Avant-gardes, progressisme et révolutions : le choc de la modernité

Monographie Otto Piene publiée par Ante Glibota, édition Delight 2010

figure im1

Monographie Otto Piene publiée par Ante Glibota, édition Delight 2010

1Qui veut tenter une écologie de l’avant-garde devra tenir compte du fait que son action a été largement déterminée par la confrontation des artistes avec un milieu social bouleversé par l’essor des sciences et des techniques modernes. C’est avant tout sur le plan du sensorium humain que les répercussions de ces bouleversements ont été enregistrées, sous la forme d’innombrables développements formels, esthétiques et méthodologiques autour du choc, substituant à l’expérience traditionnelle le vécu traumatique de l’homme moderne. De ce bouleversement de la perception par le choc, sous l’effet des secousses communiquées au milieu social par le développement technoscientifique, l’homme n’est évidemment pas sorti indemne. Son expérience s’est si profondément transformée qu’on est porté à parler à cet égard d’une véritable mutation anthropologique [1].

2Les avant-gardes n’ont fait que porter à son comble cette transformation massive des modes d’existence et de perception, persuadées que ce processus destructeur, parvenant à son point climatérique, finirait par se renverser en une libération totale. La brutalisation du champ social et du sensorium humain consécutive à l’avènement du mode de production industrielle se retrouve en effet dans la plupart des manifestations avant-gardistes en art. La forme même des ouvres en témoigne : que l’on pense aux collages cubistes, dada ou surréalistes, à l’exploration des ressources du montage cinématographique chez Vertov et Eisenstein, à la discrépance lettriste et au détournement situationniste, ou encore au cut up et aux installations, chaque fois l’art d’avant-garde montre qu’il est dans une large mesure un art du montage –ce qui revient à dire qu’il repose sur le rapprochement brutal, le heurt entre des formes, des couleurs, des textures, des objets, des images ou des significations hétérogènes. De même, sur le plan de l’aisthesis, l’avant-garde a inscrit son action dans le cadre d’un paradigme de l’intensité privilégiant les sensations fortes, et intégrant au registre de l’esthétique aussi bien la beauté panique (convulsive et « explosante-fixe », pour reprendre les mots d’André Breton), que la surprise, l’inattendu, ou même la laideur et le dégoût – en bref tout ce qui choque, tout ce qui transgresse et heurte les conventions morales ou artistiques. En arrière-plan, les protocoles d’expérimentation artistique centrés sur l’usage de stimulants, d’alcools ou de drogues témoignaient également d’une intégration du choc comme donnée de base pour la création d’avant-garde, liée à une volonté de mise en danger physique qui culminera notamment avec l’Actionnisme viennois ou l’art corporel dans une « culture de la douleur que l’on inflige, ou que l’on s’inflige [2] ».

3À travers tout cela court une même idée : la destruction de l’expérience traditionnelle peut être l’instrument d’une « barbarie positive [3] », l’accoutumance artistique au vécu traumatique permettant à l’homme moderne de se forger une nouvelle sensibilité, une nouvelle âme et un nouveau corps, pour s’adapter aux conditions d’existence déterminées par les cycles incessants de l’innovation technoscientifique. Confrontée à un milieu devenu hostile pour l’homme des sociétés préindustrielles, l’avant-garde n’a pas voulu préserver un substrat anthropologique menacé, une hypothétique nature humaine ; implicitement ou explicitement, elle a plutôt cherché à participer à l’avènement sur cette base d’un homme nouveau, adapté à ce milieu nouveau que sont les grandes métropoles, les usines et les moyens de communication de masse.

