Pour une philosophie politique de la ville

Introduction

1Un extra-terrestre qui chercherait à comprendre la vie politique des humains simplement à partir des écrits des philosophes politiques risquerait fort de passer complètement à côté de l’un des phénomènes socio-politiques planétaires les plus importants de la période moderne, celui de la montée des villes comme principal socle d’habitation et d’interaction des humains. À quelques rares exceptions près [1], la ville n’existe pas aux yeux des philosophes politiques contemporains, ou à tout le moins ne représente-t-elle pas un phénomène digne de figurer aux côtés de l’État-nation comme objet méritant une étude normative approfondie. Cette situation est d’autant plus étonnante que la ville représente un objet d’étude privilégié de sociologues, de géographes, d’anthropologues, d’historiens, de politologues, d’économistes et même de juristes, pour ne rien dire des architectes et des urbanistes qui ont constitué un champ académique autour de l’étude de la ville dans toutes ses dimensions.

2Mon intention dans ce bref essai est double. Je voudrais tout d’abord me poser la question de savoir pourquoi la ville a été à tel point oubliée dans la philosophie politique contemporaine. Existe-t-il des raisons expliquant cet oubli ? Je voudrais tout d’abord passer à l’examen critique deux types d’argument qu’il est plausible d’attribuer aux praticiens de la philosophie politique contemporaine. Le premier affirme que les villes ne sont pas des entités normativement significatives au regard de la philosophie politique. Le second prétend, à l’inverse, que si la ville est normativement significative, c’est parce qu’elle présente en microcosme les caractéristiques normativement importantes de l’État-nation, et qu’il n’est par conséquent pas nécessaire de lui accorder de traitement normatif indépendant. Les erreurs que recèlent ces deux motifs d’exclusion me permettront, dans un deuxième temps, de faire ressortir les traits théoriques qui font que la ville mérite d’être perçue comme un objet théorique sui generis, et d’évoquer les pistes de recherche et d’enquête normative susceptibles de constituer le champ de la philosophie politique de la ville.

Le caractère incomplet de la ville au regard des préoccupations traditionnelles de la philosophie de la démocratie libérale

3Ainsi, deux principaux arguments me semblent disposer d’une plausibilité prima facie pour arguer que la ville ne mérite pas de traitement normatif indépendant de celui qui est déjà consacré à l’État-nation. En effet que s’il est vrai que la ville est une réalité sur le plan sociologique, il n’en demeure pas moins qu’elle n’est pas normativement significative. Dans le contexte d’un cadre normatif généralement libéral et démocratique, cette première objection à ce que la ville soit considérée comme un objet d’étude normative pourrait se décliner de trois manières, correspondant à trois des piliers normatifs des théories libérales et démocratiques que sont l’autodétermination, la délibération démocratique et la justice distributive.

4L’argument pourrait tout d’abord être le suivant : puisque, contrairement aux États-nations, les villes ne contrôlent pas leurs frontières, et ne peuvent donc pas définir le statut de membre, elles ne peuvent pas être le lieu d’une réelle autodétermination [2].

5Deuxièmement, il serait possible de prétendre que la ville ne permet pas suffisamment l’exercice de vertus démocratiques, parce que, pour reprendre la célèbre distinction due à Hirschman [3], la porosité des frontières de la ville fait en sorte que les citoyens d’une ville ne possèdent pas suffisamment de raison d’exercer leur « voix » (voice), la « sortie » (exit) étant une option trop facilement accessible. Enfin, on pourrait prétendre que la justice, notamment la justice distributive, ne peut être réalisée au sein de la ville, dans la mesure où elle exige l’institutionnalisation d’une solidarité plus vaste que celle qui y est possible.

6Que penser de cette famille d’arguments (que je n’ai pu ici reconstituer que dans une forme squelettique) ? Il me semble qu’elle repose sur une dichotomie devenue fort peu plausible entre l’État-nation et les entités politiques tant sub- que supra-étatiques qui sont aujourd’hui reconnues comme remplissant une fonction politique importante dans la vie des citoyens modernes.

