L'invention de la métamorphose

1Commencer par Platon n’est pas obligatoire. Il se trouve pourtant que, si l’on veut recenser le vocabulaire grec de la métamorphose, on trouve, dans un passage de la République, un échantillonnage exemplaire. Il s’agit, à la fin du livre II, du développement sur la nécessité d’interdire, dans la Cité idéale, les fables des poètes et les contes de nourrices qui donnent aux enfants une opinion fausse de la divinité. Comme preuve du caractère mensonger des fables, Socrate allègue l’exemple des transformations divines. « Les métamorphoses des dieux sont un démenti à leur perfection », indique l’intertitre ajouté par l’éditeur du texte à ce « chapitre », qui débute ainsi : « Crois-tu donc que le dieu soit un magicien, capable d’apparaître délibérément sous des aspects divers, tantôt réellement présent et changeant sa figure en une multitude de formes, tantôt nous abusant en nous faisant croire à de vaines apparences de lui-même [2] ? ». Il est bien question ici de métamorphoses divines, dont Socrate évoque quelques cas célèbres, en citant même un vers de l’Odyssée. Mais le mot métamorphose n’apparaît nullement dans le texte. Platon utilise, avec les substantifs eidos, idea et morphé, « apparence, figure, forme » et avec des qualificatifs désignant la multiplicité, toute une série de verbes : allatein et metaballein, alloioun, alloiousthai, kineisthai, methistasthai, indallasthai, se référant au changement, à l’échange, à l’altération, au mouvement, au passage, à la modification et à la ressemblance, sans compter le verbe de l’apparaître phainesthai.

2Cette terminologie n’est pas différente de celle qu’emploie Aristote à propos de la castration. « Il suffit, dit-il, de l’ablation de l’organe générateur pour que la forme – morphè – presque totale de l’animal se modifie – summetaballei –, au point qu’il ressemble – dokei einai – à une femelle » (Génération des animaux, I, 2, 716b). Pour dire une transformation physique, résultat d’une intervention humaine et sujette à observation, il utilise à la fois un verbe qui dit le changement et un autre, la ressemblance [3]. Les auteurs grecs emploient, pour évoquer ce que nous nommons métamorphose, les mêmes termes que Platon : Euripide fait ainsi dire à Dionysos : « j’ai pris une apparence – eidos – mortelle, échangeant ma forme – morphé –contre une nature – phusis – d’ homme ». Il utilise successivement les verbes allattein et metaballein (Bacchantes, 53-54).

3Cependant l’usage le plus fréquent en grec est l’emploi de verbes très génériques. D’une part egeneto, « il devint », qui inclut la métamorphose dans les catégories de l’événement et du devenir. Les métamorphoses de Protée, « devenant successivement toutes sortes de choses », ne sont, linguistiquement parlant, qu’un cas particulier de la modification d’état : « devenir roi ». D’autre part, l’exécution de la métamorphose n’apparaît que comme une catégorie du faire. « Hermès le fit – epoiesen – corbeau, messager de malheur », dit Antoninus Liberalis, en concluant l’histoire de l’arrogant Eumélos [4]. Le même sens est obtenu avec etheken (aoriste de tithemi « mettre », « placer », équivalent du latin fecit). Ces opérations, la transformation opérée par Circé : « de mes compagnons tu as fait des porcs », utilisent le même vocabulaire que pour dire que les Troyens ont fait prêtresse d’Athéna l’épouse d’Anténor, Théano. C’est que le mot métamorphose, littéralement « changement de forme – morphè – », n’apparaît guère avant Ovide. Le poète romain place en tête de son œuvre un titre gréco-latin : Metamorphoseôn, génitif pluriel grec, complément de nom, suivi de Liber Primus, en latin, c’est-à-dire Livre Un des Métamorphoses. Un bilinguisme exemplaire de son projet : chanter en latin des légendes grecques et inscrire l’histoire romaine dans cette filiation culturelle.

4À partir d’ Ovide, on rencontre chez des auteurs grecs, d’abord Strabon [5], puis Lucien, le substantif metamorphosis ; et le verbe metamorphoun chez Elien, Plutarque et Athénée ; ainsi que chez Antoninus Liberalis (IIème siècle après J.C.), dont l’ouvrage intitulé Metamorphoseôn Sunagogé, « Recueil de métamorphoses » résume l’œuvre, antérieure, du poète grec Nicandre (IIème siècle avant J.C.), intitulée Heteroioumena, littéralement « Choses ou êtres devenant autres », c’est-à-dire « Altérations », ce qui confirme que le terme métamorphose n’était pas encore usité. Sous ce mot grec, qu’il a transcrit en latin et popularisé, Ovide rassemble et retravaille une multitude de mythes grecs dont beaucoup, sans lui, resteraient inconnus. Car la tradition textuelle grecque est plus que lacunaire : quelques allusions poétiques, des fragments de tragédies, et les résumés d’Apollodore et d’Antoninus Liberalis, qui font entrevoir le contenu des ouvrages « spécialisés » de Nicandre et de Boios (Ornithogonie, c’est-à-dire « Genèse des oiseaux »). Ovide, en choisissant un terme spécifique pour désigner un type de transformation qui échappe à l’ordre naturel et à l’action humaine, a, du même coup, fabriqué une catégorie, qui d’ailleurs englobe, à côté du changement de « forme », le changement de matière, puisque les récits de pétrification occupent une place importante dans son poème. Mais il a surtout radicalement modifié l’appréhension du phénomène métamorphose. Car son poème, proche de nos conceptions modernes, marque une rupture importante avec les représentations antérieures, c’est-à-dire grecques. Force nous est donc de naviguer entre les Métamorphoses d’Ovide et les récits mythiques des Grecs, qu’Ovide nous a conservés en les retravaillant considérablement. Ce va et vient conduit à prendre la mesure autant des constantes que des écarts.

