Passé et présent de la philosophie au Brésil

1Michel Foucault, dans un commentaire ironique sur le Brésil, ou plus précisément sur le Département de Philosophie de l’Université de São Paulo, nous offre un contraste intéressant pour la compréhension de la position de la philosophie dans la société brésilienne de ces dernières décennies. Proféré lors d’une visite à la fin des années soixante-dix, ce commentaire connut une certaine notoriété, du moins parmi ceux à qui l’ambigüité de la comparaison s’adressait. Dans ce commentaire, il exprimait sa surprise face au type de travail académique que l’on trouvait au Brésil, disant y avoir vu ce qui lui semblait être « un département français d’outre-mer ». D’habitude, le commentaire est compris depuis la perspective de l’implantation dans le pays d’une routine philosophique, et celle du dédoublement des « missions françaises » qui marquent la formation du Département de Philosophie de l’Université de São Paulo. Ces missions, en effet ont eu une grande influence sur le travail philosophique développé au Brésil [1]. Ce processus de formation remontant aux décennies précédentes et s’opposant à une certaine production qui commençait à être reconnue comme peu rigoureuse et plus érudite ou juridique que philosophique, trouverait, dans la reconnaissance ironique de Foucault, l’indication de son lien avec une autre tradition, ainsi que la situation de la philosophie dans un nouveau contexte.

2Foucault fait sa visite en plein régime militaire et la situation de l’enseignement de la philosophie d’alors est de grande importance pour ses dédoublements postérieurs. Ce qu’il y a de plus important à observer est le fait que ce « département français » se situait dans un contexte qui, outre sa géographie, était fondamentalement différent de celui dans lequel on parlait de philosophie en France ; et cette différence, ironisée de façon subliminaire par Foucault, quoique insoupçonnable, marque l’identité de la philosophie au Brésil de manière aussi décisive que la routine de lecture de texte auquel le commentaire s’adresse préliminairement. Il s’agissait d’un enseignement de philosophie restreint à l’université, où les personnes formées n’auraient pas de perspective professionnelle dans ce domaine, dans une société qui se trouvait éloignée et qui ne pouvait pas savoir –ou peu savoir – ce qui se passait entre les murs des départements, ou même ce que l’on y recherchait.

3Pour comprendre cette singularité et comment elle est se trouve traitée dans le contexte actuel, il est nécessaire de reprendre brièvement le parcours des cinquante dernières années [2]. Aujourd’hui, on se trouve face à une scène hyperboliquement inverse, où la philosophie s’étend depuis les écoles secondaires (lycées) et tout au long de leurs trois années, où le nombre de professeurs disponibles est terriblement inférieur au nombre nécessaire, où les départements se trouve éparpillés aux quatre coins du pays, tout en en ayant à prendre en charge l’énorme espace que la philosophie commence à occuper dans la vie scolaire et, à travers elle, dans le quotidien de la société brésilienne. Le Brésil devient enfin l’un des pays avec le plus grand nombre d’étudiants en philosophie au monde, et où l’on fait le plus grand nombre d’achats de livres de philosophie. L’enseignement de la philosophie au Brésil occupe une place particulière, et la compréhension de cette singularité présuppose que l’on revisite son histoire récente et les idiosyncrasies qui marquent cette période.

