Cerner la notion de temps

1Le temps sans fin ni bornes que nous croyons avoir aperçu dans l’immensité du ciel étoilé, c’est un reflet du temps réel. Il est insaisissable. Einstein l’appelle « une illusion tenace [1] » ; en fait, ce ne pourrait pas être un mirage vite dissipé : dès que l’on se sert de ses yeux pour voir le temps, c’est ce reflet-là qui apparaît.

I – Les arguments en faveur du caractère infini du temps dans le traité « Questions de Tang [2] »

2Les Occidentaux qui font des recherches sur la conception chinoise du temps sont sensibles au fait que la plupart des auteurs classiques envisagent le temps comme la succession de moments à la fois distincts et liés entre eux, et non comme une suite uniforme et abstraite. À preuve, le caractère shi (temps) renvoie à des notions concrètes telles qu’« occasion», «saison», et non au concept abstrait de temps (time [3]) ni à l’image d’un flux continu [4]. Il est possible d’étayer cette impression par la mise en parallèle de telle phrase tirée des classiques chinois avec la définition du temps que donne Aristote [5]. Néanmoins, il faut être prudent avant d’ériger cette impression en affirmation catégorique. Needham lui-même, soucieux de rigueur intellectuelle, avance plusieurs arguments pour justifier son affirmation ; on pourrait y ajouter cette autre raison plus banale : même si chaque culture, chaque époque, chaque personne a une expérience du temps singulière, et qu’elle lui prête une forme d’expression également singulière, celles-ci, au plus profond, partagent certains traits essentiels. Les diviser en catégories étanches est le signe d’une pensée superficielle. Les Chinois, à l’instar de tous les autres hommes, considèrent le temps comme une rivière qui suit son cours sans jamais s’interrompre. « Le cours du temps est comme ce fleuve ; vienne la nuit, vienne le jour, jamais il ne s’arrête [6] », « Cent fleuves coulent vers la mer, à l’est ; quand s’en retourneront-ils vers l’ouest ? » Ces deux citations évoquent l’image d’un écoulement sans fin. Sans retour. Certes, les auteurs classiques chinois aiment à parler par images, et l’image de l’eau qui s’écoule irréversiblement vers l’océan est généralement employée pour déplorer le caractère éphémère de l’existence humaine, et non pour discuter de la temporalité concernant l’ensemble des choses de ce monde. Mais n’oublions pas que les Chinois, se livrent rarement aux exercices chers aux philosophes occidentaux que sont la démonstration et l’analyse de concept. Il nous importe maintenant d’examiner les écrits des Chinois qui se sont lancés dans ce genre d’exercices afin de voir comment ils conceptualisent le temps.

3La tentative la plus ancienne que l’on connaisse à ce jour d’une définition du concept de temps remonte au Mo zi[7]. Le texte original porte : « La durée (jiu) recouvre les divers temps [8] » ; et le commentateur ajoute : « La durée comprend passé, présent et avenir [9] ». Le signe jiu correspond ici au concept moderne, abstrait, de temps. Selon le texte original, il constitue l’ensemble de tous les moments concrets du temps que le commentaire définit par passé, présent et avenir. Après cette définition du temps, le Mo zi définit tout aussitôt l’espace : « L’étendue recouvre les divers espaces [10] », ce que le commentateur interprète comme suit : l’étendue comprend l’est et l’ouest, le nord et le sud, le haut et le bas, et le centre.

4Dans les classiques de l’antiquité chinoise, la première discussion bien formulée pour établir le caractère fini ou infini du temps et de l’espace se trouve dans le Lie zi, chapitre « Questions de Tang ». Ledit chapitre consiste en un dialogue entre Xia Ge et le roi fondateur de la dynastie des Shang. Xia Ge est un sage de l’époque ; on peut tout aussi bien le dire philosophe. Il pense que le temps n’a ni début ni fin, que l’espace n’a pas de limites [11]. Le roi Tang demande : Au temps le plus antique, le plus ancien, y avait-il des choses et des êtres ? Xia Ge répond : S’il n’y avait rien eu, au temps le plus antique et le plus ancien, d’où seraient donc venus les êtres et les choses d’aujourd’hui ? Les hommes, qui viendront très longtemps après nous, disputeront de notre époque, comme nous-même disputons du passé lointain. Est-ce que ces hommes qui viendront longtemps après nous diront que, dans le temps, il n’y avait rien ? Le roi Tang demande encore :

5Pourtant toutes choses se succèdent selon un ordre. Est-ce que cela ne veut pas dire que les choses ont un point de départ, leur point d’origine ? Xia Ge répond : Le terme d’une chose est l’origine d’une autre chose, terme et origine s’enchaînent sans fin. Et s’il s’agit de disserter de ce qui était avant les choses et les êtres, alors je ne sais pas ce que cela veut dire. Le roi Tang demande à Xia Ge : Mais l’espace, lui, n’a-t-il aucune limite, dans aucune direction ? Xia Ge lui fait la réponse suivante : Là, c’est très difficile de savoir au juste. Mais à quel point limite l’infini s’interromprait-il ? C’est seulement au-delà de l’infini qu’il pourrait y avoir quelque chose qui ne soit plus l’infini. Je sais donc que l’espace est infini et non fini. Si je marche vers l’est jusqu’à un lieu qui a nom Ying, et me renseigne auprès des gens du pays pour savoir ce qui se trouve plus loin à l’est, ils m’apprendront qu’il y a une autre contrée à l’est de chez eux, tout comme Ying se trouve à l’est de chez nous. Que j’aille vers l’ouest, et la même situation se présentera. Je sais par là qu’il en va de même de toutes les directions : l’espace ne connaît pas de limites. Même si, en discutant de l’univers entre le ciel et la terre, on le considère comme le plus grand du plus grand, comment pouvons-nous être sûrs qu’il n’y a pas un univers plus grand qui englobe celui dont nous parlons ?

II – Le couple espace-temps

6Là où le Mo zi n’abordait pas de front la question du caractère fini ou infini de l’espace et du temps, le Lie zi entend démontrer que l’espace et le temps sont infinis, suivant ce schéma-ci : toute limite est nécessairement ligne frontière ; or toute ligne frontière implique un extérieur de la frontière. Nous pourrons très bien résumer ce schéma par un proverbe chinois: « Il y a un ciel au-delà du ciel ». Le chapitre intitulé « Questions de Tang » s’appuie sur ce modèle pour démontrer que l’espace est infini, et aussi pour démontrer le caractère infini du temps. Quand on conçoit un temps frontière, on est obligé de le spatialiser. C’est inévitable, parce que le mot « frontière », comme les mots « figure » et « modèle », ont leur origine dans un vocabulaire typiquement spatial.

7Il semblerait bien que temps et espace forment naturellement un couple indissociable. Dans les temps classiques, yu (espace) et zhou (temps) allaient de pair : accolés l’un à l’autre, ils forment le mot yuzhou signifiant univers. Aujourd’hui, espace et temps se rencontrent à nouveau dans le concept d’espace-temps.