Typologie

5Dans tous les cas la métamorphose est un événement surnaturel qui se produit par une intervention divine. Tous les dieux possèdent ce pouvoir, qu’ils exercent sur eux-mêmes ou sur les êtres vivants.

6Les Olympiens pratiquent les deux types d’opération. Ils se transforment pour venir à la rencontre des humains, prenant les traits d’un familier, d’un inconnu, ou une forme animale. Athéna, dans l’Odyssée, se fait semblable à Mentor pour guider Télémaque, à une fillette qui renseigne Ulysse, sur le chemin du palais d’Alcinoos, à une hirondelle posée sur une poutre pour assister au massacre des Prétendants. Lorsque, après s’être montrée à Ulysse, de retour à Ithaque, sous l’apparence d’un jeune berger, elle finit par révéler son identité sous les traits d’une femme belle et grande, son aspect est alors plus proche de ce qui nous semble une norme : la façon dont les artistes la représentent. Mais ce n’est qu’un paraître. L’anthropomorphisme, s’il est majoritaire, n’est que l’une des solutions possibles. Les dieux sont par nature invisibles aux mortels et chacune de leurs épiphanies nécessite une mise en forme qui peut être pensée comme une métamorphose [6]. Parallèlement ils n’hésitent pas à transformer les humains qui ont la malchance de se trouver sur leur chemin, de leur déplaire ou de trop leur plaire : les mortelles désirées par Zeus deviennent ourse ou génisse, et les beaux garçons laissent place à des fleurs éclatantes et fragiles.

7Mais chez certains dieux, la métamorphose est consubstantielle à leur être : les divinités marines sont polymorphes, à l’image sans doute de leur milieu naturel, l’élément aquatique. Le Vieux Protée, Nérée et ses filles, les Néréides, passent de forme en forme. Ils savent dérouler leur cycle de métamorphoses pour échapper aux hommes qui s’aventurent sur leur territoire, Ménélas pour contraindre Protée à lui faire des révélations, Pélée pour épouser Thétis. Dans leur cas, ce sont les mortels qui prennent l’initiative du contact, et la métamorphose est une réaction de défense. Ces divinités-là n’appliquent pas la métamorphose à leurs adversaires. Thétis ne songe pas à transformer Pélée en insecte pour s’en débarrasser. Pourtant, après son mariage, elle saura pétrifier un loup ravageur de bétail.

8Autre mode de catalogage : le résultat. L’humain peut devenir animal, végétal ou minéral. Dans le premier cas, les oiseaux occupent une place considérable, à cause sans doute de l’ouvrage de Boios qui attribuait à chaque espèce ornithologique une origine humaine. La métamorphose est en ce cas étiologique : explicative. Elle l’est également pour les plantes. Elle explique l’apparition du narcisse, de la jacinthe ou de l’anémone, voire du cyprès et du laurier. Mais la fonction étiologique n’est pas toujours évidente. Les sœurs d’Hélios, transformées en peupliers, pleurent des larmes d’ambre, inventant cette matière précieuse, mais sont-elles aussi à l’origine du peuplier ou bien l’arbre existait-il avant elle ? Les poètes avaient sans doute le choix. En tout cas il est certain que le cerf est antérieur au chasseur Actéon, et l’ours à Callistô, qui, métamorphosée, tremble d’effroi, par habitude, devant ses nouveaux congénères.

9La transformation d’animaux en humains, courante dans d’autres mythologies, est exceptionnelle dans les mythes grecs. C’est le cas des Myrmidons, qui proviennent des fourmis, comme leur nom l’indique. Dans l’ensemble, la métamorphose est pour l’homme une bascule dans un état inférieur, animal, végétal ou minéral [7].

10Cette dernière formule, la pétrification, comporte deux modalités : la plongée dans l’informe ou la sauvegarde de la forme. La Gorgone, dont les regards et la face pétrifient automatiquement, produit tantôt des rochers, tel le roi de Sériphos, Polydectès, tantôt des statues, comme la troupe des partisans de Phinée, l’oncle de la belle Andromède, qui veut, pour l’épouser, arracher la jeune fille à son sauveur Persée. Les dieux possèdent aussi ce pouvoir, mais ils agissent délibérément. Hermès pétrifie le bavard Battos, qui a manqué à sa parole. Poseidon « enracine comme une roche » le navire des Phéaciens qui ont raccompagné Ulysse à Ithaque. Zeus transforme Niobé en un rocher qui pleure. Pausanias a vu ce rocher en Lydie. Mais une série de vases italiotes propose des variantes, en représentant Niobé sur le tombeau de ses enfants, se transformant tantôt en bloc oblong, tantôt en stèle équarrie, tantôt en statue funéraire drapée dans son voile.

