La démocratisation des frontières

Débat autour de Nous citoyens d’Europe. Les frontières, l’État, le peuple d’Étienne Balibar, Samedi du livre (06-04-02) avec Étienne Balibar, Gérard Bras, Frédéric Neyrat, François Roussel, Dominique Schnapper

1François Roussel

2Il faut préciser, pour commencer, que ce samedi du livre autour de Nous citoyens d’Europe ? Les frontières, l’État, le peuple incite à se reporter à des travaux antérieurs d’Étienne Balibar. Comme il l’indique d’emblée, ce livre est difficilement séparable de deux autres livres : le premier, Les frontières de la démocratie, portait sur une thématique du même ordre mais de portée plus générale et remontant aux années 80 ; le second, Droits de cité, vient d’être réédité aux PUF, augmenté d’une conférence que tu as tenue à Berlin il y a quelques mois et qui s’intitule « Citoyenneté démocratique et souveraineté du peuple ». C’est d’ailleurs l’une des alternatives que tu analyses attentivement dans Nous citoyens d’Europe ? en essayant de montrer pourquoi et comment il est nécessaire de les discuter. Par ailleurs, l’ensemble de ces analyses viennent aussi en contrepoint d’un travail conceptuel déployé dans deux livres essentiels qui relèvent du champ de la philosophie politique : Race, nation, classe. Les identités ambiguës (récemment réédité lui aussi) et La crainte des masses, qui comporte notamment une réflexion sur la notion de « frontière intérieure » dans la pensée de Fichte, réflexion dont la portée ne se limite pas à une analyse classique d’histoire des idées mais éclaire les situations conjoncturelles abordées dans le livre dont il est question aujourd’hui.

3Les analyses qu’on y trouve sont toutes datées, elles sont présentées comme un nouveau recueil d’interventions reprenant d’ailleurs, par souci de continuité, certaines analyses des recueils antérieurs. On peut voir là une double perspective toujours conjuguée : un vieil héritage militant auquel il ne semble pas que tu aies renoncé, en tout cas de militantisme intellectuel, avec l’idée qu’on analyse en philosophie politique à partir de conjonctures. Dans Nous citoyens d’Europe, c’est plutôt la conjoncture des dix dernières années, depuis la dislocation du système soviétique et les guerres dans l’ex-Yougoslavie. Le livre est centré, comme le dit son sous-titre, sur la question des frontières en Europe et sur les dynamiques politiques contradictoires de leurs nouveaux tracés. Et, parallèlement à cette intervention de philosophie politique dans la conjoncture, il y a, dans un héritage canguilhemien, l’idée de « procéder par essai et erreur », de risquer des hypothèses, quitte à y revenir pour corriger certaines formulations ou montrer leur limite. Tu reconnais qu’il peut y avoir des chevauchements dans les différents textes et même éventuellement quelques contradictions, mais visiblement ce n’est pas le genre de choses qui te fait reculer d’horreur puisqu’en un sens il s’agit bien de réfléchir à partir de ce que tu persistes à analyser comme des « contradictions indépassables », pour en tirer l’idée d’un « impossible nécessaire » sur lequel on reviendra sûrement dans la discussion.

4Cette double exigence se rattache à une formule que tu utilises souvent et qui est reprise à Romain Rolland via Gramsci : « pessimisme de l’intelligence, optimisme de la volonté ». J’aurais tendance à présenter les analyses qu’on trouve dans ce livre plutôt comme un « activisme de l’intelligence ». J’ai toujours le sentiment que, dans la formule de Romain Rolland, la réversibilité est inévitable et que finalement on peut tout aussi bien dire « optimisme de l’intelligence, pessimisme de la volonté ». Parfois, dans les analyses que tu proposes, on peut très bien aboutir à cette conclusion : on voit bien tout ce qu’il y a d’éclairant par rapport aux énoncés ordinaires sur les situations historiques et leur conceptualisation. C’est en cela que je parle d’un activisme de la pensée ; mais il est peut-être plus problématique de voir ce qui serait possible au sens d’une action politique effective, même si tu refuses à cet égard toute position imaginaire de « surplomb ».