7La priorité politique de l’État a été entamée pour ainsi dire par le haut et par le bas par la prise en compte du fédéralisme et du transnationalisme. D’une part, force est de constater qu’une proportion importante des citoyens de la planète habite des espaces politiques fédérés dans lesquels la souveraineté est partagée entre un État fédéral et des entités politiques fédérées (provinces, länder, etc.). Ces entités ne contrôlent pas leurs frontières, puisque les fédérations démocratiques permettent une mobilité à peu près complète entre les diverses régions de la fédération. Le fédéralisme est cependant vu à juste titre comme étant, dans le contexte global actuel, la condition pour que de nombreux groupes politiques puissent jouir d’autodétermination sans donner lieu à une profusion incontrôlable d’États souverains.

8Force est de constater que la capacité dont disposent les citoyens des sociétés fédérées d’exercer (pour reprendre les termes de Hirschman) leur droit de sortie ne les empêche pas de participer activement à la délibération démocratique, c’est-à-dire d’y faire valoir leur « voix ». La démocratie existe au Québec, en Écosse, en Catalogne ainsi que dans d’autres sociétés politiques intégrées à des espaces fédéraux démocratiques, tout autant qu’en France (pour prendre l’exemple paradigmatique d’un État unitaire).

9D’autre part, l’émergence d’institutions juridiques transnationales, mais également de corporations et d’organismes non-gouvernementaux qui transcendent et traversent les frontières des États-nations, a pour effet de rendre certains des droits et des intérêts des citoyens hautement dépendants d’acteurs politiques souvent non-territorialisés. L’émergence de corporations transnationales mais également de zones de libre-échange économique embrassant une multiplicité d’acteurs nationaux a notamment entamé la capacité dont disposent les États-nations de gérer la justice distributive de manière purement interne.

10Ces deux développements très importants de la philosophie politique contemporaine ont donné lieu à une vision beaucoup plus fluide et nuancée des aménagements politiques nécessaires à l’exercice de ces attributs essentiels de la démocratie libérale que sont l’autodétermination, la délibération démocratique et la justice distributive. Insister sur le monopole de l’État-nation, cela revient dans le contexte global actuel à reléguer aux oubliettes théoriques les espaces politiques dans lesquels se jouent de plus en plus les droits et les intérêts des citoyens de la planète.

11Si la ville n’est pas encore apparue pleinement au sein de l’espace logique créé par l’effet cumulatif du fédéralisme et du transnationalisme, c’est que le fédéralisme, s’il a entamé le dogme de l’indivisibilité de l’État, ne s’est pas encore complètement affranchi du dogme nationaliste de la philosophie de l’État-nation.

12En d’autres termes, le fédéralisme suppose que les entités fédérées au sein d’une fédération seront des nations aspirant légitimement en tant que nations à un certain degré d’autodétermination. La théorie du fédéralisme moderne repose sur le présupposé tacite du fédéralisme multinational. Or, la critique de l’hégémonie théorique de l’État-nation qui s’appuie sur une prise en compte du rôle de plus en plus significatif des acteurs transnationaux non-territoriaux met à la disposition de la théorie fédérative l’outil dont elle a besoin pour admettre des acteurs autres que nationaux à l’intérieur de sa vision du fédéralisme, puisque, par définition, elle met en scène des acteurs politiques dont la logique d’intégration est autre que nationale. Les corporations, les ONG, les organismes chargés de faire respecter les règles de traités économiques multinationaux nous forcent à admettre une diversité de types d’acteurs au niveau supra-étatique. Rien, sauf les limites de notre imagination politique, ne fait obstacle à ce que nous admettions de tels acteurs au niveau sub-étatique. Un espace conceptuel est ainsi dégagé pour la ville, en tant qu’entité politique non-nationale sub-étatique.

Le caractère redondant de la ville au regard des préoccupations traditionnelles de la philosophie de la démocratie libérale

13Le second argument, contrairement au premier que nous venons d’envisager, ne nie pas que la ville représente une forme de communauté politique normativement significative. Mais il prétendrait que les principes et arguments dérivés de l’étude de l’État-nation sont applicables, sans modification, à l’échelle de la ville. La vie politique telle qu’elle est pensée au niveau de l’État-nation représenterait selon cette manière de voir les choses une matrice à partir de laquelle il serait possible de se représenter la vie politique d’entités sub- (et même supra-) étatiques.

