Les femmes philosophes en Tunisie

1Peut-on parler de l’existence d’une pensée philosophique, en Tunisie, masculine ou féminine, au sens où les philosophes se présentent comme des créateurs de concepts ? Tout ce que l’on peut affirmer fermement, c’est que l’enseignement de la philosophie, dans le cadre de l’enseignement supérieur, a été à l’origine de la formation de courants de pensée philosophique tunisiens rationaliste, critique, herméneutique, préoccupés par les théories éthiques et esthétiques. Ces dernières ouvrent les vannes d’une réflexion sur la liberté et les valeurs mais aussi sur celle du sens, de l’imaginaire, des simulacres, de la torpeur et de leurs rapports avec le bon et le vrai et les diverses formes d’aliénation.

2Mes propos devraient rendre compte de l’apport des femmes qui enseignent la philosophie dans le supérieur. Elles sont plus d’une vingtaine, et se regroupent essentiellement à la Faculté des Sciences Humaines et Sociales de Tunis où elles constituent près de la moitié de l’effectif du corps enseignant. Ce sont Fatma Haddad-Chamakh (Professeur émérite) enseignante depuis 1968, puis les professeurs Mélika Ouelbani, Rachida Boubaker-Triki, Zeïneb Ben Saïd-Cherni, Rajat Latiri, Nabiha Kara, Saloua Chatti, Yasmine Kéfi Ghohban, et les maîtres-assistantes Najat Ghariani, Oum-Ezzine Meskini, Mounira Ben Mustapha, Habiba Karaa, Khédija Ben Hassine Ksouri, Souad Harrar, Hayet Oueslati, Soumaya Mestiri et Neila Jrad.

3Dévouées à leurs tâches d’enseignantes, elles mènent leur travail avec assiduité et conscience, sereinement, loin des enjeux du pouvoir. Elles s’investissent essentiellement dans leurs cours et leurs recherches. Les plus anciennes d’entre elles comptent à leur actif, en moyenne, deux livres au minimum, et cinq articles. Les plus productives ont produit trois à quatre livres, elles ont publié plusieurs actes de colloques qu’elles ont dirigés, et plus de vingt articles. Tel est le cas de Zeïneb Ben Saïd-Cherni, de Rachida Triki et de Mélika Ouelbani. Il faudrait, en outre, mentionner la qualité remarquable des thèses de doctorat produites par les femmes du département de philosophie et qui émanent de l’Université tunisienne ou française.

4Il est difficile de délimiter un champ spécifique aux recherches féminines, celles-ci recoupent les travaux engagés par leurs collègues hommes, en général. Une remarque s’impose, cependant, c’est que si les premières recherches des femmes philosophes, en Tunisie, portaient sur des problématiques d’histoire de la philosophie, de logique et de philosophie générale, celles de la deuxième génération tendent à opter pour des recherches qui se rapportent plus à la vie active, aux questions d’éthique, de politique et d’agir communicationnel. Elles s’adossent, dans ce cas, sur la pensée critique, et l’on remarque que les préoccupations idéologiques s’y expriment avec plus d’acuité. C’est ainsi que l’on voit se multiplier chez les plus jeunes enseignantes des études qui prennent pour support théorique les thèses d’Adorno, d’Habermas et de Rawls pour traiter des questions de philosophie pratique, d’esthétique, mais aussi de philosophie sociale et politique.

5Ceci dit, notre démarche ne portera pas sur l’examen du contenu des divers écrits des universitaires femmes, en philosophie, mais tentera de dégager, par-delà leur « signification », ce qui infléchit le sens de leur discours, accentue certains aspects, détermine des choix et en occulte d’autres. Notre objectif sera d’expliciter, outre les liaisons syntaxiques et leurs rapports avec des concepts universels, une parole silencieuse qui se tient à l’arrière-plan de leurs travaux théoriques. Elle vise à exprimer les dispositions psychologiques et morales du Je féminin qui opère en profondeur. Les diverses subjectivités des femmes enseignantes, ainsi que les événements divers qui les entourent, constituent autant d’énergies singulières et préindividuelles qui tendent à émerger à travers une forme discursive personnalisée.

