« Décoloniser » la Théorie critique ? Une hypothèse de travail sur Adorno et la decolonialidad

1 – Introduction : les « frontières » de la Théorie critique

1 Au début des années quatre-vingt-dix, Edward Said souligne que chez ses auteurs de prédilection tel qu’Adorno – et c’est le cas pour la première génération de la Théorie critique – les « hiérarchies et préférences ethniques » données ne sont pas remises en question. Le motif principal serait une sorte d’« humanisme bourgeois européen », selon lequel, « en un sens, […] [la] culture [européenne] était la seule » et « les menaces qui pesaient sur elle venaient en grande parti de l’intérieur [1] ». Cette posture soulève la question de l’« ethnocentrisme » de la Théorie critique : pour le dépasser, les apports théoriques d’Adorno et d’autres auteurs doivent être « complétés ». Alors que le débat plus récent autour du programme d’une « décolonisation de la théorie critique » se concentre sur les « révisions » effectuées par les auteurs de la deuxième génération (Habermas) et de la troisième génération (Honneth) afin de retrouver les traces d’un « métarécit impérialiste [2] », la théorie de la « décolonialité » constitue également une clé majeure pour reconsidérer les premières théories de l’École de Francfort, telles qu’elles ont été élaborées par Horkheimer et Adorno. On peut se demander s’il ne faut pas déjà déceler chez ces dernières une sous-estimation significative de la matrice coloniale des relations de pouvoir et de domination de la modernité. Il en résulterait non seulement un déficit de réflexivité de la critique, mais aussi, lorsqu’on observe les processus de décolonisation, l’adoption d’une perspective majoritairement conservatrice : le « pro-colonialisme de Horkheimer » et l’« universalisme impérial » d’Adorno ont été évoqués à cet égard [3]. Dès lors, il est nécessaire d’identifier, dans le domaine de la Théorie critique, les moments où elle s’expose à la confrontation avec la théorie décoloniale, et d’examiner les liens conceptuels qui la mènent vers sa nouvelle « vérification [4] » et concrétisation, précisément sur le terrain révélé par la décolonialité.

2Ego conquiro, extermino, cogito : pour la critique de la « colonialité »

2 Au cours des dernières décennies et encore largement aujourd’hui, des événements sociohistoriques d’une grande complexité à l’échelle mondiale expliquent non seulement l’émergence de la notion de « décolonisation », mais aussi les évolutions sémantiques de ce terme [5]. La focale s’est progressivement déplacée du niveau politique au niveau économique et enfin au niveau culturel, il s’en est suivi un glissement sémantique significatif, passant de la périphérie à la métropole, du tiers monde au premier monde. On constate un double phénomène : plus la question de la libération culturelle va, du côté des subjectivités colonisées, jusqu’à remettre en cause la matrice coloniale de l’épistème moderne, et jusqu’à susciter des revendications de « décentralisation » et de « provincialisation [6] » de la culture européenne et eurocentrée, plus il devient urgent dans les recherches et les expériences de pensée qui portent sur la libération de la domination de mesurer la portée réelle de la conquête coloniale, de problématiser ses effets sur la complexité des savoirs et sur les liens entre savoir et pouvoir.

3 L’approche de la décolonialité, telle qu’elle a été élaborée par Dussel, Quijano, Mignolo, Castro-Gomez, Lugones, Maldonado Torres et Grosfoguel, à l’intersection des études académiques et des pratiques sociales d’émancipation, émerge, selon une formulation assez schématique, de la convergence des développements de la philosophie de la libération et de la pensée latino-américaine, grâce aux apports originaux de la « théorie de la dépendance » (Wallerstein, Amin). Cette convergence de pensée s’est déployée au lendemain de la fin de la guerre froide, face à l’émergence de la mondialisation néolibérale, comme une remise en question critique et une réponse aux conséquences problématiques de la modernisation en Amérique latine [7]. Cette situation s’accompagne en parallèle de la renaissance d’un courant d’intellectuels de grande envergure pour les mouvements anticoloniaux, à l’instar de Fanon, Césaire et Du Bois [8]. La notion de « colonialité », introduite par Quijano dans son article « Colonialidad y modernidad/racionalidad » de 1992, peut être considérée comme le moment fondateur de la pensée dite « décoloniale ». La même année, les conférences de Francfort données par Dussel ont été publiées sous le titre 1492 : El encubrimiento del otro. El origen del mito de la modernidad[9]. Le concept de « colonialité » désigne l’“actualité” du colonialisme : la « structure de pouvoir » (estructura de poder[10]) mise en place à partir de la conquête de ce qu’on appelle « l’Amérique latine » par les Européens constitue, cinq cents ans plus tard, alors que l’ordre colonial explicitement politique a été renversé, le cadre dans lequel se reproduisent encore les rapports de classe et les relations entre États, et, en dernier lieu, « le mode de domination le plus général du monde contemporain [11] ». Au cœur de cette « colonialité du pouvoir » se trouve une classification sociale eurocentrique de la population mondiale, selon des critères « raciaux » : l’invention de nouvelles identités sociales – d’abord les « Blancs », les « Indiens », les « Noirs », les « Jaunes », puis les « Européens », les « Américains », les « Asiatiques » – comme critères de division et de distribution du travail au sein du système capitaliste mondial – initialement, entre les salariés, les paysans et les commerçants indépendants, les serfs et les esclaves. Malgré les changements liés à l’impact des luttes contre le colonialisme et des nouvelles exigences du capitalisme, cette classification est toujours d’actualité pour définir « les grandes lignes de l’exploitation et de la domination sociale à l’échelle mondiale [12] ». Elle rend notamment compte de la mise en place des sociétés « racialisées [13] » d’aujourd’hui et renvoie à la figure de la « super-exploitation [14] », dont elle aide à comprendre les formes actuelles.