14Pour répondre à ce motif d’exclusion, il faudra démontrer non seulement que la ville est un espace politique normativement significatif, mais qu’elle est un espace politique sui generis. Deux stratégies me semblent plausibles pour effectuer cette démonstration. Premièrement, l’on pourrait démontrer que certains problèmes normatifs n’apparaissent pour ainsi dire pour la première fois que lorsque l’on se place dans le contexte de la ville, et ce en vertu du fait que les villes posséderaient des caractéristiques normativement pertinentes que ne posséderait pas l’espace politique que représente l’État-nation. Deuxièmement, l’on pourrait également tenter de démontrer que même si les problématiques traditionnelles de la philosophie politique de l’État-nation s’appliquent à la ville, elles s’y présentent de manière tellement différente qu’il est important de les traiter de manière indépendante dans un contexte citadin. La première stratégie doit donc faire valoir que la ville représente un type de communauté politique dont les particularités essentielles sur le plan normatif ne peuvent pas simplement être extrapolées à partir de celles de l’État-nation.

15C’est sur la notion de spatialité qu’il me semble important d’insister pour faire ressortir le caractère conceptuellement distinct de la ville. La ville pose en effet de manière particulièrement vive les problèmes normatifs qui émergent du fait que les citoyens d’une même ville doivent non seulement partager l’espace virtuel des droits, mais également l’espace très concret qui représente le cadre de leur coexistence physique [4]. La philosophie politique construite autour de l’État-nation a tendance à se représenter les rapports entre citoyens de manière abstraite, par exemple comme impliquant l’aménagement d’ensembles de droits potentiellement en conflit, alors que les problèmes politiques exigeant une réponse normative qui émergent de l’étude de la ville impliquent souvent l’aménagement de l’espace [5].

16La spatialité des rapports et des interactions à l’intérieur de la ville fait ressortir une multitude de problèmes normatifs qui sont tout simplement invisibles lorsque l’on se représente les rapports entre citoyens sous la forme abstraite qu’ils prennent dans le contexte de l’État-nation. À titre illustratif, j’en évoquerai brièvement trois : le logement, le déplacement, et la conception d’espaces publics, soulèvent une foule de questions normatives complexes dignes de recevoir l’attention de la philosophie politique.

17Commençons par l’ensemble de questions normatives soulevées par le problème du logement. Le logement est le lieu d’une multitude de questionnements normatifs qui, encore une fois, ont été négligés par les philosophes du politique. Parmi les dimensions complexes mais fondamentales de cet ensemble de problématiques figure celle de la justification d’interventions publiques dans le domaine du logement visant à atteindre des objectifs de justice sociale. La première question à se poser touche bien sûr à la mesure dans laquelle l’accès au logement représente un enjeu de justice au même titre que, par exemple, l’accès aux soins de santé ou à un revenu minimal.

18Une réponse positive à cette question donne lieu à une foule d’autres interrogations, comme les suivantes : l’objectif d’une société juste en matière de logement devrait-il être motivé simplement par la préoccupation de fournir à tous un logement adéquat, quelles que soient les inégalités qui pourraient par ailleurs survenir entre citoyens une fois le minimum acquis pour tous, ou bien au contraire certaines inégalités eu égard au logement seraient-elles incompatibles avec l’égalité citoyenne (comme on l’estime souvent, par exemple, dans le domaine de la santé) ? Si de telles limites existent, comment les identifier, et dans quelle mesure un gouvernement peut-il s’immiscer dans le marché du logement ? Si elles n’existent pas, quelle est la spécificité morale du logement, par opposition à la santé, qui expliquerait son immunité aux pressions normatives, égalitaristes ?