4Chose étonnante si l’on songe à ce qu’avaient été par exemple les réactions du romantisme ou du mouvement Arts & Crafts face aux premières répercussions du développement technoscientifique sur le milieu social [4], on voit donc que la confrontation des artistes d’avant-garde avec cette transformation massive des modes d’existence et de perception a été systématiquement pensée sous les auspices du Progrès. Comme on sait, l’idéologie du Progrès considère que tout ce qui advient dans l’histoire est le résultat d’une évolution nécessaire, propre à constituer le socle sur lequel doivent se construire les réalisations présentes et à venir. La vie moderne se déroulant sous l’emprise du choc et des vécus traumatiques, l’action des avant-gardes n’a donc pas consisté à fuir cet état de fait ou à le renverser : elle a consisté à aller encore plus loin, à passer de la réception passive à la recherche frénétique du choc, à explorer toutes les voies ouvertes par cette mutation de la sensibilité. Et à rechercher quel type humain nouveau pourrait naître sur les décombres de l’expérience traditionnelle et des formes de vie qui lui sont associées. En ce sens, on est fondé à parler de l’avant-garde comme d’une expression exacerbée, paroxystique, de la modernité [5].Dans l’histoire de la culture, elle représente bien le stade auroral de ce qu’on a pu appeler la surmodernité ou l’hypermodernité [6].

5Ici trouve son ancrage l’engagement massif des artistes d’avant-garde dans les mouvements politiques révolutionnaires de droite comme de gauche. Car leur projet de créer un homme nouveau pour un monde nouveau à partir de la tabula rasa expérientielle était aussi celui des bolcheviks et des partisans du fascisme, dans une même fascination pour le développement technoscientifique et les perspectives qu’il ouvrait à l’automodification infinie du genre humain [7]. Or, par cette articulation effectuée entre la destruction moderne de l’expérience et un activisme révolutionnaire, l’avant-garde se plaçait d’emblée au cœur du paradigme de la modernité tel que l’a mis en lumière Reinhart Koselleck, dans la tension entre champ d’expérience et horizon d’attente [8].

6Tandis que l’horizon d’attente traditionnel s’était jusqu’alors constitué à partir de l’ensemble des expériences acquises, permettant ainsi à la conscience anticipante de construire un système de représentations du futur rassurantes parce que probables, à partir de la Renaissance les révolutions scientifiques et leurs applications techniques, l’exploration du globe et la découverte des civilisations lointaines, l’essor du capitalisme et de l’industrie viennent balayer en permanence le champ des expériences acquises, ouvrant dans l’avenir une brèche aveugle. L’attente devient alors une attente d’objets, d’événements et d’expériences absolument nouveaux, dont l’évaluation est impossible parce qu’elle échappe à toute représentation – aucune expérience passée n’offrant un modèle de compréhension satisfaisant de l’avenir. Ce que Koselleck résume ainsi : « au cours des Temps modernes, la différence entre expérience et attente ne cesse de croître, ou plus exactement […] lesTemps modernes ne se saisissent comme des temps nouveaux que depuis le moment où les attentes se sont de plus en plus éloignées de toutes les expériences faites jusqu’alors [9] ». La notion de progrès, forgée au XVIIIe siècle, est venue conceptualiser cette structure temporelle propre à l’époque moderne, qui peut être résumée par la formule suivante : «Plus le contenu d’expérience est mince, plus l’attente qui s’ensuit est grande. Plus l’expérience est mince, plus l’attente est grande[10] ». Les idéologies politiques révolutionnaires ne sont finalement, selon Koselleck, qu’une illustration de ce principe : leur attente d’un monde absolument neuf est d’autant plus chargée d’espérance que l’expérience des sociétés anciennes s’est dissoute dans les bouleversements modernes, et que les systèmes sociaux qu’elles prévoient d’établir n’ont qu’un « contenu d’expérience faible, voire inexistant [11] ».