5Dans la conjoncture présente, il y a bien évidemment une discussion récurrente sur « la citoyenneté en Europe ». C’est donc la transition que je fais sans aucune originalité en passant la parole à Dominique Schnapper qui est l’une des interlocutrices du livre d’É. Balibar puisque les thèses d’un de ses livres précédents, La communauté des citoyens, y sont l’objet d’une discussion serrée. J’ajoute, en espérant ne pas me tromper, que votre séminaire de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales est consacré cette année à la question de la citoyenneté en Europe, avec l’équivoque de la formule sur laquelle on reviendra peut-être dans la discussion : une citoyenneté européenne comme transposition de modèles nationaux (mais lesquels ?), ou une autre forme plus « ouverte » dont É. Balibar essaie de dégager la nécessité. Je vous laisse la parole.

6Dominique Schnapper

7J’ai lu ce livre, comme j’avais lu les précédents – j’ai toujours lu les livres d’Étienne Balibar de près, il le sait. J’ai essayé de le faire en faisant abstraction de ma propre recherche, en entrant dans la logique du livre. Mais je me suis rendue compte, à partir de mes notes, que finalement je ne suis pas restée fidèle à cette intention et que ma lecture s’est faite à partir de mes propres travaux. Peut-être était-ce inévitable. J’espère qu’Etienne m’en excusera. Nous avons toujours une discussion que je trouve positive, parce que nous sommes proches sur certains points, mais aussi opposés sur d’autres points essentiels. Mais les points sur lesquels nous sommes en désaccord font problème et sont donc intéressants à discuter. […]

8Les frontières illustrent la tension entre l’universel et le particulier – pour revenir rapidement là-dessus – elles ne me paraissent pas être « une gigantesque dénégation, dans la pratique, de l’idée de communauté des citoyens » (p. 107). Elles illustrent la fragilité, les contradictions, l’instabilité des sociétés organisées par la citoyenneté, partagée entre l’aspiration universelle et les réalités sociales d’une communauté particulière concrète, elles illustrent ce que j’appelle « tension » et vous, « contradiction ».

9Ce qui me conduit au problème de la citoyenneté européenne. Vous posez très bien le problème lorsque vous vous interrogez : « Peut-il y avoir citoyenneté sans communauté ? ». En d’autres termes, peut-on imaginer une citoyenneté, à vocation universelle, sans qu’elle soit portée, comme elle l’a été jusqu’à présent, par les institutions nationales, le passé commun réel ou inventé du peuple politique et son identification à une nation ? Dans les deux cents ans de sa courte histoire, la démocratie moderne s’est développée aussi grâce à l’homogénéité culturelle du peuple, grâce à la tradition nationale de la vie collective. Peut-on construire une citoyenneté qui ne bénéficie pas de cet acquis du national ? Comme vous, je pense que la citoyenneté européenne est un projet sans précédent. On ne connaît pas, dans l’histoire, des peuples qui aient décidé volontairement de renoncer à une partie de leur souveraineté pour former une entité politique plus large. Les autres entités politiques sont nées de la guerre, la réunion politique des peuples a été imposée par les guerres et les défaites militaires. J’ai beaucoup aimé la formule « impossible et nécessaire » que vous avez forgée pour définir la citoyenneté européenne. Le lien entre nation et citoyenneté est historique, il n’est ni logique ni nécessaire. La citoyenneté n’est pas nécessairement nationale, elle peut être infra-ou supranationale. Reste qu’il y a une difficulté fondamentale du fait qu’elle a jusqu’à présent été nationale, car la citoyenneté reste formelle ou abstraite si elle ne s’inscrit pas dans des institutions de la citoyenneté. Le lien historique fait que le lien entre nation et citoyenneté n’est pas seulement « imaginaire » (p. 247), il est le produit d’une expérience historique, lourde de conséquences, puisque les peuples sont naturellement et normalement attachés aux institutions par lesquelles ils ont appris à connaître et pratiquer la citoyenneté. Pour construire la citoyenneté européenne, il faudrait qu’ils se familiarisent avec des institutions nouvelles, par définition, qui ne leur apparaîtront pas comme « naturelles ». Il faut relativiser le lien nation-citoyenneté, mais en même temps on ne peut pas oublier que c’est dans et par la nation que les institutions et la citoyenneté ont acquis une certaine légitimité.