4 Déjà dans l’essai de Quijano, la notion de « colonialité culturelle » fait allusion, en premier lieu, à la répression de l’ensemble des croyances, de l’imagerie, de l’univers symbolique et des modes de connaissance des populations indigènes mis en œuvre par les conquérants – ce qui n’excluait pas l’appropriation d’éléments de connaissance économiquement utiles – et à leur remplacement par des modèles européens, rendus accessibles de manière sélective. Il s’agit d’une « colonisation de l’imaginaire des dominés [15] » visant à garantir le contrôle social et elle a eu lieu dans toutes les régions touchées par le processus colonial – Amérique, Asie, Afrique – avec des niveaux d’incidence différents selon les modes de pénétration des Occidentaux. On peut ici formuler la thèse que le processus colonial lui-même, pour être plus précis, « la colonialité du pouvoir » s’installe, avec le rapport social capitaliste émergeant, dans la dimension constitutive du paradigme moderne de la rationalité – le binôme « rationalité/modernité [16] ». C’est l’idée que le pouvoir colonial peut avoir un impact d’autant plus profond qu’il devient un savoir colonial, à l’œuvre non seulement dans le développement de « dispositifs » particuliers de subjugation et d’exploitation, mais, comme moment d’articulation de la raison elle-même. En ce sens, le paradigme européen de la connaissance rationnelle, et de surcroît la théorie et la pratique de la production de connaissances, ont été élaborés « non seulement dans leur contexte, mais dans le cadre d’une structure de pouvoir impliquant la domination européenne sur le reste du monde », et comme une « expression [17] » de cette structure. Mignolo présente le colonialisme comme la « matrice coloniale du pouvoir [18] » propre à la modernité : une structure qui persiste, bien que réglée par des processus d’assujettissement politique, et qui est entièrement productive des rapports et des effets de la réalité coloniale, même lorsque celle-ci a pris fin ou a subi de profondes transformations.

5 La réflexion sur la colonialidad prend deux directions principales. La première est celle du lien entre colonialité et capitalisme. À partir du xvie siècle, la conjonction puis l’association de plus en plus concomitante entre la conquête coloniale et l’essor du capitalisme établit un « schéma de pouvoir » à l’échelle mondiale qui fixe l’identité du moderne et reste actuellement hégémonique. C’est le processus culminant dans la « mondialisation en cours [19] ». Patrón de poder : la notion doit compléter la notion marxiste de « mode de production », en accentuant sa dimension politique autoritaire, dans le sens d’un lien qui unit la domination du capital et la colonialité du pouvoir, l’État-nation et l’eurocentrisme [20]. En résumé, si la relation sociale capitaliste préexiste à la conquête, le capitalisme en tant que système mondial de contrôle du travail (et des ressources) s’est affirmé en même temps que la « constitution de l’Amérique ». Son expansion mondiale, sa morphologie, ses modes de conservation et de reproduction coïncident avec l’imposition d’un nouveau système de hiérarchies anthropologiques et ontologiques, qui intègre et restructure les précédentes. L’axe autour duquel il s’articule est constitué par la « race » en tant que « catégorie mentale », un complexe de pratiques opérant aussi bien dans le sens de la classification de la population et de la division du travail que comme une fonction de « naturalisation des relations de domination coloniale entre Européens et non-Européens [21] ». Il en résulte une répartition des formes de travail à l’échelle mondiale sur une base géopolitique, voire raciale.

6 Tandis que le travail coercitif est attribué, ou plutôt imposé, aux « races colonisées », à commencer par les Indiens et les Noirs réduits en esclavage, le travail salarié devient le privilège des « Blancs » – ce qui explique encore les différences importantes de salaires et plus largement des conditions de travail entre les régions du globe et au sein des mêmes centres du capitalisme [22].