Le temps de la métamorphose

11Sur ce catalogage pas de différence entre Ovide et ses prédécesseurs grecs. Il en va tout autrement pour le traitement du motif. Prenons le cas de l’épisode des pirates Tyrrhéniens, qui, imprudemment, ont enlevé, pour le vendre, le jeune Dionysos. Le dieu suscite sur leur navire une série de miracles. Épouvantés, les marins sautent à la mer où ils sont transformés en dauphins. Voici comment Ovide décrit leur sort : « Le premier, Médon, se mit à devenir noir et son dos à se courber, faisant ployer son corps. Lycabas commença à lui crier : “en quel monstre te changes-tu ?” ; mais tandis qu’il parlait, sa bouche s’élargissait, son nez se retroussait et sa peau durcie se couvrait d’écailles. Libys [...] voit en un instant ses mains se raccourcir, ce ne sont plus des mains, on ne peut les appeler que nageoires. Un autre, qui cherchait à tendre les bras vers les câbles [...] n’a plus de bras et son corps tronqué saute, en se cambrant, dans les flots ; sa queue toute nouvelle fait comme une faucille, semblable aux cornes sinueuses de la demi-lune. » (Métamorphoses, III, 672 ss).

12L’un des modèles grecs dont Ovide s’inspire, l’Hymne homérique à Dionysos, est infiniment plus sobre : « Tous ensemble, ils sautèrent du navire dans la mer divine et devinrent des dauphins – delphines d’egenonto » (Hymne homérique à Dionysos, I, 52-53). Pourtant, quelques vers auparavant, le poète a décrit avec autant d’abondance que le fera Ovide, les prodiges qui provoquent la panique des pirates : « tout d’abord ce fut du vin, un doux breuvage parfumé, qui se répandit sur le rapide vaisseau noir, et une odeur divine s’en exhalait... Aussitôt un pampre se déploya de chaque côté, jusqu’en haut de la voile ; on y voyait pendre de nombreuses grappes ; puis un sombre lierre chargé de fleurs vint s’enrouler autour du mât ; des fruits charmants y poussaient, et les chevilles des rames portaient toutes des couronnes » (Idem, vers 35ss). Mais les métamorphoses, celle d’abord de Dionysos qui « devint sous leurs yeux un lion effroyable », puis celle des marins en dauphins, sont résumées en un mot : « il devint, ils devinrent [geneto / egenonto] », à l’aoriste, temps du ponctuel. Rappelons qu’en grec, les temps expriment essentiellement l’aspect, la façon dont une action se réalise dans la durée et qu’une opposition régit ce système, entre les temps « duratifs », le présent et l’imparfait, qui appréhendent une action dans son développement, et l’aoriste, qui élude la durée et présente une action en procès verbal pur [8]. Pour raconter la première série de miracles le poète alterne aoriste et imparfait, déployant son récit au rythme de la poussée accélérée de la vigne et du lierre. Le prodige de la métamorphose, lui, fait l’objet d’un simple constat. Et c’est là une constante des auteurs grecs qui usent systématiquement de l’aoriste pour évoquer cet événement qui implique mobilité et passage, comme l’atteste d’ailleurs le sens des verbes utilisés, en dehors des génériques « il devint » ou « il fit [9] ».

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«Circé en train d’opérer ». Lécythe AFN, Athènes MN 1133.
Dessin JHS XIII, 1892, p. 7, pl. II. Photo CNRS.

13« L’une des difficultés les plus grandes, dans l’imagination de la métamorphose, du point de vue de l’imagination plastique comme du point de vue du discours, est de rendre le temps de la métamorphose, et de la montrer en acte », observe fort justement, Jackie Pigeaud [10]. Pourtant Ovide surmonte superbement cette difficulté. Il lui arrive certes de procéder « à la grecque », en escamotant le déroulement d’une métamorphose, mais c’est par désir de variété et il s’amuse à justifier cette ellipse : ainsi Céphale, racontant le dénouement de la course sans issue entre son chien et le renard de Teumessos, détourne les yeux, pour ajuster son javelot, juste au moment où Jupiter met un terme à l’aporie en pétrifiant les deux animaux. Il n’a pu voir que le résultat : deux statues de marbre dans la plaine (Métamorphoses, VII, 790-1). Mais ordinairement Ovide décrit longuement et complaisamment toutes les étapes de la transformation : le début, indiqué souvent par le verbe coepi, « commencer », suivi d’une série d’infinitifs décrivant l’exécution dans son déroulement, usant de tous les temps verbaux, le présent et l’imparfait duratifs, ralentissant la transformation, perte de la voix articulée, déformation des membres, poussée des poils et des cuirs... puis le parfait qui montre le résultat. Commencement et modification progressive d’état, c’est bien ainsi que nous concevons la métamorphose, nous dont le regard et l’imaginaire sont façonnés par notre familiarité avec le cinéma fantastique. Sans toutefois oublier que, naguère, l’opération se faisait d’un coup de baguette et que la citrouille était instantanément transformée en carrosse par la bonne fée, marraine de Cendrillon.

14D’évidence, le problème est d’ordre anthropologique et culturel. Ce n’est pas simplement que les Grecs considéraient que l’action du divin échappe aux regards humains. Les récits mettent très souvent en scène un spectateur, qui témoigne. S’il ne peut que raconter sans rien décrire, cela tient plutôt, comme le suggère Pigeaud, à une difficulté des Anciens à penser et à dire une évolution dans sa continuité, à rendre compte du mouvement autrement que par séquences saccadées et plans arrêtés. Les spécialistes des mathématiques antiques aboutissent à des conclusions semblables : l’absence d’un outil conceptuel propre à saisir et analyser la continuité.

