont-ils pas entrepris le travail de publication qui s’imposait ? Et pourtant certains marxiens ou marxistes dissidents, devenus critiques du marxisme orthodoxe, avaient lu les théoriciens de Francfort. Ainsi Maximilien Rubel consacra un article à la Théorie critique de la société dans les Études de marxologie, de même que Lucien Goldmann, disciple de Lukacs, eut à plusieurs reprises un dialogue avec Marcuse. Quant à Castoriadis, il connaissait bien l’œuvre d’Adorno et de Horkheimer[7].

9Parmi les membres de « SouB » qui se sont le plus référés par la suite à l’École de Francfort, on peut prendre l’exemple de Lyotard dont la fréquentation de l’œuvre d’Adorno semble vérifier l’idée d’une réception différée et postérieure aux activités du groupe. Celui-ci s’est largement inspiré du travail d’Adorno, principalement de la Théorie esthétique, des Minima Moralia et de la Dialectique négative. C’est néanmoins une référence qui s’impose à la fin des années soixante-dix et au début des années quatre-vingt, même si la lecture en est plus ancienne (comme en témoigne le texte énigmatique de 1972 « Adorno come diavolo [8] »). Lyotard semble avoir lu Adorno au début des années soixante-dix (la première préface d’octobre 1972 à Dérive à partir de Marx et Freud indique qu’il ne l’avait pas encore fait à l’époque de ces essais (1968-1971). C’est de l’élaboration de l’idée de postmodernité que Lyotard fera d’Adorno le précurseur. En se faisant le relai de l’examen sévère que la postmodernité impose à la pensée des Lumières, il dit s’inscrire dans la lignée de la critique conduite par Wittgenstein, Adorno et « quelques Français [9] » [10]. D’Adorno, écrit-il, on sera « sensible à ce qu’il y a d’anticipation du postmoderne dans sa pensée [11] ». D’une façon générale, il présentera comme comparable l’analyse par Adorno de la chute de la métaphysique et sa propre analyse de la défaillance de la modernité [12].

10(2) Nous ne saurions évaluer la connaissance exacte que pouvait avoir Claude Lefort des écrits des théoriciens de l’École de Francfort. La référence à Francfort dans ses travaux nous semble rare, bien postérieure à « SouB » et assez critique. Dans l’Entretien de novembre 1975 du numéro 14 de L’Anti-Mythes, interrogé sur une possible identité de position avec celle d’Horkheimer telle qu’elle se trouve présentée dans la préface de « Théorie traditionnelle et théorie critique » – « Je pense devoir servir la vérité en disant qu’en dépit de toutes ses tares, notre douteuse démocratie est encore préférable à la dictature dont un bouleversement ne manquerait pas à l’heure actuelle de provoquer l’instauration » –, Lefort répond :

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Je suis d’accord sur le début de la phrase : « notre douteuse démocratie est encore préférable… » mais la fin est équivoque. S’il faut comprendre que nous devons redouter tout bouleversement de l’ordre établi, parce que sa conclusion serait nécessairement funeste, je ne le suis plus. Mon analyse de Mai 1968 devrait vous en persuader. À mes yeux, c’est l’absence de lutte qui risque de faire que l’ordre se pétrifie et que sous une forme ou sous une autre le processus de bureaucratisation débouche sur un régime totalitaire[13].

12Plus tard, en 1982, il discutera avec intérêt le fragment des Minima Moralia « Mort de l’immortalité [14] ». Mais, d’une façon générale, dans les années soixante-dix, la manière dont Lefort constitue son antitotalitarisme en se référant à Arendt le conduit à s’opposer à ce qu’il comprend chez Adorno et Horkheimer comme l’affirmation d’une continuité entre autorité et totalitarisme. Celle-ci est relevée par Abensour qui souligne la divergence entre la thèse de la continuité – dans les termes de J-M. Ferry : l’exigence résolument antitotalitaire de la Théorie critique n’aboutit pas à une critique décisive du totalitarisme, la critique de la raison donnant lieu à une critique « non spécifique du totalitarisme [15] » – et celle de la discontinuité radicale. Chez M. Horkheimer, à plusieurs reprises, et Abensour cite en particulier un passage de « La philosophie de la concentration absolue » (1938 [16]) dans lequel Horkheimer évoque une « escalade dans l’oppression », serait affirmée cette continuité : « la continuité entre l’État autoritaire et le libéralisme est affirmée, comme si la nouvelle forme d’État qui a détruit le libéralisme en restait néanmoins l’héritière [17] ». Lefort, à la suite d’Arendt, considère, au contraire, la domination totale comme quelque chose de nouveau ou de sans-précédent dans le siècle et s’oppose, selon l’expression d’Abensour, à ceux qui replacent « l’État autoritaire dans l’horizon du déjà connu ». Il convient pour lui de recourir à une logique de la politique pour appréhender la genèse de la domination absolue.

13(3) Ensuite, et plutôt dans la dernière période de la vie du groupe, c’est l’œuvre de Marcuse qui va intéresser certains militants de « SouB. » Le numéro 36 de la revue, d’avril-juin 1964, publie un compte-rendu par Hélène Gérard de la traduction française du livre de 1955, Éros et civilisation, aux Éditions de Minuit (collection « Arguments ») en 1963. Elle souligne son importance qui tient à ses yeux à la thèse centrale de l’ouvrage relative à la non-séparation de la politique et de la psychanalyse et de la vie quotidienne réelle, tout en critiquant la façon dont Marcuse pense la non répression, la libération ou la possibilité même de l’affranchissement :

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Mais Marcuse aborde le problème de la domination et de la libération en philosophe, et même en philosophe académique : il voit la réalité de loin et il oublie alors et Marx et Freud, puisque tous deux, chacun dans son domaine propre, opérèrent un retour au réel et au vécu[18].

15Les numéros 52 et 53 d’ICO (bulletin Informations et Correspondances Ouvrières (1960-1973) [19]) d’août-septembre et d’octobre 1966 font paraître en deux livraisons un texte de Marcuse intitulé « Sommes-nous encore des hommes [20] ? » consacré à une critique de l’humanisme traditionnel, à la révolution comme condition de tout humanisme, mais aussi à la façon dont la « société industrielle en développement a mis en question l’idée radicale de l’humanisme, et la conception marxiste de celui-ci [21] ». La suite du texte met l’accent sur l’aplanissement de toutes les oppositions, sur ce que Marcuse nomme « l’intégration totale de l’individu », rationalisation de la domination ou « rationalisation de l’état de dépendance [22] ». Il s’agit pour Marcuse de dégager le caractère fondamentalement ambivalent de la tendance à la suppression du travail induite par le processus d’automation.