7 C’est ainsi qu’apparait la notion reprise plus tard par d’autres auteurs – d’une « accumulation coloniale originelle [23] ». Cette notion vient également croiser d’autres tentatives de concrétiser l’« actualité » de l’accumulation primitive (ursprüngliche Akkumulation), liées aux théories et pratiques féministes, qui se développent en parallèle [24]. À son tour, la théorie de la décolonialité alimente les instances d’une historicisation radicale du genre. Dans la lecture proposée par Maria Lugones, la conquête et la colonisation établissent le genre comme une catégorie coloniale, c’est-à-dire comme un schéma pour l’organisation des relations de production et de propriété, ainsi que pour l’articulation des connaissances et des visions du monde : « Au moment où, en vertu de la colonisation, le capitalisme eurocentrique se constitue, des différences de genre sont introduites là où il n’y en avait pas [25] » – un champ d’une importance capitale s’ouvre ici, celui d’une convergence de la réflexion décoloniale avec des expériences théoriques et des pratiques d’émancipation, comme le féminisme noir et la théorie de l’« intersectionnalité [26] ».

8 L’autre direction suivie par l’approche décoloniale est celle d’une réécriture drastique de la « modernité » au plan épistémologique et philosophique, au regard du lien entre raison et colonialité. C’est l’idée d’une connaissance centrée sur l’opposition sujet-objet, où le « sujet », individuel et en même temps universel, est supposé se constituer lui-même selon le modèle du cogito cartésien ; un simple « objet » est ce qui se présente au sujet comme séparé et opposé, fixé dans son identité par certaines propriétés et, en vertu de celles-ci, également opposé à d’autres objets [27]. Or, si l’objet est inessentiel au sujet, ce dernier constitue le siège de la vérité de l’objet, le lieu où l’objet est défini comme tel : il existe une différence ontologique entre les deux termes qui rend leur relation aussi bien extérieure qu’asymétrique. Sur un plan plus concret, l’opposition sujet-objet est déterminée dans celle de la « raison » et de la « nature ». Dans tous les cas, elle doit sanctionner l’absence de l’« autre » : irréductible aux termes du rapport de domination, dès le départ au-delà de l’intronisation de celui-ci, l’autre définit celui sur lequel le rapport lui-même s’établit et s’exerce – l’opprimé. C’est précisément « l’absence radicale de l’autre [28] » : le fait même de l’absence de l’autre ou de sa présence seulement par objectivation, suggère qu’à l’origine d’un tel individualisme/universalisme de la raison, il n’y a pas seulement le processus d’émancipation du bourgeois des contraintes féodales, mais la pratique coloniale elle-même. Cela signifie que l’identité européenne se constitue autour d’une notion de rationalité dont elle détient le monopole, et qui traduit en termes épistémiques la pratique de l’assujettissement colonial, dans la mesure où elle réduit l’autre à un simple « objet », devant lequel elle se tient en tant que sujet souverain. Ainsi, les cultures non-européennes ne sont-elles pas seulement privées de toute « subjectivité », elles sont considérées comme des « objets de connaissance et de domination [29] », dans un cadre qui les situe comme inférieures par nature à la culture européenne, et qui rend en même temps la domination invisible.

9 C’est le nœud théorique mis en lumière par Dussel dans les « Frankfurt Lectures » de 1992. « L’ego moderne fait son apparition dans la confrontation avec le non-ego[30] ». L’émergence comme conscience et intellect du sujet, au sens moderne du terme, se fait par autoconstitution et en contrepoint relativement aux régions, peuples et territoires nouveaux qu’il domine en même temps qu’il les réduit à la seule « matière ». Cette « auto-constitution » est un acte à proprement parler de puissance en tant qu’elle est une prise de possession du « non-ego ». Si la « découverte » des Amériques porte déjà le caractère de la réduction de l’« autre » à une partie du « même » – donc, en vérité, de la « dissimulation » de l’« autre » –, c’est autour des pratiques de conquête que s’accomplit la première figure de la subjectivité moderne/occidentale, comme « subjectivité du conquistador[31] ». Ainsi tout le processus peut-il être stabilisé sur le plan conceptuel, purgé de la violence dont il est issu dans une sorte de transfiguration, de la différence et de l’opposition du cogito et du cogitatum : « l’ego-conquistador marque la proto-histoire de la constitution de l’ego cogito[32] ». Sur cette base, Grosfoguel a dévoilé qu’à l’origine de l’autotransfiguration du sujet moderne, le nivellement extrême des formes de vie des peuples indigènes est pratiqué à la manière d’un « génocide ». C’est ce qui vient précisément instaurer la « logique du racisme/sexisme épistémique », cette annihilation du savoir des opprimés qui lie le prétendu caractère absolu et neutre de l’épistème au double monopole européen/occidental et masculin : « l’ego extermino est la condition socio-historique structurelle qui rend possible la connexion de l’ego conquiro avec l’ego cogito[33] ».

