Bildungs-post-porn : notes sur la provenance du post-porn, un des futurs du Féminisme de la désobéissance sexuelle

Pour P.A & Rachele Borghi, Slavina, Jennifer Gay, Monika Treut & Diana Pornoterrorista
« La provenance permet aussi de retrouver sous l’aspect unique d’un caractère ou d’un concept, la prolifération des événements à travers lesquels, grâce auxquels, contre lesquels, ils se sont formés. La généalogie ne prétend pas remonter le temps pour rétablir une grande continuité par-delà la dispersion de l’oubli ; sa tâche n’est pas de montrer que le passé est encore là, bien vivant dans le présent, l’animant encore en secret, après avoir imposé à toutes les traverses du parcours une forme dessinée dès le départ. […] Suivre la filière complexe de la provenance, c’est au contraire maintenir ce qui s’est passé dans la dispersion qui lui est propre : c’est repérer les accidents, les infimes déviations – ou au contraire les retournements complets –, les erreurs, les fautes d’appréciation, les mauvais calculs qui ont donné naissance à ce qui existe et vaut pour nous. […] Enfin la provenance tient au corps [1] ».
« Love is one thing, fun another, maybe love is different out there », depuis la chambre de Dorothée avec vue sur le Tenderloin, quartier chaud de San Francisco [2].

Post-porn machine/matrix : the german connection

1Hormones, S/M, torture des tétons, fouets, gode-fouet, silicone, bruit de chaînes, heavy piercing, drag king, genderbending, burLEZk, éjac non faciale, pipe sans organe, services sexuels, butch, fem, pute : Virgin Machine, le film réalisé par Monika Treut [3] en 1988, réunit bon nombre des pratiques sexuelles et culturelles de la machinerie post-porn actuelle. Quelques quinze années plus tard, la plupart sont intégrées dans Mommy is coming, le film de Cheryl Duyne sorti en 2012 qui se déroule dans la mecque sexuelle et queer qu’est devenu Berlin depuis une dizaine d’années à l’image du San Francisco des années quatre-vingt-dix. Une Allemagne que Dorothée Muller, l’héroïne du film de Treut, avait justement quittée pour San Francisco afin de poursuivre sa recherche sur l’amour romantique et secondairement retrouver la trace de sa mère.

2Virgin Machine est un bildunsgroman filmé inversé : la progression de la protagoniste ne suit pas le récit naturaliste du passage de l’adolescence à l’âge adulte. On y voit Dorothée changer de culture sexuelle, passer du straighland allemand au San Francisco lesbien des années quatre-vingt-dix en plein devenir queer, du morne couple hétérosexuel qu’elle forme à peine avec Heinz à une vie qui échappe à la vie conjugale et s’arrime à la famille de substitution lesbienne. Dorothée switche de la culture à la subculture, de la consultation des livres à l’exploration de sa sexualité, de l’amour romantique au sexe (le « fun »). Le tout aux antipodes du topos assimilationniste parfois caractéristique du genre du bildungsroman, celui de la renonciation et des compromis en vue d’une intégration assortie d’une acceptation des valeurs sociales standards. L’apprentissage ou plutôt le dés-apprentissage en question ici concerne le porno au sens large du terme. Dorothée va s’extirper du régime pornographique moderne, du corset qu’il impose aux genres et de son régime scopique. C’est dans Virgin Machine que retentit pour la première fois dans un film, l’appel à une pornographie féministe pour les femmes faite par les femmes. La première rencontre de Dorothée avec Déborah Sundhal [4] se fait par télévision interposée. Dans une interview, Sundhal parle de « créer du porno pour soi, du porno pour les femmes ». Plus tard dans le film, Dorothée croisera Déborah Sundhal alias « Fanny Fatale » cette fois au BurLEZ[5], le bar lesbien de San Francisco, qui propose des strip-teases et où officie Shelley Mars alias Martin le drag king à qui Fanny Fatale fera une pipe sur scène.

3Le porno qu’appelle Déborah Sundhal de ses vœux est indissociable d’une logique à la fois privative et créative, d’une opération de dés-identification que connaissent bien les féministes et les lesbiennes. De la même manière que le premier acte du féminisme est de se désidentifier d’avec « La femme » et d’avec ses « qualités », il a fallu se désidentifier de la femme straight et se libérer du scénario et des scripts sexuels et culturels associés à l’amour romantique qui reconduisent la passivité désexualisée d’une Pénélope. C’est que l’utopie des minorités (femmes comprises) est privative et trouve à s’exprimer dans les dystopies. La floraison de dystopies ou de contre-utopies au xxe siècle signale certes une méfiance croissante à l’égard des récits maîtres et de l’idéologie marxiste et communiste : la dystopie orwellienne invite à se détacher de l’idéal de perfection et d’innocence politique qui a pu caractériser les utopies positives. Mais les dystopies sont aussi les « utopies privatives » des minoritaires où la quête du bonheur passe par la suppression des oppressions et des inégalités. Ce n’est pas un hasard si ce que Jameson appelle le « principe de réduction du monde », pour ne pas dire d’abolition, est l’une des stratégies de la science fiction féministe. Ursula Le Guin imagine Gethem un monde ambisexuel, débarassé du capitalisme et de tout ce que la sexualité a de problématique et de violent. Des années soixante-dix aux années quatre-vingt, les femmes et les lesbiennes ont poursuivi dans cette logique en cherchant à ré-imaginer leur cinéma et leurs représentations de manière à échapper à l’emprise du fameux male gaze et a fortiori sans le male porn qui en était la quintessence. Quitte à se séparer du monde (l’option séparatiste), voire à reconduire le cliché de l’érotisme féminin non contaminé par la violence et un sex drive typiquement « masculin ». Le régime ontologique de la lesbienne est celui du manque et il reste à décrire. La pornutopie post-porn, quant à elle, joue à la fois sur ce registre privatif et sur un registre créatif, que celui-ci relève de la resignification performative, de la recomposition des forces sexuelles et culturelles, de la prise en compte de la prolifération des identités de genres et des re-embodiements pour transformer la baise, les pratiques et les corps, sans oublier la filiation bêtement œdipienne : « Queer unite to off the œdipal residue of culture », hein ! Deleuze & Guat.