15Le contexte mental s’était-il déjà modifié au temps d’Ovide, ou bien la langue latine permettait-elle d’autres modes d’appréhension de la métamorphose ? Ce n’est pas certain. On peut attribuer ces innovations au génie visionnaire d’Ovide. « Le poète a toujours raison, qui voit plus loin que l’horizon », affirmera, bien plus tard, un autre poète. L’art anticipe souvent sur la science et sur les mentalités collectives, qu’il contribue à remodeler [11]. Il est fort possible que dans un contexte mental et intellectuel freinant l’appréhension de la durée, Ovide ait su voir autrement que ses contemporains, trouver un mode « cinématographique » de penser et de dire, inventant le ralenti, allongeant l’événement et le donnant à voir dans toutes ses phases, usant de toutes les possibilités du langage pour varier les approches et stupéfier ses lecteurs. La mégalomanie, totalement justifiée, de l’épilogue de son poème témoigne de sa conscience d’avoir accompli une œuvre aussi immortelle que novatrice [12].

Figurations

16Si les auteurs grecs s’avèrent impuissants ou peu intéressés à rendre compte du déroulé d’une métamorphose, on ne s’étonnera pas que les artistes, soumis à l’impératif de l’image fixe, aient rencontré des difficultés pour représenter graphiquement ou plastiquement un événement impliquant un changement d’état.

17Trois solutions sont théoriquement possibles :

  • la juxtaposition, comme en une bande dessinée, des stades successifs du déroulement d’une action, en l’occurrence une métamorphose.
  • le résultat de la métamorphose arrivée à son terme.
  • la métamorphose incomplète, captée en un moment « arrêté sur image ».
La première solution n’a été que très partiellement mise en œuvre. Les peintres de vases attiques figurent le cycle de métamorphoses de la déesse Thétis en juxtaposant les diverses figures qu’elle endosse successivement. On la voit, anthropomorphe elle-même, à la fois brandissant un poisson, panthère en main, assistée d’un lion et couronnée de feu. Chacune de ces figures correspond au résultat d’une métamorphose, à l’exception peut-être d’un petit monstre mi-lion, mi-poisson qui pourrait suggérer le passage d’une forme à l’autre. La juxtaposition restitue en ce cas la temporalité cyclique des pouvoirs de Thétis plutôt que le cours même de chaque transformation.

18La deuxième solution, la métamorphose achevée, demande à être explicitée par le contexte iconographique. Quelle que soit sa beauté, une vache n’est Io que si Zeus est figuré à son côté, flattant tendrement la tête bovine, flanqué de surcroît du gardien Argos aux cent yeux.

19La troisième formule, la plus fréquente dans l’art grec, aboutit à des figures hybrides. Actéon est ainsi doté d’oreilles et de cornes de cervidé. Callistô, munie d’oreilles d’ourse, regarde tristement sa main velue et griffue. Le peintre a-t-il voulu montrer l’amorce de la métamorphose, débutant par les extrémités ? C’est possible. Mais le plus souvent l’image semble explorer la figuration d’assemblages composites, en jouant sur les variantes. Io est ainsi tantôt une femme à cornes, tantôt une vache à visage humain. Et les victimes de Circé, très diverses, plutôt que d’afficher divers stades de leur transformation, offrent un catalogue de ce que peut créer l’art inventif de la magicienne : ici un homme à tête et sabots de sanglier face à un sanglier dressé sur ses pattes, mais à visage humain. Partout des créatures à tête porcine et bras humains / ou à pattes antérieures et sabots, des corps d’homme à tête de bélier, de chien, de lion et de taureau (un minotaure !).

20On peut y voir une procédure synecdotique de représenter le tout par la partie. Mais les images, et tout particulièrement les peintures de vases, ont pour but le plaisir visuel, celui du spectateur, acheteur et utilisateur de l’objet décoré, et celui du peintre qui manifeste une délectation évidente à mélanger, en des collages insolites, les « parties des animaux » avec le corps humain.

21La peinture étrusque ne procède pas différemment. Une hydrie représentant la transformation en dauphins des ravisseurs de Dionysos, montre six personnages plongeant vers les flots. Cinq sont dauphins de la tête à la taille et le reste est humain. On pourrait croire que la partie qui touche les flots est « déjà » poisson. Mais le sixième interdit cette lecture car c’est sa tête, son buste et la main touchant la vague, qui sont humains, alors que le reste, encore en l’air, est pisciforme. Le peintre semble avoir voulu décomposer le mouvement de la plongée car les jambes sont inégalement dépliées, leur allongement augmentant progressivement de droite à gauche. Cette représentation du mouvement suppose un intérêt manifeste pour la temporalité et atteste un essai d’intégration, dans l’espace figuratif, d’un déroulement chronologique. Mais plutôt que de montrer deux étapes différentes de la transformation, ce peintre a choisi d’en représenter deux modalités : métamorphose procédant soit par le haut soit par le bas, chacune enregistrée au même stade. Ce qui donne deux types d’hybridation possibles entre l’homme et le dauphin. C’est bien là ce qui, dans la métamorphose, intéresse les artistes, grecs autant qu’étrusques : le mélange des espèces, humaine et animale, et ses diverses possibilités formelles. La métamorphose, qui permet d’explorer les frontières entre humanité et bestialité, est pour les peintres matière à expérimentation figurative.

22L’hybridité fournit donc une traduction picturale de la métamorphose. Cependant cette équivalence graphique révèle une analogie plus profonde, dans l’imaginaire grec, entre les deux notions. L’une réalise, in praesentia, en contiguïté, la fusion entre l’humain et les autres règnes de la nature ; ce que l’autre, la métamorphose, exécute en succession chronologique. Mais le fait que la temporalité soit généralement éludée réduit d’autant la distance entre les deux cas de figure. Et surtout les monstres sont plus faciles à imaginer que le passage d’une forme à l’autre. Io, toujours elle, est décrite par Eschyle, qui pourtant n’est pas soumis aux contraintes des artistes figuratifs, comme une créature mixte, moitié vache, moitié femme, dont la vue sème l’épouvante dans les contrées qu’elle traverse [13]. Les philosophes se sont attachés à expliquer la puissance inventive de l’imagination [14].