8Quand le Mo zi et le Lie zi méditent à propos du temps abstrait, ils mettent temps et espace sur le même plan. Dans la philosophie et la science occidentales, y compris dans l’ouvrage fondateur de la science moderne. Les Fondements mathématiques de la philosophie de la nature, les deux catégories de l’espace et du temps se trouvent régulièrement juxtaposées. Schopenhauer y récapitule en vingt-huit paragraphes la nature du couple formé par l’espace et le temps [12]. Néanmoins, il semblerait que nous ayons des impressions plus vives du temps que de l’espace ; que nos perplexités quant au caractère infini du temps soient différentes de nos perplexités à propos de l’infinité de l’espace, et plus profondes que ces dernières. « Toutes choses s’écoulent comme l’eau de ce fleuve » ; « Tous les fleuves vont vers l’est, et se jettent dans l’océan » : autant d’expressions qui emploient des images spatiales mais ne parlent en réalité que du temps, dont elles regrettent la fuite. Le souhait de la longévité ou d’une vie sans fin est beaucoup plus fort que le désir d’ubiquité : l’aspiration à une vie éternelle, ou, pour prendre les choses dans l’autre sens, la crainte et le dégoût à l’endroit de la mort, ne sont étrangers à personne. La volonté de conquérir un espace toujours plus vaste peut faire la grandeur de tel individu ou de tel peuple ; mais le désir de vivre et la peur de la mort, sont instinctivement et infiniment plus fondamentaux que l’aspiration à la grandeur. Faute de cela, il y a longtemps que l’espèce humaine n’existerait plus en ce monde cruel. Et la mort, au fond, relève du temps et non de l’espace.

9Espace et temps sont-ils les deux termes parallèles d’une paire, ou les deux concepts se distinguent-ils par une différence de complexité ? Et si le temps est une « catégorie » dont l’exploration s’avère plus complexe, comment démontrer ce fait conceptuellement ? Ces difficultés transparaissent de façon particulièrement nette dans la Critique de la raison pure. D’une part, temps et espace sont, apprend-on, deux formes parallèles de l’intuition : l’espace est une forme de l’intuition extérieure, le temps une forme de l’intuition intérieure. D’autre part, Kant considère le temps comme donné a priori sans quoi toute réalité des phénomènes est impossible. Dans les antinomies que construit le philosophe, temps et espace sont strictement parallèles, et la méthode d’analyse qu’adopte Kant à l’égard des deux concepts est également la même ; mais dans la partie centrale de son ouvrage où il est question de la théorie du schématisme, c’est presque toujours à partir de la notion de temps que l’argumentation se déploie. Les critiques de Kant sont, depuis longtemps déjà, sensibles aux confusions dont est porteur le concept de temps chez cet auteur ; le grand kantien, Kemp Smith, affirme même que le concept de temps est le concept le moins bien construit de la Critique de la raison pure[13]. Mais on peut aisément comprendre pourquoi ce concept laisse à désirer : c’est parce que Kant ne craint pas de s’aventurer parmi les zones d’ombre de cette notion sybilline. Heidegger va jusqu’à l’appeler « le premier et l’unique auteur qui se soit frayé un chemin d’approche vers la dimension temporelle [14] ». Une comparaison entre Kant et Schopenhauer fait ressortir ce trait. À une époque où l’hégélianisme battait son plein, où Kant était délaissé, l’intérêt de Schopenhauer à l’égard de Kant révèle un discernement et un courage proprement philosophiques ; mais ses discussions abondantes sur le temps et l’espace sont assez banales, n’allant jamais au-delà du parallélisme espace-temps de la philosophie kantienne, en fait évident à chacun ; quant aux difficultés que rencontre Kant dans son exploration des dédales du concept de temps, il n’en reste aucune trace chez Schopenhauer, ce kantien autoproclamé.

III – La démonstration augustinienne du caractère fini du temps

10Temps et espace, d’une façon profonde quoique confuse, ne sont pas parallèles. Par rapport à la notion d’espace, il est plus délicat de dégrossir celle de temps pour en faire un concept clair et distinct ; Kant n’est pas le seul à l’avoir compris. Dans les Confessions, c’est également sur la notion de temps que vient buter la réflexion. « Qu’est-ce que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais ; mais si on me le demande et que je veuille l’expliquer, je ne le sais plus [15] », cette citation est connue de tous.

11La conclusion de Saint Augustin est la suivante : le temps a des bornes. Mais la discussion qu’il élabore souligne un point important : quand il s’agit de réfléchir sur le temps, les gens résistent difficilement à la tentation de le mettre en parallèle avec l’espace en recourant à des arguments sur le modèle de « Au-delà du ciel, il y a encore un autre ciel » ; de sorte que les esprits non prévenus inclinent à conclure que le temps est infini. Conclusion qui est évidemment incompatible avec la Genèse : avant la Création, à quoi Dieu s’occupait-il donc ? Saint Augustin répond : avant la création du temps par Dieu, le temps n’existait pas. Il n’y a donc tout simplement pas d’« avant ».

12Il est bien évident qu’une chose, avant qu’elle ne soit créée, n’existe pas ; ce qui peut également se dire de la façon suivante : c’est seulement si la chose n’existait pas auparavant que l’on peut soutenir l’avoir créée, sinon ce serait du plagiat ! Que l’on soit Dieu ne change rien à l’affaire : l’on peut toujours créer quelque chose, mais l’on ne peut créer l’« avant » ; on ne peut donc créer le temps. C’est précisément à cause de cela que la question « Que faisait donc Dieu avant la création ? » est si délicate. En fait, il ne s’agit pas ici d’authentifier un fait – Dieu a-t-il créé le monde ? –, mais de bien cerner la signification de certains concepts. Le concept de création portant en lui-même l’idée d’un avant et d’un après, « avant » et « après » constituent donc les deux piliers du concept de temps. La question se pose alors de savoir si l’on peut postuler que la Création, création du monde dans son entier, doit se conformer à cette structure comprenant un « avant » et un « après ». Si l’on dit que la création implique un « avant », c’est qu’au moment où nous créons une chose, elle prend nécessairement sa place dans un monde qui existait déjà avant elle ; la création du tout ne peut-elle se dispenser d’un tel « avant » ? Comment comparer la création d’une chose qui vient se rajouter aux autres avec la première création, celle de la création de l’univers, du tout ? Mais, à l’inverse, il faut également se demander : l’expression « la création du tout » a-t-elle un sens ? Avant la création d’un objet nouveau, un créateur fini existe déjà ; avant la création du monde, avant la création du tout, il y a déjà Dieu.

13Or, pour distinguer créateur et création, l’étant doué d’intention et ses actes, on est obligé d’entrer dans une métaphysique qui risque d’être purement verbale, qui aboutit à un « animisme de primitifs » (l’expression appartient à Nietzsche). Si l’on ne distingue pas acte et agent, et que l’on ne reconnaît pas l’existence d’un acteur qui précède l’acte, il n’y a plus de Dieu aux attributs humains, la création du monde par Dieu devient de ce fait enfantement du monde par lui-même. Mais le mot d’« enfantement » n’implique-t-il pas lui aussi un « avant » et un « après » ? Ne reste-t-on pas alors prisonnier d’« un verbiage métaphysique » ? Notre perplexité devant la question du caractère infini du temps s’est métamorphosée en une autre difficulté : quelque chose peut-il naître à partir de rien ?

IV – Création et changement

14Toute argumentation à propos du caractère fini du temps ne s’appuie pas nécessairement sur le concept de « création ». Le Lüshi Chunqiu[16], chapitre « De l’origine », commence ainsi : « Le ciel et la terre ont une origine ». L’auteur n’apporte pas de démonstration, mais poursuit aussitôt : « Le ciel donne vie aux êtres par son vide ; la terre leur donne forme par son plein [17] ».

