La créolisation est-elle une décolonisation ? Poétique et politique

« Ce qui m’étonne le plus, c’est qu’il n’y a pas eu de belle et haute voix qui se soit levée pour alerter sur la dérive de la société française. [Il] s’agit très clairement d’inhibitions qui disparaissent, de digues qui tombent [1]. »

1À la question : « La littérature ou le discours engagé ? », Amos Oz répond volontiers qu’il souhaite être non seulement citoyen de l’œuvre mais citoyen du monde réel, et que ces deux appartenances ne sont pas contradictoires. On pourrait dire d’Édouard Glissant qu’il a été, dans le même temps, citoyen de l’œuvre et du monde. La signification du désormais si célèbre « Tout-Monde » en est un exemple à nul autre pareil. Cela signifie que la créolisation n’est pas seulement une figure littéraire ou artistique. Et pourtant, c’est dans les arts et la littérature que, sans doute, les réflexions et les élaborations sur la créolisation ont été les plus intenses. C’est sans doute pourquoi Hans Ulrich Obrist fait de la lecture de Glissant un rituel journalier. Il lit ses textes (mais lesquels ?) tous les matins, depuis quinze ans et pendant quinze minutes. « J’aimerais réintégrer des rituels dans la société, à une époque où il y en a moins » dit-il. Ne fait-il pas, ainsi, de la créolisation une prière ?

2La plate-forme 3 de la Documenta 11, qui s’est tenue à Sainte-Lucie du 13 au 15 janvier 2002, il y a plus de dix ans, portait sur Créolité and Creolization et partait de Glissant. Cette Documenta a suscité de nombreux commentaires dont celui que Jean-Loup Amselle livre dans son livre, L’Art de la friche, Essai sur l’art contemporain africain[2] :

3

Étant donné la personnalité de son commissaireOkwui Enwezoron aurait pu craindre [3] que la Documenta 11 – la plus grande exposition d’art contemporain au monde – ait été une exposition à caractère essentiellement africain. Il n’en a heureusement [4] rien été.
Tout, pourtant, pouvait le laisser présager : le fait tout d’abord qu’Okwui Enwezor ait été choisi pour sa qualité d’Africain (note : Okwui Enwezor est présenté comme un « critique et écrivain d’origine nigériane établi à New York » par la plaquette de présentation de la Documenta. À la dernière Biennale de Dakar (mai 2004), il faisait partie de la délégation américaine.), qualité certes accompagnée d’un long séjour aux États-Unis, mais à laquelle viennent s’ajouter les prises de position ainsi que les manifestations organisées par ce dernier et qui ont précédé la Documenta proprement dite.

4Cette Documenta était composée de plusieurs plates-formes et d’une exposition. Outre celle qui a été mentionnée, se sont tenues trois autres rencontres : à Vienne « Democraty Unrealized » ; à New Delhi « Experiments with Truth :Transitional Justice and the Processes of Truth and Reconciliation » ; à Lagos « Under Siege : Four African Cities Freetown, Johannesburg, Kinshasa, Lagos ». La question posée par l’anthropologue est la suivante : « Une Documenta africaine ? ». Il inscrit l’ensemble des manifestations dans « la perspective postmoderne et postcolonialiste, voire subalterniste » (p. 119). Il s’agit pour lui d’un « projet politique », de « multiculturalisme » (p. 121). Jean-Loup Amselle, décrivant de cette manière la Documenta 11 fait aussi part de son sentiment :

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La visite de cette exposition nous a laissé une impression de soulagement mêlée d’interrogation. Soulagement, on l’a dit, parce qu’en aucun cas et à aucun moment nous n’avons eu le sentiment d’avoir affaire à une exposition « africaine » et que, de surcroît, certains artistes labellisés comme africains nous ont paru échapper à cette problématique, ou plutôt à ce piège que représente « l’art africain contemporain »[5].