7Les mouvements d’avant-garde sont donc « absolument modernes », au sens de Koselleck, en ceci qu’ils se sont donné pour cause, dans les deux sens du terme, la destruction de l’expérience traditionnelle : cette destruction est à l’origine d’un nouveau mode de perception, d’une nouvelle sensibilité traçant la ligne directrice des productions culturelles à venir – la culture étant ici entendue aussi bien sur le plan des œuvres que sur le plan de ce qui les dépasse : la transformation des comportements, des modes de vie, des situations de la vie quotidienne, qui autorise à parler selon les cas de dépassement de l’art ou de transformation de la vie en œuvre d’art ; mais la destruction de l’expérience est aussi le modèle qui permet de penser le projet révolutionnaire correspondant à ce projet de transformation culturelle radicale – faisant ainsi se rejoindre art et politique, dépassement de l’art et révolution sociale. Parce qu’elles ont compris la mutation de la sensibilité à l’ère moderne dans une perspective progressiste, les avant-gardes l’ont accueillie comme une manifestation fatale de ce « changement continu, nécessaire et obéissant à des causes uniformes » qu’est censé être le mouvement historique [12]. Cette transformation des modes de vie et de perception a donc été affectée d’un signe neutre, voire positif (chez les futuristes ou les animateurs du Bauhaus), les avant-gardes ayant considéré qu’il fallait en prendre acte pour construire à partir de là un art nouveau. Ce faisant, elles ont pensé qu’elles «nageaient dans le sens du courant », dans le sens de l’histoire. Mais elles ont ainsi entériné les mutations de la sensibilité moderne, en cherchant à les porter à leur point le plus haut : ayant participé à l’accoutumance de l’homme moderne vis-à-vis du choc, à son dressage aux stimulations propagées par la mégamachine, elles ont donc œuvré à son acclimatation au nouveau monde industriel, et contribué à reconduire dans l’ensemble de la praxis sociale et des significations imaginaires du monde contemporain les déterminismes technologiques, économiques et politiques qui s’exerçaient sur l’homme producteur au XIXe siècle. En ce sens, on peut dire qu’elles ont accompagné et facilité l’avènement de cette hégémonie technicienne qui prend aujourd’hui la planète entière dans son engrenage [13].

8Toutefois l’herméneutique de la conscience historique développée par Koselleck pose plusieurs problèmes. D’une part, elle conduit à condamner tout projet révolutionnaire en général, dont l’action destructrice n’est jamais justifiée que par l’attente d’un avenir inconnu auquel ne correspond aucune empirie véritable. Koselleck achève d’ailleurs son essai sur la perspective d’une action politique enfin délivrée des aspirations révolutionnaires, dont la formule serait : « plus grande est l’expérience, plus prudente mais aussi plus ouverte est l’attente [14] ». Cependant, pour que l’expérience soit plus grande, il faudrait qu’aient disparu les causes de sa destruction moderne, mises en lumière par Koselleck lui-même, et notamment le développement économique et technologique : ce qui n’est guère faisable autrement que par une transformation sociale radicale, une révolution. Or Koselleck ne s’explique pas sur ce point.

9D’autre part, en faisant de la destruction de l’expérience l’unique origine des mouvements politiques révolutionnaires, les thèses développées par Koselleck dénient à leurs agents, qu’ils soient théoriciens ou non, la connaissance de ce pour quoi ils se battent. Si l’on prend plus directement le cas du mouvement communiste, non réductible à ses travestissements totalitaires, on voit mal pourquoi les ouvriers combattraient pour une cause dont ils ne possèdent pas déjà la connaissance pratique. Il importe de rappeler que le prolétariat expérimente le communisme sous sa forme éthique dans la solidarité concrète entre agents du processus productif, dans le dévouement du militant ouvrier au service de la cause générale, et dans le développement de la fierté de classe au cours du combat politique. Le prolétariat entame aussi la construction matérielle d’une vie communiste en réfutant dans la pratique les logiques de l’agir capitaliste, basées sur le calcul par chacun de ses intérêts particuliers : au moyen du don, de la gratuité et de la propriété collective sur lesquels reposent les organes d’entraide du mouvement ouvrier (mutuelles, caisses de secours aux grévistes, etc.) – et dans la production et l’échange d’objets et de services en dehors de toute médiation monétaire (coopératives de production, bourses du travail, associations culturelles, etc.).

10Contrairement à ce qu’affirme Koselleck, au fur et à mesure qu’il se développe en tant que mouvement social, le communisme se constitue donc bien un contenu empirique lui permettant d’enrichir et de préciser son horizon d’attente. Dès lors, on est porté à remettre en question l’homologie entre les révolutions scientifiques et techniques d’une part et les révolutions sociales et politiques d’autre part, homologie que Koselleck croit pouvoir établir du point de vue de la perte d’expérience (« plus l’expérience est mince, plus l’attente est grande ») : cette homologie n’apparaît-elle pas elle-même comme un lieu commun hérité de l’idéologie progressiste des Lumières – que Koselleck prétend pourtant déconstruire ?