6Ce Je féminin, qui dit les angoisses et les espoirs des femmes, n’est pas explicité par une syntaxe : sa signification est immédiate. Il intervient d’abord comme une énergie diffuse pour cerner des thèmes de réflexion qui forment un horizon idéalisé de la féminité, mais aussi pour problématiser et pour introduire dans le discours élaboré des points d’inflexion, des centres de pensée, des accentuations et des minimisations qui font état des espoirs de ces femmes chercheurs, et de leurs inquiétudes. On peut déceler à travers celles-ci ce que Deleuze appelle : le « Je comme manifestant de base ». Il opère au niveau d’un fondement subjectif de « l’énonciation » appelé par Deleuze la « manifestation ». Ce qui se manifeste ce sont les désirs et les croyances qui infléchissent le discours. Ils opèrent des inférences causales subjectives à travers lesquelles s’extériorise le Je. Dans notre cas, il s’agit de ce Je de la féminité conductrice de la signification. À travers les divers écrits des femmes chercheurs, ce Je est le même mais aussi différent, il se modifie légèrement selon que l’on passe d’un champ conceptuel de recherche à un autre : « […] Les significations conceptuelles ne valent pas et ne se déploient pas pour elles-mêmes : elles restent sous-entendues par ce Je qui se présente lui-même comme ayant une signification immédiatement comprise, identique à sa propre manifestation [1]. »

7Et c’est ainsi que nous pouvons dégager des expressions nuancées du Je des femmes philosophes en Tunisie, et ce à travers les problématiques pour lesquelles elles ont opté dans leurs recherches, et la manière dont elles les ont traitées.

La féminité citoyenne

8Une démarche porteuse de ce qui pourrait être qualifié de féminité citoyenne se dégage à travers les options théoriques et philosophiques de Fatma Haddad-Chamakh, Zeïneb Ben Saïd-Cherni et Rachida Boubaker-Triki. L’option adoptée par ces trois chercheurs est régie par une croyance qui traverse l’arrière-plan de leurs travaux théoriques, mais aussi le parcours évolutif qu’elles ont suivi dans leurs recherches. Elle stipule que la recherche scientifique opère doublement : comme procès de transmission du savoir et d’approfondissement de ses concepts mais aussi comme outil de construction de la cité. Le verbe philosophique est pris en charge, dans ce cas, à travers l’enseignement institutionnel de la philosophie politique pour Fatma Haddad, sociale pour Zeïneb Cherni et esthétique pour Rachida Triki. Toutes trois ont participé activement à l’organisation des activités de recherche du département de philosophie et ont été membres de plusieurs jurys de recrutement et de diverses commissions d’élaboration de programmes d’enseignement universitaires. Fatma Haddad dirigea le département de philosophie. Zeïneb Cherni a cofondé la Société Tunisienne de Philosophie et sa Revue en 1980. Rachida Triki dirige une équipe de recherches sur « Art et transcréation » au laboratoire de philosophie Philab et a fondé l’Association Tunisienne d’Esthétique et de Poïétique.

9La Tunisie républicaine marque l’accès de la femme à l’ordre de la modernité. L’idée de féminité citoyenne se raffermit par un verbe innovant, juridique, un code du statut personnel précédé par une lutte idéologique moderniste menée par Tahar Haddad en 1930, sous l’occupation, qui la paya de sa vie sous l’effet d’une forte persécution, après qu’il eut publié un livre sur l’émancipation des femmes en 1930 [2].

10La philosophie féminine s’en fit l’écho. Elle réarticula l’ordre de la construction de la cité à l’ordre de la recherche du savoir. Certaines femmes philosophes mirent alors en avant de leurs recherches la rationalité classique libératrice des esprits et du jugement et promotrice de l’idée de sujet de droit, et d’une politique choisie, en l’occurrence à travers l’œuvre de Spinoza [3]. Ces travaux philosophiques furent suivis par des spécialisations ultérieures par ces mêmes actrices sociales et enseignantes ; elles s’investirent essentiellement dans les domaines de la philosophie politique, du positivisme, de la science et de la démarche encyclopédique [4], de l’esthétique et sa portée socioculturelle et philosophique [5]. L’évolution de ces enseignantes dénote une volonté d’appropriation d’un verbe moderniste et rationnel et de sa maîtrise en vue de passer à un second moment, celui de son application par le truchement d’institutions diverses : le politique tel qu’il est perçu par Spinoza, Hobbes et Locke, la transmission encyclopédique telle qu’elle prend forme chez les encyclopédistes d’Alembert, Diderot et Comte, enfin la démarche poïétique, ses modes d’accaparement du sens et son extension pratique à la production artistique tunisienne et arabe.