15L’auteur ne s’est pas posé la question de savoir ce que Dieu faisait avant la création du monde comme le fait Saint Augustin, et cela n’a rien d’étonnant. La mythologie de chaque peuple comprend une cosmologie, mais il est fort rare qu’un peuple aille fouiller dans les profondeurs du temps d’avant la création du monde pour se laisser prendre par un dilemme tel qu’il est obligé de créer l’être à partir du non-être. Comme les autres peuples, les Chinois possèdent une cosmologie, mais les analyses approfondies, à la manière du Lie zi évoqué plus haut, sont des plus rares. Le récit de la création du monde n’est pas loin d’être accepté, en Chine, comme le récit véridique de l’origine du monde, et ce malgré les difficultés conceptuelles insurmontables dont il est porteur !

16Quiconque s’intéresse à la question du temps dans la civilisation chinoise sera sensible à la sérénité avec laquelle les Chinois considèrent les changements du monde [18]. Mais, en même temps, la tradition chinoise n’encourage guère les créations originales, au point que, bien souvent, la nouveauté est prudemment mise en quarantaine. En fait, on peut raisonnablement émettre l’hypothèse qu’il faut bien un peu de nouveau, une certaine forme de création ex nihilo, pour qu’il y ait « changement ». Que signifie alors cette ambivalence face à une nouveauté tantôt suspecte, tantôt pleinement acceptée ?

17En réalité, la notion de « changement » peut s’interpréter d’une façon moins tranchée. Une nouvelle maison qui est construite, c’est un changement. Une maison qui s’effondre, c’est aussi un changement. Mais la maison n’est une chose vraiment nouvelle qu’à l’instant où la dernière touche est mise à sa construction ; sa décrépitude progressive peut certes être décrite, dans l’abstrait, comme l’apparition incessante d’états nouveaux, mais c’est en réalité faire violence à notre intuition que de parler de « nouveau » à propos de ces changements. L’idée de changement est en réalité assez éloignée de l’idée de création ex nihilo ; ce n’est que dans le cadre d’argumentations bien particulières que ces deux notions peuvent figurer comme concepts apparentés. Il n’y a donc pas autant de contradiction qu’il n’y paraît entre la sérénité chinoise face aux mutations du monde et les réserves de la tradition chinoise à l’endroit des créations nouvelles. Il semblerait que nous soyons poussés à une réflexion en profondeur au sujet de la création ex nihilo, non par les questions soulevées par les diverses cosmogonies, mais par l’introspection qui nous révèle l’esprit de création dont nous sommes porteurs. L’Occident a hérité de la Grèce l’esprit de création, tandis que la culture chinoise, à l’instar de la plupart des civilisations, est fortement conservatrice.

V – L’ensemble qui inclut toutes choses

18Le chapitre « De l’origine » dans le Lüshi Chunqiu, même s’il ne fournit pas d’arguments pour établir que « le ciel et la terre ont une origine », offre tout de même un modèle sensible de l’origine du monde : l’auteur, aussitôt après la sentence « Le ciel donne vie aux êtres par son vide ; la terre leur donne forme par son plein », dit ceci : « l’univers et les dix milles créatures qu’il contient sont [comme] le corps d’un seul homme [19] ». L’univers avec tout ce qu’il contient est considéré comme un être unique. Or tout être est né à un moment donné ; l’univers, étant lui aussi un être, ne fait pas exception à la règle. Mais toutes les choses, réunies, forment-elles vraiment un être ? Le paragraphe précédent disputait de savoir si l’on pouvait mettre en doute la possibilité d’une « création ex-nihilo » d’un tout comprenant toutes les choses ; c’est maintenant la possibilité d’une « naissance » du grand Tout qui apparaît fragile. La question n’est alors plus celle d’une opposition entre « création » et « naissance », mais celle du concept de « Tout ». Si l’ensemble des choses du monde est, en lui-même, fini, alors cet ensemble est lui-même une chose, à l’image d’une horloge, ensemble formé par le pendule, les engrenages et toutes les autres pièces. Mais si c’est de la réunion d’une infinité de choses qu’il s’agit, la réponse ne saurait être aussi catégorique. La question du temps revient donc, au terme d’un parcours circulaire, à celle du caractère infini de l’espace : l’ensemble des choses est-il limité ou illimité ?

19Dans l’Antinomie de la Raison pure, Emmanuel Kant apporte tout à la fois des arguments en faveur de la thèse du caractère fini du temps, et des arguments en faveur de son antithèse. Si un philosophe peut étayer d’arguments également solides deux thèses opposées, voilà qui représente une question philosophique intéressante ! À mon avis, c’est absolument impossible ; mais quant à le démontrer, c’est une autre question. En réalité, Kant ne souhaite démontrer ni l’un, ni l’autre de ces deux points de vue. Il entend bien au contraire démontrer en fin de compte que ni l’un ni l’autre ne tiennent la route, ce qui ne peut s’entendre que si l’on comprend le cadre dialectique de cette philosophie. L’originalité de sa méthode, qui consiste à affronter deux thèses opposées, est qu’elle offre un moyen d’aborder de façon rationnelle certaines perplexités que l’homme porte en lui sans pouvoir les surmonter. La démonstration de la thèse et de son antithèse n’a pas, par elle-même, de contenu bien extraordinaire [20], « elle est, selon le mot de Hegel, la contradiction entre deux conceptions : celle du monde comme la somme totale de toutes les choses quelles qu’elles soient ; celle du monde comme étant lui-même infini, non subordonné à quelque condition que ce soit [21] ».

VI – Temps linéaire ou temps circulaire

20Selon le point de vue d’Hegel, le concept d’ensemble et le concept de l’infini linéaire entrent naturellement en conflit. Chez Hegel, l’infini linéaire qu’évoque le proverbe chinois « Au-delà du ciel, c’est encore le ciel qui s’étend » a nom « infini négatif », son opposé étant l’« infini positif », cercle, ou cycle, d’un retour vers soi-même. Ne serait-il pas concevable d’emprunter ce schéma dialectique pour éclaircir la question de l’infinité du temps ?

21Bien des théoriciens distinguent temps circulaire et temps linéaire, et attribuent à chaque culture des affinités avec l’un ou l’autre. Ainsi, les cultures indienne et hébraïque seraient dominées par une vision circulaire du temps, la culture chrétienne par une conception linéaire. Dans les analyses précédentes, nous avons avancé l’idée qu’il vaut mieux ne pas en rester à une catégorisation des diverses impressions du temps et de la façon dont elles se trouvent exprimées. Il est de bien meilleure méthode de réfléchir sur les rapports internes que peuvent avoir ces différentes attitudes vis-à-vis du temps. L’examen fouillé des concepts temporels des différentes cultures confirmera l’absence de toute vision purement circulaire ou purement linéaire. D’une façon générale, les impressions que nous avons du temps inclineraient plutôt à la circularité, cependant que les analyses conceptuelles tendent à établir l’existence d’un temps linéaire (du moins les démonstrations à propos de l’infinité du temps évoquées plus haut, chinoises ou occidentales, se réfèrent toutes à l’aspect linéaire du temps).