16Les analyses de Marcuse ont indéniablement marqué les esprits d’un certain nombre de membres du groupe et ont été ensuite très discutées. Castoriadis sera ainsi extrêmement sévère à l’égard de Marcuse. Dans l’entretien de 1974, il rejette ce qu’il comprend chez ce dernier comme abandon du projet révolutionnaire au profit de la valorisation de luttes révolutionnaires minoritaires, comme négation du rôle révolutionnaire du prolétariat [23]. Il soutient que les luttes quotidiennes des étudiants, des femmes, des ouvriers impliquent comme « envers positif » de leur contestation, un autre principe qui est en contradiction frontale avec le principe fondamental du capitalisme :

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Si je me trompe, on ne pourrait en effet plus parler de projet révolutionnaire dans la période actuelle, et il faudrait en revenir à des positions comme celles que l’on imputait tout à l’heure à Marcuse. Mais si je ne me trompe pas, ces significations homologues nous renvoient nécessairement, du fait même que leur homologie s’affirme à travers des secteurs et des activités différents de la société, à la question de la globalité sociale et à sa réalité[24].

18En réalité, la lecture de Marcuse contrarie un peu cette conclusion : ce qu’il analyse comme suppression du « prolétariat marxiste » ne signifie nullement la disparition de la lutte des classes, encore moins celle du projet global d’émancipation qu’il lui arrive d’ailleurs de nommer « révolution totale » ou socialisme. Marcuse est en réalité surtout occupé à penser une forme croissante de réification attachée à l’automatisation de la production.

19(4) La très faible audience du groupe « SouB » hors du quartier latin – « ce cercle était étroit. Au-delà de ses frontières nos travaux respectifs étaient ignorés ou délibérément passés sous silence », écrira Claude Lefort en 1979 [25] – laisse penser que les Francfortois ne pouvaient avoir connaissance de cette activité dans les années cinquante et soixante. Cela ne signifie aucune méconnaissance du champ intellectuel français. Adorno, comme cela a été montré par Thomas Franck, était d’ailleurs très soucieux de sa réception française, de la façon dont il pouvait être traduit, etc. [26].

20La marginalité du groupe est parfois masquée par la popularisation de ses idées à partir de Mai 1968 ainsi que dans les années qui ont suivi et par le regain d’intérêt aujourd’hui pour ce mouvement, mais, écrit Castoriadis, « il faut réaliser que pendant notre traversée du désert, nous tenions des réunions “publiques” à la Mutualité avec une vingtaine de personnes extérieures au groupe [27] ». Rappelons certains des chiffres qu’il indique [28] : à partir de 1950, le groupe, très isolé, compte une dizaine de camarades, et les numéros de la revue sont peu fréquents et peu épais. À partir de 1952, le nombre d’adhésions augmente, le contenu de la revue s’enrichit et sa parution devient plus fréquente, quelques correspondants en province apparaissent. On compte 700 exemplaires de la revue vendus chaque fois (jusqu’à 1 000 pour certains numéros) et à peu près une centaine de personnes extérieures au groupe qui assistent aux réunions publiques. À la veille du 13 mai 1958, le groupe comprenait environ 30 membres (payant régulièrement une cotisation, et participant régulièrement aux réunions et aux tâches décidées en commun). Les événements de 1958 conduisent à l’augmentation du nombre de sympathisants (en particulier étudiants) jusqu’à une centaine (fin 1960). Entre 1958 et 1961, le groupe se développe : deux ou trois cellules fonctionnent à Paris et plusieurs se créent en province avec des étudiants et quelques ouvriers. Les réunions publiques sont suivies, et le groupe possède une influence sur certaines couches non-négligeables d’étudiants à Paris, et sur des travailleurs de chez Renault grâce au travail poursuivi là-bas par Mothé, précise Castoriadis. Après la seconde scission de 1963, pendant la dernière période, l’audience externe de la revue a été peut être la plus grande (environ 1 000 exemplaires vendus par numéro, réunions publiques rassemblant jusqu’à 200 personnes). Pourtant, d’un autre côté, souligne Castoriadis, si les idées circulaient, le groupe ne mobilisait à proprement parler plus de nouveaux militants.

21Rassembler de telles forces demande un travail considérable ; mais le rappel de ces quelques éléments permet de revenir sur le statut du groupe, très minoritaire. Ses différents protagonistes sont d’ailleurs parfois plus connus pour leurs travaux universitaires ou d’autres d’activités que comme militants de la gauche radicale (Lefort comme protagoniste des Temps modernes jusqu’en 1953 ou comme assistant de Gurvitch en 1951 à la Sorbonne, Castoriadis comme économiste à l’OCDE à partir de 1948 ; Lyotard, lui, invité en 1961 à donner la conférence « Le problème de l’histoire dans la perspective phénoménologique », est présenté ainsi : « Connu des philosophes par son excellent petit livre, La Phénoménologie, plus que par sa collaboration à la Revue Socialisme ou barbarie… [29] »).

22On nous dira que progressivement le groupe a noué les contacts à l’étranger avec d’autres groupes révolutionnaires et leurs publications, aux États-Unis, en Angleterre, en Hollande, en Italie et, un peu plus tard, au Japon. La note qui clôt le numéro 15-16 de 1954 intitulée « “Socialisme ou barbarie” à l’étranger [30] » dresse le bilan des échos que les travaux du groupe ont pu trouver hors de France. Néanmoins, on ne compte apparemment pas de correspondant en Allemagne et, dans l’ensemble, ces échos demeurent très modestes.

23(5) Dernière remarque : comme le marxisme critique semble à beaucoup aujourd’hui et depuis plusieurs décennies appelé par les transformations de la société, il est difficile de percevoir le caractère absolument dissident de cette voie dans les années cinquante et son caractère presque inaudible à l’époque. Claude Lefort a, à plusieurs reprises, évoqué ce climat des années cinquante dont date une partie des textes rassemblés en 1971 dans Éléments d’une critique de la bureaucratie, années dont Lefort dira en 1979 qu’elles n’étaient guère favorables à un exercice serein de la réflexion politique :

24

Qui n’a pas connu la terreur idéologique que faisait peser sur la gauche le Parti communiste dans les années d’après-guerre, qui ne sait comment s’agglutinaient autour du stalinisme les écrivains progressistes ne soupçonne pas la difficulté qu’il y avait alors à parler de régime bureaucratique ou de totalitarisme et à franchir les murailles du marxisme-léninisme pour découvrir la pensée de Marx[31].

25Quelques années auparavant, en juin 1970, il écrivait déjà :

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Qui aujourd’hui a entre vingt et trente ans n’a pas subi l’emprise qu’ont exercée les partis communistes du vivant de Staline […]. Celui-là n’a pas connu le temps où les intellectuels progressistes tournoyaient autour du fanon stalinien, payant d’une fidélité redoublée l’audace d’un geste indépendant – un temps où le gauchisme se circonscrivait presque tout entier aux trotskystes, poussant quelques rameaux dans trois ou quatre groupuscules plus maigres encore, où, ces trotskystes, les communistes les qualifiaient d’hitlériens et quand ils en avaient l’occasion les traitaient en conséquence, tandis que la presse de gauche se gardait de donner le moindre écho à leurs actions ou à leurs thèses. Est-ce à dire que le monde des années cinquante ne peut plus éveiller que l’intérêt de l’historien et que ce que nous écrivions il y a douze ou vingt ans n’ait plus d’autre valeur que documentaire[32] ?