23Les images mettent donc en évidence l’homologie entre métamorphose et hybridité en laissant apparaître des substitutions possibles, voire des confusions. Parmi les divinités marines, certaines, à l’ordinaire anthropomorphes, sont, quand il le faut, polymorphes. D’autres sont des hybrides fixes, tel Triton, homme-poisson, qui interfère avec Nérée, son grand père, ou le côtoie, en image comme dans les textes. Ou encore Glaucos, le pêcheur devenu une créature marine hybride... à la suite d’une métamorphose. Tout se passe comme si un motif attirait l’autre. Chiron, le centaure, assiste souvent à la lutte de Thétis et Pélée. C’est qu’il est le protecteur du héros, et l’instigateur du combat. À mi-chemin entre les dieux et les hommes (il échangera son immortalité avec Prométhée), il sait que Zeus a décidé de donner la déesse à un mortel et conseille à Pélée de tenter sa chance. Son hybridité congénitale qualifie cet homme-cheval pour contrer les métamorphoses de la Néréide. Il transmet à Pélée le mode d’emploi : enserrer d’une prise circulaire le corps de son adversaire, quelle que soit la forme que celle-ci prendra : cercle contre cycle, de l’homéopathie en quelque sorte. Et Chiron sera l’éducateur d’Achille, né de cette union entre humain et divin.

De quelques modèles

24La pauvreté des descriptions grecques et leurs carences peuvent être partiellement compensées par certains détails, qui laissent entrevoir des modèles sous-jacents à l’imaginaire de la métamorphose.

25Les modèles « naturels » sont peu utilisés. On a vu comment l’Hymne homérique à Dionysos opère un déplacement pour décrire les miracles suscités par le dieu contre les pirates, insistant sur le surgissement des végétaux, vigne et lierre, qui envahissent le navire, et escamotant la métamorphose inconcevable des corps. On pourrait supposer que les métamorphoses en plantes se modèlent sur des observations botaniques. Ce n’est pas exactement ce que révèle un passage d’Apollonios de Rhodes : « De terre elle firent tout d’abord lever un brin d’herbe ; du brin d’herbe poussa de longues tiges, puis des ramures verdoyantes se dressaient au dessus du sol. Hespéra devint un peuplier, Erythée un orme, Eglé le tronc sacré d’un saule » (Argonautiques, IV, 1423-1428). Le poète décrit, d’une part, en l’accélérant, une croissance végétale et énonce ensuite – egeneto – les résultats des métamorphoses. Il procède par juxtaposition. Ovide saura montrer les cheveux s’allongeant pour devenir feuillage, les bras poussant en rameaux et les pieds s’enracinant (Métamorphoses, I, 549ss).

26Il est rare que les modalités d’une transformation soient précisées. La baguette magique est présente, maniée par Hermès, Artémis... ou Circé. Celle-ci fait d’abord boire une potion aux compagnons d’Ulysse. La recette nous en est livrée : « Dans du vin de Pramnos elle mélangea du fromage, de la farine et du miel vert, et y ajouta une drogue funeste pour leur enlever tout souvenir de la patrie. Elle leur donna la coupe, qu’ils burent et, tout de suite, les ayant frappés d’un coup de baguette, elle les enferma dans la porcherie. Des porcs ils avaient la tête, et la voix, et les soies, et la forme, mais en eux persistait leur esprit d’autrefois » (Odyssée, X, 235-240). La magicienne opère à la fois de l’extérieur et de l’intérieur : le contact de la baguette parachève l’efficacité du pharmakon, philtre absorbé dans un breuvage, selon le modèle de la sorcellerie traditionnelle ou de la médecine. Pour contrecarrer l’effet de cette drogue, Hermès donne à Ulysse une herbe de vie, le molu, à racine noire et à fleur blanche comme le lait (contre poison notoire). Nous sommes toujours dans le domaine de la pharmacopée. Stupéfaite, la magicienne constate que son philtre n’agit pas. Lorsque, sous la contrainte, Circé rend à ses victimes leur forme humaine, elle utilise un autre pharmakon, en procédant par l’extérieur : elle les enduit d’un onguent qui fait tomber les poils dont les avaient couverts le premier philtre : « ils redevinrent des hommes, mais plus jeunes qu’auparavant, plus beaux et de meilleure apparence » (Idem, 391-395). Le modèle glisse de la magie médicinale vers la cosmétique.