11Il y a donc nécessité de penser le découplage de la révolution sociale et politique vis-à-vis de la notion de révolution technique et scientifique. Ou pour parler autrement, penser le découplage de l’idée de révolution vis-à-vis de l’idée de progrès. Comme le faisait remarquer Hannah Arendt, le mot même de révolution, lorsqu’il fit son apparition dans le vocabulaire politique au XVIIe siècle, signifiait pour ceux qui l’utilisaient « un mouvement de retour à un point préétabli et, implicitement, le retour à un ordre prévu d’avance [15] », sur le modèle des révolutions astronomiques. Les révolutionnaires du XVIIe et du XVIIIe siècle n’avaient nullement pour ambition de donner à l’homme et au monde une forme radicalement neuve : « ils voulaient en revenir à l’ancien temps où les choses allaient comme elles devaient aller [16] ». On pourrait tenir le même raisonnement à propos des révolutions du XIXe siècle, avant que le mouvement ouvrier ne tombe sous la coupe du progressisme marxiste : leurs acteurs n’avaient pas l’intention d’accroître le progrès des forces productives,mais de s’y opposer. Ils ne cherchaient pas à renforcer le processus d’industrialisation des modes de production et d’existence, mais à l’entraver, voire à l’inverser. Qu’il s’agisse des luddites ou des ouvriers de métier syndicalistes révolutionnaires, ils étaient attachés à la défense du statut de petit producteur indépendant, radicalement antagoniste à celui de l’ouvrier-masse que fabriqueront le taylorisme puis le fordisme [17]. Les protagonistes des mouvements socialistes, communistes, révolutionnaires, ne cherchaient rien d’autre que la préservation, la conservation, voire la restauration de conditions de production et de vie dans lesquelles ils pouvaient employer et développer librement leurs capacités physiques et intellectuelles : leurs yeux n’étaient pas tournés vers le futur de la production industrielle, mais vers ce passé qu’ils étaient en train de perdre. Leur dynamique politique ne prenait pas son départ sur la tabula rasa de l’expérience moderne, elle s’appuyait au contraire sur l’expérience traditionnelle de leur métier et des formes de vie qui y étaient associées.

12Cette différence de perception et ce découplage entre révolution sociale et révolution technoscientifique expliquent notamment la persistance de cet étrange malentendu, reconduit tout au long du XXe siècle, entre les avant-gardes artistiques et les mouvements politiques révolutionnaires dont ils recherchaient la fréquentation ou l’approbation – et plus encore entre les avant-gardes artistiques et la classe ouvrière. Car il est trop facile d’invoquer systématiquement le philistinisme des directions politiques, l’absence de culture des leaders ouvriers ou le dogmatisme intransigeant des bureaucraties dirigeantes, certes avérés, mais qui permettent d’ignorer la profonde réticence de la classe ouvrière vis-à-vis des représentations de la vie que lui donnait l’avant-garde, celles-ci faisant écho à la mutilation industrielle, quotidienne, de son existence. Les courants culturels authentiquement issus de la classe ouvrière, comme la « culture prolétarienne » lancée par Marcel Martinet et les syndicalistes révolutionnaires ou le mouvement de littérature prolétarienne animé par Henry Poulaille, recherchaient plutôt le sérieux de l’étude, le réalisme de l’expression, le mot concret [18]. Ils ne dédaignaient pas le retour à des formes de langage laissées en arrière, délaissées dans l’évolution moderne. Jargon de métier, patois locaux, idiomes de classe, argots divers, c’est sur ces terres en friche que l’ouvrier faisait sa culture, essayant de se réapproprier le matériau composite de son identité de classe tourmentée, à la fois rurale et urbaine, artisanale et industrielle. Au lieu de gémir sur le caractère prétendument retardataire de cette culture et de cette littérature, juxtaposées aux productions de l’avant-garde à la même époque, ces choix devraient faire réfléchir en direction d’un second découplage : celui qui doit être fait entre révolution artistique et progrès technique ou scientifique.