19Une autre question lie logement et préoccupations de durabilité. Si un thème normatif est devenu dominant chez les urbanistes aux sensibilités normatives développées, c’est bien celui d’assurer la viabilité à travers le temps de nos modèles de développement urbain [6]. La problématique de l’étalement urbain a particulièrement retenu l’attention dans la mesure où celui-ci suppose un mode d’organisation spatial faisant un large emploi de la voiture individuelle [7]. La notion de durabilité permet donc de lier la problématique du logement à celle du transport, qui peut être envisagée à la fois sous les angles de l’éthique environnementale [8] et de la justice intergénérationnelle [9]. Dans la mesure où l’utilisation de la voiture engendre des coûts en termes environnementaux qui rendent les modèles urbains qui la présupposent injustes sur le plan intergénérationnel, quelles limitations des choix individuels la préoccupation pour la justice justifie-t-elle ? Quel est le rôle légitime de l’État, notamment dans le contrôle des mouvements et dans le développement des transports publics [10] ?

20Enfin, l’aménagement de l’espace public, et notamment de l’espace symbolique de la ville soulève une foule de questions qui ont à leur tour soulevé, ces dernières années, les passions dans bon nombre de villes de la planète [11].

21On le sait, les monuments, les lieux historiques, les plaques commémoratives ponctuent l’espace des villes et racontent en quelque sorte l’« histoire » des sociétés dont les villes font partie [12]. Ils honorent les grands disparus, et tentent de donner une présence à certains des événements qui représentent les « mythes fondateurs » de ces sociétés [13]. Quelles sont les questions de justice qui sont soulevées par les décisions d’aménager l’espace symbolique d’une ville de certaines manières plutôt que d’autres. Existe-t-il un droit de tous les citoyens d’une ville de participer aux processus décisionnels qui tendent à fonder les mythes collectifs ? Comment la fixité des espaces publics créés à des fins commémoratives peut-elle être rendue compatible avec la fluidité des mythes qui conviennent à des populations dont la composition tend à être fluide, comme le sont les populations urbaines ? Peut-on donner de la consistance à l’idée de mythes « ouverts » auxquels correspondraient des espaces publics inclusifs, c’est-à-dire capables de représenter la pleine étendue des points de vue présents dans une société tant sur son passé que sur les valeurs que devrait véhiculer son avenir ? Il ne s’agit bien évidemment ici que d’identifier un certain nombre de questions normatives liées de manière indissoluble au caractère spatial des liens entre citoyens à l’intérieur de la ville, afin de valider l’idée selon laquelle la spatialité rend la ville, et donc le questionnement normatif à propos de la ville, sui generis par rapport à l’espace traditionnel pour la philosophie politique que représente l’État-nation. La deuxième stratégie permettant de réfuter l’argument selon lequel la ville ne représente pas un espace politique d’intérêt théorique indépendant de celui que représente déjà l’État-nation consiste à démontrer que certaines des préoccupations théoriques traditionnelles de la philosophie politique s’appliquent au champ urbain, mais qu’elles y prennent une forme qui appelle un traitement théorique indépendant. La fécondité de cette stratégie peut être appréciée en évoquant la manière par laquelle les problématiques du multiculturalisme et de la justice distributive se déclinent dans l’espace urbain.