10 En vertu d’une « délocalisation » qui est en même temps un nivellement de l’histoire, le discours scientifique moderne s’auto-détermine dans le sens d’un « non-lieu » particulier, le « point zéro » : « une plate-forme d’observation neutre », telle qu’elle « ne peut être observée depuis aucun autre point ». C’est « un point de vue sur lequel aucun point de vue n’est donné » : dans la mesure où il se soustrait à l’observation et à la représentation, il est assuré d’un « regard souverain sur le monde » – il détient le monopole du regard et avec lui de la connaissance « éclairée [34] ». Or, précisément dans la mesure où elle revendique cette non-localisation, l’épistémè moderne – en particulier dans le cadre des sciences humaines – révèle une relation précise avec l’expansion européenne à l’échelle mondiale, en tant que discours « produit au sein d’une structure impériale de production et de distribution du savoir » – « discours colonialiste ». Ce dernier « a en fait un emplacement spécifique sur la carte de la société coloniale et sert de stratégie de contrôle sur les populations subalternes ». D’où également la nécessité d’une auto-localisation – qui est aussi une revendication de la matrice locale de ses propres expériences –, à partir de laquelle la réflexion décoloniale se déplace à chaque fois [35].

3 – Pour une Urgeschichte coloniale du sujet : un programme de travail

11 Les apports de la décolonialité remettent en question des lieux pertinents de la théorie critique, en montrant les « frontières » qui constituent les réflexions de l’École de Francfort. La lecture « décoloniale » consiste alors à mettre en exergue certains éléments problématiques de la Théorie critique. Au cœur de la dialectique de la raison développée par l’École de Francfort se trouve l’émergence du sujet par la Naturbeherrschung, qu’il faut entendre à proprement parler comme la constitution de la « nature », « interne » et « externe », comme un simple objet, le nivellement des substrats de l’expérience et des liens de vie au « matériel ». Or, dans un premier temps, l’approche décoloniale pose à nouveau la question de la lecture de La dialectique de la raison, et notamment du parcours qui culmine avec la « Digression » sur Ulysse [36]. Dans la perspective de Horkheimer et d’Adorno – et sur la base d’une « affinité » partagée par les deux camps de la lutte, tant par les « Illuministes » à la Murrey, que par les « Archaïques » comme Borchardt et Klages [37] –, en revenant à Homère et à son Aufklärung, le monde bourgeois en ruine renouerait avec les débuts de la société marchande grecque : la modernité atteignant sa maturité projetterait l’antagonisme qui la tiraille dans une dimension « historico-universelle », attirant l’ancien dans sa propre sphère de gravitation et prolongeant ainsi la bataille dans le passé. Ici, à partir du sédiment protohistorique offert par les mythes et les sagas, les tensions les plus récentes évoqueraient la blessure archaïque : l’événement inaugural du « cri de terreur [38] » qui se fixe dans le nom de « mana » et qui culmine dans le sacrifice de soi en portant l’individuation à son terme. Cette singulière « interaction de la préhistoire et de l’histoire [39] » se sédimenterait dans l’histoire de l’individu et permettrait d’expliquer son anéantissement plus récent. Dans ce contexte, la confrontation avec la question décoloniale impose d’identifier les deux trajectoires qui se déploient dans le texte des auteurs de l’École de Francfort et d’envisager autrement l’équilibre entre elles. La première, dans laquelle prévaut le registre psychanalytique, consiste en une « préhistoire (Urgeschichte) de la subjectivité [40] », qui dévoile l’« histoire de la civilisation » comme l’« histoire de l’introversion du sacrifice », c’est-à-dire de la « transformation du sacrifice en subjectivité [41] ». L’accent est mis ici sur les pratiques d’automutilation d’où émerge le sujet orienté vers l’auto-préservation – la répression de la « nature intérieure » en réaction à la terreur éprouvée face à la « nature extérieure ». Au centre de la seconde trajectoire se trouve l’établissement des relations sociales, c’est-à-dire, l’émergence des premières hiérarchies lors du passage à la sédentarité et à la stabilisation de la domination autour de la propriété, comme séparation du travail et commandement sur celui-ci. Avant même d’avoir la possibilité de s’imposer aux rameurs, Ulysse est « le propriétaire foncier qui fait travailler les autres pour lui [42] ». Il a le « regard du maître » (Blick des Herren[43]) : il est le propriétaire qui « dirige de loin » une foule d’innombrables dépendants et serviteurs, à travers lesquels la nature elle-même est réduite à un simple objet [44]. Tel est le noyau de ce « domaine du réel », d’où découle la généralité de la pensée comme « domaine dans la sphère du concept [45] ». La « distance entre le sujet et l’objet » est d’abord établie par le seigneur, par le biais du travail servile, prémisse et prototype d’une large classe de pratiques d’abstraction.

