Philosopher au Portugal aujourd'hui. Un choix

1Pour l’ensemble des textes de ce numéro de Rue Descartes, il ne s’agit pas de tracer un quelconque panorama de la pensée portugaise actuelle, mais d’offrir un aperçu, forcément partiel, d’un certain nombre de problématiques que travaillent certains philosophes portugais, et qui se trouvent articulées avec les pratiques philosophiques contemporaines en général. Leur singularité sera mesurée par cette articulation même. La présence de Fernando Gil est centrale. D’une manière ou d’une autre, tous les philosophes qui contribuent au Corpus ont travaillé avec lui, ce qui permettra une espèce de bilan de la pensée portugaise pour la seconde moitié du XXe siècle et le début de celui-ci sous l’influence de son magistère. Diogo Pires Aurélio enquête sur « La souveraineté comme volonté et comme représentation », tout en soulignant, à partir de l’analyse iconologique détaillée des deux gravures du Léviathan, l’irréductible nature antinomique des éléments constitutifs de la Souveraineté, à savoir, l’expression de la volonté des citoyens, et la logique de la représentation qui suppose le refoulement de la volonté de chacun.

2Le texte de Sofia Miguéns présente « Trois perspectives sur la discriminabilité apparence/réalité dans l’expérience consciente » – 1) celle de Husserl ; 2) celle de Daniel Dennett et 3) celle de la position disjonctiviste en philosophie (analytique) de la perception. Qu’entendons-nous par « phénoménologie » ? Le but est la mise en évidence de leurs enjeux métaphysiques qui ne sont pas toujours explicites surtout pour ce qui est du troisième cas.

3Partant de l’importance conférée par le pyrrhonisme aux ????? – signe indicatif du besoin de trouver un langage en conformité avec l’orientation non dogmatique de la pensée –, l’étude de Rui Bertrand Romão « Scepticisme et style » se centre sur plusieurs styles associés à l’expression philosophique du scepticisme, considérant notamment les cas de Sextus Empiricus, de Francisco Sanches et de Montaigne.

4« La psychologie du deuxième Wittgenstein » s’oriente, selon António Marques, sur le modèle d’une recherche des fondements qui ne peut pas être séparée d’un travail systématique sur l’absolue solidarité qui existe entre le vécu et le langage. Seul ce travail évite une conception entièrement fonctionnaliste de la psychologie, ou du moins un penchant fortement réducteur.

5Pour Paulo Tunhas il y a indubitablement une structure générale qui est propre à la croyance en tant que telle. Mais les actes de croyance adoptent des formes différentes selon les objets sur lesquels ils portent. L’hypothèse de « Trois types de croyance » est que croire à la vérité, croire au bien et croire à la beauté mettent en jeu des actes de croyance qui, en dépit d’une certaine structure commune, ne se confondent pas.

6Maria Filomena Molder établit la trame problématique qui rassemble « Symbole, analogie et affinité ». La source du traitement de ces relations en est un texte de Walter Benjamin, « Analogie et affinité ». Le contraste entre le symbole de nature réflexive chez Kant, dont la ratio est analogique, et le symbole aristophanesque, qui dépasse toute intention analogique, a été choisi comme point de départ argumentatif.

7« Comment faire du sens avec des choses si disparates – la bureaucratie hospitalière, une même image “naturelle” qui se perpétue à travers les siècles, la médecine et ses limitations, la mort et l’archaïsme des pleurs collectifs, l’amour et la pitié ? ». Voici la question initiale, le véritable enjeu de toutes les pages de « L’hôpital et la loi morale », le dernier texte de Fernando Gil publié au Portugal peu avant sa mort. Il a été choisi comme point de départ de Parole, suivi d’une table ronde entre deux médecins Manuel Silvério Marques et João Lobo Antunes (cités dans le texte) et le philosophe Renato Lessa (responsable des recherches sur Fernando Gil à Rio de Janeiro).

8Dans Périphéries, José Gil nous invite à réfléchir sur « Le plan de pensée d’Eduardo Lourenço » (dont l’oïuvre a marqué la seconde moitié du XXe siècle portugais). Il a inventé une méthode critique d’analyse du roman et de la littérature, méthode « tragique » qu’il étend à l’examen constant de la situation politique, existentielle et culturelle des Portugais et à celle du Portugal en Europe. Ce sont les principes, les mécanismes et les effets de cette méthode qui font l’objet de ce texte.
Sur le site du Collège international de philosophie sera disponible lors de la parution de ce numéro une synopsis historico-critique – dont l’auteur est Adelino Cardoso – sur l’activité philosophique au Portugal depuis les années quatre-vingt. En faisant un compte rendu du développement des éditions philosophiques et des centres de recherche, ce panorama permet d’élargir le cadre du choix proposé pour Philosopher au Portugal aujourd’hui.

figure im1