22Voyons d’abord en quoi une attention portée au contexte urbain est susceptible de modifier notre vision de la problématique du multiculturalisme, devenue centrale pour la philosophie politique des vingt dernières années. Une des questions les plus débattues ces dernières années est celle des « minorités illibérales » et de leurs « minorités internes ». Selon certains détracteurs des politiques multiculturelles [14], les droits accordés aux groupes minoritaires fonctionnent comme des immunités les mettant à l’abri des protections que les régimes libéraux accordent à tous les individus, et ne devraient donc pas être consentis. D’autres estiment au contraire que ces droits se justifient, à condition qu’ils soient assortis d’une garantie accordée aux minorités internes (femmes, enfants, gays) leur permettant de quitter le groupe en question sans subir aucun préjudice [15]. Le conflit théorique naissant de ces deux positions adverses n’admet pas de solution aisée lorsqu’il est présenté au niveau d’abstraction auquel se situe d’habitude la réflexion philosophique sur le multiculturalisme. L’accent porté sur la ville permet d’identifier de manière concrète des lieux d’intervention susceptibles de promouvoir la formation d’identités ouvertes et de normes moins illibérales à même, sinon de faire disparaître ce conflit, du moins de déplacer les termes du débat. Il serait alors possible par exemple de se poser la question suivante: dans la mesure où il existe des corrélations empiriques robustes entre certaines formes d’aménagement de l’espace urbain (par exemple pour ce qui est des schèmes résidentiels ou des bassins de recrutement scolaires) et des formes désirables, du point de vue libéral, de processus de formation identitaire, un gouvernement municipal pourrait-il, sans lui-même violer des exigences libérales, exploiter ces corrélations afin de promouvoir des fins socialement désirables ? Par exemple, dans l’hypothèse que le mélange culturel dans les écoles favorise l’ouverture, dans quelle mesure est-il permissible de restreindre les choix parentaux en matière scolaire pour atteindre l’objectif d’identités culturelles qui se définissent moins les unes par opposition aux autres, ou de mettre en place des incitatifs pour qu’ils fassent des choix qui y contribuent ?

23Des questions théoriques plus larges doivent forcément accompagner cette interrogation. Par exemple, dans quelle mesure le principe de subsidiarité [16] appliqué aux gouvernements municipaux devrait-il militer pour une souveraineté des villes pour ce qui est de la gestion de leur diversité culturelle (les grandes villes étant en effet affectées de manière disproportionnée par les processus de diversification occasionnés par l’immigration) ? Les questions portant sur la justice distributive peuvent également recevoir une formulation différente lorsqu’elles sont présentées comme des problèmes s’ancrant dans des contextes urbains. La justice distributive, telle qu’en ont traité les penseurs de la philosophie de la démocratie libérale, s’est avant tout intéressée à la distribution de ressources abstraites tels que les biens sociaux premiers à la base de la théorie de la justice de John Rawls, ou des coquillages qui sont employés dans l’expérience de pensée bien connue de Ronald Dworkin. Ce qui est présupposé dans ces théories est que le rôle d’institutions de justice distributive sera avant tout de répartir de manière équitable entre les citoyens les mieux lotis et leurs concitoyens moins fortunés des ressources à usage indéterminé, dont l’argent est l’exemple le plus évident. Il ne s’agit pas ici de nier que l’État devra se charger d’effectuer une répartition des richesses comme celle qui est envisagée dans les théories de Rawls et de Dworkin. Ce que je voudrais cependant porter à l’attention du lecteur, c’est que d’autres dimensions de la mission des institutions de justice distributive deviennent apparentes lorsque l’on se situe dans le contexte des dimensions spatiales de la ville. Il y sera en effet moins question de répartition équitable de ressources abstraites, mais d’accès égal à des institutions remplissant des fonctions importantes pour la satisfaction des intérêts des citoyens (écoles, hôpitaux, alimentation, etc.). Or, la question de savoir si l’accès des citoyens d’un grand espace urbain à ce genre d’institution est organisé de manière juste ne peut pas être réduite à celle de savoir si la distribution de ressources s’effectue entre eux de manière qui correspond aux canons de la justice entendue de manière purement abstraite.

Conclusion

24J’ai voulu suggérer dans ce bref essai que les motifs d’exclusion de la ville qu’il est possible d’attribuer aux praticiens de la philosophie politique ne se défendent pas. L’argument selon lequel la ville ne possède pas les propriétés nécessaires pour la rendre significative sur le plan normatif présuppose une hypostase du contexte de l’État-nation qui a déjà été reléguée à la caducité par la réflexion théorique sur le fédéralisme et sur le transnationalisme. En revanche, l’argument selon lequel la ville posséderait des propriétés qui la rendraient normativement significative, mais identique à celle de l’État-nation, n’est pas plus convaincant puisque, ne serait-ce que parce que la ville se représente l’espace des interactions entre citoyens, elle fait émerger au regard théorique une foule de problématiques qui sont soit carrément absentes de la philosophie politique classique, ou bien qui y possèdent une forme complètement différente de celle que l’inscription urbaine leur impose. L’ensemble de questionnements qui émerge de ce constat constitue à mon avis un champ d’investigation normative dans lequel j’ai espoir que les philosophes politiques choisiront de s’investir.