12 Alors que dans l’œuvre de Horkheimer et d’Adorno, le registre psychanalytique de l’anthropogenèse semble être, dans une certaine mesure, superposé au registre sociohistorique [46], il s’agirait désormais d’inverser le rapport entre les deux parcours théoriques. Cela permettrait tout d’abord d’accentuer les points du texte – souvent négligés dans la littérature – où la matrice coloniale et géopolitique de la domination est évoquée. Ce n’est pas un hasard si l’instauration de l’ordre centré sur la « propriété stable » prend les contours de « l’époque de la propriété foncière et des places fortes, où un peuple guerrier de seigneurs (Herrenvolk) établit sa domination sur la masse des autochtones vaincus [47] ». C’est la conquête, comme prémisse de l’ordre fondé sur la propriété foncière et le privilège d’une aristocratie guerrière. De même, dans les péripéties d’Ulysse, se dessine un mouvement qui étend et vient actualiser cet ordre propriétaire, en l’imposant jusqu’aux « marges extrêmes de la Méditerranée civilisée [48] ». Les « aventures » que le héros s’accorde, qui devraient représenter des détours par rapport au retour à la patrie et à la « logique du moi », et qui constituent par conséquent la transposition extérieure d’un événement intérieur [49], marquent déjà ici les trajectoires sur lesquelles se déploie la « maîtrise rationnelle de l’espace [50] », en vertu duquel l’ordre ancien, lié à la possession stable, passe dans le nouvel ordre, acquisitif. Cela permet d’identifier non seulement le caractère « progressif », mais aussi la poussée expansive et assimilatrice de l’Aufklärung. D’une part, la conquête territoriale a été remplacée par l’expansion mercantile, comme condition et mode éminent d’établissement du capitalisme ; d’autre part, la ruse de la tromperie et, finalement, la violence, sont reconnues comme la base de l’échange [51]. Le travail de démythologisation lui-même, lié à cette projection spatiale, revêt un caractère ambigu. C’est pourquoi il plonge finalement dans la terreur : le massacre des prétendants au trône, mais aussi la torture des servantes infidèles, exposent à la fois la persistance d’une vengeance mythique au fond de la loi « éclairée », et l’implication pulsionnelle, faite de ressentiment et de sadisme, de la discipline auto-imposée. Il n’en demeure pas moins que la dialectique de la raison et du mythe reste une dynamique essentiellement interne à l’Occident, et que l’expansion occidentale, c’est-à-dire l’expansion du rapport de domination capitaliste, jusqu’à devenir une totalité non seulement sociale, mais mondiale, n’est pas un sujet abordé en soi dans La dialectique de la raison. Les conquêtes européennes à l’échelle du globe ne sont saisies que comme une expansion du marché et, corrélativement, comme une propagation de l’abstraction, au détriment des anciennes formes d’assujettissement naturel : cette expansion coloniale est donc comprise en termes de « modernisation », et non de conquête stricto-sensu. Enfin, les « autres » mondes touchés par Ulysse apparaissent comme transfigurés par la subjectivité bourgeoise et occidentale naissante, disciplinée et mutilée, qui voit dans ces altérités des figures magico-mythiques de dissolution et de séduction de l’indistinct – et ce n’est pas un accident si la terreur finale explose à la maison [52].

13 D’autre part, confronter les théories de Francfort avec la question de la décolonialité permet de déplacer de manière décisive le centre de gravité de l’argumentation de la répression de la nature interne, autour de laquelle se stabilise le sujet identique, à la répression que ce sujet exerce envers l’autre racialisé – à qui toute subjectivité est déniée et qui est au contraire nivelé, réduit à la nature externe – ; ou, mieux, par une singulière inversion, il s’agirait de saisir non pas la « naissance du sujet » à partir du « cri de terreur » poussé face à la nature extérieure, comme son intériorisation, mais la sédimentation d’une subjectivité spécifiquement moderne autour de pratiques de terreur – d’assujettissement, de colonisation et d’extermination – exercées envers l’autre. À la direction « de l’extérieur » (le cri de terreur) « vers l’intérieur » (le sacrifice du Moi) se superpose la direction opposée, de l’intérieur (le Moi conquérant) vers l’extérieur (la Conquête). Pour résumer, Odysseus sera remplacé par Cortés. Après tout, telle est la révision initiée par Dussel, lorsqu’il assume le conquistador comme la figure prototypique de la subjectivité moderne. C’est le geste du capitalisme aventurier, de pillage explicitement colonial – que Weber tente d’exorciser, en lui superposant la productivité qui émane de la discipline ascétique à la base de l’entreprise bourgeoise [53]. Un nouveau continuum du mythe et de la Aufklärung émerge alors : c’est le capital qui a appris la praxis coloniale des « Chrétiens de la Reconquista », des « rois catholiques devant Grenade [54] », imprégné d’éléments mythico-religieux, et qui procède en alternant entre ruse – « duplicité, hypocrisie et mensonge [55] », d’un côté, et violence, de l’autre. Son ego est le « moi moderne », mû par une immense soif de richesse et de pouvoir, qui se construit autour de la nouvelle « fonction impériale ». Une fois de plus, la conquête est sanctionnée par le « regard du maître » qui apparaît, ici, dans une nouvelle figure, dans l’acte par lequel Cortés s’élève au-dessus de l’ancien seigneur des Aztèques : si, devant Montecuhzuma, tout le monde baissait le regard, maintenant « le moi conquérant le regardait directement, avec liberté [56] ». Peu après, l’extermination inaugure la nouvelle ère « éclairée ».