Philosophie, « Réforme Conservatrice » et État Autoritaire

4Entre 1964 et 1985, le Brésil se trouvait sous un régime militaire qui cultivait une certaine apparence d’institutionnalité [3] et qui interfère de manière centrale dans la structure de son système éducationnel. Cette période marque également la conclusion du processus d’urbanisation rapide du pays, et de la brusque rupture avec la société des décennies précédentes constituant des régions métropolitaines très grandes et très peuplées. À l’origine de ce processus, se trouvait une industrialisation « dépendante » aussi rapide, opérée par l’implantation d’entreprises à capital étranger. Dans ce contexte, l’intervention de projets d’éducation mis en place par le régime militaire avait comme dynamique la tentative, finalement inaboutie, de structuration d’un enseignement technique qui soutienne ce processus de croissance urbaine et industrielle avec la main d’œuvre nécessaire. Ainsi, l’enseignement moyen se met à être conçu comme une activité de formation professionnelle et comme une étape de la formation qui se renferme sur elle-même. Ce modèle a fait face à des problèmes dans la mesure où la propre classe moyenne brésilienne s’est révélée peu satisfaite par une formation moyenne et de profil technique, et a préféré une formation universitaire pour ses enfants laquelle, à ce moment-là, représentait une garantie d’ascension sociale. Néanmoins, une reformulation des curriculums scolaires s’est imposée. Elle se réduisait à une part de science humaine dans la formation des étudiants et augmentait le poids attribué aux sciences dures et aux disciplines associées à la formation technologique. C’est avec cette « réforme conservatrice » débutée pendant le régime et conclue en 1973 que l’enseignement de la philosophie a été exclu de l’enseignement du cycle moyen. Ce qui a fait de la défense de son retour aux programmes scolaires une lutte pour la citoyenneté, pour la qualité de l’éducation et pour le droit à la pensée critique et donc un symbole de la lutte contre un régime dictatorial.

5La présence effective de l’enseignement de la philosophie dans les écoles remontait un peu après le début des années soixante et, ainsi, à la période précédant la grande expansion de l’éducation publique brésilienne (réalisée en début des années soixante-dix, avec le dédoublement du vigoureux processus de croissance urbaine dont nous avons parlé précédemment). Même dans ce contexte-là, sa présence n’était pas générale et n’avait certainement pas un rôle plus central, en particulier du fait du caractère insipide, à l’époque, de la recherche en philosophie. L’intervention du régime a justement empêché la participation de l’enseignement de la philosophie dans ce contexte d’universalisation de l’accès de groupes urbains à l’éducation. Comme résultat, à partir de la fin des années soixante et le début des années soixante-dix [4], toute une génération n’a eu accès à la philosophie que de manière informelle, et son enseignement tout comme son étude régulière étaient donc restreints aux universités – et, même à l’intérieur de l’université, avec toutes les limitations que la censure et les persécutions politiques imposaient. L’absence d’enseignement de la philosophie dans ce contexte, ainsi que les reformulations de l’enseignement de l’histoire et de la géographie, se présentent comme l’expression de la conception de l’éducation qui domine les politiques de la période [5], où se crée l’idée qu’une grande formation doit se limiter à une élite nationale, et que la plupart de la population doit être qualifiée comme main d’œuvre technique et associée aux intérêts du marché.

6L’association entre l’exclusion de la philosophie et le refus d’une conception d’éducation qui soit « formatrice », « critique » et « préoccupée de citoyenneté », pour employer les termes de l’époque, est ce qui a paradoxalement fait de l’enseignement de la philosophie, jusque-là développé de façon élitiste et peu lié au contexte politique où il se situait, une bannière pour la démocratie et la défense de la société critique et libre, refusée par le régime autoritaire. Son absence se présentait comme l’expression d’une éducation autoritaire qui refusait la pluralité, le dialogue et la réflexion. À l’image singulière du philosophe s’agrège donc celle de l’opposant à l’arbitre et celle du savant éloigné de la société, dans la solitude des départements, que l’on ne peut apercevoir que très rarement. Ces départements de philosophie, à leur tour, se consolidant et se multipliant à travers le pays, d’abord lentement et ensuite de manière accélérée, ont eux aussi ressenti l’impact de ce nouveau contexte, où l’on peut observer un processus simultané de qualification du travail de recherche et de distanciation par rapport au quotidien de cette société, qui commence à être observée à distance et étudiée à partir de textes. Lorsqu’on a inversé le sens de l’enseignement technique conçu par le régime, l’absence de cours de philosophie dans l’enseignement moyen a fait que les programmes universitaires se sont consacrés à la formation de chercheurs, de futurs étudiants après la licence, de maîtres et de docteurs.