13Si l’on tient pour acquis avec Cornelius Castoriadis que seule une reprise de l’activité autoinstituante de la société est aujourd’hui en mesure de nous extraire de la crise généralisée qui l’affecte [19], alors il ne doit pas être perdu de vue que cette activité transformatrice ne peut s’exercer dans le domaine de la politique et de l’économie sans s’exercer simultanément dans le domaine de la culture, de l’art, dans la définition même de ce que l’on nomme culture et art. Très certainement, il y a là une possibilité de réappropriation de l’idée révolutionnaire dans l’ordre de la création esthétique et culturelle. Mais elle ne vaut que si elle procède de ce découplage dont nous parlions, qui commande d’affranchir l’art de la tutelle de la technoscience, afin de libérer un tant soit peu l’homme des déterminismes qui s’exercent actuellement sur lui de manière écrasante. Il s’agit en somme de créer des poches de résistance sensible et intellectuelle à la suprématie de la technique moderne, à son mode d’organisation de l’être social et aux productions et discours captieux dont elle nous accable. Mais cette résistance ne peut se faire que sur les bases d’une sensibilité antérieure et antagoniste à la « nouvelle sensibilité¿» de l’avant-garde, sur les bases des résidus d’expérience traditionnelle correspondant aux anciens modes de production (notamment de l’œuvre d’art) et aux formations sociales qui leur étaient liées : au nom d’une conception plus géographique, ou stratigraphique, de l’homme comme concrétion de traditions et d’usages, comme humus de savoirs et de manières d’être. Par conséquent il lui est nécessaire de réinvestir les derniers espaces où est encore sensible le lien de l’art à l’artisanat, lien défait à la fois par la sophistication progressive des techniques et des activités modernes, et par l’autonomisation du domaine artistique vis-à-vis des autres champs de la praxis sociale. C’est ce lien qu’il s’agit de reconstituer, en retrouvant la connaissance et l’exercice de ce que peut un corps, en renouant avec ses capacités et ses aptitudes dans la production de l’œuvre au milieu de cette zone d’indistinction qui existe entre le domaine de l’art et celui du travail. Si révolution artistique il doit y avoir, elle doit donc se faire sous forme d’une conservation, d’un retour à un état antérieur qui ne soit pas un « retour à l’ordre », pour y puiser des éléments d’inspiration et de renouveau, pour faire éclore les possibles qu’il enveloppait et qui n’ont pu s’actualiser en leur temps.

14Qu’une possible révolution des arts impose donc un conservatisme, voilà un paradoxe qui ne doit ni surprendre ni inquiéter, mais se laisser comprendre comme une conséquence de cette remarque énoncée par le vieux Max Horkheimer à l’intention de ses étudiants en 1968 : « le conservatisme authentique, celui qui prend vraiment au sérieux les acquis de la tradition culturelle, est plus proche d’une mentalité révolutionnaire qui ne se renie pas purement et simplement mais sait se dépasser elle-même, que du radicalisme de droite qui prépare la destruction de tout ce qui n’est pas lui-même [20] ».