2 – Quelques opérations appliquées au politique

27L’examen de la confrontation entre « SouB » et Francfort doit donc, à notre sens, être placé sur un autre plan que celui de la recomposition d’un dialogue entre les protagonistes des deux groupes. L’ampleur des deux projets est évidemment sans rapport. L’Institut für Sozialforschung, fondé à Francfort en 1923, existe toujours, et à la « première » École de Francfort succéda une deuxième École autour de la figure d’Habermas puis sans doute une troisième. Le groupe « SouB » possède une temporalité bien différente : il voit le jour en 1948-1949 et se dissout en 1967. Certes, ses membres participeront ensuite à d’autres groupes (« ILO, » « ICO », « Pouvoir ouvrier », etc.) et la revue servira de référence pour d’autres revues. Ainsi Lefort, homme de revues s’il en est, s’investira-t-il ensuite dans Textures, Libre puis Passé-Présent. Il s’agit donc de mettre en regard des gestes, des pratiques ou des opérations. À cet égard, la comparaison des deux groupes prend sens.

28(1) La première opération concerne la manière dont les deux groupes se sont configurés. La question n’est pas du tout anecdotique car « SouB » a eu pour question principale et dirimante, celle de l’organisation, organisation des luttes, organisation du mouvement ouvrier mais aussi celle de sa propre organisation.

29Comme il a souvent été remarqué [33], l’appellation « école », appellation unifiante, rétrospective qui s’impose au retour de l’exil américain des principaux membres, ne convient pas vraiment concernant les penseurs de Francfort, réfractaires à la fois à tout dogmatisme – et même, par principe, anti-dogmatiques – et à l’étanchéité des murs disciplinaires qu’implique souvent la constitution d’une école de pensée. D’autre part, « l’École » n’a rien de monolithique. Non seulement elle rassemble des penseurs de disciplines différentes mais ceux-ci incarnent aussi des positions différentes et sa vie est marquée par un certain nombre de grands débats ou de différends entre certains membres touchant par exemple l’interprétation et l’usage de la psychanalyse freudienne [34] ou le rapport au matérialisme dialectique. Les changements d’orientation au fil du temps semblent aussi importants quoique non univoques [35]. Il appartient à Miguel Abensour d’avoir expliqué les raisons du caractère inapproprié du qualificatif « école » à propos de l’École de Francfort, auquel il faudrait préférer celui de cercle ou de « mouvement, au sens où l’on parle d’un mouvement d’avant-garde [36] ».

30« SouB » se voulait également un groupement hétéroclite et ouvert, établissant un pont entre théorie et pratique, ou plutôt incarnant une praxis, en témoigne le lien entre l’activité éditoriale et les activités militantes en lien avec les mouvements ouvriers. La production théorique de « SouB » visait à nourrir une action, une ligne d’intervention. Concrètement, les tâches pratiques tiennent à l’établissement de contacts entre le groupe et la classe ouvrière, entre le groupe et d’autres groupes révolutionnaires à l’étranger et, à « créer un pont entre classe ouvrière européenne [37] » et d’autres classes ouvrières. Surtout, le groupe révolutionnaire était marqué par une forme de spontanéisme. Celui-ci possède au moins deux aspects. Il signifie d’abord la confiance dans une certaine inventivité de la pratique immédiate ou dans la créativité et la positivité des luttes ouvrières et le refus de les diriger ou plutôt qu’elles le soient. Celles-ci ne manquent pas de quelque chose qu’une organisation intellectuelle viendrait leur apporter, d’où une critique continue du bolchévisme. Mais, il signifie aussi le refus de la structure du parti ou d’une organisation verticale traditionnelle et un horizon d’auto-organisation. Le point est si important que c’est l’un des arguments mis en avant par Lefort quand il quitte le groupe en 1958 pour fonder avec Simon « Informations et liaisons ouvrières » (ILO). Il déclarait avoir été « souvent en désaccord avec son orientation [celle du groupe], tant j’étais opposé à tout ce qui m’apparaissait comme tendant à la reconstitution d’un parti [38] » et :

31

C’est l’expérience du militantisme, durant quelques années, qui m’apprit à scruter cet étrange mouvement par lequel un groupement […] réintroduit en son sein les règles, les pratiques, les rapports interpersonnels spécifiques des organisations qu’il veut combattre, retisse le même genre de tissu social, cultive les principes de la division, du cloisonnement des secteurs d’activité, de la ségrégation de l’information, tend à faire de son existence propre une fin en soi, se donne une nature opaque et fermée à la réflexion[39].

32Dans ce cas aussi, l’interprétation de ce tournant ou première scission est discutée. Castoriadis laissera entendre que déterminait déjà le départ de Lefort, motivé par la question générale de l’organisation, la conviction naissante du caractère impossible de la révolution ou de la transformation radicale impliquant un dépassement de l’aliénation sociale et la prévalence dans le réel de luttes contre l’ordre établi.

33(2) Le second aspect que nous pouvons mettre en avant tient à la promotion de la critique immanente dans le champ du marxisme. C’est d’abord de ce point de vue que Lyotard compare les deux projets. Dans le chapitre 9 de la Condition postmoderne (1979), il distingue deux grands types de récit de légitimation du savoir. Pour le premier, le savoir trouve sa validité en lui-même, « dans un sujet qui se développe en actualisant ses possibilités de connaissance [40] ». L’autre mode de légitimation passe par l’autonomie de la volonté : le savoir positif informe le sujet pratique de ce qu’il est possible de faire mais ne détermine pas ce qu’on doit faire. Le marxisme, ajoute Lyotard, a, lui aussi, oscillé entre ces deux modes de légitimation narrative. La première forme est bien identifiable dans le stalinisme.

34

Mais il peut au contraire, conformément à la seconde version, se développer en savoir critique, en posant que le socialisme n’est rien d’autre que la constitution du sujet autonome et que toute la justification des sciences est de donner au sujet empirique (le prolétariat) les moyens de son émancipation par rapport à l’aliénation et à la répression : ce fut sommairement la position de l’École de Francfort[41].

35Or, il est remarquable que Lyotard prête aussi ce projet à « Socialisme ou barbarie » : « le modèle critique s’est maintenu et s’est raffiné […] dans des minorités comme l’École de Francfort ou comme le groupe “Socialisme ou barbarie [42]” ». C’est aussi le sens de la référence à Rosa Luxemburg chez certains protagonistes de « SouB. » Ainsi, en exergue de Révolution et contre-révolution en Chine (1962), Pierre Souyri fait figurer cette phrase :

36

Le marxisme est une conception révolutionnaire du monde qui doit toujours lutter pour des connaissances nouvelles, qui ne hait rien autant que la pétrification dans des formes valables dans le passé et qui conserve le meilleur de sa force vivante dans le cliquetis d’armes spirituel de l’autocritique, et dans les foudres et éclairs de l’histoire[43].