14 Il n’est pas possible de s’attarder ici sur la mesure dans laquelle des lieux significatifs de la Théorie critique font partie des sources de la reconstruction opérée par Dussel. Cependant, les lignes d’une refonte de la préhistoire de la subjectivité sont clairement offertes. Alors que, dans le texte de Horkheimer et Adorno, la conquête et l’expansion coloniale constituent deux étapes dans l’histoire de l’ordre propriétaire, il convient de noter, à la lumière de la confrontation avec la perspective décoloniale – c’est-à-dire à la lumière de l’assujettissement des peuples indigènes de ce qui allait devenir l’« Amérique » et de la traite des peuples africains –, leur continuité et leur coexistence. De même, le lien entre échange et violence, abstraction et domination, compris comme un lien structurel et généalogique, doit parvenir à une nouvelle concrétisation, qui accentue non seulement sa dimension socio-historique, mais aussi sa dimension historique mondiale. Il s’agirait de repenser la relation entre l’accumulation primitive et la manufacture. D’une part, l’expropriation violente et « politique » qui se rassemble dans l’établissement d’un nouveau commandement sur le travail comme pouvoir d’abstraire et d’imposer l’abstraction – de réduire le travail à un « matériau » et à un « objet d’organisation » – est au centre de la réflexion de Marx et de l’École de Francfort. D’autre part, une autre histoire de l’abstraction s’ouvrirait, dans laquelle la conquête resterait actuelle, en donnant au capitalisme un véritable caractère de « multivers » – dans un sens différemment accentué par rapport au thème de Ernst Bloch [57] –, comme composition contemporaine et fonctionnelle de la marchandise et de la coercition directe. Il s’agirait de saisir comment la notion de race se construit et se révèle efficace comme vecteur d’assujettissement et d’exploitation outre-Atlantique, à l’aube de la modernité, avant l’histoire européenne plus récente. Il ne faut pas seulement reconnaître dans la domination « totale » une figure tardive du monde bourgeois en ruine, dans lequel l’oppression ordinaire de la réification passe d’abord à la pratique administrative, puis à l’oppression « extrême » du terrorisme ; il faut plutôt la reconnaître déjà dans les traits génocidaires qu’elle prend au cours du xvie siècle, comme une figure prototypique de ce même monde. Dans une telle perspective, il faudra enfin repenser la protohistoire de l’ego cogito : il conviendra de vérifier dans quelle mesure, dans la prétention absolue de la pensée « identique » – ou du « point zéro » – au fond de l’épistémè moderne, il faut saisir le sédiment, non seulement du pouvoir d’abstraction comme commandement capitaliste sur le travail – l’individu possessif transfiguré en sujet de connaissance –, mais aussi de cette concentration de pouvoir constitutive de la Conquête, et qu’Adorno et Horkheimer saisissent exclusivement comme le caractère de l’État autoritaire.

15 Dans une telle interprétation, la modernité prend le statut d’un complexe de figures, dont les contours et les limites se prêteraient donc à un travail de révision et de reconfiguration critique et généalogique. Cela ouvrirait un nouveau champ de concrétisation à la conscience historique naturelle : une pensée qui est devenue claire sur son propre tissu « naturel », sur sa propre « fragilité », qui se veut donc solidaire avec les opprimés [58], serait appelée à une (auto)localisation plus définie : à assumer l’héritage de la domination, en ouvrant en même temps l’espace pour l’émergence d’autres gestes de libération, de figures qui portent non seulement le caractère de la « grimace » qui a besoin d’un déchiffrage « micro-logique » – un déchiffrage qui interprète le signe de la déformation imprimée par la domination sociale globale dans le phénomène singulier, comme une protestation silencieuse [59] –, mais aussi celui de la « voix » qui crie sa délivrance.

