D'une valse de la mort avec la vie. Autour de Françoise Proust

1Beaucoup de livres meurent avant d’avoir été écrits, morts d’avoir trop cédé aux injonctions vitales d’une contrainte organique qui les resserre et les étouffe sous le poids d’une écriture entièrement soumise aux exigences de l’ordre, de la mesure, de la cadence réglée des idées qui constituent, il est vrai, la vie d’une thèse. Que de telles thèses soient effectivement menées à terme et trouvent à être publiées, ne change rien à l’affaire. Elles se mortifient du poids des protocoles dont elles se structurent, du soin affairé avec lequel tout ce qui est organique se protège en un ronronnement de conduites prévisionnelles qui affectent jusqu’à l’ordre des chapitres et la succession des masses rédactionnelles. Des livres de ce genre envahissent l’espace littéraire au point d’en étouffer l’espacement, d’en rendre invivable toute diffusion, comme si, dans la vie disciplinée de l’écriture, sommeillait le dépérissement qui clone à l’identique les marches de la pensée et la ritournelle des idées.

2Je ne me tromperai pas de beaucoup en affirmant que le livre déstabilisant de Françoise Proust est issu, en son style, de cette résistance à la conformité vitale de toutes ces forces qui reviennent inlassablement au même, charriées par la vitesse avec laquelle elles tournent dans la même ornière, sous la forme d’une organisation qui ne concède en rien à la morsure de la mort, des organismes qui meurent de cette incapacité à s’exposer aux puissances revitalisantes de la mort. L’éternel retour du même, l’éternel retour au même est, en ce sens, ce qui entraîne l’étouffement de la vie par un souci trop grand de vitalité, de pragmatisme vital. Deleuze n’avait peut-être pas tort d’attribuer à l’éternel retour un caractère sélectif puisque ce qui revient au même ne peut que se crisper sur soi, étouffer dans l’œuf de son identité et cessera de revenir par excès de répétition, tandis que seules reviennent des forces qui prennent le risque de ne pas revenir, le risque de s’affronter à la mort, à une mort plurielle qui ne nous attend pas seulement à la fin, au terme d’un processus, mais qui nous accompagne tout au long du chemin, à l’instar d’une ombre, d’une doublure avec laquelle l’œuvre a autant d’affinité qu’avec la marche pragmatique et calculée de la vie, bien trop prudente ; une mort qui, comme on le comprend bien en lisant la vingt-quatrième lettre de Sénèque à Lucilius, ne nous tombe pas dessus en une fois, puisque « chaque jour nous mourons […] ce jour même que nous vivons, nous le partageons avec la mort ».

3Il y a un incessant retour de la mort qui ne vient pas qu’une fois, à la fin, mais qui ne cesse de revenir à chaque fois, inscrivant, dès lors, au cœur de la vie, un retour qui est promesse de nouveauté. Alors, ce qui revient à la vie, ayant affronté la mort qui l’accompagne, y revient plus ample, traversé de cette ligne de disparition qui se lit dans le morcellement réenchaîné de ces pages que nous a laissées Françoise, des pages que traverse la fêlure de la dispersion qui va les allonger et les prolonger au-delà de la vie, trop resserrée sur l’unité de son organisation statique – une puissante vie inorganique, disait Deleuze, une santé fragile, voilà ce qui ne cesse d’accompagner l’écriture des grands philosophes, découvrant, en leur fragilité, de nouvelles ressources, des voies de passage insoupçonnées que la pensée emprunte, obligée de sauter par-delà les failles et la lézarde mortelle disloquant la chaîne crispée des idées.