37(3) Le troisième point de convergence entre la première École de Francfort et « SouB » touche à l’objet de la critique politique. Si celle-ci porte sur la domination, domination bureaucratique dans le cas de « SouB », c’est aussi comme critique du développement exponentiel de la bureaucratie qu’Horkheimer définit la théorie critique dans la présentation qu’il donne en 1968 à la réédition du texte de 1937, Théorie traditionnelle et théorie critique : « […] se proposer, avec le matérialisme historique, de mettre fin à la préhistoire de l’humanité, telle m’est apparue l’alternative théorique à la résignation devant un monde qui évolue dans la terreur vers le despotisme bureaucratique [44] ». Surtout, dans les deux cas est produite une genèse dialectique de situations de domination engendrées par le retournement en son contraire d’un projet émancipatoire.

38« SouB » offrait donc, selon l’expression de Castoriadis, une analyse du « destin historique du marxisme [45] » ou des destins historiques du marxisme [46]. C’est pourquoi M. Abensour [47] mais aussi Lyotard ont pu comparer l’objectif de « Socialisme ou barbarie » à celui, dans un passé proche, de la Théorie critique, de la première École de Francfort. Il s’agissait, d’une façon générale, de pointer comment un projet émancipatoire se retourne dialectiquement en son contraire, en une entreprise de domination, et de dénoncer les formes les plus cachées et pernicieuses de ce renversement. « SouB » montrait que les organes dont le prolétariat semblait s’être doté (partis et syndicats) n’opéraient pas ou plus comme moyens d’émancipation de la classe ouvrière mais comme instruments au service de la classe bureaucratique. On reconnaissait dans les formes existantes d’organisations des mouvements ouvriers l’inversion générale du sens des organes qu’ils s’étaient initialement donnés : « Comment en est-on arrivé là ? Comment le pouvoir sorti de la première révolution prolétarienne victorieuse s’est-il transformé en l’instrument le plus efficace de l’exploitation et de l’oppression des masses [48] ? ».

39Adorno et Horkheimer avaient conduit l’analyse d’un tel retournement en prenant l’Aufklärung pour objet, d’un renversement de la raison objective en raison instrumentale ou, du fait que la raison elle-même n’est plus qu’« un auxiliaire de l’appareil économique qui englobe tout [49] ». On sait que Die Dialektik der Aufklärung n’analysait pas la domination croissance comme régression, mais comme accomplissement d’une tendance à la rationalisation inhérente à la modernité, et s’employait à montrer l’intrication de la domination réelle avec la domination idéelle des Lumières. « SouB » travaillera également, comme on l’a dit, à mettre au jour le retournement en son contraire du projet soviétique. Ainsi Castoriadis analysera l’Union soviétique comme une forme de « capitalisme d’État », qui aurait rompu avec la propriété privée mais qui, paradoxalement, aurait vu en son sein se renforcer les formes de pouvoir et de domination capitalistes.

40Miguel Abensour a convoqué également ce motif de l’inversion ou du retournement dialectique. Il ancre son intérêt pour ce phénomène dans sa lecture du Discours de la servitude volontaire de La Boétie dont l’objet, tel que le définit Abensour, est de comprendre comment la domination s’origine non seulement dans l’action des dominants mais aussi dans celle des dominés, « quand soudain la liberté se renverse en son contraire, donnant ainsi naissance à la servitude volontaire [50] ». Ce point de départ se prolonge dans le projet, « en rapport avec le trajet que j’ai évoqué rapidement de “Socialisme ou Barbarie” à l’École de Francfort [51] », de mettre au jour les formes contemporaines de domination dont la spécificité est de se donner pour leur contraire, pour des voies de libération. C’est une des déclinaisons possibles du paradoxe inhérent à l’idée de critique de la politique et qui, toutes, ont trait à la fois à l’intrication et à la distinction foncière de la politique et de la domination.

41(4) On trouve enfin au cœur des deux projets théoriques l’analyse inquiète et pessimiste des résistances ou de la plasticité du développement capitaliste. Tous deux se confrontent au problème de l’aggravation de la rationalisation de la société. Cette analyse y possède néanmoins des formes distinctes. Dans la première École de Francfort, l’analyse de l’intégration croissante de l’individu et de celle de la classe à laquelle il appartient, intégration propre à produire, selon l’expression de Marcuse, une « disparition de la conscience de classe prolétarienne et révolutionnaire », justifie un déplacement du plan de réalisation de l’émancipation. Celle-ci peut prendre la forme d’une mutation en pratique de résistance ou en potentiel protestataire. Cette attention à la singularité se trouve peu à peu investie d’un enjeu politique, enjeu qui prend le pas sur l’objectif de transformation des conditions objectives ou sur le projet révolutionnaire. Du moins, ce projet subordonne le fait d’œuvrer à des tendances progressives à la capacité de résistance à des tendances socialement régressives [52]. Dans les termes qui sont ceux de Horkheimer en 1970 : « notre nouvelle Théorie critique en est venue à ne plus militer en faveur de la révolution […] il faut bien mieux, sans arrêter le progrès, conserver ce que l’on peut estimer de positif […], préserver […] ce que nous ne voulons pas perdre [53] ». Chez Adorno, l’importance de la réification induit l’exigence de déplacer le projet de transformation au niveau de la vie psychique des sujets, déplacement qui se trouve également appelé par l’importance du rôle de cette structure dans le succès des autorités, entreprises de domination (qui se soutiennent du consentement affectif des sujets) :

42

Étant donné que la possibilité de transformer les conditions objectives – sociales et politiques – qui engendrent de tels événements est extrêmement limitée, les tentatives visant à lutter contre leur réédition sont nécessairement repoussées au plan subjectif. Par là, j’entends essentiellement aussi la psychologie de ceux qui agissent ainsi[54].

43Néanmoins, ce que nous nommions un déplacement du plan de réalisation de l’émancipation n’a rien d’univoque. M. Abensour en distingue quatre formes que nous ne pouvons détailler ici : l’infléchissement de la Théorie critique vers une position défensive ; la tentative de débordement de la Théorie critique vers l’utopie ; sa radicalisation dans le sens de la dialectique négative ; sa définition comme théorie de la connaissance qui est aussi théorie de la société [55]

44La question du déplacement du projet émancipatoire et le questionnement de sa nature révolutionnaire mais aussi celle de la résistance du développement capitaliste divisa en profondeur « SouB ». Elle apparut dans un second temps, une fois bien entamée la critique de la bureaucratie. Pendant longtemps, en effet, les échecs des mouvements ouvriers étaient renvoyés à l’incomplétude des luttes. Castoriadis peut ainsi écrire en 1958 : « Quelles sont les raisons de cet échec ? Les mouvements de grève de ces trois derniers mois, sporadiques, limités, non coordonnés, n’ont pas été de véritables luttes. Les travailleurs ne se sont pas mis en grève jusqu’à satisfaction complète des revendications, en mettant en œuvre tous les moyens nécessaires pour faire aboutir l’action[56] ».

