La position du maître : enseigner, abrutir, émanciper.

1Ce texte est issu du forum « L’éducation et le problème de l’émancipation », organisé par le CIPh/CIRTEP (Centre International de Recherches Théoriques En Pédagogie), qui a réuni le 26 mars 2011, à l’INHA, Jean-François Nordmann (IUFM de Versailles), Nicolas Piqué (IUFM de Grenoble) et Pascal Sévérac (CIPh/CIRTEP).

2Il s’inscrit dans la continuité d’une réflexion sur les pédagogies alternatives (voire sur les non-pédagogies) dont on trouvera l’origine dans la rubrique « Cursus » du n° 69 de Rue Descartes.

3La question de l’émancipation dans le travail éducatif peut être abordée à partir d’un texte désormais célèbre, publié en 1987 par Jacques Rancière : Le Maître ignorant[1]. Sa thèse, en substance, est qu’il est possible d’enseigner ce que l’on ne sait pas, pourvu qu’on ait un rapport – reprenons le mot de Rancière : « émancipé » – au savoir. Cette possibilité d’enseigner ce qu’on ne sait pas, Rancière l’a découverte dans le travail de Joseph Jacotot (1770-1840), professeur de mathématiques, de latin et de droit à 25 ans, secrétaire du ministre de la guerre sous le second empire, membre de la Chambre des Représentants sous les Cents jours, exilé en Belgique en 1818 lors de la seconde restauration : cet ancien révolutionnaire devient lecteur de littérature française à l’université flamande de Louvain et se voit alors contraint d’apprendre à des étudiants flamands le français, bien que lui-même ne maîtrise pas la langue flamande. Peu à peu, encouragé par ses réussites pédagogiques dans ses cours de français, il enseigne ce qu’il ignore (comme la peinture et le piano), et développe ainsi la Méthode d’Enseignement Universel, en organisant tout un réseau d’écoles. Pour tout dire, cet intérêt de Rancière pour le travail de Jacotot m’a personnellement touché parce qu’il m’a paru faire quelque écho avec une expérience pédagogique à laquelle j’ai participé pendant plus d’un an, celle d’un travail dans un dispositif de rescolarisation d’élèves dits décrocheurs [2]. Dans cette structure d’enseignement, qui s’appelait alors Rebond, un agencement me parut particulièrement intéressant, et novateur : les cours, de langues, de français, de maths, d’histoire-géo… étaient assurés par deux enseignants, l’un spécialiste de la discipline enseignée, l’autre non. Or, si la plupart du temps le cours était effectivement conduit par l’enseignant spécialiste, il arrivait bien des fois que l’autre enseignant, par certaines interventions – par des interrogations, des changements de point de vue, des traitements à sa manière des exercices demandés – déplace le regard des élèves, les pousse à la réflexion, et leur fasse mieux sentir encore les enjeux du cours dispensé ; et ce sans doute parce que le cours avait lui-même quelque chose de neuf, de saisissant, voire d’énigmatique pour l’enseignant qui certes ne découvrait pas toujours la chose enseignée, mais lui était quand même très extérieur. Ainsi le cours de maths pouvait-il se faire en association avec une prof de français qui ne cachait pas sa répulsion pour la matière ; ou le cours d’allemand avec un prof d’espagnol qui ne connaissait pas le moindre mot de la langue de Goethe. Or, en partie grâce aux interventions de cet enseignant « extérieur » au savoir – grâce aussi à d’autres déterminants, comme la faiblesse de l’effectif et l’attention portée au suivi de chaque élève – l’apprentissage des élèves me parut en être facilité (moi-même, j’intervenais dans le cours d’histoire-géographie) et résonner en un sens avec la méthode d’enseignement de Jacotot, du moins telle que la rapporte et l’analyse Rancière. Or quelle est plus précisément cette méthode? Dans le Maître ignorant, Rancière distingue une pédagogie de l’explication et une pédagogie de l’émancipation : transmettre son propre savoir à l’élève en lui expliquant ce qu’il doit comprendre, c’est inciter l’élève, « le petit expliqué » comme dit Rancière, à investir « son intelligence dans ce travail de deuil : comprendre, c’est-à-dire comprendre qu’il ne comprend pas si on ne lui explique pas [3] ». Cette passivité d’une intelligence par rapport à une autre intelligence, cette subordination de l’une à l’autre, c’est ce que Rancière appelle « l’abrutissement » – celui que répand l’école traditionnelle, la Vieille école (la Vieille tout court, dit Rancière) : l’enjeu n’est pas avant tout de lutter contre la violence qu’opère un esprit sur un autre en lui expliquant ce qu’il lui faut comprendre – on repère cette violence dans la réaction parfois brutale de certains enfants qui ne veulent pas qu’on leur explique, ou qu’on s’éternise à leur donner des explications (mais à la rigueur, cette réaction, même si elle est attristante pour qui la subit, est plutôt signe de santé pour qui la porte). Car l’abrutisseur peut être plein de bonnes intentions : il n’est pas nécessairement « le vieux maître obtus qui bourre le crâne de ses élèves de connaissances indigestes, ni l’être maléfique pratiquant la double vérité pour assurer son pouvoir et l’ordre social. Au contraire, il est d’autant plus efficace qu’il est savant, éclairé et de bonne foi ». Et Rancière poursuit : « Plus il est savant, plus évidente lui apparaît la distance de son savoir à l’ignorance des ignorants. Plus il est éclairé, plus lui semble évidente la différence qu’il y a à tâtonner à l’aveuglette et chercher avec méthode, plus il s’attachera à substituer l’esprit à la lettre, la clarté des explications à l’autorité du livre. Avant tout, dira-t-il, il faut que l’élève comprenne, et pour cela qu’on lui explique toujours mieux. Tel est le souci du pédagogue éclairé : le petit comprend-il ? il ne comprend pas. Je trouverai des manières nouvelles de lui expliquer, plus rigoureuses dans leur principe, plus attrayantes dans leur forme ; et je vérifierai qu’il a compris [4] ». L’abrutisseur, tel que le décrit Rancière, peut donc très souvent revêtir les habits de l’homme de progrès, car l’abrutissement consiste fondamentalement dans cette acceptation a priori de l’inégalité des intelligences, quand bien même elle serait combattue par l’idéal – entretenu par bien des mouvances des pédagogies actives et innovantes – de parvenir à une égalisation des intelligences. L’émancipation, quant à elle, repose a priori sur une égalité des intelligences – principe peut-être fictif, peu importe, mais dont il faut partir – et se déploie par conséquent comme « la différence connue et maintenue des deux rapports, l’acte d’une intelligence qui n’obéit qu’à elle-même, lors même que la volonté obéit à une autre volonté [5] ». Il ne s’agit donc pas de poser une liberté de la volonté de l’élève faisant ce qu’il veut par rapport au savoir, mais une autonomie de l’intelligence de l’élève, égale à toute autre, même à celle de l’enseignant, dans son propre apprentissage. Il ne s’agit pas non plus de contester la nécessité d’un maître : simplement, ce n’est plus un maître qui communique sa science, mais un maître qui enseigne sans rien transmettre – ce qui requiert une sujetion de la volonté de l’élève à celle du maître.