4Nous voici donc, sans crier gare, conduit au cœur du dispositif que déploie De la résistance, au cœur d’une stratégie qui épouse les circonvolutions de l’éternel retour, les lignes de vie et les lignes de mort que sa valse fait bifurquer vers l’axe dédoublé d’une répétition à l’identique et d’une répétition par différence et innovation. C’est, assurément, de cette dernière ligne que relève le style du livre, sachant que c’est contre elle et avec elle que se trace l’écriture risquée qui tente de ressaisir la stratégie d’une vie se méfiant autant de la vie que de la mort, comme si l’ennemi se plaçait de part et d’autre de cette frontière qui passe entre ces deux camps, une frontière ténue, idéale, semblable à celle qui sépare deux couleurs dont chacune doit résister à l’autre pour ne pas s’évanouir dans le gris. C’est sur cette limite évanouissante que s’est écrit le livre de Françoise Proust, au bord de l’effacement et de la confusion qui font de lui un essai vivant, un essai tâtonnant, qui se cherche, qui passe par des points de rebroussement pour, soudainement, se lancer en avant, sauter plus loin, depuis ce pas en arrière que la valse avec la mort ne cesse d’imposer à cet essai morcelé.

5Aussi, la composition de ce livre n’est-elle pas la composition de ceux qui se répètent avec une ressemblance que les exigences pratiques de la vie leur imposent, presque à leur insu. Sa composition se noue d’une composition avec la mort, fragmentée jusqu’à l’organisation interne des chapitres, des séquences qui sautent en reculant, qui avancent comme l’ombre, pénétrant, par l’arrière, dans le champ du visible, pour ainsi dire à contretemps, un contretemps, un temps mort durant lequel l’ensemble se rejoue, se renoue pour passer ailleurs, avec l’urgence d’un combat incessant, une guérilla contre tout ce qui favorise le retour du même, tant sur le plan d’une politique intérieure que sur celui de notre histoire dont les forces de révolte et de résistance sont inséparables de la puissance de corporation qui affecte nos corps.

6Il n’y a de « volonté générale », de souveraineté politique que là où chaque corps réussit à extraire de ses particules la souveraineté de l’esprit arrachée à la dispersion des forces qui affectent nos organismes. En ce sens, la métaphore de l’âme dont Platon se sert pour l’articulation de la cité idéale, doit se relire à partir de celle par laquelle il configure le jeu tendu de nos facultés individuelles, au sein d’un attelage qui ne cesse de boiter, un attelage de forces incompossibles dont la cité sera elle-même déchirée, travaillée par des puissances de nivellement et de différenciation, par des lignes de vie et des concessions à la mort qui ne cessent, peut-être, contre ce que Platon avait supposé, de creuser l’espace public d’un espacement qui en desserre le nœud, en inverse les attelages, faisant porter ailleurs le poids de la loi, détournant de ses impératifs fermés le cycle inflexible qui fait revenir, en ordre, les mêmes formes de gouvernement, éternel retour dont le recentrement sur soi mime l’unité vitale de l’organisme, avec sa dégénérescence, sa mort annoncée que Platon, c’est bien connu, entrevoit dans les relâchements de la démocratie.

7La souveraineté politique n’est, en ce sens, qu’une expression de la souveraineté que chaque corps conquiert sur lui-même, une souveraineté qui ne s’exerce pas du seul point de vue de l’organe vivant, de la centralisation qui s’y impose, mais depuis toutes les forces de la mort qui le hantent et l’ouvrent, à revers de ce que Platon devait craindre, sur un éternel retour décentré, sur des déformations créatrices, des innovations politiques risquées. C’est comme si les règles du droit qui agencent nos cités étaient, elles-mêmes, creusées, prises de revers par la puissance que chacun est capable d’exercer sur lui-même, une souveraineté jamais gagnée d’avance, jamais donnée dans sa forme définitive, nécessitant une guérilla avec soi-même dont la politique désignerait un plan d’expression nouveau où les forces du corps pourront se déverser selon des rapports inédits et selon une stratégie surprenante. Mais, dès lors, nous ne sommes déjà plus en territoire platonicien, nous avons irrémédiablement quitté l’orbe de cet art de gouverner que Platon enchaîne à la loi circulaire du retour, un éternel retour au même très différent, évidemment, de l’intuition nietzschéenne.