22Il n’est aucune culture dont la vision du temps soit exclusivement calquée sur le modèle d’un temps linéaire. Nos impressions du temps contiennent nécessairement un élément de circularité. Sans marées hautes ni marées basses, notre ancêtre le plus lointain, minuscule être vivant dans l’océan, n’aurait selon toute vraisemblance jamais pu acquérir de faculté d’anticipation, et toute l’architecture complexe de stimuli qui aboutit à l’activité de langue n’aurait jamais pu advenir. S’avançant un peu plus, on peut ajouter que sans l’aurore et le crépuscule, le printemps qui s’en va et l’automne qui s’en vient, aucune civilisation agricole n’aurait pu naître. À l’intérieur de notre corps, le sang circule sans cesse ; et, sur la scène d’hôtels prestigieux, on voit défiler des tenues que la mode bannira, puis nous ramènera, de façon pareillement circulaire ! Lever à tour de rôle le pied gauche, puis le pied droit pour marcher, c’est une sorte de mouvement circulaire. Un véhicule ne marche pas de la même façon qu’un homme, mais quand il est en marche, le mouvement de ses roues représente une forme plus évidente de la circularité. S’il n’y avait pas tous ces cycles qui se répètent, si le temps était vraiment semblable à une flèche toujours en vol, qui jamais ne retombe, nous n’aurions aucun moyen d’acquérir la conscience du temps. La pointe de tristesse que cristallise le proverbe chinois « Le temps vole comme la flèche » est celle des situations où, dans ce qui nous était bien connu, nous remarquons de l’inconnu (ou du familier dans ce qui nous était inconnu) : sur le visage d’un ami de jeunesse, nous lisons des rides ; et nous avons l’impression en le revoyant que sa joie de vivre s’est un peu estompée. La circularité est présente dans toute notre expérience du temps, ce que confirme l’image symbolique d’un serpent qui se mord la queue dans une peinture très célèbre.

23Or, la circularité n’est pas l’unique condition de la formation de la conscience du temps. Le soleil se lève et se couche, offrant l’image d’un recommencement sans fin ; mais, dans la ronde des jours, la plante fanée et desséchée ne peut recouvrer sa belle verdoyance : l’automne s’en va, l’hiver s’en vient. Bien sûr, l’hiver fera ensuite place au printemps puis à l’automne, sans que le cycle ne s’interrompe ; mais, au cours de cet intervalle, une année nouvelle se sera subrepticement substituée à la précédente. Le déclin vers la mort et le renouveau de la naissance peuvent également former un cercle ; mais ne se joue-t-il pas autre chose dans la succession des générations ? Qui peut être sûr que sa lignée se perpétuera sans faillir ? Pouvons-nous vraiment être assurés que de génération en génération l’humanité connaisse toujours la prospérité ? Un petit cycle peut ainsi faire partie d’un processus linéaire de plus grande amplitude ; ce processus qui ne saurait s’inverser est peut-être, à une plus grande échelle, un cycle, mais ce dernier s’insère à son tour dans un processus linéaire de plus grande ampleur. La circularité à petite échelle n’est nullement contradictoire avec la linéarité à une échelle plus élevée. En réalité, c’est précisément dans l’entrelacs de circularité et de « linéarité » (irréversible) que s’est formée notre conscience du temps.

VII – Le retour éternel

24Mais tous les cycles trouvent-ils nécessairement leur place dans un processus linéaire qui les englobe ? Pourrait-on maintenir une vision circulaire à l’échelle macroscopique la plus élevée ? De fait, l’idée d’un cycle qui englobe la totalité du temps se manifeste dans les cultures les plus diverses, dans les écrits anciens sous formes les plus variées. En Grèce antique, Pythagoras a défendu cette opinion, qu’il relie à la doctrine de l’immortalité de l’âme. Après lui, l’école stoïcienne a élaboré des théories plus détaillées. L’Ancien Testament formule un point de voie analogue : « Ce qui fut, cela sera ; ce qui s’est fait se refera ; et il n’y a rien de nouveau sous le soleil » (Ecclésiaste 1, 9 [22] ). Une conception plus complète fondée sur cette idée se trouve résumée dans le concept indien de kalpa. Dans l’histoire de la pensée occidentale moderne, son équivalent le plus célèbre est l’« étemel retour » nietzschéen (die ewige Wiederkunft). Cette conception, chez Nietzsche, ne se démarque pas nettement de la conception stoïcienne ; remarquons toutefois que Nietzsche ne la présente pas seulement comme une supposition, mais s’efforce à plusieurs reprises de lui apporter un fondement scientifique [23]. Mais rares sont les spécialistes de Nietzsche qui jugent ses arguments suffisamment clairs. Et ceux qui se sont efforcés de les reconstituer à partir des textes du philosophe se sont rendu compte que lesdits arguments n’étaient pas solides. La principale difficulté à laquelle se heurtent les arguments nietzschéens tient au fait que la transition d’un état énergétique à un autre peut passer par un nombre infini d’états intermédiaires. Mais cette difficulté n’est pas difficile à lever : il suffit de remplacer « état énergétique » par « atome », ou de postuler que l’énergie fonctionne par niveaux (niveaux entre lesquels n’existe aucun état intermédiaire) et la question est réglée [24].

25À mon avis, si la doctrine nietzschéenne de l’éternel retour présente de réelles faiblesses, c’est parce que, la notion d’infini figure dans les prémisses de la discussion. Pour démontrer l’éternel retour, Nietzsche commence par faire l’hypothèse que la somme de toutes les énergies est limitée, et nous prévient qu’il faut être tout particulièrement attentif à ne pas utiliser le concept d’infini, ni aucun autre concept auquel on ne pose pas de limites. Mais l’hypothèse selon laquelle la somme des énergies est limitée ne suffit pas à elle seule pour démontrer l’ « éternel retour », ce qui contraint Nietzsche à postuler que le temps est infini.

26Or un tel « infini » a-t-il un sens ? Si le dernier cycle est parfaitement identique au premier, comment pourrions-nous savoir que ces deux cycles ne sont pas un seul et unique cycle ? Non seulement il ne nous est pas possible à nous de le savoir, mais Dieu lui-même en serait incapable. Nous savons que le printemps de cette année n’est pas le printemps de l’année dernière parce que, sur un fond d’identité, certaines choses ont changé : la scène est la même, mais les comédiens ont changé. D’année en année, les fleurs semblent toujours les mêmes, mais les belles femmes d’hier ont irrémédiablement vieilli. Les éléments cycliques doivent être mis en regard avec d’autres qui ne le sont pas, ou du moins avec des choses engagées dans des cycles de vitesse différente, pour que l’on puisse les dire cycliques. C’est justement ce genre de référents qui manquent à l’échelle maximale pour que la circularité demeure plausible.

27Dans les romans chinois classiques, quand le héros se retrouve pieds et poings liés devant le bourreau, il en profite pour placer des paroles nobles et héroïques : il va mourir, ce n’est pas le bout du monde, en effet, dans vingt ans il sera à nouveau un grand héros. Ce genre de phénomène (la métempsycose) n’a de sens que dans un monde qui possède une continuité. Quelqu’un qui croit à la métempsycose doit nécessairement trouver une solution quelconque pour se construire une image du monde avant lui et après lui… ou pour avoir des nouvelles de ces deux autres mondes. C’est pour cela qu’existent les devins, nécromanciens et autres. Dans le retour éternel à la façon de Nietzsche, un Nietzsche parfaitement identique à lui-même renaît dans un monde semblablement identique ; quelle différence entre une telle renaissance et l’absence de renaissance ?