10Ce lien n’est pas seulement imaginaire, mais historique, avec le poids d’évidence et de naturalité que donne l’histoire.

11Je pense aussi que la communauté purement juridique, c’est-à-dire le fait que nous soyons tous citoyens européens, parce qu’il y a sur notre passeport « citoyenneté européenne » au-dessus de « République française », n’épuise pas la question de la citoyenneté européenne. Vous analysez trois limites. La première, c’est le blocage de la citoyenneté sociale. Je ne le vois pas tout à fait comme vous. D’abord, je ne pense pas que la citoyenneté sociale soit bloquée. Ensuite, le problème essentiel me paraît résider dans les formes très différentes qu’a prises la citoyenneté sociale dans les différents pays européens. Or, l’État providence est central aujourd’hui dans la participation à la vie de la Cité. Ce sera très difficile de transférer la citoyenneté sociale au niveau européen.

12La deuxième limite concerne les frontières. C’est en effet un problème essentiel puisque les frontières définissent ce qui est à l’intérieur et ce qui est à l’extérieur, donc la citoyenneté. Encore une fois, il est inévitable qu’il existe des frontières, il faut donc comparer les manières dont les différentes formes d’organisation politique définissent les frontières et comparer les manières dont, en fonction des principes politiques proclamés, le contrôle des frontières est effectivement exercé. Et la démocratisation, ou la transparence, ou la clarté des critères en fonction desquels sont définies les frontières me paraît aussi une exigence démocratique. Mais je ne pense pas qu’on construise une « forteresse Europe ». C’est un terme de la politique qui est inexact. Il s’est installé depuis cinquante ans entre 20 et 30 millions d’étrangers, dont la majorité a acquis la nationalité et donc la citoyenneté des pays européens. Je suis en fait convaincue qu’aux frontières des pays européens, il se passe souvent des choses horribles. Mais globalement, historiquement, il me semble que la formule est plus agressive qu’explicative. Reste que des frontières sont inévitables, qu’elles sont à négocier, qu’elles sont au cœur des contradictions d’une société démocratique et que l’effort sur la démocratisation des frontières me paraît, comme à vous, central. […]

13Étienne Balibar

14Il est vraisemblable que nous soyons moins d’accord sur les points où vous pensez que nous le sommes tout à fait, et que nous le soyons plus sur ceux où vous pensez que nous divergeons. C’est un petit jeu auquel on pourrait se livrer. D’abord, ce que je voudrais dire, c’est que vous faisiez allusion tout à l’heure – encore une tension – à la difficulté des relations entre les philosophes et les sociologues. J’ai l’impression qu’ici, les lignes de démarcation éventuelles ne passent pas du tout entre nos appartenances disciplinaires. Au fond, ce qui nous réunit aussi de ce point de vue, c’est que nous lisons beaucoup d’histoire, de même que certains modèles théoriques auxquels nous essayons de nous référer. Puisque François Roussel évoquait tout à l’heure la formule gramscienne qu’il a parfaitement le droit de vouloir dépasser ou remplacer par une autre, d’autres noms me viennent immédiatement à l’esprit. De plus en plus, évidemment, j’ai tendance à me référer à Max Weber et je pense que c’est l’une des références théoriques qui nous sont communes.