45On peut mettre au crédit de « SouB » de ne s’être pas contenté d’une analyse des bureaucraties dites socialistes (principalement la bureaucratie stalinienne), mais d’avoir cherché à cerner la nature du capitalisme moderne, à comprendre les raisons de la croissance que connaissait le système occidental depuis la fin de la seconde guerre mondiale et corrélativement celles de l’apathie des prolétariats dans les pays les plus « développés » mais aussi de leur absence de solidarité avec la lutte du peuple algérien et, plus généralement, avec le mouvement des jeunes nations colonisées, démentant le schéma marxiste révolutionnaire d’une solidarité spontanée des prolétariats avec les opprimés de toutes sortes et d’une conscience aigue de la convergence des différentes luttes de libération – par exemple, souligne Lyotard en 1958, ces dernières années, on n’a jamais vu débrayer pour la guerre d’Algérie, la classe ouvrière française ne s’est pas battue contre la guerre d’Algérie [57]. Les réponses des différents membres du groupe furent très différentes. Alors que Castoriadis commençait à douter que le système soit exclusivement dominé par des contradictions économiques inhérentes à la nature antagonique du processus de production, Souyri continuait à voir dans le prolétariat la seule classe capable de renverser les régimes d’exploitation et semblait interpréter la consolidation du capitalisme comme « une tendance destinée à se heurter à de nouvelles contradictions », comme une « période économique » et non comme une « transformation durable et stable [58] ».

46Néanmoins, ce n’est que tardivement que, dans le groupe, le marxisme est devenu une question ou du moins que s’est posée la question du caractère opératoire des catégories marxistes pour l’analyse du capitalisme avancé, quoique par ailleurs le groupe ait toujours développé un marxisme critique. Pour « SouB » pendant de très nombreuses années, la modernité n’était pas simplement interprétée comme porteuse du renversement en son contraire du projet émancipatoire moderne, mais, pour reprendre l’expression de Sébastien de Diesbach, un des six anciens membres du groupe qui a travaillé à la publication de l’Anthologie de textes de « SouB », restait possible de « fonder une perspective révolutionnaire sur le mouvement même de la modernité [59] », mouvement qui restait contradictoire. C’est aussi une interrogation ouverte de savoir quand et sous quelle forme le marxisme comme question se pose dans l’École de Francfort au-delà de l’instauration de ce que M. Abensour a nommé un « rapport libre à Marx ».

3 – Comparer « jusqu’à un certain point »

47On touche ici aux limites de la confrontation « SouB »/IFS ou au fait que les projets sont comparables, selon l’expression de Miguel Abensour, « jusqu’à un certain point ».

48(1) D’abord, si on peut parler au sujet de « SouB » de groupe, ce ne peut être au sens de cercle intellectuel car celui-ci se voulait un organe (sans être néanmoins un parti) au service d’un projet politique. Comme bien d’autres mouvements de l’époque, « SouB » travaillait à une unité de la théorie et de la pratique et à une pratique théorique ou plutôt à une pratique critique. Il ne s’agissait donc pas seulement de théorie fût-elle critique. Néanmoins, tel que le rapporte Henri Simon, la dimension de concrétisation s’est précisée avec les événements de 1958 [60]. Le reproche de se muer en cercle intellectuel sera au cœur de la seconde scission, celle de la 1963-1964 qui entraîne le départ de P. Guillaume, Lyotard, Souyri, Véga (pour former « Pouvoir Ouvrier »).

49Ce militantisme (travailler à la révolution en diffusant la revue à la sortie des usines, à la sortie, non sans mal, de la Sorbonne, en animant des réunions publiques, etc.) contraste avec le statut de Théorie critique. Il ne s’agit pas d’enfermer la théorie critique dans le cadre théorique et de minorer le fait que plusieurs membres de l’École de Francfort, entre 1934 et 1950 ont adossé leur critique de la domination à la production d’études empiriques, pour que l’analyse de la dynamique sociale ne se mue pas en système philosophique (« La lutte contre le libéralisme dans la conception autoritaire de l’État » [Marcuse] ; L’Autorité et la famille [Horkheimer, dir.] ; « L’État autoritaire » [Horkheimer] ; Béhémoth [Neumann] ; Le Capitalisme d’État. L’automation [Pollock] ; La Personnalité autoritaire [Adorno], etc.). Néanmoins, le souci d’étayer (psychologiquement, sociologiquement, économiquement, historiquement), la critique se distingue évidemment de l’entreprise militante de pratique critique. Tout comme il est reproché par certains membres de « SouB » à Marcuse le caractère « philosophique » de son discours, il est probable que le groupe aurait pu, s’il en avait discuté, qualifier de la même manière d’autres grandes entreprises de l’École de Francfort, en particulier celles où la critique radicale de la raison prend le pas sur la critique spécifique attachée à une réalité sociale ou historique précise.

50(2) La seconde limite de cette comparaison touche peut-être au statut du constat d’aliénation. Mais ce point relève davantage d’une question que nous nous posons que d’une affirmation. Nous notions tout à l’heure que le spontanéisme qu’on prête à « SouB » possède deux aspects. Il qualifie le refus de diriger les mouvements ouvriers et le refus de constituer le groupe en parti ayant vocation à le faire. Mais il qualifie solidairement la confiance dans la créativité des luttes ouvrières et dans leurs capacités d’auto-organisation. Il faudrait ici distinguer soigneusement ce spontanéisme de la notion plus tard investie par certains – principalement Castoriadis – de créativité ou du moins mesurer l’inflexion introduite par la promotion de la créativité [61].

51La position de certains francfortois sur les deux points évoqués n’est pas univoque. D’abord, la profondeur de la réification limite quelque peu la confiance qu’on peut avoir dans la spontanéité des masses. Marcuse explique ainsi que « les masses, dans la capitalisme avancé, ne sont pas révolutionnaires [62] ». Ensuite, de ce fait, il pose que le développement de la conscience politique de la classe ouvrière ne se fait pas tout seul, ce à quoi doit servir un parti révolutionnaire d’avant-garde prenant la forme de conseils ouvriers, conseils de quartier, conseils d’étudiants, de techniciens, de femmes, etc. Ce parti a une fonction de guide ou doit aider, dans les termes de Marcuse, les masses à devenir révolutionnaires, en organisant ce qu’il appelle une éducation à la fois théorique et pratique : « Le travail du Parti est précisément de faire mûrir la classe ouvrière ; et il n’y arrivera qu’en se plaçant à sa tête, par une politique militante, non en flattant de façon démagogique ses préjugés et ses illusions, comme ont tendance à le faire les partis communistes aujourd’hui [63] ». Bien sûr, cet entretien de Marcuse date de 1973, et possède pour toile de fond un autre contexte que celui qui marquait les analyses de « SouB » D’autre part, redisons-le, la première École de Francfort ne possède aucun « noyau théorique », ce qui serait incompatible avec son anti-dogmatisme, rappelle M. Abensour, quoi que se pose légitimement la question des grandes lignes de force théoriques qui la structurent [64].