VIII – Le concept scientifique de temps

28Mais continuer à l’heure actuelle à réfléchir à partir de l’antinomie kantienne et de l’éternel retour nietzschéen, n’est-ce pas s’attarder à des idées dépassées ? À l’heure actuelle, la plupart des astrophysiciens reconnaissent la validité de la théorie du « big bang » ; la science peut quasiment démontrer que l’univers, et avec lui le temps et l’espace, ont un point de départ. Les philosophes s’enferrent dans de vaines disputes conceptuelles tandis que les scientifiques, preuves à l’appui, résolvent les problèmes, l’un après l’autre, de façon définitive.

29Je ne me risquerai pas à remettre en cause la théorie du « big bang », n’en ayant ni la compétence, ni le désir. C’est peut-être une conclusion fort juste de la science physique ; les questions que je souhaite pour ma part soulever sont les suivantes : ce que permet d’élucider cette théorie, est-ce bien la perplexité qui est la nôtre, celle qui nous occupe ici ? Pouvons-nous vraiment comprendre la théorie du « big bang » ? Sans aucun doute, au prix de quelques années consacrées à la physique et aux mathématiques. « Comprendre » est un concept qui recouvre un nombre considérable de réalités : communiquer de cœur à cœur, c’est se comprendre ; apprendre le maniement de tel ou tel symbole, c’est également comprendre (nous autres universitaires aurions même tendance à voir là le modèle de toute compréhension !). Pour dire les choses simplement, « comprendre » a un double sens. Dans son premier sens, le mot signifie : maîtriser certains principes. Son second sens : pénétrer le sens de quelque chose, « avoir l’intuition », « faire sens de » quelque chose [25]. Quand on a appris à manier telle formule mathématique, on ne comprend pas nécessairement pour autant sa portée dans le domaine de la physique ; on peut savoir employer les nombres imaginaires sans en comprendre le sens ; on peut maîtriser un concept de physique et être tout à fait incapable de le relier avec nos conceptions spontanées. La lumière une fois définie en termes purement physiques, peuvent apparaître des concepts tels que « lumière invisible » ; comment pourrions-nous comprendre ce concept dans le cadre de notre entendement naturel ? Nous voyons clairement et distinctement quelque chose d’immobile, alors qu’en termes scientifiques il s’agit d’un « mouvement rectiligne uniforme ». Il ne s’agit pas là d’exceptions : en fait, aucune des conceptions de la physique moderne ne doit être abordée de façon intuitive. « Le poids, ce n’est que le nom d’un symbole mathématique […]. En physique newtonienne, le concept de qualité lui-même reçoit une acception technique […] L’inertie est également un concept artificiellement construit [26]. »

30Ici se manifeste la différence fondamentale entre la philosophie et la science moderne. Si mystérieuse et profonde que soit leur philosophie, ni Xia Ge ni Saint Augustin n’ont redéfini intégralement le concept de temps. Ils mènent des fouilles pour aller déterrer le sens enfoui dans nos notions spontanées du temps. La science, elle, ne saurait exister sans définitions. À mesure que les définitions se succèdent et s’accumulent, les concepts échappent à notre intuition, devenant autant de moyens de relier des symboles. Un espace à dix dimensions peut avoir valeur descriptive dans la théorie (ou pour le dire autrement, remplir un rôle dans l’élaboration d’une théorie), mais cet au-delà de la troisième dimension n’est pas accessible à notre intuition. Moi, je m’interroge à propos d’un temps fait de moments de tension et de moments détendus, d’avance et de retard… et on me répond par une formule de physique. Cette formule est sans doute parfaitement juste et adéquate, mais elle n’a de sens que dans le cadre de la physique moderne; l’intuition ne peut rien en tirer, la formule n’a pas de sens pour elle [27].

31Il m’est possible de comprendre dans les termes de la logique que « la chose qui est plus grande que toutes les autres n’a pas de borne », ou que « l’univers n’a pas de frontières » ; il m’est également possible de comprendre, à partir des preuves fournies par la science, que l’univers soit infini et possède néanmoins des frontières, et qu’il ait eu un commencement. Mais si je m’efforce de me représenter « cette chose sans borne qui est plus grande que toutes les autres », ou, à l’inverse, des frontières de l’univers qui reculent à l’infini, ma perplexité resurgit aussi forte que jamais. La perception humaine est temporelle. Elle a une origine et une fin, même si celles-ci n’étaient jamais perçues sous la forme précise d’un point de départ ni sous celle d’un terminal. Comme l’a dit Zhuangzi, « qui subordonne sa vie limitée à la poursuite du savoir illimité va à l’épuisement [28] ». L’infini nous est inintelligible, cela du fait de notre propre finitude. Toute signification n’existe qu’à l’intérieur du « fini » ; nous cherchons toujours à aboutir à un résultat, nous tenons à trancher au bout du compte. Si une partie d’échecs durait un temps infini, sans victoire ni défaite, personne ne jouerait plus ; si les procès n’aboutissaient pas à des décisions de justice, personne ne se donnerait la peine d’intenter un procès. Les Chrétiens croient à l’Apocalypse et au Jugement dernier ; Kant, pour établir certains principes de morale, postule un temps limité. Que l’on y croie ou non, qu’elles soient justes ou non, ces conceptions ont du sens dans le cadre de notre entendement naturel, tandis que les conclusions de la physique moderne, qu’elles soient pour ou contre le caractère infini du temps, n’ont pas de signification pour notre entendement naturel : on ne sait plus si le temps dont il est question est encore le temps de notre expérience intime.

IX – Temps et durée

32Ce temps de notre expérience, Bergson l’a très justement appelé durée. Heidegger s’oppose fortement à ce qu’on identifie son concept de temporalité (Zeitlichkeit) avec le concept bergsonien de durée : il est en désaccord avec l’idée de Bergson selon laquelle la conception que les esprits non prévenus ont du temps est une spatialisation du temps originel. Mais le « temps véritable » (die eigentliche Zeit) qui figure dans ses premiers écrits est proche de la durée de Bergson [29] ; et quand il parle, dans ses écrits tardifs, de « das eigentliche, im Eigenen der Zeit spielende Reichen[30] », on est tenté d’y voir une formulation différente du même concept. Je vais à mon tour recourir au mot de « durée » ; mon propre point de vue, quoique fort influencé par Bergson et Heidegger, ne se limite pas à ce que disent ces deux philosophes de la durée ou de la temporalité (Zeithchkeit).

33Les hommes ont depuis longtemps compris que le temps n’est pas quelque chose que l’on puisse tenir sous son regard. Le temps, de ce fait, est en un certain sens quelque chose d’interne, et non d’externe. Mais, lorsque nous parlons du temps de notre expérience ou du temps interne, n’y a-t-il pas lieu de craindre que nous nous écartions du temps objectif et glissions vers un temps subjectif, jusqu’à remplacer subrepticement le temps par la conscience du temps ? Le caractère interne du temps nous amène à concevoir le temps comme relevant de l’âme, c’est dire qu’il relève du psychisme. C’est ainsi que Kant interprète parfois la notion de temps ; mais, à d’autres moments, il concède que les choses (ou ce qu’il appelle les « manifestations ») possèdent un trait de temporalité. De fait, l’idée que les choses soient indépendantes du temps est tout à fait absurde ; mais à osciller comme le fait Kant entre deux formulations (un temps uniquement resserré dans la conscience ; un temps également présent dans les choses), on ne risque guère d’arriver à un quelconque résultat positif.