Notes

  • [1]
    Cf. les analyses de Walter Benjamin sur la Chokerlebnis consubstantielle à la vie quotidienne à l’ère moderne. On en trouvera un résumé et une généalogie dans l’ouvrage coordonné par Stéphane Füzesséry et Philippe Simay, Le Choc des métropoles. Simmel, Kracauer, Benjamin, 2008, Paris - Tel-Aviv, Éditions de l’Éclat.
  • [2]
    Paul Ardenne, Extrême. Esthétiques de la limite dépassée, 2006, Paris, Flammarion, p. 179.
  • [3]
    Selon le mot célèbre de Walter Benjamin. Cf. son texte de 1933 «Expérience et pauvreté», repris dans ses ézuvres, tome II, trad. M. de Gandillac, R. Rochlitz et P. Rusch, 2000, Paris, Gallimard, p. 364-372.
  • [4]
    Cf. Michael Löwy et Robert Sayre, Révolte et mélancolie. Le romantisme à contre-courant de la modernité, 1992, Paris, Payot.
  • [5]
    Notre interprétation du phénomène avant-gardiste s’inscrit en faux contre la thèse de Jean Clair dans La Responsabilité de l’artiste, selon laquelle la modernité et l’avant-garde renvoient à des réalités opposées, l’avant-garde étant, d’après lui, à replacer dans la continuité du romantisme (Jean Clair, La Responsabilité de l’artiste. Les avant-gardes entre terreur et raison, 1997, Paris, Gallimard, tout particulièrement p. 21-30).
  • [6]
    Tandis que le concept de surmodernité a été proposé par Marc Augé et Georges Balandier, celui d’hypermodernité renvoie aux travaux d’un courant critique né dans les sciences sociales au tournant des années quatre-vingt, qui regroupe entre autres les noms de Max Pagès, Vincent de Gaulejac, Eugène Enriquez et Nicole Aubert. Pour une synthèse de ces recherches, cf. Claudine Haroche (dir.), L’Individu hypermoderne, 2004, Ramonville Saint-Agne, Érès.
  • [7]
    Si les projets eugéniques du national-socialisme sont bien connus, en revanche, on a tendance à oublier les rêveries de Trotski sur la production communiste d’«un type biologique et social supérieur, un surhomme», au moyen d’une maîtrise rationnelle de la procréation. Elles apparaissent dans le cadre d’une réflexion sur les possibilités d’une recréation intégrale du monde physique par le communisme armé de la machine –une recréation dont les fins seraient d’ailleurs essentiellement esthétiques, Cf. Léon Trotski, Littérature et révolution (1924), trad. P. Frank, C. Ligny, J.-.J. Marie, 1971, Paris, UGE, p. 283-290.
  • [8]
    Reinhart Koselleck, «“Champ d’expérience” et “horizon d’attente” : deux catégories historiques», Le Futur passé. Contribution à la sémantique des temps historiques, trad. J. et M.-C. Hook, 1990, Éditions de l’EHESS, p. 307-329.
  • [9]
    Ibid., p. 315.
  • [10]
    Ibid., p. 326.
  • [11]
    Ibid., p. 326.
  • [12]
    Serge Latouche, La Mégamachine. Raison technoscientifique, raison économique et mythe du progrès, 2004, Paris, La Découverte / MAUSS, p. 135.
  • [13]
    Cf. à cet égard les analyses de Lewis Mumford dans Le Mythe de la Machine, tome II – Le Pentagone de la Puissance, 1974, Paris, Fayard.
  • [14]
    R. Koselleck, op. cit., p. 327.
  • [15]
    Hannah Arendt, Essai sur la révolution (1963), trad. M. Chrestien, 1990, Paris, Gallimard, p. 58.
  • [16]
    Ibid., p. 60.
  • [17]
    Sur le luddisme, cf. Kirkpatrick Sale, La Révolte luddite. Briseurs de machines à l’ère de l’industrialisation, trad. C. Izoard, 2006, Paris, L’Échappée. Sur les ouvriers de métier, cf. Bernard H. Moss, Aux origines du mouvement ouvrier français. Le socialisme des ouvriers de métier, 1830-1914, trad. M. Cordillot, 1985, Paris, Les Belles Lettres. Et pour une vision plus générale de la continuité de ces résistances populaires au changement technique: François Jarrige, Face au monstre mécanique. Une histoire des résistances à la technique, 2009, Paris, Imho.
  • [18]
    Voir Michel Martinet, Culture prolétarienne (1918-1935), 2004, Marseille, Agone, et Michel Ragon, Histoire de la littérature prolétarienne de langue française, 2005, Paris, Le Livre de Poche.
  • [19]
    Cornelius Castoriadis, «Transformation sociale et création culturelle» (1979), Fenêtre sur le chaos, 2007, Paris, Éditions du Seuil, p. 11-39.
  • [20]
    Max Horkheimer, Préface d’avril 1968 à la réédition de Théorie traditionnelle et théorie critique, trad. C. Maillard et S. Muller, 1996, Paris, Gallimard, p. 11.