4S’affirme ici ce qu’on pourrait appeler un certain affect de la connaissance : d’un côté, chez le maître émancipé, il y a un affect de confiance, confiance dans l’égale capacité intellectuelle de chacun, puisqu’être émancipé au fond n’est rien d’autre qu’être « conscient du véritable pouvoir de l’esprit humain [6] ». Cette confiance pouvant être contagieuse, elle devient le véritable but de l’éducation : non pas avant tout transmettre un quelconque savoir (cela se peut, mais n’est pas nécessaire), mais transmettre cette prise de conscience de ses propres capacités intellectuelles, et ce par nul autre moyen que l’apprentissage par soi-même de quelque chose (on prend donc conscience de la puissance de son intelligence en la faisant agir). S’il y a transmission, elle ne peut avoir pour objet que l’émancipation elle-même ; ou plutôt, comme dit joliment Rancière, parce que « la liberté : elle ne se donne pas, elle se prend [7] », la transmission d’un bord à l’autre ne peut être que celle du désir de s’émanciper. Or à l’autre bord, il y a l’élève et sa volonté d’apprendre quelque chose – volonté par exemple de l’étudiant flamand d’apprendre le français. Bien évidemment, cette volonté peut être plus ou moins grande, et en ce sens, il y a bien une variation possible, d’un esprit à l’autre, de l’affect de la connaissance, entendu comme désir d’apprendre, et même comme confiance en ses propres capacités intellectuelles (Rancière dit ainsi : « Ce qui abrutit le peuple, ce n’est pas le défaut d’instruction mais la croyance en l’infériorité de son intelligence [8] »). Mais l’inégalité de puissance dans l’affect de connaissance (dans la « volonté ») ne signifie pas jamais pour Rancière inégalité dans les capacités intellectuelles elles-mêmes : « Il y a inégalité dans les manifestations de l’intelligence, selon l’énergie plus ou moins grande que la volonté communique à l’intelligence pour découvrir et combiner des rapports nouveaux, mais il n’y a pas de hiérarchie de capacité intellectuelle[9] ». Dès lors, pour dynamiser l’investissement du sujet dans son intelligence, est nécessaire une contrainte, une mise sous tutelle non de son intelligence mais de sa volonté : « on peut enseigner ce qu’on ignore si l’on émancipe l’élève, c’est-à-dire si on le contraint à user de sa propre intelligence [10] ». Pour ce faire, il ne revient pas au maître d’expliquer, de trouver de bonnes méthodes pédagogiques pour analyser ce qu’il y a à comprendre (« Expliquer quelque chose à quelqu’un, dit Rancière de façon provocante, c’est d’abord lui démontrer qu’il ne peut pas le comprendre par lui-même [11] »). Il n’y a pas pour le maître à instruire, mais à montrer son désir d’être instruit (notamment par l’élève) – c’est ainsi que peut se communiquer du maître à l’élève le désir d’apprendre. C’est pourquoi Rancière distingue bien la méthode Jacotot de la maïeutique socratique, qui pourtant paraît si proche d’elle : Jacotot interroge ses élèves « à la manière des hommes et non à celle des savants, pour être instruit et non pour instruire » ; Socrate, lui, interroge l’esclave de Ménon pour le mener là où il le souhaite (le maître connaît déjà la réponse, ce n’est pas vrai qu’il est ignorant) ; et il veut mener l’esclave à la reconnaissance de vérités qui sont en lui – pédagogie du savoir, dit Rancière, non de l’émancipation. Socrate a déjà fait le chemin, il est le guide sans lequel l’esclave ne peut se déplacer, et il le conduit sur une route qui est la sienne – à lui le maître. Jacotot défend au contraire l’idée que chaque parcours autour de la vérité suit son orbite propre, et que l’esclave qui prend le chemin du maître jamais ne peut devenir autre chose qu’esclave. Comparant le maître socratique à un maître de manège, Rancière cite Jacotot : « Il commande les évolutions, les marches et les contremarches. Quant à lui, il a le repos et la dignité du commandement pendant le manège de l’esprit qu’il dirige. De détours en détours, l’esprit arrive à un but qu’il n’avait même pas entrevu au moment du départ. Il s’étonne de le toucher, il se retourne, il aperçoit son guide, l’étonnement se change en admiration et cette admiration l’abrutit. L’élève sent que, seul et abandonné à lui-même, il n’eût pas suivi cette route [12]. »