3615 Unlove-me

4« For many lambs, love is worse than slaughter » avertit la voix off dès les premières minutes du film de Monika Treut. Dorothée prend vite le relais. Dans la scène où on la voit animer les figurines d’un théâtre de poche en papier avec son demi-frère Bruno, elle ouvre à son tour le cahier des doléances : « Love made me unhappy Mistress, Mistress. Love took all I had on earth. I am asking for an immediate compensation ». À quoi la figurine animée par son frère lui répond : « Payment is postponed to eternal life. » Il faudra tout le film pour que Dorothée en finisse avec cette maladie transmise par sa mère qu’est l’amour romantique y compris en tant que straight devenue lesbienne. La critique de l’amour romantique codé féminin mais aussi de la monogamie sérielle lesbienne généralement assortie d’un lesbian bed death n’est pas un sujet original en soi dans la culture lesbienne euraméricaine des années quatre-vingt. Les solutions qu’envisage Monika Treut, un peu plus. En face de l’amour qui tue le sexe, il y a le fun mais aussi le S/M et la prostitution, deux des big four des féministes anti-sexe avec le porno et la pédophilie.

5À cette époque, juste après la sex wars, le S/M n’est pas simplement une alternative à l’amour À cette époque, juste après la sex wars, le S/M n’est pas simplement une alternative à l’amour romantique ou au sexe vanilla. Il est devenu une façon de critiquer le féminisme de la deuxième vague [6], de contrer le déni de l’existence des rapports de pouvoir entre femmes et de les érotiser grâce à des jeux de rôles fortement hiérarchisés (top/bottom, daddy scene), des pratiques (spanking, fouet, jeux avec la douleur), le tout sur fond de reconquête des masculinités féminines (butch, leather). Autant d’hérésies pour le féminisme de l’égalité et le féminisme anti-sexe, volontiers essentialistes et identifiés « femme » qui ont interprété cette resexualisation comme une trahison des idéaux féministes et comme une alliance avec « L’Ennemi masculin » (fig.1 flyer anti-SM festival de Cineffable, 1996).

Figure 1
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6Le S/M comme antidote de l’amour romantique n’est pourtant pas la thérapie qui va être proposée à Dorothée par Ramona, à la fois drag king, fem et pute, que la journaliste investigatrice voit également pour la première fois dans un spot publicitaire télévisé : « U don’t know it but you might be addicted to love. My therapy could help you to find a way out. Call 976 LOVE ». Dorothée tombe amoureuse de Ramona/Martin en drag king dans le bar lesbien où se déroule le show de strip-tease : « U love that guy don’t you ? » lui souffle une cliente. Et de Ramona lors d’un rendez-vous qu’elle persiste à lire comme un événement romantique : « she likes me and I like her, she needs my love ». Jusqu’à ce que Ramona lui présente la facture au petit matin : 500 dollars pour la passe, frais romantiques non inclus, visite à Coney Island, achat d’un T-shirt avec transfert de leurs deux visages dans un cœur et sortie en boîte lesbienne. La leçon est triple : love is for hire et les genres comme l’amour sont drag et performance. Le gender fucking présent dans ce lab post-porn qu’est Virgin Machine est le véritable numéro 4 des big four de la sex wars.

Gender strip & fuck

7Le gender fucking est intrinsèquement lié à la culture drag king des années quatre-vingt, elle même indissociable de l’émergence des identités neo-butch et neo-fem ainsi que des pratiques S/M qui jouent sur les genres et les identifications masculines à la même époque. Le kinging et la performance drag king de Shelley Mars, qui joue à la fois son propre rôle (strip teaseuse et travailleuse du sexe à San Francisco [7]) et les rôles de Martin et Ramona dans Virgin Machine, sont différents des performances drag king qui vont se développer sur la côte Est à NewYork deux ans plus tard, avec les ateliers crées par Johnny Science que rejoindront Annie Sprinkle et Diane Torr.