11Il faudrait relever qu’à travers cette démarche mue par le souci de transmission du savoir et de transformation de la société, le Je éclot non pas uniquement comme force d’appropriation d’une pensée rationnelle, mais aussi comme instance de transformation des valeurs, des croyances et des principes. La féminité se veut conquérante de toute la société. Elle dégage des signes de valeurs sociales qui ont pour ambition de tendre vers un horizon régulateur du tout social. Le « psychisme ascensionnel » de ces chercheurs s’accompagne de retours dans la cité afin de propager les lumières et diffuser le sens du désintéressement. Ces femmes sont, par un procès auto-réflexif, créatrices, de par leur positionnement socio-culturel, leurs pratiques associatives, la propagation du savoir, des recherches et de la réflexion ; leur itinéraire est celui de la féminité citoyenne tunisienne transposée dans le domaine de la recherche. Il restitue le positionnement de la femme comme agent préservateur et innovant de la cité. Ce modèle du féminin réhabilite, tout en la renouvelant, l’image véhiculée par la tradition arabo-musulmane relative au statut de la femme au sein de la cité. Les femmes y ont une position quasi-hiérophanique tributaire de leur réclusion, et acquièrent une centralité morale normative qui leur octroie le privilège d’être les préservatrices du Verbe dans sa sacralité (Hafidhtun lil Ghaieb) et les transmettrices de ses préceptes. Les femmes se présentent aussi, dans la tradition coranique, comme remèdes aux maux collectifs car imperturbables dans leurs convictions. La tradition ne dit-elle pas que la femme est l’autre partie de l’âme de l’homme, qui lui procure apaisement ? La sakina (la quiétude) apaisante, tel est l’un des traits par lequel est représentée la femme dans l’imaginaire arabo-musulman, image qui se démarque nettement de l’autre, négative, qu’on a communément l’habitude de lui attribuer dans la tradition théologique, et qui faisait d’elle une source de discorde ou de fitna. La vision citoyenne de la féminité, dans l’approche de la tradition musulmane, la présente selon le témoignage de Louis Gardet comme un rempart protecteur de la cité. Quand tout s’ébranle, la femme se démarque par son calme et sa stabilité, quand le savoir devient trouble, elle se fait mémoire collective et quand le désordre sévit, elle se dresse comme force de protection (Haçina) de la cité. Exemptes de souillure et de failles, les femmes sont porteuses d’espoirs.

12Les femmes affirmatives, telle Ariane tissant un parcours salvateur, sont créatrices, en Tunisie, de sens et d’espaces d’affirmation au sein desquels elles adoptent une position de centralité. Inventives de foyers sociaux publics et de valeurs modératrices et libératrices du tout social, elles sont portées par le désir de lier la théorie à la pratique en envahissant des espaces publics tels l’Université, l’Académie, les festivals culturels et les galeries d’exposition. Leur coup de dé jeté, à chaque fois, exprime cette volonté d’atteindre les surfaces et pour reprendre une expression de Deleuze nous dirons « qu’elles hantent les surfaces ».

13Il faut mentionner que la recherche, pour ces trois philosophes, s’est étendue à une pratique de transmission du savoir et de réflexion socialisée par la création d’associations de recherches et culturelles, l’organisation de colloques et leur publication. Elles coordonnèrent plusieurs activités scientifiques et culturelles dont le premier colloque du département de philosophie.

Un Je ascendant et « justicier »

14Un autre discours prend forme à travers les écrits des femmes logiciennes, initié par Mélika Ouelbani et par le travail soutenu de Yasmine Kéfi-Ghodhbane et de Saloua Chatti. M. Ouelbani fraya le chemin de la recherche en logique, elle a publié ou dirigé des livres autour de l’empirisme logique, sur Russel, Carnap et Wittgenstein. Associant enseignement et recherche, elle a organisé plusieurs colloques qui recoupent les thèmes de son enseignement et de son encadrement, mais aussi de la recherche qu’elle mène dans l’UR de logique qu’elle dirige depuis 1999.