7Ainsi, se consolide une situation paradoxale, tandis que l’on voit s’exprimer une forte espérance en la philosophie comme critique du régime et défense de la liberté, alors que celle-ci, de plus en plus spécialisée, « technique » sauf quelques remarquables exceptions, (justement la caractéristique soulignée par Foucault dans son commentaire, qui s’exprime fondamentalement dans la consolidation de l’héritage « uspien [6] », d’un travail soigné de lecture structurale de texte) perd sa capacité, si elle l’a jamais eue, de répondre dans le contexte brésilien aux questions posées par la vie du quotidien d’un pays dépendant, autoritaire et périphérique. Même les exceptions, qui se présentent à travers le peu de personnalités qui occupent l’espace public et l’identité d’« intellectuel de gauche », des militants critiques et armés d’arguments, collaborent en fait pour dessiner cette curieuse identité du philosophe dans la société brésilienne – l’intellectuel érudit, enfermé dans l’université, gardien de la sobriété et de l’esprit critique.

8Ce processus complexe et difficile à décrire se présente comme la lame de fond du débat sur la réintroduction de la philosophie dans le programme de l’enseignement moyen qui traverserait les deux décennies qui séparent la fin du régime, en 1985, et son retour effectif au contexte scolaire.

9L’une des conséquences du dédoublement du régime autoritaire en vigueur entre 1964 et 1985 et des politiques éducationnelles qui le caractérisaient, c’est le fait que le débat sur la réforme de l’éducation qui commence à partir de la fin des années quatre-vingt, et qui résulte dans l’approbation d’une nouvelle Loi de Directives et Bases de l’Éducation – LDB, se centre, en 1996, autour de thèmes tels que la démocratie, la formation critique et la citoyenneté, ainsi que le caractère inclusif que l’enseignement doit adopter [7]. La défense de la réinsertion d’un enseignement de la philosophie augmente et occupe une partie importante de l’identité critique et citoyenne telle qu’on l’espérait des réformes.

10Cette réinsertion de l’enseignement philosophique est le contexte où, curieusement, s’accentue le paradoxe qui enveloppe la position de la recherche en philosophie au Brésil : des départements de philosophie qui, en général, se sont éloignés du quotidien de la société et qui n’ont plus tellement de vision sur ce qu’est l’enseignement secondaire dans le pays ; des départements qui se sont spécialisés et qui se sont consacrés à la recherche après la licence, et sont appelés à occuper, par l’intermédiaire des étudiants, un espace public pour lequel ils ne sont plus qualifiés, s‘ils ne l’ont jamais été. On attend du professeur de philosophie la formation de l’esprit critique de ses étudiants, la qualification du citoyen, la critique de la politique, le développement du jugement, la réflexion sur le quotidien, toutes choses qui se trouvent significativement éloignées de la routine rigoureuse qui caractérisait la recherche académique durant les décennies précédentes. Comment le réaliser ? Comment mettre ce rôle en relation avec la présentation de la tradition de la philosophie et avec la spécificité de la formation en philosophie ? Et comment, plus particulièrement, le mettre en rapport avec le caractère technique que la formation en philosophie acquiert au Brésil pendant cette période ?

La Philosophie et les Réformes de l’Éducation depuis les années quatre-vingt-dix

11Il y a deux moments déterminants pour la situation actuelle dans l’enseignement de philosophie au Brésil : l’approbation de la nouvelle LDB en 1996 et la modification de cette loi en 2008, qui établit impérativement l’inclusion de la philosophie (et également de la sociologie) dans le programme de l’enseignement moyen pour tout le pays.

12La LDB de 1996 présente deux caractéristiques remarquables du point de vue qui nous intéresse ici. La première est l’indication que la présence de la philosophie peut se faire de manière « transversale », à savoir sans une discipline spécifique, ayant pour principal objectif la « maîtrise de connaissances en Philosophie et Sociologie nécessaires à l’exercice de la citoyenneté » par les étudiants. Cela n’altère pas le cadre précédent de manière significative, simplement la présence effective de la philosophie se ferait à travers des initiatives particulières et locales. Cependant, cette législation essaie de prendre en compte un très vif débat sur l’éducation nationale et sur le nouveau contexte urbain dans lequel elle se situe. Elle tente d’envisager comment la réaliser sans exclusion, y compris du point de vue de la forte régionalisation que l’on observe dans le pays, de l’esprit critique, autonome et démocratique que l’on y souhaitait instaurer. L’une des conséquences de ce large éventail de problèmes qui devaient être mis en équation est la création d’une législation qui accorde une grande autonomie à ceux qui sont impliqués dans le processus éducationnel, décentralisant les programmes et les décisions pédagogiques. Il n’y a plus véritablement de programme minimum, ni même quelque chose au-delà d’un ensemble générique de compétences et de capacités qui seraient objectivées par le processus éducationnel. À la place de l’unité qu’imposent les programmes précédemment existants, le débat se fait en des termes plus délicats sur les paramètres et les directives curriculaires purement indicatives.