8À ses débuts, le kinging de la côte Est ne met pas l’accent sur la dimension sexuelle des ateliers. C’est presque par hasard que Diane Torr prend conscience de cet aspect en se faisant draguer en tant qu’homme par une femme lors d’un vernissage au Whitney Museum où elle s’est rendue en drag king, faute d’avoir eu le temps de se changer après un atelier de Johnny Science [8]. Martin, lui, met la gomme sur le caractère sexuel de la performance drag king et sur l’érotisation de la masculinité qu’elle autorise pour un public lesbien. Il mixe la forme du strip-tease (habituellement genré féminin) avec la performance drag king, ce qui lui permet de procéder à un strip-tease de la masculinité à l’intérieur du scénario habituel du strip-tease féminin qui a déjà été recontextualisé dans et par la subculture de bar lesbienne puisqu’il se déroule dans les soirées lesbiennes organisées par Kinney et Sundhal. Déconstruction et érotisation de la masculinité en direction d’un public lesbien sont donc inextricablement liées. Martin ridiculise la masculinité dominante à travers le personnage de Martin le Macho mais il crée aussi une tension sexuelle nouvelle, une excitabilité du genre différente. Avec sa parodie d’éjaculation avec une bouteille de bière, il préfigure le travail sur l’éjaculation féminine qui est devenue l’une des pratiques sexuelles centrales des ateliers et des performances post-porn (avec Diana Pornoterrorista notamment). Avec sa bite-banane que sucent et croquent les spectatrices, il anticipe sur la resignification de la bite et du gode qui sont au cœur des ateliers et des performances post-porn. Qui plus est, à la différence de la plupart des spectacles et des performances drag king qui suivront, Shelley Mars performe les deux genres, la masculinité et la féminité, Martin et Ramona, à la scène comme à la ville où elle performe la féminité pute. Virgin Machine, c’est Gender Trouble puissance mille. Rien n’y est tronqué. Butler n’a pas osé ériger le drag king en paradigme de la performance de genre sans original. Elle s’est rabattue sur la drag queen, à la fois plus lointaine et plus fastoche.

Mother fucker : OMGodes, Mommy is coming !

9Si Mommy is coming le dernier film de Cheryl Dyune sorti en 2012 (avec un scénario de Sarah Schulman) avait été diffusé dans le circuit mainstream, il aurait été plus vite interdit que Baise-Moi ou Le Dernier Tango à Paris. Comme l’indique très bien le titre, Mommy is coming est l’histoire de maman qui jouit mais pas avec n’importe qui. La maman en question est la mère de Dylan, une fem qui préfère la baise à l’émotion, ce qui ne facilite pas sa relation avec Claudia une butch plus romantique. Larguée par Dylan, Claudia se retrouve dans un sex club queer berlinois. Elle y entre avec une moustache trouvée dans une pochette surprise à l’entrée (c’est une comédie porno). Visite guidée du sex club, daddy sex avec deux top S/M, retour à l’hôtel où elle travaille et réceptionne la mère de Dylan qui est venue voir sa fille à Berlin et y chercher un fling vu que son mari (joué par Wieland Speck, directeur des Teddys, la compétition de films gays et lesbiens de la Berlinale) ne la baise plus. Passons sur les circonstances – tout cela est très cousu du fil blanc de la comédie porno – qui font que Dylan rapplique à l’hôtel pour se réconcilier sur l’oreiller avec Claudia alors que celle-ci est en train de baiser sa mère à l’étage. Cette dernière la prend pour un mec vu que Claudia n’a pas eu le temps de retirer sa moustache et qu’elle lui a bandé les yeux pour qu’elle ne voit pas son gode. Claudia se retrouve à devoir switcher entre les deux chambres – Dylan lui avait piqué le gode – et à goder la mère de sa copine jusqu’à ce qu’orgasme s’en suive. Le film enfonce le complexe d’Œdipe. D’autant que lorsque les trois protagonistes se rendent compte de la méprise, c’est happy end pour tout le monde. La mère de Dylan ne dira rien à son père, promis. Elle est ravie de son séjour avec Claudia qui l’a consolée comme un jeune homme et elle conseille à sa fille de la garder comme copine. Question subsidiaire avec les face-caméras de la fin après le happy end : « Avez-vous jamais fantasmé de coucher avec votre mère ? » Bye bye Freud, wake up Pasolini, Lacan t’es foutu, mais ça, on savait : telle est la morale de ce queer porn où l’amante butch de la fille fem de la mère prend la place du père et baise fille et mère. Au passage, le signifiant maître – à moins que ce ne soit le phallus ex machina – s’est avantageusement vu remplacé par un gode et le père blanc par un père noir.

10Gode et mère jouaient déjà un rôle central dans Virgin Machine en matière de sortie de straightland et de filiation alternative incestueuse sans conséquences (fig.2). Le messager de la mère de Dorothée n’est autre que son demi-frère Bruno. Au début du film, Bruno informe sa demi-sœur du fait que sa mère aimerait la voir, ce qui occasionne une scène de forte proximité corporelle : Dorothée se colle sur sa poitrine nue qu’elle embrasse. Bruno est pédé (d’où le lien) comme nous le fera comprendre plus tard une scène où on le voit dans les toilettes publiques embrasser un garçon. À la différence de la mère straight de Dylan, la mère straight de Dorothée ne profitera pas de la culture et de la filiation queer alternative de sa fille. Dorothée ne retrouve pas sa trace à San Francisco. Sa mère a été virée de son appartement parce qu’elle n’a pas payé son loyer. Dorothée va plutôt rencontrer des figures qui l’enjoignent à se détacher de sa mère, voire à la remplacer par d’autres stripteaseuses. « Pourquoi tu te fais du souci pour ta mère, tu es adulte, laisse-moi te montrer les filles », lui lance Susie Bright qui fait de la retape devant un strip show de Market Street et joue son propre rôle de sexpert[9] dans le film. Bright incite Dorothée à célébrer ces stripteaseuses qui séduisent aussi un public lesbien selon elle, la plaçant ainsi dans la position de devenir une spectatrice lesbienne qui érotise des strip-teaseuses « de l’âge de sa mère ». Puis elle lui donne l’adresse du fameux bar où Dorothée va rencontrer Ramona/Martin, la stripteaseuse idéale qui a aussi en commun avec sa mère d’offrir des services sexuels. Bright lui fera également l’article du sexe queer en commentant à ciel ouvert le contenu de sa mallette à godes. À une Dorothée candide qui lui demande à quoi sert « le Susie » (un gode qui porte son nom) ou le gode fouet, Susie Bright répond que « ça sert à baiser et que la plupart des gens ont l’habitude d’utiliser leur mains ou leur pénis pour baiser mais que c’est dépassé. De nos jours, il y a des milliers de manières de faire l’amour et les godes en sont une ». Elle ne manque pas de préciser au passage que l’usage du préservatif sur le gode est utile en cas de promiscuité sexuelle simultanée pour passer d’une partenaire à une autre.