27Athéna procède de même, usant d’une baguette d’or pour transformer Ulysse, chez Eumée, devant Télémaque : « Elle lui rendit son allure et sa jeunesse; son teint redevint brun, ses joues se regonflèrent, et sa barbe bleu sombre entoura son menton » (Idem, XVI, 172). Et plus tard, complétant les soins corporels que lui donne Eurynomé, qui l’a baigné et enduit d’huile, la déesse « déverse la beauté sur sa tête, le faisant paraître plus grand et plus robuste, déroulant de son front des boucles semblables à la fleur de l’hyacinthe » (Idem, XXIII, 153ss). La continuité est manifeste ici entre la toilette et la métamorphose de jouvence. La transformation antérieure d’Ulysse, en un mendiant répugnant, s’était réalisée par vieillissement accéléré : « d’un coup de baguette, elle flétrit sa belle peau sur ses membres souples, fit tomber de sa tête ses cheveux blonds et entoura tous ses membres de la peau d’un vieil homme, puis érailla ses yeux si beaux naguère » (Idem, XIII, 429ss). Chacune de ces opérations est complétée par l’ajout d’une tenue adaptée. « Elle le vêtit de haillons, d’une méchante loque graisseuse, rongée par la fumée. Elle l’enveloppa de la grande peau, râpée, d’un cerf rapide ; lui donna un bâton, une affreuse besace, toute trouée ; la courroie était une corde » (Idem, 434ss). La peau animale, usée de surcroît, souligne la marginalité du vagabond, rejeté dans une sous-humanité. Le vêtement tissé définit l’homme civilisé, par contraste avec divers statuts plus ou moins proches de l’animalité, chasseurs, bergers ou sauvages, « vêtus de peaux de bêtes ». Aussi, devant Télémaque, Athéna met-elle à Ulysse « une écharpe fraîchement lavée et un manteau autour du corps » (Idem, XVI, 173) ; de la même façon que l’intendante, un peu plus tard, « le revêtait d’une belle robe et d’un manteau ». La présence du motif vestimentaire révèle la proximité de la métamorphose et du déguisement. Cette relation peut prendre la forme d’une association par contiguïté : Ménélas, pour approcher Protée, se déguise en phoque, avec ses compagnons, endossant des peaux fraîchement écorchées – et nauséabondes – et se glissant dans le troupeau des bêtes marines que fait paître le Vieux de la mer. Il se fait donc phoque lui-même, afin de contrer les transformations cycliques du dieu. Une pseudo-métamorphose riche en connotations, car le phoque, mammifère amphibie, dont l’apparence morphologique tient du poisson – il a des nageoires – et de l’humain – « ses pieds antérieurs ressemblent à des mains » –, remarque Aristote, est une sorte d’hybride.

28Mais la relation peut aussi prendre la forme de la substitution. Ainsi de la métamorphose d’Actéon [15]. Si les images montrent le malheureux tantôt muni de cornes de cerfs, tantôt portant, comme une cape, une peau de biche, les textes ne sont pas toujours plus explicites. Le témoignage de Stésichore, poète du VIème siècle, est particulièrement ambigu. « La déesse jeta autour d’Actéon une peau de cerf, lui préparant la mort par les chiens [16] ». Peribalein, « jeter autour, entourer » : ce verbe peut s’interpréter de deux façons : métaphoriquement, pour dire la métamorphose du chasseur, subitement enserré dans une peau et un corps de cerf... mais gardant tous ses esprits. Ou bien, pris au sens propre, comme une peau de cerf jetée sur les épaules d’Actéon, à la façon d’Athéna habillant Ulysse [17], afin de leurrer les chiens. Inutile de dissiper l’ambiguïté et de choisir entre métamorphose effective ou déguisement, l’intervention de la déesse interdisant de considérer la première interprétation comme plus réaliste que la seconde. L’intéressant est que celle-ci, le déguisement, apparaisse comme un modèle permettant de penser la métamorphose. En revanche, il existe une version « positiviste », qui attribue la mort d’Actéon à la rage, dont la meute d’Actéon aurait été atteinte : « dans leur délire, ils étaient incapables de reconnaître personne et devaient déchirer le premier venu », affirme Pausanias. Cette variante est attestée, bien auparavant, par l’iconographie, qui montre, face à Actéon déchiré par ses chiens, un personnage féminin, avec sur sa tête, comme soudée au crâne, une petite tête de chien. Cette figure hybride est explicitement nommée Lyssa : c’est la divinité de la folie, humaine autant que canine. La présence d’Artémis, sur ces mêmes images, tempère sensiblement le rationalisme de Pausanias, car c’est elle qui déchaîne Lyssa. C’est ce que confirme Apollodore : « La déesse le métamorphosa en cerf, puis elle envoya la rage sur les chiens qui, dans leur délire, le dévorèrent sans le reconnaître ». Surcroît de précaution divine, ou redondance narrative, l’intérêt de cette version est de mettre l’accent sur la dimension visuelle de la métamorphose. L’événement peut être pensé sur le modèle de l’hallucination. Ces jeux d’illusion sont présentés comme une seconde face du pouvoir des dieux, selon les mythes... que Socrate entreprend de démolir.