6Comparant l’exposition « The Short Century » à « Partages d’exotismes » et Okwui Enwezor à Jean-Hubert Martin, il fait des deux un « bric-à-brac » et laisse l’avantage au second, et à sa volonté de faire dialoguer les cultures, plutôt qu’au premier, qui vise mais illusoirement à l’émancipation du tiers-monde. Dans sa critique, Jean-Loup Amselle achoppe comme toujours sur l’articulation de l’universel et du particulier, faisant de l’arbre l’opposé du hêtre, du bouleau et surtout du baobab et de l’universel l’antipode du particulier. Le même antagonisme vaut à ses yeux entre le fait d’être africain et celui d’être critique d’art [6].

7S’il est bien quelque chose que la notion de créolisation réfute ne serait-ce qu’implicitement, c’est cette alternative artificielle qui somme de choisir entre l’universel comme devoir être et le particulier comme triste condition. À cette aune, certains sont, par culture, dans l’universel quand d’autres sont confinés, par nature, dans le particulier. C’est pourquoi, après s’en être pris à tout ce que l’entreprise d’Okwui Enwezor comporte de postcolonialiste et de subalterniste, notre auteur poursuit, logiquement, en faisant d’Enwezor « le continuateur de Césaire, de Senghor, et de Glissant [7] ». Pour lui, il s’agit là de « détourner l’européanité de l’Europe en l’africanisant ». Plus encore, et le vocabulaire choisi est gracieux, « il ne s’agit pas tant d’africaniser l’Europe, de la “bougnouliser[8]”, que de se réappropier les clichés sur l’Afrique [9] ». L’anthropologue conclut par un couplet sur l’impérialisme américain puis passe à un autre chapitre et jette aux poubelles de l’histoire le métissage et l’hybridité, la créolisation et la globalisation.

8Pas de French Theory, ici, mais une French Reaction. On pourrait rappeler ce que Marx disait des classes moyennes :

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Par l’exploitation du marché mondial, la bourgeoisie donne un caractère cosmopolite à la production et à la consommation de tous les pays. Au grand désespoir des réactionnaires, elle a enlevé à l’industrie sa base nationale. […] Les classes moyennes […] combattent la bourgeoisie parce qu’elle est une menace pour leur existence en tant que classes moyennes. Elles ne sont donc pas révolutionnaires, mais conservatrices ; bien plus, elles sont réactionnaires : elles cherchent à faire tourner à l’envers la roue de l’histoire[10].

10En effet, la créolisation, comme idée, est peut-être un avatar du cosmopolitisme (ou de la cosmopolicité) en lequel certains voyaient une menace (pour la nation, pour les identités) quand d’autres la considéraient comme une issue (aux nationalismes, aux identités fermées). Le cosmopolitisme est, philosophiquement parlant, une idée très ancienne puisqu’on la doit à Diogène de Sinope, dit aussi Diogène le Cynique. En effet, il est possible à ses yeux d’être natif d’un lieu et de toucher à l’universalité, sans nier sa particularité. C’est ainsi que l’on peut devenir un citoyen du monde. L’idée de créolisation hérite du cosmopolitisme tout en le transformant. Car si le cosmopolitisme est une attitude ou une situation (urbaine par exemple), la créolisation est un processus. Si, en outre, le cosmopolitisme établit l’universel, la créolisation l’inquiète.

11Le choix, chez Glissant, s’effectue en fonction de l’ouverture. Comme il l’indique dans Les Entretiens de Baton Rouge[11], il y a là une interrogation fondamentale :

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Est-ce que la pensée de l’universel, qui s’est si magnifiquement et somptueusement réalisée dans l’histoire de l’Occident, est-ce que cette pensée-là est encore à même, à elle seule, et dans son système, de nous fournir des ouvertures d’horizon, pour le monde dans lequel nous vivons actuellement[12] ?