Notes

  • [1]
    E. W. Said, Culture and Imperialism, Londres, Chatto & Windus, 1993, p. 316 ; Culture et impérialisme, traduit de l’anglais par P. Chemla, Paris, Fayard/Le Monde diplomatique, 2000, p. 438. Cf. aussi ibid., p. 292 ; trad. fr., p. 407-408.
  • [2]
    A. Allen, The End of Progress. Decolonizing the Normative Foundations of Critical Theory, New York, Columbia University Press, 2015, p. 4. Cf. Habermas J., Theorie des kommunikativen Handelns, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1981; A. Honneth, Das Recht der Freiheit. Grundriss einer demokratischen Sittlichkeit, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2011.
  • [3]
    Sur la méfiance d’Adorno à l’égard des luttes anticoloniales, cf. D. Losurdo, Il marxismo occidentale. Come nacque, come morì, come può rinascere, Bari/Rome, Laterza, 2017, en particulier le chap. 3, § 7, « Horkheimer dall’anti-autoritarismo al filo-colonialismo », et § 8, « L’universalismo imperiale di Adorno ».
  • [4]
    Sur la centralité de la notion de “vérification” dans la théorie critique, cf. M. Horkheimer, « Sur le problème de la vérité », dans Id., Théorie critique. Essais, présentés par L. Ferry et A. Renault, Paris, Payot, 2009 p. 153-194, ici p. 168 sq.
  • [5]
    Cf. R. F. Betts, Decolonization. A Brief History of the Word, in Beyond Empire and Nation. The Decolonization of African and Asian societies, 1930s-1970s, éd. E. Bogaerts et R. Raben, Leiden, Brill, 2012, p. 23-37.
  • [6]
    D. Chakrabarty, Provincializing Europe. Postcolonial thought and historical difference, Princeton, NJ, Princeton University Press, 2000 ; Provincialiser l’Europe : La pensée postcoloniale et la différence historique, trad. O. Ruchet et N. Vieillescazes, Paris, Éditions Amsterdam, 2009.
  • [7]
    Cf. W. Mignolo, « What does it means to decolonize? », dans C. E. Walsh, W. D. Mignolo, On Decoloniality, Durham/London, Duke University Press, 2018, p. 105-134, ici p. 106 ; cf. aussi G. Ascione, In-attualità dell’opzione decoloniale : assemblaggi, saperi, narrazioni, concetti, in America latina e modernità. L’opzione decoloniale : saggi scelti, Salerno, Arcoiris, 2014, p. 5-44, ici p. 11 sq.
  • [8]
    On peut également se référer aux œuvres de Cyril Lionel Robert James et à toute la tradition radicale noire : cf. J. C. Robinson, Black Marxism : The Making of the Black Radical Tradition, Duke University Press, Durham NC 2000.
  • [9]
    Cf. A. Quijano, « Colonialidad y modernidad/racionalidad », dans Perù indigena, 29/1992, 13, p. 11-20, 1992 ; E. Dussel, El encubrimiento del otro. El origen del mito de la modernidad. Conferencias de Frankfurt 1992, Bogota, Anthropos, 1992.
  • [10]
    A. Quijano, « Colonialidad y modernidad/racionalidad », art. cité, p. 12.
  • [11]
    Ibid, p. 14.
  • [12]
    Ibid., p. 12.
  • [13]
    Cf. R. Grosfoguel, « Los latinos, los migrantes y la descolonización del imperio estadounidense en el siglo xxi », dans Tabula rasa, 2008, n° 9, p. 117-130. Voir également la notion de « capitalisme racial », élaborée par C. J. Robinson, Black Marxism, cit.
  • [14]
    A. Burgio, L’invenzione delle razze. Studi su razzismo e revisionismo storico, Rome, Manifestolibri, 1998, p. 13, 17 sq.
  • [15]
    A. Quijano, « Colonialidad y modernidad/racionalidad », art. cité, p. 12.
  • [16]
    Ibid., p. 14.
  • [17]
    Ibid., p. 16.
  • [18]
    W. D. Mignolo, « What does it means to decolonize ? », art. cité, p. 114.
  • [19]
    A. Quijano, « Colonialidad del poder, eurocentrismo y América Latina », dans E. Lander (dir.), La Colonialidad del saber. Eurocentrismo y ciencias sociales. Perspectivas latinoamericanas, Buenos Aires, Consejo Latinoamericano de Ciencias Sociales, 2000, p. 193-238, ici p. 193.
  • [20]
    Cf. Id., « Colonialidad del poder, globalización y democracia », Lima, décembre 2000, consultable à l’adresse : https://www.rrojasdatabank.info›pfpc›quijan02 ; puis dans Utopías, nuestra bandera : revista de debate político, 2001, 188, p. 97-123.
  • [21]
    Id., « Colonialidad del poder, eurocentrismo y América Latina », art. cité, p. 194 sq.
  • [22]
    Ibid., p. 200.
  • [23]
    F. Coronil, « Naturaleza del poscolonialismo: del eurocentrismo al globocentrismo », dans E. Lander (dir.), La colonialidad del saber, ouvr. cité, p. 83-107, ici p. 89.