8L’attelage ailé que Le Phèdre prend pour métaphore de l’âme et dont La République dégage le modèle de la cité idéale, n’a rien d’une multiplicité et est loin de ressembler à la masse des puissances qui nous traversent et nous emportent d’après des flux qui réclament une véritable éthique transcendantale, un traité des passions dont la résistance désigne la ligne d’affrontement. C’est Nietzsche qui découvre la grande politique d’après laquelle la meute des forces qui nous composent, trouve une ligne de résistance viable, une volonté – mais Françoise Proust refuserait ce vocable - traçant la frontière où toutes les puissances touchent à l’équilibre mouvant dont un individu désignera la formule, le coup de dés triomphal. « L’homme libre est […] une société d’individus » ; « l’individu est une société » (V.P. I, p. 248, 268), voilà le grand cri de Nietzsche, dont Foucault redécouvrira l’équilibre instable en définissant le pouvoir comme un ensemble dynamique de rapports de forces. En effet, nous introduisons, en nous-mêmes, des relations de pouvoir innombrables qui sont comme le pli de celles qui contractent la société, tant et si bien qu’à la fin, se constitue, en nous, une pratique sociale intra-psychique qui est le reploiement des formes de pouvoirs propres à la vie sociale extérieure, non sans qu’il y ait, régulièrement, projection de la lutte interne, par laquelle nous nous redressons, sur les luttes que nous engageons à l’extérieur de nous : « … nous ne pouvons plus sentir l’unité du moi, nous nous trouvons toujours parmi une multiplicité d’êtres. Nous nous sommes scindés en plusieurs êtres et nous nous scindons toujours à nouveau. Les instincts sociaux (comme l’intimité, l’envie, la haine) qui supposent une multiplicité, nous ont transformés : nous avons transporté en nous la société, rapetissée à notre mesure » (V.P. I, 255).

9Inversement, le type d’affects qui réussit à prendre le pouvoir dans l’organisation des forces qui nous traversent, ce type de volonté, souvent réactive, n’est pas sans rapport avec la société qu’elle répète et modifie, activement, jusque dans la souffrance du surhomme, celui qui trouve parmi les forces réactives un moyen de les retourner contre elles et de faire triompher par là, des forces actives inévitablement accompagnées de toutes celles qui font cortège et nous happent vers le vide irrespirable de la mort, cette mort qui prend, je crois, le nom d’amor fati, et qui tient l’individu ouvert, le fait revenir à chaque instant sous d’autres configurations politico-pulsionnelles – une ligne de résistance que Françoise Proust dessine à partir de Spinoza, en contournant soigneusement ce frère étrange que désigne Nietzsche, en lequel Spinoza revient comme son ombre, et dont la hauteur de vue politique séjourne, aujourd’hui, dans un étrange silence.

10Tout est donc, déjà avec Platon, une affaire d’attelage qui se comporte comme une machine de guerre, un appareil de capture plus que de clôture, un agencement instable où se lient le cheval blanc avec le cheval gris, chacun marchant sur un rythme à part et dans une direction avec laquelle l’autre va devoir composer son propre galop. La clôture est, par cela même, davantage du côté de la vie, qui se ramasse frileusement sur ses organes et se retranche derrière ses tissus fermés à bloc, que de la mort, toujours en passe de menacer cette fermeture vitale, de la creuser, de l’élargir, de l’évaser vers le dehors, d’introduire des irrégularités dans le cours ordonné de la vie, de sorte qu’il nous faut bien reconnaître que la mort ne s’oppose pas à la vie, qu’elle est la vie prise à revers, une ombre qui l’accompagne et la redouble d’un épaississement la forçant à différer ses dépenses explosives, à biaiser, comme le verra Bergson avec le feu dévorant de la vie.