34Néanmoins, impression n’est pas synonyme de subjectivité[31], pas plus que l’expression temps interne n’implique nécessairement le psychisme. Dire que le temps est interne, c’est dire qu’il est durée, qu’il est l’indice d’un flux continu englobant les choses dans sa profondeur avant toute différenciation. Les choses sont reliées entre elles en profondeur. C’est là le fond de notre expérience du monde ; l’événement n’est pas donné en premier, et c’est seulement en découpant ce continuum que l’on arrive à l’isoler. Ce processus de découpage, Bergson le nomme « spatialisation ».

35La mesure du temps nécessite une spatialisation préalable ; elle ne peut s’exprimer que par des relations spatiales (la position de l’ombre d’une aiguille sur un cadran de pierre, ou celle de l’aiguille de montre par rapport au cadran, par exemple). Il nous est possible d’établir une mesure uniforme du temps, parce que la mesure temporelle qui dépend de la spatialisation est extrinsèque à toute durée. C’est ce temps uniforme, pure forme en réalité, qui introduit l’énigme de l’infini.

36Par rapport à l’espace en trois dimensions, le temps spatialisé est « uni-dimensionnel ». Il se divise en trois parties : passé, présent, avenir se succèdent sur cette ligne s’étendant à l’infini dans les deux sens. Or, cet ordre temporel uniforme et homogène ne permet pas d’expliciter tous les éléments importants de notre expérience du temps, à commencer par une question que l’homme se pose depuis l’Antiquité : Puisque le présent se démarque du passé et du futur, qui ont leur étendue, le présent est-il un intervalle, ou un point sans étendue ? Ensuite, même si passé et futur ont tous deux leur étendue, ils n’ont pas pour autant le même statut : le passé est tangible, il est « coulé dans l’acier » selon la formule de Lu Xun, quant à l’avenir, son existence est tout hypothétique. L’étendue des événements possibles est-elle alors celle du possible ? Pourrait-on dire que l’étendu des choses de l’avenir relève du nécessaire, bien que d’autres propriétés les concernant sont du possible ? Pourrait-on dire que tout ce qui a rapport avec les choses de l’avenir relève du nécessaire ? Et que le seul problème que nous avons est de ne pas en posséder la connaissance à l’instant actuel. Dans ce dernier cas, aucune différence objective ne séparerait plus passé et futur. La seule différence résiderait dans la connaissance que nous en avons, différence purement subjective : qu’un événement appartienne au présent ou à l’avenir dépend du temps-repère que l’on retient comme temps présent. Le temps se révélerait alors purement subjectif. Telle est la conclusion à laquelle parviennent de nombreux théoriciens.

37En fait, ces petits casse-tête proviennent de la spatialisation qui découpe la durée en solides figés (nous empruntons cette idée à Henri Bergson). Si nous reformulons notre expérience du temps et nous réexaminons notre conception du temps à partir de ce problème fondamental, ce que nous obtiendrons, ne sera plus le fil qui relie passé, présent et avenir, mais une structure qui comporte : a) la substance dans laquelle nous nous trouvons depuis toujours (le passé) ; b) ce qui est là, sous nos yeux, de cette substance, lorsque nous faisons l’effort d’en sortir (le présent), et l’arrière-plan par contraste avec lequel se manifeste la substance (l’avenir). C’est donc toujours en s’appuyant sur le présent, temps repère, que l’on peut parler du passé et de l’avenir.

38Dans cette structure, la durée est substantielle, le présent (présent [32]) est l’avènement (présentation [33]) de la substance ; le futur est le décor, autrement dit, la condition de cet avènement. Le présent n’a pas de durée : il n’appartient pas à la durée, dont il est le point de rupture. L’avenir non plus. Il est l’espace logique ouvert par la fracture de la durée qu’est le présent. Seule la substance, autrement dit le passé, est durée. Vue du présent, de ce point de rupture, la durée se projette dans l’espace logique ouvert et se manifeste sous forme de réalités distinctes.

39Il me semble néanmoins inadéquat de parler de « spatialisation » pour caractériser cette structure. Et en outre, le terme prête à confusion, faisant croire que l’espace existe préalablement à la durée (comme un métal à l’état pur qui, lors de son oxydation, entre en contact avec l’oxygène qui existe avant lui). Plus grave encore, il porte à croire que la durée en elle-même ne présente pas de caractère spatial, ce qui revient à résumer la durée à une simple succession, identique, en définitive, au temps « spatialisé ». Le point le plus important est que la durée, par la même transformation qui la spatialise, se trouve également temporalisée. Seulement, spatialisation et temporalisation ne sont pas d’égale « profondeur », bien qu’elles relèvent toutes deux de la même structure. L’espace, ce sont les réalités que l’on a sous les yeux (présent ou présentation [34]), tandis que le temps ne figure jamais dans le tableau dont il en constitue la profondeur, la perspective. Au fur et à mesure que la durée se déroule, son caractère temporel devient manifeste en tant que lien entre différentes présentations. Comme ce lien ne figure jamais dans le tableau présenté, on l’appelle « lien interne ». L’être en présentation, ou le présent, est une vue en coupe de la durée, alors que le caractère temporel de la durée est le lien interne ou la succession des présents de l’être en ses différentes présentations.

40Voilà pourquoi je préfère éviter de recourir au mot de « spatialisation », lui préférant une tournure d’allure maladroite : « passage à la durée ». Il s’agit en fait de parler de la présentation de la substance d’un autre point de vue. Émergés de la mouvance obscure des événements, dans laquelle nous étions plongés, nous constituons nous-mêmes le présent. À partir de ce présent, les événements à l’avenir ne se présentent pas seulement comme baignés dans une mouvance obscure, mais comme un vaste assortiment d’images possibles des divers éléments distincts. Demain et hier ne sont pas deux points ou deux intervalles qualitativement similaires dans le flux du temps : hier a déjà basculé dans le domaine du certain, tandis que demain reste ouvert. Hier est réel, demain est possible. Nous sommes attachés au réel par tout le poids de notre chair, tandis que nous ne sommes liés à l’avenir que par le truchement de l’intellect.

41Durée et linéarité temporelle forment un couple. Les événements du passé ne sont plus, mais en même temps ce sont eux les plus certains puisqu’ils ne sont plus sujets à modification. « Le cours des choses est comme le Fleuve, elles passent mais le cours du temps demeure [35]. » Le passé, entrant dans le domaine du tangible, accède à une existence éternelle ; nous pleurons tel sage, et nous nous consolons de penser qu’il a juste franchi le seuil un peu avant nous, et que nous le retrouverons là où il va. C’est ainsi que s’exprime Einstein écrivant à la famille d’un ami défunt : « Le voilà qui a à nouveau un pas d’avance sur moi ! » Il ajoute : « Voilà qui n’a pas grand sens, au fond. La différence entre passé, présent et avenir n’est qu’une illusion, si profondément enracinée que soit cette chimère. »

42Selon la perspective que j’ai résumée par le mot de « passage à la durée », le caractère temporel de la durée est nécessairement ce qui relie des présents distincts qui se succèdent. Ces « tableaux présents » ne se manifestant que dans l’espace. Cela ne veut pas dire que la linéarité temporelle soit subjective, car la problématique de point de vue qu’implique l’opposition entre le « subjectif » et l’« objectif » se base justement sur la manifestation (présentation) de la substance. Ce n’est que sous le regard de l’observateur que la durée peut se reconnaître comme linéaire ; et, à l’observation, elle se révèle nécessairement linéaire. Nous serions-nous soudain affranchis de la durée ? Comme si nous n’en étions pas une partie constitutive ? Comme si nous pouvions soudain regarder le monde face à face ?