29Autre mode opératoire, autre modèle : lorsque Zeus presse entre ses mains Périphas pour en faire un oiseau, lorsque son épouse, Héra, étire le cou d’une jeune orgueilleuse pour la transformer en grue, ils mettent la main à la pâte humaine. Ces deux exemples renvoient à des techniques de façonnage, de modelage dans la glaise. C’est l’un des modèles le plus fréquent, dans de nombreuses mythologies, pour penser la genèse de l’homme et des animaux, le ou les dieux créateurs étant représentés comme potier ou sculpteur. Et le Pygmalion d’Ovide, pour se procurer la femme de ses rêves, n’agit pas autrement qu’Héphaïstos, qui modèle, pour le malheur de l’humanité jusqu’alors exclusivement mâle, l’irrésistible Pandora, parée ensuite par Aphrodite et Athéna, comme le raconte Hésiode. Dans l’Odyssée, la transformation finale d’Ulysse, déjà évoquéepar nous, fait l’objet d’une comparaison artisanale. Athéna déversant la beauté sur le héros pour le rendre « pareil aux Immortels », procède, dit le poète, « comme lorsqu’un homme habile, instruit de toutes leurs techniques par Héphaïstos et Pallas Athéna, fait couler l’or sur l’argent et accomplit un ouvrage plein de grâce. C’est ainsi qu’Athéna sur sa tête et ses épaules faisait couler la grâce » (XXIII, 159ss). La déesse artisane exécute sur Ulysse un travail d’orfèvre. De fait la statuaire joue un rôle important dans la représentation de cette forme particulière de métamorphose qu’est la pétrification. Ainsi que dans l’opération inverse, la dépétrification, qu’Ovide met en scène dans le début de son poème. Après le déluge, le couple de survivants, Pyrrha et Deucalion, créent une nouvelle humanité en jetant derrière leur épaule des pierres qui produisent les hommes et les femmes. Dans la description des pierres qui s’amollissent et prennent forme, Ovide fait appel à une comparaison avec la sculpture : « on peut y reconnaître, quoique vague encore, une forme humaine, telle qu’elle commence à sortir du marbre, imparfaite et semblable aux statues encore brutes » (Métamorphoses, I, 401 sqq). Le rapport entre la pétrification et la sculpture ne tient pas seulement à une association avec la rigidité cadavérique [18], ni à la fonction funéraire de la statuaire. Elle s’inscrit dans un réseau plus vaste et plus complexe de représentations, qui se dégage à travers quelques récits. Celui de la mort d’Alcmène est exemplaire. Lorsque la mère d’Héraclès meurt, Hermès l’enlève sur décision de Zeus pour la transporter dans l’île des Bienheureux. Et à sa place, il met une pierre [19]. Surpris par le poids du cercueil, les porteurs l’ouvrent, trouvent la pierre et l’érigent dans un sanctuaire. L’alternance des variantes met en évidence une ambiguïté, ou une équivalence, entre la transformation du cadavre en pierre, une pétrification, et la substitution d’une pierre au cadavre. Elles combinent, en variant leurs relations, plusieurs thèmes : mort, disparition, invisibilité, fantôme, pierre et double [20]. Cette ambiguïté concerne aussi les autres catégories de métamorphoses : a-t-on affaire à une métamorphose, ou à une disparition accompagnée d’un reliquat, à un échange, à un remplacement ? Narcisse, se mourant d’amour (pour son reflet) sur les bords de la source a-t-il été transformé en fleur, ou bien s’est-il noyé, les dieux ayant alors fait pousser le premier narcisse sur la rive ? C’est ce qu’exprime la préposition ou le préverbe anti, « à la place de ». Ovide lève généralement cette ambiguïté. Les textes grecs pas toujours : Artémis a-t-elle transformé Iphigénie en biche, ou lui a-t-elle substitué une biche en emportant la jeune fille en Tauride ? Ces deux versions sont attestées mais une troisième conserve l’équivoque. Ce dernier modèle, disparition et remplacement, nous reconduit à la dimension visuelle de la métamorphose. Le regard est à nouveau en question. Cependant il ne s’agit plus de fantasmagorie hallucinatoire, mais d’une alternance entre invisibilité et visibilité, qui se joue lors d’une interruption de la vision, le temps d’un clignement d’yeux, d’un battement de paupière. Les témoins racontent... qu’ils n’ont rien vu. Lors du sacrifice d’Iphigénie, les Grecs, horrifiés, ont détourné les yeux et le tour de passe-passe leur a échappé. Tout comme à Céphale, on l’a dit, l’arrêt sur image, de la course sans fin du chien et du renard, statufiés dans la plaine.

30Aristote ignore la métamorphose. Il analyse les correspondances entre les corps des êtres vivants, leurs membres et leurs parties, et sa classification qui établit une gradation irréversible de la plante à l’animal tient compte des analogies et des ressemblances. Le phoque l’intéresse, mais ne le trouble pas. Il s’attache à rendre compte des transformations du vivant, différenciant les notions de génération, changement, croissance, diminution, corruption ou destruction [21]. Il enregistre les modifications de couleur du caméléon, et les différents stades que connaît la morphologie des insectes : « Certains êtres vivants vivent d’abord dans l’eau, puis changent de forme et vivent hors de l’eau. C’est le cas des vers de rivière : car de ces vers se forme le taon [22] ». Pour dire le changement de forme d’un vers qui devient mouche – metaballei eis allèn morphèn – le philosophe utilise le même vocabulaire que ses contemporains poètes, racontant la transformation d’un être humain en vache, en cerf ou en oiseau. Ovide atteste le besoin d’un terme spécifique pour désigner un type particulier de mutation, en l’isolant verbalement des autres catégories de changement, naturelles ou sociales, – alloiosis, disait Aristote. Poète latin, il a adopté le mot métamorphose pour regrouper sous un vocable grec les mythes grecs qui relatent des transformations miraculeuses, des changements appartenant au domaine de la réalité surnaturelle des dieux, de la fiction et de la poésie. Paradoxalement, plus tard, le mot s’est dilaté, récupérant parmi ses acceptions, par extension métaphorique, les autres catégories de changements dont il s’était au départ différencié. Il s’est en particulier installé dans la terminologie zoologique. Façon de repoétiser les sciences de la nature ? Toujours est-il que l’on ne peut plus guère penser la libellule sans ses métamorphoses [23].