11A cet égard, l’attelage que négocie la durée du corps, en passant entre la vie et la mort selon un jeu serré, insufflant dans le brûlot des forces vitales la résistance et le délayement refroidissant de la mort, cette lutte ne se limite pas à la stratégie individuelle de nos existences, centrées sur le repli de l’organisme, mais s’engage dans une forme de conduite sociale capable de résister à la force de la règle, au droit envisagé depuis sa force vitale, comme si la mort ne pouvait être déjouée sans que le corps devienne corps politique, une affaire de politique intérieure et extérieure. Voilà pourquoi, en prélevant l’analyse politique sur la dissymétrie d’un attelage éthique, le livre de Françoise Proust ne cesse d’osciller entre la dimension « individuelle » des corps et celle de leur corporation, la dimension des individus et celle de la cité, dans l’activité intempestive qui défait ses organes centralisateurs et les dévie vers un autre ciel, sous un nouveau soleil, non sans traverser des périls et des pathologies inédites.

12La corporation politique des corps met en jeu les forces actives et réactives qui sévissent et qui malmènent le combat de ce que chaque corps subit et agit en lui-même, lui qui est peuplé d’individus innombrables dont Spinoza nous a tant montré qu’il fallait suivre le pouvoir de composition, déclamant qu’il nous est impossible de savoir ce que peut un corps aussi longtemps que nous ignorons la ligne de résistance qui fait sa persévérance. Ce que peut un corps, sa puissance de persévérer dans l’être est un problème de politique intérieure qui passe par une stratégie dont Françoise Proust montre à merveille qu’elle a lieu au niveau des passions les plus passives, sachant qu’un corps sain est celui qui compose, au plus près, avec la puissance de mort qui l’habite, retournant la mort en puissance de vie, la tristesse en joie, l’angoisse en champ de bataille, tout un peuplement dont la corporation dépend d’une valse funèbre autant que d’une marche à la vie, là où la marche à la vie est parfois aussi dangereuse pour la survie que la valse funèbre prometteuse en vie.

13Si la composition des forces, la hiérarchie des facultés qui nous gouverne, n’est, trop souvent, qu’une miniaturisation de la forme de l’État, le pli réactif de tous les rapports de pouvoir qui caractérisent l’esprit d’une époque, il est clair que toute résistance active à ces modes d’assujettissements passe par un nettoyage critique, en nous autant qu’à l’extérieur de nous, selon une manière de lutte, contre la misère de ce présent, que Françoise Proust déploie sous le nom de l’intempestivité. La véritable critique de soi et du monde, la possibilité de renverser le jeu de nos facultés, d’en plisser autrement les relations de sujétions, et, par là, de se détourner de son temps, des modes d’organisation en lesquels il se fige, longent une ligne de résistance qui nous emporte vers un autre temps. Défaire, en soi, le modèle étatique qui s’est emparé de toutes nos forces, défaire les relations de pouvoirs qui nous lient à l’organisation massive de la multitude sociale, cela suppose, comme l’a fait Foucault, la capacité de faire revenir d’autres modes de sujétions, d’autres types de subjectivation dont « le souci » se voit affecté d’une autre formule politique, d’une autre configuration des pouvoirs, lisible à même l’âme de ceux qui les ont repliés jusque dans leur corps et leur chair.

14L’intempestivité est le retour, en nous, d’une multiplicité de jeux de pouvoir qu’il faut savoir rejouer, en les relançant contre ceux qui, actuellement, dominent l’espacement de nos vies suivant des puissances mortifères qu’il faut retourner contre elles-mêmes, d’après des procès de subjectivations susceptibles de réarticuler les lignes de vie et les lignes de mort, les parades d’Éros et de Thanatos, les ballets vertigineux d’Apollon et de Dionysos. En revenir, d’une certaine façon, aux Grecs, c’est ce qui s’est passé aussi bien chez Hölderlin ou chez Nietzsche que chez Heidegger, Foucault et même Deleuze, à en juger par la première partie de son livre sur la philosophie, Qu’est-ce que la philosophie ? Mais c’est avec Nietzsche, encore, que s’opère le véritable retournement critique qui mériterait une analyse que nous ne pourrons pas déployer ici, en toute la finesse des stratégies adoptées. Il nous suffira, pour l’heure, de noter ceci : défaire, en nous, les formes d’organisations vitales qui se sont stratifiées, centralisées dans l’attraction de nos organes, cela ne se produit qu’avec la volonté de faire revenir d’autres configurations stratégiques selon la forme dispersive, centrifuge de l’éternel retour, un espacement de la vie qui n’est pas sans rapport avec la puissance de fragmentation imputable à la mort, à la lacération dionysiaque.