Notes

  • [1]
    Rainer Bauböck « Reinventing Urban Citizenshi », in Citizenship Studies, Vol. 7, N° 2, 2003; R.M. Hare, « What are Cities for? The Ethics of Urban Planning », in Objective Prescriptions and Other Essays, 1999, Oxford, Oxford University Press; A. King, Loren (2004a), « Democratic Hopes in the Polycentric City », in The Journal of Politics, Vol. 66, N° 1, 2004; « Democracy and City Life », in Politics, Philosophy and Economics, Vol. 3, N° 1, 2004; Olivier Mongin, La Condition urbaine. La ville à l’heure de la mondialisation, 2005, Paris, Seuil; Alan Ryan, « The City as a Site for Free Association », in Amy Gutman (dir.) Freedom of Association, 1998, Princeton, Princeton University Press; Iris Marion Young, Justice and the Politics of Difference, 1990, Princeton, Princeton University Press.
  • [2]
    Michael Walzer, Spheres of Justice. A Defense of Pluralism and Equality, 1983, New York, Basic Books, 1983.
  • [3]
    Albert O Hirschman, Exit, Voice and Loyalty. Responses to Decline in Firms, Organizations, and States, 1970, Cambridge, MA, Harvard University Press.
  • [4]
    Susan Bickford, « Constructing Inequality. City Spaces and the Architecture of Citizenship », in Political Theory, Vol. 28, N° 3, 2000; Michel Lussault, L’Homme spatial. La construction sociale de l’epace humain, 2007, Paris, Le Seuil.
  • [5]
    Alan Ryan, « The City as a Site for Free Association », in Amy Gutman (dir.) Freedom of Association, op. cit ; Richard Sennett, « The Spaces of Democracy », in Robert A. Beauregard et Sophie Body-Gendrot, (dirs.), The Urban Moment. Cosmopolitan Essays on the Late-20th-Century City, 1999, Thousand Oaks, Sage.
  • [6]
    Michael Hough, Cities and Natural Process: A Basis for Sustainability, 2004, London, Routledge.
  • [7]
    Martin Blanchard et Christian Nadeau, Cul-de-sac : l’impasse de la voiture en milieu urbain, 2007, Montréal, Éditions Héliotrope.
  • [8]
    Frank Cunningham, « The Gruing of Cities », in The Natural City: Reenvisioning the Built Environment, Stephen Scharper et Ingrid Stefanovic, (dirs.), 2008, Toronto, University of Toronto Press.
  • [9]
    Avner De-Shalit, Why Posterity Matters, 1995, London, Routledge.
  • [10]
    Patrick Turmel, « Justice coopérative et gratuité des transports en commun », in Éthique et économique/Ethics and Economics, Vol. 2, N° 1, 2004.
  • [11]
    Mark Kingwell et Patrick Turmel, Public Space: The Politics and Poetics, 2009, Waterloo, Wilfrid Laurier University Press.
  • [12]
    Joseph Rykwert, The Seduction of Place. The City in the Twenty-First Century, 2000, New York, Pantheon Books.
  • [13]
    W. J. Booth, Communities of Memory, 2006, Ithaca, Cornell University Press; Joel Kotkin, The City. A Global History, 2005, New York, The Modern Library.
  • [14]
    Brian Barry, Culture and Equality, 2001, Cambridge, MA., Harvard University Press; Susan Okin, Is Multiculturalism Bad for Women?, 1999, Princeton, Princeton University Press.
  • [15]
    William Galston, Liberal Pluralism, 2002, Cambridge, Cambridge University Press; Chandran Kukathasn, The Liberal Archipelago, 2003, Oxford, Oxford University Press.
  • [16]
    Andreas Föllesdall, « Subsidiarity and Democratic Deliberation », in E. O. Eriksen and John Erik Fossum (dirs.) Democracy in the European Union. Integration Through Deliberation, 2000, London, Routledge.