5L’étonnement se change en admiration, et cette admiration l’abrutit : Jacotot s’est-il ici souvenu de Pascal, valorisant l’admiration dans le fragment sur les deux infinis, comme ce qui arrête un désir de savoir enflé, présomptueux, prétentieux ? « Il tremblera dans la vue de ces merveilles, et je crois que sa curiosité se changeant en admiration, il sera plus disposé à les contempler en silence qu’à les rechercher avec présomption [13]. »

6L’étonnement qui excite la curiosité devient admiration, qui l’assèche. Mais ce que Pascal envisage comme une bonne stratégie affective pour pousser la logique de la libido sciendi à son terme et en montrer la vanité, ou la vacuité, est analysé par Jacotot, dans le rapport de l’élève au maître, comme un obstacle à l’intelligence : l’admiration fait sentir sa propre impuissance de pensée – ce qui est ravissement et sensibilité au divin dans l’admiration par le curieux de la nature infinie devient abrutissement et sensibilité à son hétéronomie dans l’admiration par l’élève de son maître.

7Or, à travers ce rejet de l’admiration à l’égard du maître, de l’étonnement admiratif comme affect anti-cognitif, et cette valorisation d’une attention qui soit en lutte contre tous les processus de distraction de l’intelligence, se lit dans la méthode Jacotot, bien plutôt qu’un socratisme de la recherche du savoir, un spinozisme de l’émancipation de l’intelligence [14].