13Cette présence transversale de la philosophie dans les programmes est l’objet de critiques croissantes dans la période qui suit, toujours dans le contexte d’un perfectionnement du caractère pluriel et démocratique de l’éducation brésilienne. Ce qui en résulte est une lente inclusion de la philosophie comme discipline dans quelques États de la fédération ou dans quelques écoles isolées et, finalement, l’approbation d’une révision de la LDB en 2008, qui rend sa présence en tant que discipline obligatoire dans toutes les écoles du pays. Curieusement, dans un contexte juridique où l’autonomie locale est renforcée, les seules disciplines rendues obligatoires par la loi sont la philosophie et la sociologie.

Critique et Histoire de la Philosophie

14L’un des héritages du débat sur le rôle de la philosophie dans l’ensemble de la formation scolaire fut la très forte amplitude qu’a connue la polémique sur le profil de cet enseignement et sa relation d’un côté avec les problèmes quotidiens, et de l’autre avec l’histoire de la philosophie. Cette polémique, qui éclairait des questions importantes sur l’identité de l’enseignement de philosophie en train de se constituer, mais qui, à l’origine des débats sur la philosophie dans le contexte des réformes de la période autoritaire, n’avait pas un fond politique, situait, à une extrémité, un enseignement sans lien avec le quotidien et la « formation critique » » et « citoyenne », dont on ferait porter l’accent sur la présentation de l’histoire de la philosophie et, à une autre, un enseignement qui partirait de problèmes du quotidien, dex journaux et de leurs « unes », appliquant à ceux-ci ou à partir de ceux-ci, une « manière philosophique » de débattre et de construire l’« esprit critique ». Rétrospectivement, ces deux alternatives nous semblent être plus caricaturales, mais reflètent bien l’esprit de l’époque, au moment du débat relatif à ce que devrait être l’enseignement de la philosophie, pour lequel on avait tellement lutté depuis les années soixante-dix.

15Étant donné la grande autonomie dont est marqué le système éducationnel brésilien, la pleine réalisation de l’enseignement de la philosophie en 2008 n’a pas impliqué la fin de cette polémique. Chaque école maintenait, en dernière instance, malgré les quelques et peu nombreux mécanismes de pression et d’unification locale, l’autonomie de la conception de leurs propres programmes et des cursus. Dans un cadre national, on ne trouvait qu’une série de documents comme propositions « d’Orientations Curriculaires Nationales de Philosophie », de caractère purement indicatif [8] sur la façon dont il fallait concevoir l’identité de ce travail. Selon ces orientations :

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Il est recommandé que l’histoire de la Philosophie et le texte philosophique aient un rôle central dans l’enseignement de la Philosophie, même si la perspective adoptée par le professeur demeure thématique. Il n’est pas excessif de renforcer l’importance de travailler avec des textes proprement philosophiques et primaires, même lorsqu’on dialogue avec des textes d’autre nature, littéraires et journalistiques, par exemple – ce qui peut être très utile et stimulant dans cette phase de formation de l’élève. Néanmoins, c’est à partir de son propre héritage, avec une tradition qui se présente dans le format largement connu, celui de l’Histoire de la Philosophie, que la Philosophie peut dialoguer avec d’autres domaines de la connaissance et offrir une contribution particulière dans la formation de l’élève[9].

17La préoccupation exprimée dans ces lignes est celle de l’identification de la spécificité de l’activité philosophique dans le contexte scolaire, à travers une référence à la tradition philosophique et à ses textes.