15Ceci dit, j’ai le sentiment que paradoxalement votre pensée est beaucoup plus normative que la mienne ; en tout cas j’essaie d’être moins normatif que vous. Je ne dis pas qu’il n’y ait pas de dimension analytique dans ce que vous faites ; ça serait ridicule. Mais je sens – et à nouveau dans ce que vous venez de dire aujourd’hui – une intention normative très forte, avec laquelle je ne peux pas être en désaccord complet parce qu’on ne va pas discuter de droit, de démocratie, de république, sans afficher des valeurs et sans se poser la question de savoir à quel prix, dans quelles conditions, sous quelle forme, en quels termes ces valeurs peuvent être préservées, renouvelées, mises en œuvre. Mais enfin, s’agissant de l’universel – et je vais y revenir tout de suite – il y a, me semble-t-il, et je le salue très sincèrement de votre part, une intention (quelles que soient les difficultés et les circonstances inattendues que l’histoire nous oblige à affronter) de tenir sur certaines valeurs, comme vous dites, notamment républicaines, ce que je ne confonds pas, rassurez-vous, avec le souverainisme républicain qui m’apparaissait haïssable au moment où j’ai écrit ce livre et qui maintenant m’apparaît purement et simplement bête. J’ai le sentiment que nous avons affaire simplement à la bêtise (je ne le dis pas parce que nous sommes en campagne électorale). Simplement, je vous ferai observer que quand vous dites « on ne peut quand même pas identifier les souverainistes républicains à des partisans de l’ethnicisme parce que la République est toujours ouverte à tous », la République bien sûr, c’est la valeur dont nous sommes en train de parler. Mais – je le maintiens et nous allons y revenir notamment sur la question des frontières, sur la question des politiques de l’immigration, sur ce que j’appelle de façon évidemment provocatrice (mais je ne le regrette pas) le danger ou la présence rampante d’un apartheid européen – ledit souverainisme républicain non seulement ne se distingue pas vraiment d’un ethnicisme, mais le reconstitue tendanciellement à partir de ce qui est ou de ce qui devrait être (nous en sommes d’accord) son contraire.

16Pour finir sur cette question du normatif, je voudrais dire encore la chose suivante. Ce n’est pas très facile de parler de soi ou de se caractériser soi-même. Mais évidemment, vous pourriez me dire qu’à partir du moment où on reconnaît qu’il n’y a pas que des faits mais qu’il y a aussi des valeurs, même si on essaie de les historiciser, on est nécessairement normatif et on l’est éventuellement sous d’autres formes que les vôtres, et vous avez évoqué tout à l’heure le terme d’« utopie ». Donc vous pourriez me dire : peut-être vous n’êtes pas aussi inconditionnellement partisan et convaincu du caractère immuable et indépassable de certaines valeurs politiques, disons civiques. Mais c’est à quel prix ? C’est au prix de l’utopisme ou peut-être du messianisme, quelque chose de ce genre. Et alors, on peut en discuter d’une façon générique, mais on peut aussi en discuter d’une façon très concrète. Evidemment, tout raisonnement, toute tentative d’argumentation qui s’efforce de mettre en évidence quelque chose comme une limite historique des possibilités d’inscrire l’universel ou de réaliser l’universel (dans les formes traditionnelles progressivement élaborées depuis deux cents ans) de l’État-nation républicain (éventuellement républicain, démocratique et social), débouche inévitablement soit sur des prophéties : « il y aura au-delà de la République telle que nous la connaissons encore d’autres formes de citoyenneté, d’inscription de l’universel dans le champ du politique ». Il y a du prophétisme chez Habermas en ce sens. Vous pourriez me dire : « Mais où est-ce que vous êtes ? Vous êtes avec moi pour penser que malgré toutes les difficultés il faut continuer soit à l’échelle de la France ou à l’échelle de l’Europe, peut-être, de mettre en œuvre le modèle républicain, quitte à le perfectionner sans cesse. Ou bien vous êtes avec Habermas pour penser que l’horizon, c’est l’utopie cosmopolitique. Et si vous me posez la question dans ces termes, je suis évidemment embarrassé parce que je suis obligé de dire « ni l’un, ni l’autre ». Ou plus exactement, je suis obligé d’en venir à des propositions négatives dont la contrepartie idéale en effet est quelque chose du genre : « Nous verrons bien », du genre : « L’avenir (non pas « l’avenir nous le dira »), l’avenir est à venir. » Et par définition, on ne peut pas l’anticiper. On ne peut que le préparer. Et on peut le préparer négativement, en particulier en insistant sur ce que vous rappeliez et que j’appelle « l’impossible nécessaire », c’est-à-dire l’idée que nous sommes à la limite. Il y a toutes sortes de précédents à ça : dans une phase de transition, il y a une dimension apocalyptique, en tout cas on la côtoie constamment.