Figure 2
Figure 2

11Dans le cadre de cette nouvelle économie sexuelle et des genres hors conjugalité, le gode renvoie à une masculinité et une féminité (avec le gode Susie qui vaut bien le gode « Mireille Mathieu [10] ») complètement déconnectée du biologique. Masculinité et féminité circulent de manière libre et érotique. À la différence du phallus lacanien, le gode est aussi un objet bien réel dont l’utilisation par des « femmes » et le reste du monde, avec ou sans strap on (harnais), avec ou sans les mains, contrecarre la conception genrée et asymétrique du fétichisme inventée par Freud selon laquelle seuls les hommes sont fétichistes. Le gode permet d’en finir avec la pathologisation du fétichisme comme perversion qui sert surtout à interdire aux femmes de jouir des objets et a fortiori d’objectiver la masculinité et de dégénitaliser le sexe. Comme si toute érogénéisation de n’importe quelle partie du corps y compris des dites parties génitales ne relevait pas en soi d’une logique fétichiste. À l’opposé de toute logique d’imitation ou de substitution métaphorique, le gode n’imite pas la bite, raison pour laquelle son utilisation est massive dans la sexualité pédé pourtant riche en bites. Il déconnecte de la filiation straight en permettant de se situer hors procréation, hors nature et donc hors de portée de la sanction de la prohibition soi-disant universelle de l’inceste dans sa formulation straight. Lévi-Strauss t’es fini mais Gayle Rubin t’avait prévenu. Dans ce contexte, les relations de sororité et de fraternité ou encore de communauté ou de famille et de filiation sexuelle se redistribuent différemment. Le gode post-porn complète la révolution sexuelle qu’a été la pilule. Polanski, serre les fesses, y compris à Cannes [11]. Toi aussi Alain Delon.

Unplug : Post-porn made in France

12Le post-porn au sens politique et subculturel du terme a trouvé sa définition de départ [12] en France à l’occasion d’une queerisation de Baise-moi, le film censuré de Virginie Despentes en 2001. La censure brutale au xxe siècle et en France, d’un film réalisé par une femme remettant en scène des éléments de son propre viol et qui s’est vu immédiatement qualifié de pornographique (en partie pour cette raison) a constitué un facteur déclencheur et conjoncturel. C’est contre cette censure classique, c’est-à-dire négative et non positive (productive à la Foucault) que s’est mobilisée Le Zoo, la première association queer française, provoquant ainsi la rencontre entre Virginie Despentes, le féminisme et la perspective queer (fig.3 : flyer Zoo, recto). Parallèlement, Baise-moi, le film, était à la fois queerisé et post-pornisé. Avec une reprise performative du titre out in your face et resexualisante. « Baise-moi », le slogan, signifiait alors à la fois fuck me ! et fuck off ! à l’adresse des censeurs, des sergents du sexe et plus particulièrement de « la gauche » et des journalistes français emmenés par Le Nouvel Observateur mais aussi à l’adresse des féministes anti-sexe (d’où le choix de la dénomination de « féminisme pro-sexe »), anti-pute et anti-porno. Un objectif moins conjoncturel se profilait : déconstruire la pensée et la pornographie straight (fig.4 : flyer Zoo, verso). Loin de se limiter à une critique négative ou à une dénonciation de la censure négative, le post-porn s’est attelé dès 2001 à une critique minutieuse de la raison pornographique moderne et de la censure productive qui l’a fait prospérer. Et corrélativement de la production de la vérité du sexe qu’elle promeut à travers tout un ensemble de savoirs-pouvoirs, de discours, de représentations, de technologies et de scripts confessionnels. L’appel au post-porn est donc indissociable d’une dénaturalisation du porno moderne, d’une critique de la répartition sexe/genre rigide et hétérocentrée qu’il impose et d’un refus de la cartographie corporelle et génitale qu’il fixe. Le fait même que les deux derniers cas de censure cinématographique au xxe siècle en France relèvent de « l’horreur anale [13] » le montre : on a voulu interdire le film Super 8 et ½ de Bruce La Bruce et Baise-moi de Despentes parce qu’ils comportaient des scènes où les hommes se font enculer par des femmes, des lesbiennes dans le premier cas.