Pratique et contexte actuel

18Dans le processus de décentralisation du débat sur le programme curriculaire et sur l’autonomie des unités éducationnelles caractérisées ici, la seule politique effective du Gouvernement Fédéral, dans le sens où il définit le profil général du travail avec la philosophie dans les écoles secondaires, est celle définie, de manière indirecte, par le Programme National du Livre Didactique – le PNLD. Il s’agit d’un programme vigoureux et important, récemment généralisé, à travers lequel le Gouvernement Fédéral acquiert tous les livres didactiques qui seront employés dans les écoles publiques du pays, par tous les élèves de « l’Éducation Primaire » (qui constitue les 12 années de formation qui précédent l’accès à l’Université). Les livres sont acquis auprès de maisons d’édition privées, mais le MEC (Ministère de l’Éducation) publie préalablement une brochure où sont explicitées les exigences qui doivent être satisfaites par les livres inscrits pour évaluation, et qui seront soumis à l’approbation d’une commission technique selon les domaines de connaissance. Les professeurs et les écoles choisissent les livres avec lesquels ils souhaiteront travailler, parmi ceux approuvés par le processus de sélection. Ainsi, la définition de certains critères pour la présentation des livres se dédouble d’une politique d’induction de certaines caractéristiques du matériel employé et, ensuite, de la propre pratique professorale dont elle est le support. Cette politique du livre didactique, par sa dimension et son importance (elle représente une partie significative du marché éditorial brésilien et se trouve être l’une de plus grandes acheteuses de livres du monde) est devenue ainsi dans tous les domaines le grand inducteur de la délimitation curriculaire dans ces dernières années. Dans tous les cas, ce que l’on souligne est la pluralité et l’autonomie, dans des degrés variés, dans les divers domaines de connaissance.

19Le débat sur l’enseignement de la philosophie et sa relation avec l’histoire de la philosophie surgit comme le décor de ce travail du PNLS, lequel explique sa préoccupation avec la conciliation de deux perspectives distinguées dans les termes suivants :

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Pour assurer la présentation de divers systèmes de pensée et les multiples facettes de la philosophie ; pour empêcher les visions monolithiques du faire philosophique ; pour pouvoir confronter les différentes positions rigoureusement structurées sur un même thème, sans la prise de position pour l’une d’entre elles ; pour stimuler la création d’énoncés rigoureux et critiques à travers l’héritage de la tradition sur des thèmes contemporains ; pour inciter le contact direct avec des textes philosophiques et la pratique de la lecture, ainsi que pour développer les compétences communicatives, les critères spécifiques pour la composante curriculaire Philosophie, on commencera par exiger un matériel qui articule les thèmes et les problématiques et qui soit réglé par cette liaison intime entre la philosophie et son histoire[10].

21Le matériel présenté pourrait donc se consacrer, dans une échelle plus ou moins large, aux thèmes et problématiques contemporains, mais à la condition de le faire, dans un sens similaire à celui présenté par les Orientations Curriculaires Nationales de Philosophie, avec la médiation de la référence à la tradition philosophique et à l’ensemble de textes, problématiques et arguments qui le composent.

Conclusion

22Le processus de mûrissement de ce débat encore très jeune commence à peine à prendre effet. Le terrain où il se développera semble être celui des propositions effectives de travail, dans le quotidien des écoles comme dans l’élaboration d’un matériel d’appui pour ces activités. Le processus du PNLD est renouvelé tous les trois ans et un nouveau cycle débute, où les déploiements de ces politiques initiales seront présents.

23Un contrepoint fondamental à cette perspective, rehaussant la grande importance du débat sur le matériel d’appui au travail professoral, est l’énorme carence de personnel avec une formation adéquate pour le développement des activités professorales. Selon les chiffres de la CAPES, l’organe du Gouvernement du Brésil qui accompagne l’enseignement supérieur, la demande aujourd’hui est de plus de 100 000 professeurs, et la capacité de formation des cours de philosophie est très largement inférieure aux besoins. Même dans les départements de philosophie, la formation de professeurs n’est pas un sujet privilégié, et on fait peu pour la réflexion sur le processus en cours. Le mûrissement de cet ensemble de pratiques et de politiques ne se fera pas en moins de deux décennies, mais même dans une perspective plus longue, il faut s’occuper plus soigneusement du processus de formation de professeurs de philosophie dans les universités brésiliennes.