52Mais, alors que cette analyse de Marcuse des années soixante-dix est marquée par une certaine méfiance à l’égard de l’autonomie et des initiatives des masses du fait de leur apathie et de leur intégration au système, pendant longtemps les positions de « SouB » avaient été, elles, marquées par davantage de confiance en cette autonomie, quoiqu’elles aient aussi invoqué l’aliénation conduisant les exploités à se déposséder de la direction de leur propre émancipation, répétant la dépossession de leur propre production dans la société bourgeoise. Ce faisant, quand certains membres du groupe feront la critique de ce crédit accordé aux potentialités des mouvements ouvriers, ils pourront se rapprocher davantage de positions de l’École de Francfort marquée par l’analyse de la domination et des ressorts psychiques d’intériorisation de cette domination. Nous pensons ainsi au regard rétrospectif porté par Lefort sur ses années à « SouB. » Dans la préface ajoutée en 1979 à ses Éléments d’une critique de la bureaucratie, Lefort évoque la démesure des espérances qui ont pu être les siennes dans les années cinquante :

53

Pendant un temps, j’ai cru voir se dessiner une révolution qui serait l’œuvre des opprimés eux-mêmes et saurait se défendre contre ceux qui prétendraient la diriger. J’imaginais qu’une telle révolution, bénéficiant de tout l’acquis du mouvement ouvrier, rendrait impossible la formation d’un nouvel État et d’une nouvelle classe dominante. Les tentatives successives du prolétariat pour s’organiser et, de loin en loin, par des actions violentes, pour se libérer de l’oppression, me paraissaient composer une expérience dans laquelle tout comptait, les échecs comme les succès. Je lui prêtais le pouvoir de déchiffrer peu à peu les figures de son aliénation, dont la dernière et la plus secrète lui était offerte par sa propre bureaucratie. C’est ainsi que je me représentais le cheminement de la vérité dans l’Histoire. À présent, je sais que je me trompais. Ces illusions commencèrent à se dissiper en 1958, sitôt accomplie ma rupture avec « Socialisme ou Barbarie » et, désormais, je m’acharnais à les détruire[65].

54Ainsi, dans la Postface de 1971, Lefort écrivait qu’avait principalement manqué à « SouB » une analyse des changements qui affectent la nature du travail social (alors qu’il était montré comment la bureaucratie se substituait à la bourgeoisie, « en face d’elle le prolétariat se tenait dans une position inchangée [66] », en dépit de toutes les transformations qui l’affectaient) et une analyse des mécanismes (d’adhésion, de socialisation, de fétichisation, d’identification) qui commandent la répétition voilant servitude et antagonisme et qui constituent les ressorts des autorités : « Or à vouloir ignorer l’efficacité de l’imaginaire, on s’expose seulement, sous les bonnes couleurs de l’optimisme révolutionnaire – soi-même mystificateur et mystifié – à entretenir le jeu de la répétition [67] ».

55*

56Il est difficile de faire le départ – et sans doute la question est-elle partiellement vaine – entre les exigences de pensée qui constituent pour un certain nombre de membres du groupe l’héritage de cette militance et celles qui singularisent la trajectoire de chacun. Si l’on s’arrête, pour conclure, sur le souci de ne pas prédéterminer dans le présent la forme de réalisation d’une société juste à venir, on peut dire qu’il a marqué profondément tant la Théorie critique francfortoise que la pensée d’un Lefort ou d’un Lyotard. En 1970, Horkheimer en fait un élément décisif, distinctif et inchangé de la Théorie critique :

57

[…] Toutefois, nous avions conscience – et c’est là un moment décisif dans la Théorie critique de cette époque, comme dans celle aujourd’hui – nous avions conscience que l’on ne peut déterminer cette société juste à l’avance. On pouvait dire ce qui était mauvais dans la société de l’époque, mais on ne pouvait pas dire ce que serait le bien ; on pouvait seulement travailler à ce que le mal disparaisse finalement[68].

58On sait l’attachement qui sera celui de Lefort à l’interprétation du présent comprise comme attention au réel, à la nature indéterminée de l’événement ce qui exige de ne pas l’inscrire dans le théorie déjà existante [69]. On retrouvera chez Lyotard ce souci constant de « ne pas chercher à conclure ou à résoudre ses expériences [70] ». Revenant à la fin des années quatre-vingt, sur ses analyses de la guerre d’Algérie dans « SouB », Lyotard rappellera ce scrupule qui était déjà le sien de ne pas en anticiper l’issue au moyen d’un scénario marxiste déjà écrit, de ne pas résoudre par avance les contradictions de l’expérience présente. Contradiction il y avait et le groupe se divisait sur le soutien à apporter à la révolution algérienne. D’un côté, comment soutenir le Front de libération nationale, qui contrôlait la lutte des Algériens, quand le groupe se donnait pour tâche de critiquer toutes les organisations qui faisaient obstacle au libre développement des luttes de classes ? De l’autre, comment ne pas soutenir un mouvement de libération ?

59

Plongé dans cette incertitude, le jeune militant en vient à penser que la libération de l’Algérie n’est pas et ne peut pas être la résolution des contradictions du pays. Qu’elle ne fera que transférer, ou différer, ces contradictions dans d’autres formes. Et que la contradiction dans laquelle il se trouve lui-même est l’une de ces formes.
Il est illusoire de donner un sens à un événement, d’imaginer un sens pour un événement, en anticipant son sens au moyen d’un pré-texte. Il n’est pas possible d’éviter cette sorte d’anticipation, elle offre trop de sauvegarde contre les appels, les « touches », qui nous viennent du « grand X ». mais, hélas ! aucune prédétermination n’exempte le penser de la responsabilité d’avoir à donner, cas par cas, une réponse à un cas[71].