Notes

  • [1]
    Pour des analyses plus détaillées, cf. P.M.C. Forbes Irving, Metamorphosis in Greek Myths, 1990, Oxford University Press ; et F. Frontisi-Ducroux, L’Homme-Cerf et la femme-araignée. Figures grecques de la métamorphose, 2003, Paris, Gallimard.
  • [2]
    Platon, République, II, 280d ss. Édition Emile Chambry, Belles Lettres, Paris.
  • [3]
    Le changement de sexe fait partie des métamorphoses : quelques héroïnes, Leucippos, Kainis, obtiennent de devenir mâles, ce qui est une promotion. Inversement, le chasseur Siproïtès devient femme, tout comme Tirésias qui, en un second temps, recouvre le bon sexe. Cette catégorie de transformation demanderait des développements spécifiques. Cf. infra, note 8.
  • [4]
    Antoninus Liberalis, Les Métamorphoses, Manolis Papathomopoulos ed. 1968, Paris, Belles Lettres, XV, 4.
  • [5]
    Strabon est un contemporain d’Ovide et a fait de fréquents séjours à Rome. La date de parution de sa Géographie est controversée : entre 7 avant J.-C. et 18-19 après, en ce cas largement après les Métamorphoses d’Ovide (composées au tout début du siècle). Strabon utilise le mot « métamorphoses » en I, 2, 11, à propos d’Homère, dans son introduction, probablement rédigée ou remaniée en dernier lieu. Le recueil, antérieur à Ovide, de Parthenios de Nicée est cité, après Ovide, sous le titre Metamorphoseis. On peut se demander si c’est le titre original. D’autres recueils hellénistiques s’intitulaient Thaumasia, Merveilles, Aitiai, Causes, ou Alloioseis, Changements.
  • [6]
    Ovide n’utilise pas le mot en dehors du titre. En latin, le mot est attesté chez Sénèque (dans l’Apocoloquintose – transformation en citrouille – du divin Claude), Quintilien et Martial, en référence à Ovide.
  • [7]
    Pour le changement de sexe, la transformation d’une femme en homme est positive, l’inverse est totalement négatif comme le prouve le châtiment de Siproïtès, parallèle de celui d’Actéon. Tous deux ont commis l’erreur de voir Artémis au bain : l’un est animalisé, l’autre féminisé : deux statuts inférieurs. Cf. supra, note 4.
  • [8]
    Jean Humbert, citant les Stoïciens, inventeurs du terme « aoriste », insiste sur son caractère négatif : « l’aoriste constate un fait dont la durée n’a pas d’intérêt aux yeux du sujet parlant ».
  • [9]
    On peut comparer de même l’épisode de Circé dans l’Odyssée, X, 23O sqq. et chez Ovide, Métamorphoses, XIV, 123 sqq.
  • [10]
    Jackie Pigeaud, L’Art et le vivant, 1995, Paris, Gallimard, p.116.
  • [11]
    Un autre poème, contemporain d’Auguste, la Ciris, témoigne lui aussi, d’une aptitude à détailler une métamorphose, celle de Scylla en aigrette (Vers 490-505). Raison supplémentaire d’attribuer ce poème à Virgile. Cf. l’édition d’Auguste Haury, 1957, Bordeaux. Un siècle plus tard Apulée saura bien décrire la transformation de la magicienne Pamphilé en oiseau et celle de Lucius en âne (Apulée, Les Métamorphoses, III, 21 et 24).
  • [12]
    « Je serai lu des peuples, fameux à travers les siècles, et s’il y a quelque vérité dans les pressentiments des poètes, je vivrai » (XV, 877-8). Le premier mot du poème était nova (in nova)
  • [13]
    Eschyle, Suppliantes, 566ss. On peut imaginer que le personnage qui paraissait sur scène portait simplement un masque à cornes. En Grèce ancienne, les monstres sont bons à penser et à décrire mais leur figuration fait toujours l’objet d’une esthétisation.
  • [14]
    Cf. Lucrèce (IV, 734ss) exposant les théories d’Epicure : l’image du centaure provient de la rencontre dans notre esprit d’un simulacre de partie humaine et d’un simulacre de partie chevaline. Les deux images se soudent. Et le peintre n’a plus qu’à représenter.
  • [15]
    Artémis l’asperge d’eau, précisent certaines versions ; c’est qu’elle est « au bain ».
  • [16]
    Cité par Pausanias, Description de la Grèce, IX, 2, 3.
  • [17]
    Homère utilisait les verbes amphitithemi (XIII, 431-432), amphibalo (434) et amphiennumi (436) « entourer d’une peau, d’un vêtement ».
  • [18]
    La métamorphose n’est pas systématiquement le développement narratif d’une métaphore, bien qu’Ovide ait largement usé de ce type de rapprochement.
  • [19]
    Antoninus Liberalis, Les Métamorphoses ; XXXIII. Cf. Plutarque, Romulus, 28, 7 ; Pausanias, Description de la Grèce, IX, 16,7.
  • [20]
    Cf. l’article fondateur de Jean-Pierre Vernant : « Figuration de l’invisible et catégorie psychologique du double : le colossos », Mythe et pensée chez les Grecs, 1965, Paris, p.252-264.
  • [21]
    Genesis, alloiosis, auxesis, meiosis, phthora. Cf. le traité « De la génération et de la corruption ».
  • [22]
    Aristote, Histoire des animaux, I, 1, 3-6. Il s’agit plus exactement de l’oistros, espèce de mouche poilue, proche du taon, selon Pierre Louis (cf. Histoire des animaux, tome I, livres I–IV ; texte établi et traduit par Pierre Louis, 1964, Paris, Les Belles Lettres).
  • [23]
    « Depuis le mois d’avril jusqu’à la fin de septembre, et même jusqu’au milieu d’octobre, il y a journellement des nymphes qui se métamorphosent en demoiselle », écrit le très savant René-Antoine Ferchault de Réaumur, Mémoire pour servir à l’histoire des insectes, 1734-1742, T. VI, p. 406. Une lecture de ce très beau texte a été donnée, le 25 septembre 2007, au Banquet d’ouverture de la saison du Collège de la cité des sciences et de l’industrie à Paris, Porte de la Villette.