Figure 3
Figure 3
Figure 4
Figure 4

Rape and revenge

13Une petite décennie plus tard et alors que le post-porn en tant que tel explose en Espagne et dans les pays latino-américains (particulièrement au Brésil, en Argentine et au Chili), qu’est-ce qui peut expliquer le ratage français en la matière ? Il est significatif que le viol ait été au cœur de la censure cinématographique de Baise-moi, compte tenu des spécificités de ce qu’il faut bien appeler la culture du viol française. L’affaire DSK jusque dans ses récents développements avec la pseudo censure de Belle et Bête, l’opus de Marcella Iacub paru en 2013, nous a rappelé si besoin en était, qu’en France, le viol est soluble dans le libertinage et la prétention artistique, que l’on se voue à la déesse écriture ou à la passion de la mise en scène. Que cette culture du viol est ségrégante : un blanc riche qui viole une domestique noire ne recevra pas le même traitement qu’un garçon arabe qui fait forcément des « tournantes » ; qu’elle justifie la non consensualité y compris dans le viol comme technique de création artistique et ce, singulièrement, dans le cinéma d’auteur français. Cette esthétique moderniste et genrée du viol [14] va de pair avec une valorisation de la production de la vérité, d’images non consensuelles et du voyeurisme autoritaire : on révèle l’acteur et surtout les actrices à elles-mêmes ; il faut que la confession de l’hystérique soit involontaire pour être vraie, c’est-à-dire « spontanée » alors qu’elle est mise en scène comme l’a brillamment analysé Linda Williams à partir du porno des Frères Mitchel, Behind the Green Door. On la retrouve aussi bien chez Brisseau et ses défenseurs que chez Breillat (c’est le ticket d’entrée dont la réalisatrice de Romance x s’acquitte bien volontiers pour faire partie du cercle des auteurs transgressifs masculins) ou plus récemment chez Kéchiche [15].

La censure et le viol

14Cette culture du viol est à ce point prégnante en France qu’elle a imbibé la microculture post-porn et queer hexagonale. Les premiers films porno queer (« le queer paillettes ») qui font leur apparition en France au début du siècle mettent en scène un acteur/violeur/artiste en toute connaissance de cause. Le viol est bien évidement la limite absolue du post-porn qui s’est construit contre la non consensualité dans le sexe et qui a développé des outils spécifiques issus des cultures S/M et féministes pour proposer des espace safe pour les femmes et les queer. Si le féminisme pro-sexe et queer ne partage pas les positions des féministes anti-porno de la sex wars ou des féministes réformistes françaises anti-putes et abolitionnistes (le gros des troupes du PS, du FDG et d’EELV), c’est très précisément parce qu’il s’élève contre une utilisation métaphorique du viol (à la Mac Kinnon, par exemple), de la même manière qu’il s’élève contre l’utilisation métaphorique de l’esclavage pour désigner d’autres formes d’oppressions et de rapports de pouvoir qui affectent les femmes. Il partage cependant avec les féministes de tous bords le combat contre le viol et la critique de la culture du viol. A fortiori en France où l’affirmation d’une posture artiste suprême justifie le sacrifice de la consensualité et les pratiques de silencing habituelles qui concernent à la fois l’activité du violeur, ses victimes et les personnes qui dénoncent les faits. Ces dernières se verront immédiatement assignées en justice pour diffamation par le violeur et ses complices. De ce point de vue, la réaction du milieu queer face à la présence d’un violeur dans la communauté et des Français dans l’affaire DSK ne diffère en rien. Au contraire de la réaction des queer de San Francisco confrontés à l’artiste/acteur/violeur paillettes : une plainte fut déposée, l’alerte donnée dans le milieu queer et féministe, des déclarations croisant des témoignages et recoupant des informations émises et diffusées. Le violeur artiste vit ses expositions annulées et quitta le territoire américain dans la précipitation.

15Dans le cadre spécifique du post-porn et de la production filmique française, la mise en danger était double. Non seulement l’acteur-grand artiste-néanmoins violeur ne fut pas dénoncé en tant que tel par les réalisatrices qui l’employaient mais elles le mirent en contact – notamment sur les tournages – avec des participantes volontaires et non rémunérées sur des projets cinématographiques qui se présentaient comme étant community based et qui se sont vite avérés commerciaux et personnels. Ce type de pornexploitation n’a pas simplement trahit le féminisme et le projet post-porn dans ses fondements et dans son projet politique et affectif. Il l’a tout simplement entravé. Il a exploité et éloigné les participantEs potentielLEs d’une culture filmique pornographique dont l’objectif est justement la création d’espaces safe dédiés à l’empowerment sexuel et dont les valeurs cardinales sont la confiance, la négociation et la consensualité. On ne voit guère que le viol même artiste puisse en faire partie. Cette identification à la figure de l’artiste dans la pure tradition moderniste plombe et dépolitise la production artistique française depuis Baudelaire et Gautier.

16Le poids de cette culture moderniste explique également en partie un autre effet de censure privative et de rupture dans le développement et la transmission de la culture post-porn et de la filiation queer en France. La découpe qu’a imposée Mutantes, le film documentaire de Virginie Despentes (initialement Prosexe) sorti en dvd en 2010 est instructive. Les protagonistes interviewés mais qui ne figurent pas dans le documentaire tourné en grande partie aux États-Unis en 2005 sont les personnes-clés de la matrice post-porn et queer de Virgin Machine : Margot St James, fondatrice de Coyote, l’une des premières et principales associations de travailleuses du sexe et de putes de San Francisco ; Nan Kinney et Deborah Sundal, fondatrices de On Our Backs et de FataleVideo ; Monika Treut ainsi qu’Edith Edith, une jeune réalisatrice, élève de Barbara de Genevieve et son film Dominatrix Waitrix qui aborde la question du travail et du travail sexuel via le SM. Les thématiques évacuées que sont le travail du sexe rémunéré, les putes et le SM d’un point de vue auto-politique sont également celles qui sont au cœur de la culture queer et post-porn et qui figuraient dans Prosexe. De fait, si le contact entre la culture straight de Virginie Despentes et la subculture queer et post-porn n’a pas débouché sur une participation à la scène post-porn et à la subculture queer qui soit collective et politique, c’est en raison de la lecture straight très négative de la question de la prostitution et du S/M projetée par la réalisatrice sur le mouvement pute, le service sexuel et le S/M dans la subculture queer. Jamais leurs spécificités ne furent prises en compte, le S/M (et notamment la pratique du flogging) et « le fait de faire la pute » étant toujours ramenés aux expériences courtes mais straight et malheureuses de la réalisatrice dans ces deux domaines ou à d’autres subcultures straight sans rapport (le SM dans la culture gothique par exemple).