  • [24]
    Cf. S. Federici, Caliban and the Witch: Women, The Body and Primitive Accumulation, New York, Autonomedia, 2004. Pour une référence thématique du côté décolonial, cf. aussi R. Grosfoguel, « Racismo/sexismo epistémico, universidades occidentalizadas y los cuatro genocidios/ epistemicidios del largo siglo XVI », dans Tabula rasa, 2013, 19, p. 31-58.
  • [25]
    M. Lugones, « Heterosexualism and the Colonial/Modern Gender System », dans Hipatia, 22/2007, 1, p. 186-209, ici p. 196. Sur l’intersection du genre et de la colonialité comme objet de recherche par des théoriciens latino-américains, cf. F. Casafina, « Modernità, colonialità e genere. Conversazioni a più voci dall’America latina », dans DEP. Deportate, esuli, profughe, 2018, n° 38, p. 55-62.
  • [26]
    Cf. K. Crenshaw, On Intersectionality: Essential Writings, New York, The New Press, 2017 ; O. Oyèwùmí, The Invention of Women. Making an African Sense of Western Gender Discourse, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1997.
  • [27]
    A. Quijano, « Colonialidad y modernidad/racionalidad », art. cité, p. 14.
  • [28]
    Ibid., p. 15.
  • [29]
    Ibid., p. 16.
  • [30]
    E. Dussel, 1492: El encubrimiento del otro, ouvr. cité, p. 36.
  • [31]
    Ibid., p. 42.
  • [32]
    Ibid. p. 47.
  • [33]
    R. Grosfoguel, « Racismo/sexismo … », art. cité, p. 33.
  • [34]
    S. Castro-Gomez, La hybris del punto cero. Ciencia, raza e ilustración en la nueva granada (1750-1816), Bogota, Editorial Pontificia Universidad Javeriana, 2005, p. 18.
  • [35]
    Cf. W. D. Mignolo, « What does it means to decolonize? », art. cité, p. 112, 115. Cf. aussi Id., Local Histories/Global Designes. Coloniality, Subaltern Knowledges and Border Thinking, Princeton, Princenton University Press, 2000.
  • [36]
    M. Horkheimer, Th. W. Adorno, La Dialectique de la Raison. Fragments philosophiques, trad. par É. Kaufholz, Paris, Gallimard, Coll. « TEL», 2013, p. 77 sq.
  • [37]
    Cf. Th. W. Adorno, « Geschichtsphilosophischer Exkurs zur “Odysee” (Frühe Fassung von “Odysseus oder Mythos und Aufklärung”) », dans Frankfurter Adorno Blätter, 5, 1998.
  • [38]
    M. Horkheimer, Th. W. Adorno, La Dialectique de la Raison, ouvr. cité, p. 39.
  • [39]
    Ibid., p. 81.
  • [40]
    Ibid., p. 92.
  • [41]
    Ibid., p. 93 sq. Pour une accentuation unilatérale de ce registre, cf. J. Whitebook, « The “Urgeschichte der Subjektivität” Reconsidered », dans L’Homme et la Société, 2001, vol. 139, p. 125-141.
  • [42]
    M. Horkheimer, Th. W. Adorno, La dialectique de la raison, ouvr. cité, p. 64.
  • [43]
    Ibid., p. 31.
  • [44]
    Ibid., p. 38.
  • [45]
    Ibid. (traduction modifiée).
  • [46]
    En ce sens, le thème de la domination en tant que phénomène social serait imprégné de sa déclinaison en tant que « simple continuation des relations naturelles » (S. Breuer, Kritische Theorie. Schüsselbegriffe, Kontroversen, Grenze, Tübingen, Mohr Siebeck, 2016, p. 69).
  • [47]
    M. Horkheimer, Th. W. Adorno, La dialectique de la raison, ouvr. cité, p. 37.
  • [48]
    Ibid., p. 81 (traduction modifiée).
  • [49]
    J. Whitebook, « The “Urgeschichte der Subjektivität” Reconsidered », art. cité, p. 127.
  • [50]
    M. Horkheimer, Th. W. Adorno, La dialectique de la raison, ouvr. cité, p. 82 (traduction modifiée).
  • [51]
    Ibid., p. 101.
  • [52]
    Pour un commentaire sur la féroce punition infligée par Ulysse aux servantes infidèles, cf. ibid, p. 125-126.
  • [53]
    Voir les lieux initiaux in M. Weber, Die protestantische Ethik und der Geist des Kapitalismus (1904), dans Id., Gesammelte Aufsätze zur Religionssoziologie, 3 voll., Tübingen, Mohr, 1920, t. 1.
  • [54]
    E. Dussel, 1492: El encubrimiento del otro, ouvr. cité, p. 45.
  • [55]
    Ibid.
  • [56]
    Ibid., p. 46.
  • [57]
    Voir R. Bodei, Multiversum : tempo e storia in Ernst Bloch, Naples, Bibliopolis, 1983.
  • [58]
    Th. W. Adorno, Kierkegaard. Konstruktion des Ästhetischen (1933), dans Id., Gesammelte Schriften, édition par R. Tiedemann, t. 2, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1979, p. 172 sq., 181.
  • [59]
    Pour les notions de « grimace » et de « micrologie », voir Id., Soziologische Schriften I (1972), dans Id., Gesammelte Schriften, ouvr. cité, t. 8, p. 55, 322 sq.