Notes

  • [1]
    « La différence entre passé, présent et avenir n’est qu’une illusion, si profondément enracinée que soit cette chimère. » Einstein, Recueils, T. III, traduit en chinois sous la direction de Xu Liangying, Shangwu, 1979, p. 507. J’aurai à recourir à cette citation dans la dernière partie du présent article
  • [2]
    Lie zi, chapitre V, Xinbian zhuzijicheng, Shijieshujuyinhang, T. IV, Taiwan, 1991. NdT. Le Lie zi (Le Livre du Maître Lie), attribué par la tradition à Lie Yukou (originaire de Zheng, Royaumes Combattants, -403 à -256), aurait été composé sous les Jin Occidentaux (265 - 317) et les Jin Orientaux (317 - 420), Compilation de nombreux ouvrages de l’époque pré-impériale et de la dynastie des Han ( 206 av. J.C. - 220 ap. J.C.), il contient également des éléments et des légendes bouddhiques des Jin. Sous les Tang (618 - 907), il fut considéré comme l’un des canons taoïstes.
  • [3]
    En anglais dans le texte, NdT.
  • [4]
    Joseph Needham, commente ainsi le concept de temps chez les auteurs classiques : « Aux yeux des Chinois de l’Antiquité, le temps n’était pas un paramètre abstrait, une succession de moments homogènes. Il se décomposait en saisons distinctes, toutes riches d’un contenu concret, qui avaient elles-mêmes leurs subdivisions. / For the ancient Chinese, time was not an abstract parameter, a succession of homogeneoux moments, but was divided into concrete separate seasons and their subdivisions. » Citation tirée de l’article « Time and Knowledge in China and the West », in The Voices of Time, volume dirigé par J.T. Fraser, New York, 1966, p. 99. Voir également, dans le même article, la synthèse par Needham des idées de Granet à ce sujet, p. 98. Outre cela, je souhaite souligner que le signe shi dans les textes classiques, signifie le plus souvent « occasion », et non le « temps » abstrait. Cela induit en erreur certains savants, qui concluent que les auteurs de l’Antiquité se fondaient principalement sur la notion d’occasion, de moment opportun dans leur réflexion sur le temps. Cette thèse est intenable : elle est réfutée par l’existence en chinois classique de caractères qui font pendant au concept de temps de l’Époque moderne, à savoir jiu et zhou, entre autres, qui se distinguent clairement du shi classique. Il faut absolument se défier de l’emploi de méthodes aussi grossières dans l’analyse historique des concepts.
  • [5]
    « Car c’est cela le temps : le nombre du mouvement, selon l’avant et l’après. » Aristote, Physique, 219b.
  • [6]
    Cf. Entretien de Confitcius, traduction et présentation par Anne Cheng, Seuil, Paris, 1981, p. 78. Traduction modifiée. NdT.
  • [7]
    Mozi (-478 à -392) : Philosophe qui vécut après Confucius, il prône la paix et l’amour universel. Avant la dynastie des Han ( -206 à 220), l’école de Mozi était aussi renommée et influente que celle de Confucius.
  • [8]
    Mozi jiaozhu, chapitre X, partie I, p. 473, Zhonghua shuju, 1993. Le Mo zi qui est parvenu jusqu’à nous est en assez grand désordre ; le sens de bien des phrases est difficile à établir avec certitude. Mais les deux phrases dont il est ici question ne posent pas de problème philologique particulier, non plus que de problème d’interprétation.
  • [9]
    Ibid.
  • [10]
    Ibid.
  • [11]
    Les textes qui composent le Lie zi sous sa forme actuelle ont été réunis a l’époque de la transition entre les deux dynastiques Jin. Le chapitre en question remonte peut-être à une époque antérieure, sans qu’on puisse en fixer précisément la date. Nous avons présenté l’essentiel du dialogue dans le présent article. Voici le texte intégral : « Tang, de la maison de Yin, interrogea Hia Ko et dit : “Au début des âges, y avait-il déjà des êtres ?” Hia Ko dit : “Si à l’origine il n’y avait pas d’êtres, comment existeraient-ils aujourd’hui ? À l’avenir, les hommes pourraient aussi dire qu’il n’y a pas d’êtres aujourd’hui.” Tang de Yin demanda : “Mais alors, les êtres n’ont-ils pas de succession dans le temps ?” Hia Ko s’expliqua comme suit : “Le commencement et la fin ne sont pas des concepts absolus. Chaque commencement peut être conçu comme une fin, toute fin peut être posée comme un commencement. Comment pourrais-je le démêler ? Ce qui est au-delà de la nature des choses et avant les événements est ce qui m’échappe.” Tang de Yin demanda : “L’espace comprend-il une limite extérieure et (possède-t-il) d’ultimes parties simples ?” Ko dit : “Je l’ignore.” Tang se fit plus pressant et Ko déclara : “L’espace est-il vide ? Il est alors sans limites. L’espace est-il rempli ? îl n’y aura pas alors de parties simples. Mais comment le savoir ? Cependant on peut se représenter au-delà des limites du vide encore un vide illimitée ainsi à l’infini. (On peut concevoir) à l’infini, à l’intérieur des parties minuscules des parties plus minuscules encore et ainsi à l’infini. Puisque au-delà de l’illimité, il y a encore de l’illimité et à l’intérieur de l’infiniment petit, il y a encore de l’infiniment petit, je puis penser qu’il n’existe ni limites, ni parties simples, cependant que je ne puis concevoir l’existence des limites et des parties simples.” Tang continua à interroger Hia Ko : “Comment est le monde au-delà des quatre mers ?” L’autre répondit : “C’est comme chez nous.” Tang s’enquit : “Comment le prouvez-vous ?” Ko s’expliqua ainsi : “Si je me dirige vers l’Est, j’arrive à Ying. Là, les hommes sont comme ici. Si je demande alors comment le monde se représente à nos yeux à l’est de Ying, c’est encore comme à Ying même, me répondra-t-on. Allons à l’Ouest jusqu’à Pin : les gens sont là exactement comme ici. Comment sont les choses à l’ouest de Pin ? On nous répondra : comme à Pin. C’est pourquoi je conclus qu’au-delà des quatre mers, au-delà des quatre déserts, au-delà des quatre pôles, les choses ne sont pas autres qu’ici.” II n’y a pas de fin, ni de frontières, parce qu’un espace plus grand enveloppe un espace plus petit. Le contenant de l’Univers est aussi celui qui embrasse le ciel et la terre. C’est pourquoi le contenant du ciel et de la terre est sans limites. Comment donc savoir si, autour de notre monde, n’existe pas un monde plus vaste ? » Lie zi, chapitre V, p. 51-52. Philosophes taoïstes, Lao-tseu, Tchouang-iseu, Lie-tseu, textes traduits, présentés et annotés par Liou Kia-Hway et Benedykt Grynpas, relus par Paul Demiéville, Etiemble et Max Kalteninark, Gallimard, 1967, p, 473-474. NdT.
  • [12]