17Despentes n’est pas Dorothée ou la mère de Dylan comme en témoignent les personnes interrogées au sujet de Mutantes dans Blackball Holes, le film de Felipe Grim (2012). Sa posture de romancière à la française n’y est sans doute pas étrangère. D’une certaine façon, le documentaire de la réalisatrice censurée pour avoir fait Baise-moi a censuré à son tour la culture queer et post-porn. Les pièces rapportées de Mutantes sont tout aussi significatives. La présence de Catherine Breillat, moderniste forcenée, adepte du viol comme métaphore de la direction d’acteur et de la non consensualité sur les tournages, infatigable reconductrice de la féminité masochiste, fervente admiratrice des grands artistes mâles blancs misogynes de Sade à Bataille en passant par Lautréamont, si peu féministe et tout sauf post-porn a de quoi surprendre. De même que celle des queer paillettes et de l’artiste violeur. Quelle ironie pour la réalisatrice de Baise-moi et les activistes post-porn français que d’avoir été ainsi retraversés par le viol et la censure. L’occasion de se souvenir aussi qu’après tout Baise-moi sorti en 2000 était un rape and revenge movie raté (comme l’avait très bien compris Annie Sprinkle [16]) compte tenu de sa fin morale et romantique. De fait, le film ne soutient guère la comparaison avec les équivalents du genre, y compris ceux réalisés par des hommes comme les très efficaces I Spit on your Grave de l’Américain Meir Zarchi ou Thriller du Suédois Alex Fridolinski qui datent … des années soixante-dix.

Arousing consciouness

18Les ateliers sont le cœur et les entrailles de la culture post-porn. Qu’il s’agisse d’ateliers consacrés aux genres (drag king, fem et autres), aux pratiques sexuelles (éjaculation féminine, fisting et autres), à la réalisation de performances on the spot lors de festivals ou de sex party ou encore d’ateliers théoriques (sur l’histoire du post-porn ou le porno moderne comme ceux de Slavina [17] par exemple), ils se situent dans le droit fil des groupes féministes pratiquant le raising consciousness dans les années soixante-dix. En pleine révolution sexuelle féministe, le raising consciousness a aussi débouché sur des ateliers de ré-exploration plutôt que de découverte de son corps et sur l’apprentissage de nouvelles pratiques sexuelles qui furent autant de réappropriations et de reconfigurations des pratiques sexuelles d’un point de vue féministe. Dans les ateliers anonymes ou plus connus comme ceux de Betty Dobson, la « grand mère de la masturbation », on ne découvre pas tant la masturbation ou le clit qu’on se défait des scripts médicaux ou religieux qui en ont fait des pratiques honteuses pour les femmes. On redessine les planches anatomiques qui performaient les découpes corporelles pour le moins incomplètes. Les ateliers d’éjaculation proposés par Diana Pornoterrorista entretiennent une filiation directe avec les ateliers d’éjaculation féminine [18] de Déborah Sundahl. Ce qu’il faudrait appeler l’arousing consciousness est l’arme radicale du post-porn. Il participe de la création et de la transmission de savoirs/pouvoirs différents, de la création et de la transmission de cultures sexuelles et de genres différents, de la production de corps différents et de ces « nouvelles possibilités de plaisir utilisant certaines parties bizarres du corps [19] ». L’atelier est le lieu par excellence du « personnel » et non de l’intime qui devient « politique ». Il donne accès au collectif et le nourrit. Il génère de l’empowerment et des films à condition qu’il soit safe, raison pour laquelle les ateliers des queer paillettes où il est demandé de signer une autorisation d’utilisation des images ne sont pas des ateliers mais de la sexploitation. Il implique les corps, les chattes et les trous du cul des participantEs, raison pour laquelle il se différencie de la performance pour la performance sur scène ou à l’extérieur, même s’il peut déboucher sur ce type de performance. L’atelier joue un rôle essentiel dans la sortie de l’espace privé, du placard, de la sexualité domestiquée des femmes et des minorités sexuelles. Cette reconquête de l’espace public est l’une des trajectoires politiques essentielles ouverte par le féminisme, y compris celui de la première vague avec les interventions des suffragettes qui n’avaient rien à envier à Act-Up dans leurs actions, même s’il est vrai qu’elles n’étaient pas portées sur le sexe. Il joue un rôle essentiel dans la guerre que mènent les minorités sexuelles et de genre contre la reprivatisation accélérée requise par les politiques néolibérales actuelles et que sert le mariage gay. Il témoigne de la force de l’espace safe comme générateur de cette reconquête démultipliée de l’espace public aux antipodes de toute logique simplement séparatiste ou protectrice.