Notes

  • [1]
    Miguel Abensour, La Communauté politique des « tous uns », Entretien avec Michel Énaudeau, Paris, Éditions des Belles Lettres, 2014, p. 32.
  • [2]
    L’entretien est publié aujourd’hui p. 358-373 in Herbert Marcuse, Sommes-nous déjà des hommes ? Théorie critique et émancipation. Textes et interventions, 1941-1979, QS ? Éditions, 2018, Archives du futur, Fabien Ollier (éd.).
  • [3]
    M. Abensour, La Communauté politique des « tous uns », op. cit., p. 55. Voir en particulier dans la Condition postmoderne.
  • [4]
    Voir Danilo Scholz, « Tout seul dans le pays de l’heideggérianisme. Adorno conférencier au Collège de France », in Giuseppe Bianco et Frédéric Fruteau de Laclos (éds.), L’Angle mort des années cinquante. Philosophie et sciences humaines en France, Paris, Publications de la Sorbonne, « La philosophie à l’œuvre », 2016, p. 126. Et Thomas Franck, « L’adornisme français des années cinquante », in Cahiers du GRM [En ligne], 12 | 2017, mis en ligne le 31 décembre 2017, consulté le 28 mai 2019. URL : http://journals.openedition.org/grm/955 ; DOI : 10.4000/grm.955.
  • [5]
    Voir Miguel Abensour, « Malheureux comme Adorno en France ? », in Variations, n° 6 (La Théorie critique. Héritages hérétiques), Lyon, Éditions Parangon/Vs, 2005.
  • [6]
    Qui a rencontré Adorno aux États-Unis. Il aurait auparavant participé en 1939 à la revue de l’Institut.
  • [7]
    M. Abensour, La Communauté politique des « tous uns », op. cit., p. 31-32.
  • [8]
    Dans le fonds Lyotard de la bibliothèque Jacques Doucet, dans les « Dossiers de travail » qui contiennent en particulier les notes réunies pendant les études de philosophie, se trouvent un dossier « Adorno » (JFL 450) de 46 feuillets contenant des notes de lecture sur des textes d’Adorno ainsi que sur le livre de M. Jimenez de 1973, et un dossier « Ernst Bloch » (JFL 452) de 28 feuillets.
  • [9]
    Voir note 8.
  • [10]
    Jean-François Lyotard, Le Postmoderne expliqué aux enfants, Paris, Éditions Galilée, 1986, p. 16.
  • [11]
    Jean-François Lyotard, Tombeau de l’intellectuel et autres papiers, Paris, Éditions Galilée, Coll. « Débats », 1984, p. 85.
  • [12]
    J.-F. Lyotard, Le Postmoderne expliqué aux enfants, op. cit., p. 96.
  • [13]
    Entretien paru p. 1-30 in L’Anti-mythes n° 14, 1975, p. 11, repris in Le Temps présent, Éditions Belin, 2007, p. 223-260.
  • [14]
    Claude Lefort, « Mort de l’immortalité ? » (1982), p. 330-364, in Essais sur le politique, Paris, Éditions du Seuil, Coll. « Points essais », 1986, p. 336-340.
  • [15]
    Jean-Marc Ferry, « Théorie critique et critique du totalitarisme », p. 79-102, in Revue française de science politique, 1984, n° 34-1, p. 94-96 sq.
  • [16]
    Max Horkheimer, « La philosophie de la concentration absolue », p. 313-326, in Théorie Critique, Éditions Payot, Coll. « Critique de la politique », 1978, p. 322.
  • [17]
    Miguel Abensour, « Pour une philosophie politique critique ? », p. 207-258, in Tumultes, 2001/2002, n° 17-18, p. 234 : https://www.cairn.info/revue-tumultes-2001-2-page-207.htm Voir aussi Katia Genel, « Hannah Arendt et l’École de Francfort. Deux critiques de la modernité », Groupe d’études « La philosophie au sens large », https://philolarge.hypotheses.org/files/2017/09/11-01-2006_genel.pdf.
  • [18]
    Socialisme ou barbarie, n° 36, avril-juin 1964, p. 82.
  • [19]
    Le groupe « Informations et correspondances ouvrières » issu de la première scission en 1958 d’une vingtaine de militants de « Socialisme ou Barbarie » (scission à épisodes dont l’origine remonte à 1951), groupe formé autour de Claude Lefort et Henri Simon, fait d’abord paraître un bulletin intitulé ILO (Informations et Liaisons Ouvrières) jusqu’en 1960 puis ICO, entre 1960 et 1973, date de l’autodissolution du groupe.
  • [20]
    Le texte, traduit sous le titre « Sommes-nous déjà des hommes ? » de 1966 est maintenant accessible in Herbert Marcuse, Sommes-nous déjà des hommes ? Théorie critique et émancipation. Textes et interventions, 1941-1979, QS ? Éditions, 2018, Archives du futur, Fabien Ollier (éd.).
  • [21]
    Informations Correspondances Ouvrières, n° 52, p. 19.
  • [22]
    Informations Correspondances Ouvrières, n° 53, p. 24.
  • [23]
    Entretien avec Cornelius Castoriadis, APL Basse Normandie, 26 Janvier 1974. http://archivesautonomies.org/spip.php?article446.
  • [24]
    Ibid.
  • [25]
    Claude Lefort, « Préface » (1979), p. 7-28, in Éléments d’une critique de la bureaucratie, Éditions Gallimard, Coll. « Tel », 1979, p. 9.
  • [26]
    À partir d’un travail sur les liens d’Adorno avec des penseurs gravitant autour d’Arguments et des institutions préparant ses conférences parisiennes, Thomas Franck entend montrer l’existence d’une attention soutenue envers son œuvre et nuancer l’idée d’Abensour d’un retentissement minime de la présence du philosophe francfortois en France : Thomas Franck, « L’Adornisme français des années cinquante », op. cit.
  • [27]
    Entretien avec Cornelius Castoriadis, APL Basse Normandie, 26 Janvier 1974, op. cit.
  • [28]
    Ibid.
  • [29]
    Archives Lyotard : JFL 394 (conférence au Collège philosophique de mars 1961).
  • [30]
    « “Socialisme ou barbarie” à l’étranger », p. 82-83, in Socialisme ou barbarie, n° 15-16, octobre-décembre 1954.
  • [31]
    Claude Lefort, « Préface » (1979), p. 7-28, in Éléments d’une critique de la bureaucratie, Éditions Gallimard, Coll. « Tel », 1979, p. 8.
  • [32]
    C. Lefort, « Le nouveau et l’attrait de la répétition », p. 355-371, Postface rédigée en juillet 1970 pour Éléments d’une critique de la bureaucratie, op. cit., p. 355-356.
  • [33]
    Katia Genel, « Hannah Arendt et l’École de Francfort, Deux critiques de la modernité », p. 1 : https://philolarge.hypotheses.org/files/2017/09/11-01-2006_genel.pdf.
  • [34]
    Voir Katia Genel, « L’approche sociopsychologique de Horkheimer, entre Fromm et Adorno », in Astérion [En ligne], 7 | 2010, mis en ligne le 31 août 2010, consulté le 26 juin 2019. URL : http://journals.openedition.org/asterion/1611 ; DOI : 10.4000/asterion.1611.
  • [35]