    Arther Schopenhauer ‘s sâmtliche Werke, volume II, Munich, 1911, tableau annexe entre p. 54 et p. 55.
  • [13]
    Kemp Smith, A Commentary io Kant ’s Critique of Pure Reason, Londres, 1918, p. 137.
  • [14]
    Heidegger, « […] der Erste und Einzige, der sich eine Strecke untersuchenden Weges in der Richtung auf die Dimension der Temporalität bewegte ». Sein imdZeit, Tübingen, p. 23.
  • [15]
    The Confessions of Saint Augustine, New York, 1943, p. 285. Saint Augustin, Les Confessions, traduction, préface et notes par Joseph Trabucco, GF-FIammarion, 1964, p. 264. NdT.
  • [16]
    Lüshi Chunqiu (Printemps et Automne du sieur Lü) : L’ouvrage est né de l’initiative de Lu Buwei (2de moitié du iiième siècle av. J.C.) qui invitait des lettrés de toutes écoles à habiter chez lui et à y rédiger leurs œuvres. Le livre est le fruit de ce mécénat. NdT.
  • [17]
    Lûshi Chunqiu (Printemps et Automne du sieur Lü), chapitre XIII, Xinbian zhuzijicheng, T. 7, p. 124. NdT.
  • [18]
    « Parmi les philosophes de l’Occident et de l’Inde, certains pensent que tous changements ne sont qu’illusions. En Chine, cette opinion n’est pratiquement pas représentée. Les penseurs chinois sont tous de l’avis que le changement n’est nullement illusoire. » Zhang Dainian, Zhongguo Zhexue Dagang (Éléments de philosophie chinoise), Zhongguo Shehuikexue chubanshe (Éditions des Sciences Sociales de Chine), 1982, p. 98. Needham avance lui aussi l’idée que la notion de création ex nihilo, par un être tout-puissant n’existe tout simplement pas dans la culture chinoise ; il met également en lumière le rapport entre ce trait et certains faits de civilisation : faute de posséder la foi tout occidentale en l’existence de principes universels, les Chinois n’ont pu parvenir d’eux-mêmes au stade de la science moderne, « Time and Knowledge in China and the West », in The Voices of Time, op. cit. Nous nous rappelons bien sûr tous la formule « Quelque chose naît de rien » dans le Traité de la Voie et de la Vertu de Laozi. Néanmoins, ce n’est pas là une thèse à portée cosmologique : le propos du texte est de poser des concepts de façon dialectique.
  • [19]
    « Les dix milles créatures » signifietout ce que contient le monde. Dans la suite de l’article, cette expression est reprise par l’auteur ; elle est alors traduite par « toutes choses », « toutes les choses », la traduction littérale étant inutilement compliquée dans un contexte autre que celui d’une sentence classique. NdT.
  • [20]
    Les ouvrages qui analysent l’argumentation kantienne sont légion, et les appréciations divergent fortement. Ainsi. Schopenhauer qualifie toute la démonstration de la thèse de « sophisme » (dans Le Monde comme Volonté et Représentation), tandis que G. J. Warnock estime que la démonstration de la thèse et celle de l’antithèse sont « extrêmement puissantes » (A Critical History of Western Philosophy, volume dirigé par D. J. O’Connor, Londres, 1964, p. 306). Nous rejoignons pour notre part la faction schopenhauérienne : les raisonnements de Kant mettent bel et bien temps et espace sur le même plan, et la méthode qu’il suit est celle que l’on peut nommer « méthode de la frontière » : de ce fait, sa démonstration ne saurait aller au-delà de celles proposées par ses devanciers. De fait, sa démonstration de la thèse est identique à celle de St. Bonaventure (cf. F. Copleston, A History of Philosophy New York, 1950, partie 1, volume 2, p. 292-293). Quant à l’antithèse, elle est démontrée de la même façon que dans le chapitre du Lie zi « Questions de Tang » présente plus haut.
  • [21]
    Hegel Leçons sur l’histoire de la philosophie, volume 4, traduction en chinois par He Lin et Wang Taiqing, Shangwu yinshuguan, 1978, p. 279.
  • [22]
    Ancien Testament (Shengjing), Zhongguo jidujiao xiehui & Zhongguo jidujiao sanzi aiguo yundong weivuanhui, Nanjing, 1988, p. 795. NdT.
  • [23]
    La discussion qui suit s’appuie principalement sur le passage suivant : « Das Mass der All-Kraft ist bestimmt, nichts Unendliches, hüten wir uns vor solchen Ausschweifungen des Begrifts ! […] bis diesen Augenblick ist schon eine Unendlichkeit abgelaufen […] ». Nietzsche Werke, volume 12 : Nachgelassene Werke Leibzig, 1901, p. 51-52.
  • [24]
    Voir Wu Guosheng, Shijian de giiatmian (La Notion de temps), Zhongguo Shehuikexue chubanshe (Éditions des Sciences Sociales de Chine), Beijing, 1996, p. 72.
  • [25]
    En anglais dans le texte : « making sense of ».
  • [26]
    M. Klein, La Perte des Certitudes, traduction en chinois par Li Hongkui, Hunan kexuejishu chubanshe (Éditions des Sciences et des technologies du Hunan), 1997, p. 49-50.
  • [27]
    J’ai traité des relations entre signification et sensation dans un article intitulé « Shuo daxiao (À propos de la dimension », dans Dushu (Lire), 1999, n° 3.
  • [28]
    Philosphes taoïstes, Lao-Tseu, Tchounig-Tseu, Lie-Tseu, trad. Liou Kia Hway, op.cit., p. 105. NdT.
  • [29]
    « Wir […] zerstôren die eigentliche Zeit in ihrem Fluss und lassen sie erstarren. Der Fluss gefriert, wird zur Fläche […] Die Zeit ist zu einer homogenen Stellenordnung geworden. » Der Zeitbegriff in der Geschichtswissenschaft, in Frühere Schriften, Frankfurt a. M., 1972, p. 366.
  • [30]
    Zeit und Sein, in « Zur Sache des Denkens », Niemeyer, Tübingen, 1969, p. 16.
  • [31]
    Dans l’article « À propos de la dimension » cité plus haut, j’apporte des arguments en faveur de cette thèse (voir la revue Dushu (Lire), 1999, n° 3). L’essentiel de la démonstration peut se résumer comme suit : un esprit non prévenu ne fait-il aucune différence entre « cela donne l’impression de… », « cela nous donne l’impression de… » et « cela me donne l’impression de… » ? Le temps accessible à la connaissance, c’est également le temps accessible à notre connaissance, alors pourquoi dire que celui-ci est objectif et non celui-là ? La suite du présent article montre que le mouvement du temps perceptible au temps abstrait est la transformation de la durée en une série de manifestations discontinues, et non le passage du subjectif à l’objectif.
  • [32]
    En anglais dans le texte.
  • [33]
    Ibid.
  • [34]
    Ibid.
  • [35]
    Extrait d’un poème de Su Shi (1037 - 1101) : Qian Chibi fu. Chibi fut le lieu d’une grande bataille : visitant l’endroit longtemps après, le poète constate la disparition de toute trace de cet événement et chante l’éloge de la transformation éternelle de la nature. Guwen guanzhi (Perfection du guwen) Zhonghua shuju, 1959, p. 508.