17Pour en finir sur ces généralités philosophiques et en venir à deux ou trois des questions précises que vous posez, je dirais que ce qui contribue à différencier nos discours, me semble-t-il, sur ce point, c’est l’idée (que rappelait François Roussel et sur laquelle je vous remercie d’avoir insisté) que les contraires ne se dissocient pas. Par exemple, dans l’État-nation républicain, sous la meilleure des formes que nous puissions imaginer et expérimenter, il y a incontestablement de l’universel, une inscription effective de l’universel, même si elle est juridique. Ça ne la rend pas moins effective, au contraire. Et d’un autre côté, il y a une puissante tendance aux particularismes, et même au communautarisme. À partir de ce moment-là, vous raisonnez – et vous venez de le faire à nouveau très brillamment – en termes de tensions. Je vous supplie de ne pas prendre ceci pour une agression (ce n’est pas polémique), mais le débouché politique de la façon dont vous décrivez la tension, c’est le compromis : il faudra bien trouver un compromis, il faudra toujours trouver un compromis. Ce compromis sera plus ou moins fragile, il sera plus ou moins bâtard. De toute façon, il ne dépassera pas le problème. Et donc, il faudra se situer dans un juste milieu. Ça vaut pour la France, comme ça vaut pour l’Europe, ça vaut pour le rapport entre les droits sociaux. Et alors vous pourriez me dire : « Mais vous aussi », parce que nous ne sommes peut-être pas d’accord sur l’apartheid européen ou d’autres questions, mais nous sommes d’accord sur l’idée de démocratisation des frontières. Et qu’est-ce que c’est que la démocratisation des frontières, sinon un compromis ?

18Quand on me pose la question de savoir ce que j’ai voulu dire par là, j’ai dit : « Je ne le sais pas tout à fait, mais je pense qu’on n’y échappera pas. » Ce que j’ai voulu dire en particulier, c’est que la frontière est une des institutions typiques de la souveraineté qui reste absolument discrétionnaire. Peut-on l’éviter ? C’est tout le problème. Et pour un certain nombre de raisons, qui sont à la fois historiques, sociologiques, politiques et morales, je pense qu’il faut sortir du discrétionnaire en ce qui concerne le fonctionnement des frontières, comme il faut sortir du discrétionnaire en ce qui concerne la sécurité. Quelle est l’alternative au discrétionnaire ? C’est le contractuel, c’est la négociation. Qui dit négociation dit compromis par définition, à moins qu’on ne parle de l’abolition des frontières. Mais je pense que l’abolition des frontières, en tout cas comme mot d’ordre abstrait, c’est encore plus dangereux à certains égards que l’existence des frontières, en tout cas dans les conditions actuelles. Donc je suis pour la négociation. Et par conséquent, non seulement je ne refuse pas, mais j’admets tout à fait d’entrer dans le débat sur la question de savoir quand, comment, avec qui, dans quelles conditions on va négocier. Je tiens beaucoup à ce qu’il y ait négociation, notamment sur les politiques d’immigration. Cela implique les États mais surtout pas uniquement les États (d’émigration et d’immigration), parce que ça fait des immigrés les otages de leur propre gouvernement ; il faut également les associations, les acteurs divers de la démocratie dans ses modalités les plus larges. Ce qui suppose alors d’autres formes de négociation à inventer, à faire émerger. Donc moi aussi, je suis dans le compromis. Mais d’une certaine façon, néanmoins – et c’est peut-être mon vieux fond marxiste ou hégélien-marxiste – la procédure intellectuelle que j’essaie de mettre en œuvre et dont j’admets tout à fait qu’on la critique dans ce livre, consiste dans un premier temps au moins – et ce premier temps est tellement long que, d’une certaine façon, il absorbe tout – non pas à chercher le juste milieu mais à chercher à comprendre et à expliquer en quel sens « la contradiction est indépassable », ou en quel sens il y a de l’inconciliable. Et évidemment, ce que je pense en effet, c’est que l’inconciliable appelle une révolution davantage qu’une reformulation des termes de la négociation, c’est-à-dire une remise en question dont je pense qu’elle est en cours, naturellement, comme remise en question des termes mêmes dans lesquels le problème s’est posé. […]

19(l’intégralité de ce débat est diffusée sur le site web du ClPh : www. ci-philo. asso. fr)