15Que l’intempestif prenne la forme d’un certain retour, que l’inactuel dessine le travail, en nous, de forces immémoriales, capables de redistribuer l’attelage qui nous caractérise et qui reflète les aléas de notre temps misérable, c’est là l’idée maîtresse du livre de Françoise Proust, démontrant que toute résistance à la centralisation de la vie est, du même coup, une résistance à son temps, retrouvant dans des formations anciennes la puissance de sauter pardessus la grisaille du présent. La résistance suppose un certain cycle, un éternel retour dont Françoise Proust réussit à dégager le rythme politique, là où sa valse se joue peut-être davantage comme un tango périlleux, nous contraignant de reculer d’un pas pour en risquer deux vers l’avant. L’intempestif, Les considérations inactuelles, désignent un retournement sur soi, un souci de soi qui a lieu dans la fourche d’une rencontre avec un temps hors du temps capable de redéfinir les contours de nos affects, le profil de nos forces, non sans déjouer la vie sereine en laquelle elles se sont stabilisées, la forme apollinienne qui les a immobilisées, happées désormais par les remous mortifères de Dionysos. On le voit, l’éternel retour est présent dès les premiers balbutiements de l’œuvre nietzschéenne qui fait revenir les configurations politiques d’un passé immémorial pour rejouer les conditions d’un tout autre temps, un temps qui, nous l’espérons, reste à venir. C’est comme si le retour d’un passé pur pouvait déjouer les forces réactives de notre présent, présent déjà mort, présent chargé de bonnes consciences qui ne savent reconnaître dans le passé que ceux qui leur ressemblent, identiques comme de vieux singes rassurants – des vies fades, qui ne risquent rien de nouveau.

16Le retour du passé, avec lequel il nous faut compter, ce passé qui pourra décaper la force tranquille de nos esprits petit-bourgeois, relève de l’absolument Autre, d’une répétition qui insufflera dans le système de nos facultés une différence maximale, peut-être parce qu’il s’agira nécessairement d’un passé qui n’a jamais eu lieu, un passé que ne sauraient trouver que ceux qui résistent au présent, pour le faire jouer contre l’actualité, pour distendre la maille resserrée dont nous sommes étouffés. Comment distinguer, alors, ce programme du plus vieux programme systématique de l’idéalisme allemand culminant avec l’idée d’une nouvelle mythologie ? Comment nous sauver du mythe, de la tentation d’offrir une nouvelle mythologie à notre époque malade, si la force de dispersion capable de nous arracher au présent relève de l’utopie, de la fiction d’un monde insipide, proche parfois des entreprises les plus crépusculaires de l’humanité ? A ces questions-là, le livre de Françoise Proust ne donne guère de réponse, si ce n’est par la remarquable analyse de la bouffonnerie de nos Napoléon(s) III, du relent d’opérette qui traîne dans les mydiologies là où le concept philosophique s’ouvre à la joie tragique du chaos qu’il intègre en son sein comme marque de son authenticité, un chaos avec lequel on ne plaisante pas, conférant à l’écriture philosophique une ampleur, un bouleversement, une allégresse dont nous sentons la force sismique, la catastrophe qui partout menace l’équilibre du livre et qui lui inflige une allure fort éloignée de la comédie clinquante du mythe et de ses dieux endimanchés : « A une époque pauvre en héros et en événements, comme le fait dire Françoise Proust à Marx, tout personnage médiocre peut, par un tour de passe-passe et en un tour de main, devenir un personnage d’Offenbach, un héros d’opérette. Si une époque ne sait pas agencer du neuf avec de l’ancien, si elle ne sait pas mimer et doubler son présent pour le court-circuiter, alors c’est le même qui revient, c’est-à-dire de l’ancien et de l’usé recyclés sous les traits d’un nouveau venu pour notre temps. »