Occupy Porn

19Il suffit pour s’en convaincre de faire une cartographie rapide des progrès accomplis en matière de déségrégation et de repolitisation sexuelle de l’espace public par les féministes et les queer ces dernières années. Le pullulement des performances dans les lieux subculturels traditionnels que sont les bars, la présence d’ateliers et de performances dans les sex party queer mais aussi bien dans les festivals, les conférences universitaires, la prolifération des actions post-porn en public, devant la permanence d’un parti politique et jusque dans l’isoloir – avec la performance Flash Porn[20] du groupe Urban Porn devant la permanence lilloise de l’UMP pendant la campagne présidentielle de 2007 –, sur le campus d’une université – avec la performance de masturbation collective de Diana Pornoterrorista à la fac de Valence en 2009 [21] – ou dans les rues de Rio en juillet 2013 lors de la visite du pape, ces véritables take back the day que sont les actions et/ou performances de rues après les take back the night, toutes ces actions corporelles, sexuelles et dégenrantes, publiques et politiques sortent définitivement le sexe de la chambre à coucher et de la pseudo sphère privée. De fait, il n’y a aucun espace autrefois réservé aux hommes et aux straight qui ne puisse servir de support aux occupations post-porn y compris les hot spot, les quartiers chauds et autres lieux de sexe genrés masculins. Virgin Machine le scandait déjà et le périple urbain de Dorothée le prouvait. Son hôtel en plein quartier du Tenderloin accueille Fakir Musafar et Cléo Dubois, sa domina. Elle les observe à la dérobée mais la porte est entrouverte. Susie Bright, la sexpert appâte le chaland devant le peep show straight de Market Street. Il n’y a plus aucun espace réservé aux bobos, aux ultra-riches et aux touristes des capitales néolibérales qui ne puisse servir de support à « la désobéissance sexuelle » pour reprendre l’expression de Diana Pornoterrorista et aux occupations post-porn. Sachant qu’Occupy, de Zuccotti Park au parc Gezi en passant par Rio de Janeiro, São Paulo ou Florianopolis veut dire Unoccupy ! comme l’a bien compris et rappelé Angela Davis à la différence de Žižek et de Butler [22] : il faut décoloniser Manhattan. Erdogan ne voulait simplement pas remplacer des arbres par un mall et une mosquée : il voulait nettoyer le parc Gezi des putes trans, de la drague gay et des toxicos.

Glory gaze

20Cette libération, cette reconquête, cette resexualisation de l’espace public en général et de l’espace urbain en particulier relèvent de ce que Gayle Rubin a appelé l’ethnogenèse sexuelle urbaine [23]. Ces transformations sont aussi fonction du renversement majeur et définitif en matière de politiques de la représentation ce qui est le sujet même de Virgin Machine avec la mise en place d’une stratégie de confrontation et de diffusion, de retournement et d’appropriation du male gaze qui se substitue à une logique d’évitement ou de protection face à d’éventuels voyeurs. À Paris comme à Athènes, les festivals pornos du type Berlin Porn Film Festival qui en est à sa 8e édition ne pratiquent aucune restriction en matière de publics. Sans doute parce que la difficulté à produire des images en dehors des codes du male straight gaze a été résolue de manière différente par les queer. Parce qu’il existe un stock suffisant de représentations communautaires et subculturelles hors du girl number tant redouté et surtout si peu excitant. Ces stratégies de représentation ne se sont pas construites en fonction d’une conception essentialisée et homogène de la masculinité. Une accumulation d’empowerment a permis d’en finir avec le spectre d’une domination par le male gaze et de trouver d’autres solutions que celle de la sortie par le cinéma expérimental supposé être non phallogocentrique. Peut-être, mais on n’y voyait rien. De ce point de vue, le choix de Virginie Despentes qui a consisté par crainte d’exciter les hommes à ne pas montrer de scènes de sexe et à tourner des pelles si peu convaincantes dans Bye Bye Blondie (2012) et où le rôle des lesbiennes est joué par des actrices hétérosexuelles date du début des années quatre-vingt. La réalisatrice de Baise-Moi s’est trompée de scénario à moins qu’elle n’ait voulu plaire aux hétéros en leur montrant Béatrice Dalle et Emmanuelle Béart se gamahucher gentiment en lesbiennes. Elle efface 30 ans de culture et de politique de la représentation féministe et lesbienne. D’empowerment par les images et le sexe. Tout ce qui a conduit à oser la présence sexuelle pornographique dans l’espace public, écrans compris.