15Le Je souterrain de la féminité que représentent ces logiciennes et qui couve au sein de l’expression profonde du sens veut manifester l’aspect unificateur des pensées et du savoir par la médiation d’un langage purifié analytiquement. Les néopositivistes seraient les porteurs d’une telle rationalité. À même les données empiriques, ils traquent simultanément la métaphysique et l’idéologie. Raison raisonnante purifiée, la pensée logique dit l’envers invisible de la pensée de ces enseignantes, elle dit la rectitude, la mesure, et l’égalité devenues rigueur du sens. Les femmes logiciennes partent d’un Je cohérent et prennent assises sur « un manifestant » de base fort, impartial qui dit la féminité « purifiante et juste ». Le sens qu’elle générera est clair, rigoureux et exact. Le Je est pris dans un mouvement tensionnel ascendant vécu à travers la cohérence et la pureté formelles comme expression d’un sens paradigmatique, plus clair et plus juste que la réalité elle-même. Un arrière-fond féministe implicite conduit ce discours. Ce féminisme justicier s’extériorise à travers le souci logiciste en quête de rigueur de pensée. Il va adhérer à un monde scindé de la réalité, et retranché dans une subjectivité et un verbe considérés comme plus réels que le réel. En son sein, la féminité s’investit dans une inventivité rationnelle archétypale et parfaite. Celle-ci va réinventer les rapports sociaux dans la perfection substitutive de la cohérence logique et de l’exactitude scientifique qui redit l’autonomisation du sujet féminin à l’égard de toute sujétion, évacuant tout autre discours perturbateur et discordant. Le purisme du discours logique redit le repliement de la subjectivité féminine sur elle-même comme source d’affirmation absolue qui tranche par sa clarté, son sens de la mesure et de la justesse. Saloua Chatti qui soutint une thèse d’État sur « Le problème de la référence chez Quine » pose la question relative aux interprétations logiques possibles des « contextes opaques » et de l’essentialisme qui les entoure. Elle récuse les solutions de Quine à ce propos, dégageant des nuances qui renvoient à Hintikka et auxquelles Quine n’a pas été attentif.

Simulacres, rebroussements et liberté

16Les travaux, articles, thèses et recherches portant sur des problématiques d’éthique, de critique et d’esthétique tendent à être prédominants dans les recherches des femmes. Elles disent l’objectivité, la vérité et le sens qui se dérobent. Elles sont en porte-à-faux avec les principes d’exactitude, de vérité et de systématicité prônés par la philosophie classique et par les théories logiques et scientifiques. Les théories thèmes de critique, d’herméneutique, d’idéalisation et dissimulation symboliques et de rectifications des divers sens traversent leur corpus. Ce qui se révèle à travers ces textes c’est une féminité en quête de ses traits, qui dérange et qui s’interroge. La rationalité critique est son outil. Autour de ces problématiques se centrent les travaux de Rajet Latiri et d’Oum-Zine Meskini dont les écrits portèrent sur Popper puis sur Kant, et de Soumaya Mestiri dont la thèse porte sur le communautarisme et le libéralisme chez Rawls. La pensée critique de Kant et ses ramifications à travers l’École de Francfort constituèrent dans l’ensemble le centre d’inspiration des réflexions théoriques de ces enseignantes de philosophie. La remise en cause des résultats de la science et de la technique, devenus idéologies, l’adoption d’une théorie critique comme conséquence d’un travail herméneutique sur le sujet occulté et le sens ravi et brimé, sont les thèmes essentiels abordés par leurs travaux. Et c’est aussi dans ce cadre que s’intègre le travail de Khédija Ksouri-Ben Hassine, dont la thèse s’intitule : Question de l’homme et théorie de la culture chez Ernst Cassirer. La culture n’est guère de son point de vue un ensemble d’artefacts, elle est une œuvre qui interpelle autrui, elle est « un pont jeté » entre les hommes, dit-elle. Ces objets ne valent pas par eux-mêmes, ils sont l’expression d’idéaux et d’énergies en interaction et en gestation, qui marquent une époque et symbolisent toute l’humanité.

17Dans ce cas, la féminité n’intervient pas au niveau du champ de la rationalité péremptoire ni de celui du sujet purificateur du monde mais adhère, d’après cette démarche, au tréfonds de la singularité et des individualités brimées, marginalisées et dont les vertus morales de créativité et d’équité auront à être révélées par un travail de dévoilement, d’agir communicationnel, d’émergence d’une norme et de symboles, à la surface de la société, mais aussi par un système de régulation juridique sans cesse renouvelé. Le Je féminin sera porteur d’un singulier-universel qui traquera toutes les formes d’instrumentalisation des humains et qui pointera vers un humanisme libérateur ou un intérêt pur qui se dissimule, se dérobe et qu’il s’agirait d’indiquer par des énoncés symboliques de dévoilement et de critique.