    J.-M. Ferry (op. cit., p. 81-82) souligne, par exemple, que la triple affirmation dont semble porteur le texte d’Horkheimer de 1970 « La Théorie critique d’hier et d’aujourd’hui » (il ne s’agit plus de militer pour la révolution ; la vision politique du socialisme par Marx est à remettre en question ; il faut préserver certaines valeurs du libéralisme) ne constitue pas pour celui-ci une rupture de l’unité de la Théorie critique. Ce qui peut constituer de l’extérieur un tournant ne possède donc pas pour lui une signification si tranchée.
  • [36]
    Miguel Abensour, « La théorie critique : une pensée de l’exil ? », p. 179-200, in Archives de philosophie, n° 45, 1982.
  • [37]
    « “Socialisme ou barbarie” à l’étranger », op. cit., p. 82.
  • [38]
    C. Lefort, « Préface », in Éléments d’une critique de la bureaucratie, op. cit., p. 9.
  • [39]
    C. Lefort, « Postface », in Éléments d’une critique de la bureaucratie, op. cit., p. 360-361.
  • [40]
    Jean-François Lyotard, Condition postmoderne, Paris, Éditions de Minuit, Coll. « Critique », 1979, p. 60.
  • [41]
    Ibid., p. 62.
  • [42]
    Ibid., p. 28.
  • [43]
    Pierre Souyri, Révolution et contre-révolution en Chine. Des origines à 1949, Paris, Éditions Christian Bourgois, 1982 (rééd.), p. 45.
  • [44]
    Max Horkheimer, Théorie traditionnelle et théorie critique, Paris, Éditions Gallimard, 1974, p. 10.
  • [45]
    Cornelius Castoriadis, « Marxisme et théorie révolutionnaire », p. 13-248, in L’Institution imaginaire de la société, Paris, Éditions du Seuil, Coll. « Points Essais », 1975, p. 17. Le texte fut d’abord publié dans SouB entre avril 1964 et juin 1965, dans les n° 36 à 40.
  • [46]
    L’analyse de la nature bureaucratique des régimes d’exploitation établis au nom du socialisme a porté sur les bureaucraties des pays de l’Est et la bureaucratie russe (dans des articles de la revue comme « Les rapports de production en Russie », « Le stalinisme en Allemagne orientale », « La bureaucratie yougoslave », « Le totalitarisme sans Staline » ou « La Révolution en Pologne et en Hongrie ») mais aussi sur le devenir potentiellement bureaucratique de la révolution algérienne (par exemple : « Le contenu social de la lutte algérienne » (décembre 1959-février 1960), et sur le caractère prétendument socialiste de la révolution chinoise. On peut citer en exemple la dernière phrase du livre de Souyri : « Sous quelque aspect qu’on l’examine, rien ne ressemblait moins à une révolution ouvrière et paysanne que cette révolution qui, cent ans après le Manifeste Communiste, venait au monde en ouvrant ses bras aux despotes de l’ancien régime, et en déclarant aux ouvriers et aux paysans que leur propre émancipation n’était pas leur affaire » (Révolution et contre-révolution en Chine, op. cit., p. 441).
  • [47]
    M. Abensour, La Communauté politique des « tous uns », Entretien avec Michel Énaudeau, op. cit., p. 35.
  • [48]
    Article « “Socialisme ou barbarie” », in Socialisme ou barbarie, n° 1, mars-avril 1949, p. 28.
  • [49]
    Max Horkheimer & Theodor Adorno, Dialectique de la raison. Fragments philosophiques, Paris, Éditions Gallimard, Coll. « Tel », 1983, p. 59.
  • [50]
    M. Abensour, La Communauté politique des « tous uns », op. cit., p. 34.
  • [51]
    Ibid., p. 35.
  • [52]
    Jean-Marc Durand-Gasselin, « La philosophie sociale et ses ressources. Réflexions sur quelques styles et figures comparés », p. 34-57, in Cahiers philosophiques, n° 132, 2013, p. 36. Celui-ci en fait l’un des traits caractéristiques du travail intellectuel de la philosophie sociale.
  • [53]
    M. Horkheimer, « La théorie critique hier et aujourd’hui », p. 353-369, in Théorie critique, op. cit., p. 359.
  • [54]
    Theodor Adorno, Modèles critiques, Éditions Payot, 2003, p. 236-237.
  • [55]
    M. Abensour, « La Théorie critique : une pensée de l’exil ? », op. cit., p. 182.
  • [56]
    Cornelius Castoriadis, « Comment lutter ? » (in SouB, n° 23, janvier 1958) repris p. 409-444, in L’Expérience du mouvement ouvrier. « Socialisme ou barbarie », Paris, Éditions 10/18, 1974, p. 410.
  • [57]
    Jean-François Lyotard, « Mise à nue des contradictions algériennes », in SouB 24 mai-juin 1958, repris in La Guerre des Algériens, Écrits 1956-1963, Paris, Éditions Galilée, Coll. « Débats », 1989, p. 98.
  • [58]
    Lettre de Souyri à Lyotard de janvier 1960, citée par Lyotard dans « Mémorial pour un marxiste : à Pierre Souyri », p. 89-134, in Pérégrinations, Paris, Éditions Galilée, Coll. « Débats », 1990, p. 109-110.
  • [59]
    Socialisme ou Barbarie. Anthologie, Éditions Acratie, 2007, p. 11.
  • [60]
    Henri Simon, « De la scission avec “Socialisme ou Barbarie” à la rupture avec I.C.O. », in L’Anti-Mythes, n° 6 : « 58, c’est l’irruption brutale des événements, de la réalité dans un petit groupe où toutes les discussions étaient théoriques et où finalement les divergences pouvaient parfaitement cohabiter sans provoquer de clash, parce que finalement ça n’avait pas d’intérêt de se battre à ce propos… Ça restait des discussions théoriques, purement académiques. À partir du moment où c’est devenu une discussion concrète, les choses se sont exacerbées, des deux côtés d’ailleurs ».
  • [61]
    Voir la critique par Lyotard de la notion de créativité chez Castoridis et ce qui la distingue des « impulsions » de « SouB » dans le champ politique in Économie libidinale, Paris, Éditions de Minuit, Coll. « Critique », 1974, p. 142 sq.
  • [62]
    Marcuse, Entretien « Socialisme ou Barbarie », p. 358-373 in Herbert Marcuse, Sommes-nous déjà des hommes ? Théorie critique et émancipation, op. cit., p. 371.
  • [63]
    Idem.
  • [64]
    Miguel Abensour, « La théorie critique : une pensée de l’exil ? », p. 179-200, in Archives de philosophie, n° 45, 1982, p. 183.
  • [65]
    C. Lefort, « Préface », in Éléments d’une critique de la bureaucratie, op. cit., p. 9.
  • [66]
    C. Lefort, « Postface », in Éléments d’une critique de la bureaucratie, op. cit., p. 364.
  • [67]
    Ibid., p. 371.
  • [68]
    M. Horkheimer, Théorie critique, op. cit., p. 357-358.
  • [69]
    Voir dans ce dossier le texte de Yaël Gambatotto, « La philosophie comme interprétation du présent : Claude Lefort et les années “Socialisme ou barbarie” ».
  • [70]
    Jean-François Lyotard, « Touches », p. 37-57, in Pérégrinations, Paris, Éditions Galilée, Coll. « Débats », 1990, p. 54.
  • [71]
    Ibid., p. 56-57.