21Les toilettes sont devenues un haut lieu du sexe queer dans les années quatre-vingt-dix, mais les lesbiennes les investirent comme un espace clos, sans en percer les murs. Le type de publicisation monstre engagée par le post-porn relève quant à elle du régime visuel et sexuel du glory hole tout en le dépassant. Qu’il serve d’orifice-œillleton pour mater des activités sexuelles à travers le mur des chiottes ou permettre l’introduction qui d’une bite, d’un doigt ou d’une main, le glory hole gay a lui aussi fait bouger la frontière entre privé et public. Il a déprivatisé le sexe gay tout autant qu’il l’a anonymisé dans une logique qui favorise la dépersonnalisation anti-romantique mais qui relève aussi parfois de l’homophobie intériorisée. Mais il ne troue que les parois des toilettes publiques ou des backrooms. Le glory hole post-porn est différent. Il est mobile. Issu de la culture et la sexualité féministes, il fonctionne plutôt comme un discours/un regard en retour sur les lieux du crime, sur ce male gaze qu’il transforme. Il relève plutôt de ce qu’il faudrait appeler un glory gaze, qui place les femmes et les queer en position de regardants et de regardés puissants jusque sur les Ramblas de Barcelone au grand dam du maire avec la performance post-porn Oh-Kaña de Post-op en mai 2010 [24]. On y voit une domina traîner une meute de corps enchaînés et à quatre pattes, harnachés de cuir, de cagoules, de godes et de tuyaux qui vont se livrer en public, sur le boulevard et sur l’emplacement d’un marché à du cutting, du fisting anal et vaginal, ou encore faire des pipes, sous le regard et les caméras des passants. Un peu comme si les premiers groupes SM lesbiens comme LSM (Lesbian Sex Mafia) ou Samois des années quatre-vingt-dix étaient de sortie et jouaient dans l’espace public. Cette éducation et cette reconquête du regard et du potentiel sexuel de la vision et de l’excitation figurée dans la ville même, dehors, sont déjà présentes dans Virgin Machine le bildungsporn. Au début du film, Dorothée regarde un couple hétérosexuel s’ébattre dans l’herbe avec des jumelles. À Hambourg, elle évite des inconnus voyeurs en bas de chez elle. À la fin du film, à San Francisco, Dorothée a appris à mater les strippeuses avant d’en devenir une et à ne plus se soucier du male gaze (c’est leur problème !) à l’instar de Susie Bright qui déballe ses godes en plein air et se fiche des inconnus qui rôdent. Dorothée profite des espaces lesbiens safe gardés par une Nan Kinney que l’on voit dans le film refuser l’entrée du burLEZk où joue Ramona/Martin à un magnat du porno. Le glory-hole-gaze est trou pour voir, trou pour baiser, trou dans les murs de la stratification et de la ségrégation sexuelle de Gayle Rubin.

Figure 5 [25]
Figure 5 25

22Les voilà percés, on voit à travers, le post-porn y a installé des meurtrières et « les poings des guerilleros de la désobéissance sexuelle sont en constante érection [26] ».

Notes

  • [1]
    Foucault, M., « Nietzche, la généalogie, l’histoire », in Dits et Écrits, tome 2, 1970-1975, Paris, Gallimard, p. 141.
  • [2]
    Virgin Machine, Die Jungfrauenmaschine, Ger, 1988, 84 mn, 35 mm.
  • [3]
  • [4]
    Fondatrice avec Nan Kinney et Susie Bright du premier magazine explicite pour lesbiennes ironiquement titré On Our Backs pour tancer les féministes anti-porno de Off Our Back et co-fondatrice en 1985, toujours avec Nan Kinney, de Fatale Video, la première maison de production et de diffusion de porno lesbien.
  • [5]
    Sundhal a également créé le BurLEZk avec Nan Kinney.
  • [6]
    Cf Bourcier, Mh, « Sade n’était pas SM, les Spanner et Foucault, si », in Queer Zones 1, Paris, (2001), Amsterdam (2006), p. 80-83.
  • [7]
    Entretien avec Shelley Mars, Los Angeles, Juillet 2005.
  • [8]
    Torr, D, & Bottoms, S, Sex, Drag and Males Roles, Ann Arbor, University of Michgan Press, 2010.
  • [9]
    Cf Bright, S, Susie Sexpert’s Lesbien Sex World, San Francisco, Cleis Press, 1990.
  • [10]
    Affectueuse dénomination en cours au Zoo pour désigner la tête du vibromassseur type Rabbit Pearl qui ressemble à Mireille Matthieu.
  • [11]
    Polanski a déclaré au festival de Cannes (2013) que « la pilule avait masculinisé les femmes ».
  • [12]
    Cf section « Post-porn » in Queer Zones 1, op. cit.
  • [13]
    Cf « Ceci n’est pas une pipe : Bruce LaBruce pornoqueer » in Queer Zones 1, op. cit.
  • [14]
    Cf chapitre « Protoféminisme, modernisme et racisme : Breillat fait son cinéma » in Queer Zones 3, Paris, Amsterdam, 2011.
  • [15]
    Kéchiche a poussé le vice moderniste à ne pas se contenter du girl number habituel des « lesbiennes de porno ». Le palmé d’or 2013 pour La vie (sexuelle) d’Adèle a en effet agrémenté ses scènes de cul entre filles dirigées à la Brisseau, avec des vraies scènes de la vraie vie sexuelle et politique des lesbiennes, donc forcément volées.
  • [16]
    Interview avec Annie Sprinkle, San Francisco, juillet 2005.
  • [17]
  • [18]
    How to Female Ejaculate, Déborah Sundhal, 1992, 60 mn, vidéo.
  • [19]
    Foucault, M., « Michel Foucault, une interview : sexe, pouvoir et la politique de l’identité », in Dits et Écrits, tome 4, op. cit., p. 738.
  • [20]
  • [21]
  • [22]
    Davis, A, « (Un)Occupy », in Occupy ! Scenes from Occupied America, Londres, New York, Verso, 2011.
  • [23]
    Dans son fameux article « Thinking sex » paru en 1982.
  • [24]
    Performance de Post-op avec Quimera Rosa, Mistress Liar et Dj Doroti. http://www.youtube.com/watch?v=I3hcXumYjUs
  • [25]
    Merci à Célia Rimbaud pour le graphisme.
  • [26]
    Torres, J, D., Pornoterrorisme (2010), Gatuzain 2012, p. 54.