24Néanmoins, le Brésil présente aujourd’hui des données hyperboliques pour un pays qui souhaite figurer comme l’un de ceux qui comptent sur une présence philosophique parmi les plus importantes au monde dans l’enseignement et dans la formation primaire, disposant de l’un des plus grands marchés éditoriaux dans le domaine et doté d’une armée de professeurs de philosophie contractuels, prêts à travailler avec les milliers d’étudiants qui accèdent chaque année à l’Enseignement Moyen.

25Les questions que la société pose à la philosophie et après avoir accordé à celle-ci un rôle central dans la formation de ses étudiants seront celles de son rôle dans cette même société, et dans ce nouveau contexte. Il s’agit d’une question sur la contribution de ces départements d’outre-mer, d’autant plus divers aujourd’hui, éparpillés dans tout le pays et n’étant plus aussi français qu’avant, une question sur son rôle dans la formation de la société brésilienne et, à travers celle-ci, son rôle dans la formation critique du présent, qui se présente dans cette perspective singulière où se construit l’expérience de la société et de la culture brésilienne. Si on n’attend pas de réponse toute faite, à cette question, on est en droit de se la poser, dans ce futur proche et ouvert de la philosophie au Brésil.

Notes

  • [1]
    Cf. Paulo Arantes, Um Departamento Francês de Ultramar, chapitre 1.
  • [2]
    Nous pouvons remarquer que, préliminairement, le Brésil a plus de 10 millions d’étudiants dans l’enseignement moyen (lycée), qui, tous, suivent des cours de philosophie au long de ces trois années de formation, et que le Gouvernement brésilien acquiert à travers le Programme National du Livre Didactique – PNLD – tous les livres qui seront utilisés dans les écoles publiques, ce qui équivaut à un achat de 10 millions de livres par an.
  • [3]
    Où, malgré les cassations politiques, le contrôle de l’État par les militaires, la censure et l’appareil répresseur, un bi-sectarisme de façade se maintient, avec une opposition « consentie » et des élections régulières, limitées par le contrôle de l’opinion publique et par la répression politique.
  • [4]
    Le processus de suppression de l’enseignement de philosophie se fait, en général, de manière immédiate, mais n’empêche pas que quelques foyers isolés survivent dans les écoles où il y avait des professeurs employés pour l’enseignement de la discipline.
  • [5]
    La réduction de la présence des sciences humaines se fait, en grande mesure, à travers la substitution de l’enseignement de l’histoire et de la géographie par une discipline générale nommée « études sociales »; la propagande idéologique du régime, à son tour, était présente sous forme de disciplines spécifiques, nommées « éducation morale et civique » et « organisation sociale et politique brésilienne », qui présentaient une association entre nationalisme, fierté et légitimation de l’état autoritaire et de ses politiques.
  • [6]
    Adjectif formé à partir de l’acronyme USP (université de São Paulo), [ndt].
  • [7]
    La LDB est la loi par laquelle la Constitution du Brésil réglemente l’éducation. Dans sa structure de loi elle organise l’éducation au Brésil. Elle en assume la responsabilité en définissant la structure et les moyens d’implantation de cette dernière.
  • [8]
    Il faut souligner que le texte des Orientations Curriculaires Nationales de Philosophie débute par la défense emphatique d’un besoin de la philosophie de manière « disciplinaire » et non pas « transversale », comme c’était le cas jusqu’alors. Déjà dans son premier paragraphe, on affirme: « La Philosophie doit être traitée comme une discipline obligatoire dans l’enseignement moyen, car il s’agit d’une condition pour qu’elle puisse intégrer avec succès les projets transversaux et, dans ce niveau d’enseignement, avec d’autres disciplines, contribuer au développement total du disciple. » ORIENTACOES CURRICULARES PARA O ENSINO MEDIO. Ciencias humanas e suas tecnologias, p.15.
  • [9]
    ORIENTACOES CURRICULARES PARA O ENSINO MEDIO. Ciencias humanas e suas tecnologias, p. 27.
  • [10]
    Guia de livros didáticos: PNLD 2012 : Filosofia, p. 11.