8L’un des leitmotiv du Traité de la réforme de l’entendement est que « nous avons une idée vraie », et qu’elle doit nous servir de norme pour progresser dans les connaissances. Nul besoin d’un maître savant qui nous explique ce qu’il faut savoir ; nous avons seulement besoin d’être attentif à une idée vraie donnée, et de tout rapporter à elle pour être assuré de ne point errer : sans doute avons-nous donc besoin d’un maître qui nous exhorte à commencer, qui nous pousse à engendrer ce « cercle de la puissance » qui est cercle de l’émancipation [15]. Mais nous n’avons pas besoin d’un maître savant qui, quoique bien intentionné, nous rend admiratifs bien plutôt que libres.Nul besoin non plus, selon Spinoza, d’une régression à l’infini pour rechercher le vrai, d’une méthode qui nous garantisse la véracité de notre méthode, et ainsi à l’infini. Il en va des instruments intellectuels comme des outils corporels : on montrerait en vain qu’on ne peut battre le fer car pour le battre, il faut un marteau, et pour avoir un marteau, il faut le fabriquer, et pour le fabriquer, il faut battre le fer… de la même manière, on ne saurait expliquer qu’on ne peut rien comprendre car pour comprendre, il faudrait d’abord savoir ce que c’est que comprendre, et partant il faudrait soit nous l’expliquer, soit nous assurer, de l’extérieur, que nous sommes dans le vrai [16]. En somme, nul besoin d’un Dieu vérace qui garantisse, comme chez Descartes, la vérité de nos idées ; nul besoin d’un maître qui soit maître d’intelligence et d’admiration, et non maître de volonté. En ce sens (mais en ce sens seulement), ni Dieu ni maître.

9Non, explique Spinoza, c’est le contraire qui se passe : notre intelligence est dotée d’une puissance innée, d’instruments intellectuels donnés – d’une idée vraie, au moins –, et lorsqu’elle est attentive à cette idée vraie, elle sait pourquoi elle est vraie (savoir ou comprendre, c’est se savoir savoir, c’est comprendre pourquoi on comprend). Nul besoin du miracle d’une révélation, ou de l’extériorité d’une autorité pour nous faire voir ce qu’on doit comprendre, pour nous assurer de la vérité de ce qu’on entend ; nous avons seulement besoin de nos propres forces, natives, de nos propres instruments intellectuels, innés – et pour cela l’intelligence de chacun suffit : telle est « l’égalité des intelligences » chez Spinoza [17].

10Jacotot avait donné, par hasard, un livre à ses étudiants flamands, une édition bilingue du Télémaque de Fénelon, et leur avait demandé d’apprendre par cœur le texte français en s’aidant de la traduction. Il leur fit répéter ce qu’ils avaient appris, et à la moitié du texte leur demanda de lire la suite, sans l’apprendre. Puis il demanda aux étudiants de raconter, en français, tout ce qu’ils avaient lu, et constata à sa grande surprise qu’ils le firent aussi bien que l’auraient fait beaucoup de français. À partir d’une idée vraie donnée – l’intelligence d’un livre, d’une phrase, de quelques mots – peut s’ouvrir le cercle vertueux de l’apprentissage : le maître devient alors un simple vérificateur, et l’élève est sollicité par lui à se faire comprendre, à se « faire instruire », en racontant ce qu’il a compris [18]. Le spinozisme de la démarche de Jacotot lue par Rancière pourrait encore être bien davantage approfondi : par exemple dans ses implications anthropologiques, lorsque Rancière analyse le fait de la pensée humaine [19], ou encore dans ses conséquences politiques, lorsqu’il analyse le rapport entre l’union intellectuelle des hommes (union parfaite bien que très rare [20]) et leur union politique passionnelle (union imparfaite bien que très fréquente [21]).

11Quoi qu’il en soit, retenons que, même si la méthode Jacotot, telle qu’elle est lue par Rancière, ne peut sans doute pas se susbstituer de butte en blanc à l’enseignement traditionnel ou institutionnel, du moins peut-elle inspirer, former (et partant déformer) notre pratique ordinaire, telle qu’elle s’incarne dans les différentes institutions scolaires : tordre le bâton de nos habitudes pédagogiques, sans le briser, mais pour l’assouplir ; faire un peu respirer notre pratique, en insistant sur le travail de contrôle de l’enseignant – il s’agit pour lui avant tout de vérifier que l’élève est attentif à ce qu’il fait [22] –, sur la dimension vivante de la démarche de l’élève – il s’agit pour lui avant tout de raconter ce qu’il a fait, de deviner ce qu’il a à faire [23]. En somme, ne pas devenir complètement insensible, à cause des pesanteurs de l’enseignement et du refuge dans l’asile de la connaissance, à l’activité pratique d’une intelligence émancipée : « La vertu de notre intelligence est moins de savoir que de faire [24] ». Et ce faire est l’activité même d’une intelligence qui prend confiance en sa propre puissance, parce qu’elle ne dépend pas avant tout du savoir du maître – mais de sa volonté, ferme et désireuse d’être instruite.