18Les travaux en esthétique de R. Triki et de Mounira Ben Mustapha [6] posent la question de leur apport comme femmes à travers le jeu des formes, des simulacres, du goût et de son jugement. Une duplicité de sens entoure l’image du féminin qui sous-tend leurs écrits et leur travail associatif. Reniement de son étant, tentative d’autonomisation de sa subjectivité par le truchement d’élans critiques et une symbolique réjouissante et créatrice entourent cette image. Elles disent sans le dire explicitement que tout n’est pas acquis pour la femme, sa liberté et ses droits. Elle est une valeur, une dignité et une autonomie qui se dérobent incessamment. Les points de rebroussement du sens et de son dévoilement expriment que ni la vérité ni la liberté ne sont atteintes : on s’en approche sans succès définitif. Et c’est dans ce cadre, aussi, que s’inscrit la thèse de Nabiha Kara intitulée : Nietzsche-Freud et le devenir de la liberté[7]. Le labeur patient de ces femmes, qui s’est étalé sur des années, intervient pour faire place à une puissance d’affirmation renouvelée et qui fait tache d’huile, celle qui porte femmes et hommes praticiens de l’art à réfléchir à leur création au sein d’une pensée poïétique qui dévoile leur message et l’embellit.

Conclusion

19Le discours philosophique des femmes est innovant. Leur singularité libre et anonyme renouvelle la philosophie. L’ordre primaire de leur féminité gronde sous l’organisation secondaire du sens. La pensée des femmes est portée par un souci philosophique ascensionnel qui torpille et incite à la réflexion, mais qui prend parfois le chemin inverse de la descente vers la société. Les femmes tendent à être marginalisées par rapport aux sites de décisions ; elles se replient, à chaque secousse, sur l’informe de leur singularité pour rebondir de nouveau, pour créer, écrire, enseigner et organiser des colloques. Persévérantes dans leur être et leur visée, on les voit reculer puis avancer avec la ténacité que leur procurent leur culture et leur histoire personnelle et collective.

20Une pensée partagée entre l’abîme infernal et les hauteurs célestes, tel est l’état des femmes enseignantes-chercheurs, en Tunisie. Amenées à faire incessamment leurs preuves, elles n’arrêtent pas, tout comme Sisyphe, de porter le rocher jusqu’au sommet de la colline. Il arrive à la charge portée vers les cimes de rester stable, comme il lui arrive de retomber ; alors elles recommencent leur montée vers les surfaces. Leur émergence a fini par s’imposer grâce à un labeur assidu, un conatus tenace et affirmatif investi à travers la qualité indéniable de leurs travaux qui portent la marque de leur adhésion aux valeurs de vérité et à celles du dévouement pour la recherche. Elles ont tracé, en tant que première génération de femmes philosophes en Tunisie, le sillage d’une recherche inventive investie dans l’écriture, dans le rayonnement intellectuel national et international et dans la transmission du savoir.

Notes

  • [1]
    G. Deleuze, La logique du sens, Éditions de Minuit, Paris, 1969, p.25.
  • [2]
    Il s’agit de l’ouvrage Notre femme dans la char’iââ et la société.
  • [3]
    Le travail de thèse de F. Haddad, dirigé par Paul Ricœur, porta alors sur Philosophie systématique et système de philosophie politique de Spinoza. Z. Cherni : « L’idée d’éternité chez Spinoza », mémoire de maîtrise sous la direction de Ferdinand Alquié ; R. Triki, « L’idée de légitimité chez Spinoza », mémoire de maîtrise sous la direction de Raymond Polin.
  • [4]
    La thèse de Z. Cherni soutenue à l’université de Paris 7 porta sur « Biologie, sociologie et histoire des sciences chez A. Comte ».
  • [5]
    Rachida Boubaker-Triki : « Attitude esthétique et pensée politique à la Renaissance », thèse sous la direction d’Hélène Védrine.
  • [6]
    Mounira Ben Mustapha travaille l’esthétique de l’existence à partir de M. Foucault et de Habermas. Sa thèse a porté sur « Raison critique et communication chez Habermas ».
  • [7]
    Cette thèse est publiée en 2005 dans les éditions des Publications de La Faculté des Sciences Humaines et Sociales de Tunis. Nabiha Kara a publié, aussi, trois livres en arabe qui traitent des questions de la liberté, de l’illusion et de l’interprétation.