17, Institut d'Études Critiques

1Fondé dans la ville de Mexico en 2002 – à mon initiative, avec l’appui décisif d’amis et de collègues – 17, Instituto de Estudios Críticos, est un espace d’écriture situé au croisement de l’université, de la culture non universitaire et de la psychanalyse. Consacré à la construction et déconstruction de notions, formes et horizons d’importance pour le Mexique et le vaste monde de la langue espagnole, l’Institut s’occupe de problèmes négligés par d’autres instances : compte tenu de sa nature délibérément scripturaire, il apparaît, face aux autres institutions, comme plus supplémentaire que spéculaire. Nomade, son siège premier est l’espace graphique www.17.org.mx. Pendant ses quatre premières années, 17 a soutenu des activités diverses en différents sièges, comme le colloque Ateologías (athéologies), voué à repenser en termes contemporains l’athéisme et la laïcité ; la mise en scène du dispositif Moi contre moi, où cinq écrivains se sont plongés avec eux-mêmes dans des combats successifs de « lutte libre » discursive ; et une pléthore de séminaires tournés vers la pensée critique et analytique contemporaine. En 2006 il a défini précisément le master qu’il propose en Théorie Critique, avec des axes de travail en littérature, philosophie, pensée esthétique, pensée politique et psychanalyse. Ce programme de maîtrise et de doctorat fonctionne selon une modalité originale qui conjugue d’intenses réunions semestrielles et des travaux quotidiens en ligne. Le Mexique est aussi le nom d’une singulière confluence de refuges : l’enjeu et l’histoire de l’Institut portent la marque de plusieurs d’entre eux : les voix et les expériences d’éducateurs espagnols, communistes et anarchistes, « transfugés » au Mexique, influencés à leur tour par des pratiques pédagogiques comme celles de Freinet (le texte libre, la correspondance interscolaire, l’imprimerie) ; la présence d’Ivan Illich, sa critique radicale des professionnels et son impulsion, dans la Cuernavaca d’entre 1961 et 1976, du Centre Interculturel de Documentation (CIDOC) ; le récit et l’habileté des exilés politiques arrivés dans les années soixante-dix de pays comme l’Uruguay, le Chili, l’Argentine. Son nom propre, le chiffre 17 – de l’arabe sifr, nom du zéro, appliqué ensuite aux autres nombres – est aussi décantation d’un exil. Il renvoie au #17 de Victoria-Allee, campus de l’Université de Francfort, où en 1923 fut choisi le bâtiment qui abriterait l’Institut für Sozial-forschung – dont le promoteur, juif et allemand comme l’on sait, porta toujours un second prénom espagnol, car il était né et avait vécu jusqu’à l’âge de neuf ans… à Buenos Aires : Felix Weil, Felix J. Weil, Felix José Weil… Cet espace accueillit quelques penseurs célèbres : Max Horkheimer, Friedrich Pollock, Leo Lowenthal, Theodor Adorno et Herbert Marcuse, entre autres, dont le legs est aussi essentiel pour notre projet. Mais moins connue est l’activité dans ce même édifice, à partir de 1929, de l’Institut de Psychanalyse de Francfort, dont le premier directeur fut par hasard S.H. Foulkes, mon grand-père maternel. Les échanges féconds entre les chercheurs sociaux et les psychanalystes laissèrent leur trace dans l’histoire postérieure de la théorie critique, comme aussi dans la psychanalyse. Ainsi le suggère l’œuvre de Norbert Elias, ou le Group Analysis développé par Foulkes pendant son asile anglais, car il réussit à fuir d’Allemagne en 1933 avec sa famille et c’est précisément Horkheimer qui, à Genève, eut la possibilité de lui confirmer que tout était perdu.

2Chiffre de l’insolite entreprise de Weil, de l’accueil de la psychanalyse par la critique sociale dans sa cruciale interrogation des Lumières, de la résistance et de la survie à l’hécatombe totalitaire, le 17 est aussi, simplement, un hommage aux paroles de l’ami. Lointain écho d’une lumière éteinte, ce nombre est pour moi la nomination impossible de ce que chaque bannissement laisse derrière lui dans le déchirement. Point n’est besoin d’insister sur l’empreinte derridienne de 17. Plus qu’une « orientation intellectuelle », la déconstruction consiste ici dans ce « lien » même qui soutient l’Institut, selon l’acception que ce terme acquiert dans l’élaboration lacanienne des « Quatre Discours ». À quel « lien » est-ce que je me réfère ici ? À aucun des cinq décrits par Lacan : religion, art, science, psychanalyse, capitalisme. Il s’agit plutôt d’un lien redupliqué, incapable, par conséquent, de faire un avec soi-même et qu’à l’encontre de certain canon lacanien il est possible d’écrire et de nommer ainsi :

3En tenant compte de la caractérisation par Lacan de la partie supérieure du « Discours de l’analyste » (a => $), il est clair que le mouvement le plus insistant de la déconstruction (a => S2) peut se confondre avec une « psychanalyse de la philosophie » [1] –, c’est pourquoi les vocations « critique » et « clinique » de 17 sont inséparables. En tant que lien, la déconstruction dirige toujours ce qui est impossible à symboliser et subjectiver (a) vers le savoir (S2) avec deux possibles conséquences, alternées et irréductibles : la réouverture d’un lieu pour le sujet ($) à partir du démontage de l’Un (S1), ou la réinstauration d’une limite (S1) à toute possible totalisation hétérologique (S2) dérivée, par exemple – ô paradoxe ! –, du démontage de l’Un (S1, encore…). Ce qui décrit le double horizon d’implication de l’Institut dans l’hybridité caractéristique des environnements hispano-américains : d’une part la référence paternelle emblématique des sociétés traditionnelles – où opère le « Discours du maître » – reste en vigueur ; mais en même temps, d’autre part – dans le sillage de l’instauration du « Discours du capitaliste » –, cette référence a fini par s’effondrer. Étrange coexistence, donc, du sacrifice totémique

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4avec la démocratie de masses

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5de l’adepte avec le Müselmann

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6du récit scientifique classique

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7avec le bit digital

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8et du divan

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9avec l’hypermarché des psychothérapies

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10Et nous, – au milieu, ici…

Notes

  • [1]
    « Malgré les apparences, la déconstruction du logocentrisme n’est pas une psychanalyse de la philosophie », Jacques Derrida, « Freud et la scène de l’écriture », L’écriture et la différence, Éditions du Seuil, coll. « Points », 1967, p.293.