Notes

  • [1]
    Jacques Rancière, Le Maître ignorant. Cinq leçons sur l’émancipation intellectuelle, Collection 10/18, Éditions Fayard, 1987.
  • [2]
    Sur cette expérience d’enseignement, voir « Du projet à l’initiative », Rue Descartes, n° 69, septembre 2010, p. 116-121.
  • [3]
    Op. cit., p. 18.
  • [4]
    Op. cit., p. 17.
  • [5]
    Op. cit., p. 26.
  • [6]
    Op. cit., p. 29.
  • [7]
    Voir quatrième de couverture et p. 105.
  • [8]
    Op. cit., p. 68.
  • [9]
    Op. cit., p. 48. L’auteur souligne.
  • [10]
    Op. cit., p. 29.
  • [11]
    Op. cit., p. 15.
  • [12]
    Op. cit., p. 101 (citation de Droit et philosophie panécastique, p. 41). Sur le rejet de la méthode socratique, voir également p. 51-52.
  • [13]
    Pensées, fr. 230 (Sellier)/199 (Lafuma).
  • [14]
    Le rejet spinoziste dans l’acte éducatif se lit par exemple dans le chapitre 25 de l’appendice de la partie IV de l’Éthique : « Car qui désire aider les autres en conseil ou en acte, afin qu’ils jouissent ensemble du souverain bien [c’est-à-dire de la connaissance adéquate du réel], s’emploiera avant tout à se concilier leur amour ; et non à les jeter dans l’admiration, pour avoir une discipline à son nom, ni à leur donner, absolument parlant, aucune cause d’envie ». Ce refus de l’admiration – des choses enseignées et du maître qui les enseigne – est la raison pour laquelle Spinoza a préféré dispenser à son élève Cæsarius des cours sur la philosophie de Descartes que sur la sienne propre.
  • [15]
    Op. cit., p. 29-30.
  • [16]
    Traité de la Réforme de l’entendement, § 30-32.
  • [17]
    Sur la dépréciation de soi (abjectio liée à l’orgueil, comme le remarquent et Spinoza et Rancière), sur les causes et les effets de la croyance en l’infériorité de son intelligence, voir Éthique, III, définitions des affects, 28, explication (et 29, explication).
  • [18]
    Op. cit., p. 123.
  • [19]
    « La liberté ne se garantit par aucune harmonie préétablie. Elle se prend, elle se gagne, elle se perd par le seul efort de chacun. Et il n’y a pas de raison qui s’assure d’être déjà écrite dans les constructions de la langue et les lois de la cité. Les lois de la langue n’ont rien à voir avec la raison et les lois de la cité ont tout à voir avec la déraison. Si loi divine il y a, c’est la pensée en elle-même, dans sa véracité maintenue, qui en porte seule le témoignage. L’homme ne pense pas parce qu’il parle – ce serait là précisément soumettre la pensée à l’ordre matériel existant –, l’homme pense parce qu’il existe », p. 105.
  • [20]
    « Pour unir le genre humain, il n’ya pas de meilleur lien que cette intelligence identique en tous. C’est elle qui est la juste mesure du semblable, éclairant ce doux penchant du cœur qui nous porte à nous entraider et à nous entr’aimer » – cette commune intelligence étant liée à une « faculté égale de s’émouvoir et de s’attendrir réciproquement », p. 122.
  • [21]
    Voir le chapitre IV, « La société du mépris », p. 125 et sq.
  • [22]
    « Appelons attention l’acte qui fait marcher cette intelligence sous la contrainte absolue d’une volonté », p. 45. Sur l’attention et la distraction, voir p. 85 et sq ; et p. 132. Pour une confrontation avec la pensée spinoziste, nous nous permettons de renvoyer à notre ouvrage, Le Devenir actif chez Spinoza, Éditions Honoré Champion, 2005, notamment le chapitre IV, « Théorie de l’occupation de l’esprit », sur les rapports entre attention, distraction et admiration.
  • [23]
    « Est-ce que cette méthode honnie de la devinette n’était pas le vrai mouvement de l’intelligence humaine qui prend possession de son propre pouvoir ? », p. 21-22. Voir aussi p. 109 : « ce scandale qui fait de raconter et de deviner les deux opérations maîtresses de l’intelligence ».
  • [24]
    p. 110.