13Le propos, chez Glissant, n’est pas de renoncer à l’universel. Il est de le relativiser [13]. Non par le particulier mais par son déplacement et sa migration ailleurs qu’au lieu où il a émergé de façon flamboyante. Mais déplacer ainsi l’universel, et le décentrer, revient à le transformer. C’est pourquoi il faut entendre la créolisation comme une idée élaborée à partir de la Caraïbe qui en est le lieu de naissance et, dans le même temps, comme une idée universelle. La créolisation ainsi entendue serait un universalisme par le bas, non par le haut. Elle ne serait pas, comme le comprend Amselle, une récusation de l’universalité et une apologie du particulier. Car, au fond, ce qui dérange l’anthropologue et les siens, c’est le bas (from bellow) qui inclut toute l’humanité et non seulement ses élites supposées (européennes et, plus largement, occidentales). En ce sens, l’idée de créolisation est bien effectivement postcoloniale. Le colonial, en effet, est de facto un anti-universalisme, l’établissement de particularismes donnant lieu à des statuts. Dans la colonialité, l’universel n’est pas une réalité ; c’est un idéal. Ce n’est pas une expérience, c’est une norme. C’est pourquoi la créolisation peut apparaître à certains comme un illégalisme, une transgression de la norme. À cet égard en effet, la créolisation est transgenre[14].

14Stuart Hall, dans son intervention lors de cette fameuse Documenta [15], réfère la créolisation à l’inscription raciale. D’un côté, en effet, on a la pureté raciale, de l’autre, inévitablement, le mixage culturel, social et linguistique. Se fondant sur une étude sur le développement de la société créole en Jamaïque, Stuart Hall reprend l’idée d’une indigénisation des colonisateurs et de leurs esclaves produisant, pour finir, un troisième espace, non celui des « natifs » ou des « indigènes » mais natif ou indigène en lui-même, marqué par la fusion d’éléments hétérogènes. Ce sont donc l’hétérogénéité et la disparité qui, dans un mélange non dissolvant, produisent la créolisation. Glissant a toujours insisté sur le fait que l’hétérogénéité ne disparaît pas dans la créolisation. À ce titre, on pourrait dire que la créolisation est, au sens fort de ce terme, grotesque. Elle est de la caverne, ou de la grotte. Le grotesque est réinventé en effet, lors de la Renaissance italienne, à l’occasion de la découverte de maisons de l’Antiquité enfouies sous terre et contenant, sur leurs murs, la représentation d’êtres extravagants.

15

Tout cela se fait bien entendu de façon anonyme. On ne sait pas qui aura décidé qu’on nommera cette peinture qui n’est pas encore un style grottesca. Comme si c’était un mot sans parent, un mot inengendré, tout comme est présenté d’ailleurs le néologisme « grotesque » pour le traduire ; c’est comme si le nom nous avait été enlevé de la bouche par la grammaire du dérivé de la grotta : la grottesca, comme s’il était tout bonnement né de la langue. « D’où le nom de grottesca ». Mais qui est le sujet de la langue ? Qui est l’auteur voire le fauteur du mot grotesque ? Est-ce un archéologue, est-ce un théoricien, est-ce un quidam  ? Celui-ci s’est fait oublier[16].

16Avec le grotesque, qu’on nommera ultérieurement arabesque, le souterrain et le nocturne émergent dans ce que Glissant nomme l’opaque et Gruzinski le métis. La figure unique disparaît, laissant place à des monstres : femmes à la queue de poisson, tête d’homme sur cou de cheval et bien d’autres choses encore. Serge Gruzinski [17] consacre de multiples analyses à l’invasion des grotesques au Mexique, dans un univers pictural indien-européen, montrant ainsi l’origine anthropologique de la notion de créolisation. Pour les analyser, il fait détour par un film de Peter Greenaway, Prospero’s Books qui revisite La Tempête de Shakespeare. Une frise d’êtres étranges est déroulée par le cinéaste. Les monstres et les chimères abondent : centaures, sirènes, loups-garous, faunes, nymphes, etc. Il est évident que l’inclassable règne, détruisant tout à la fois les classements hérités non seulement de l’histoire naturelle mais également de la pensée philosophique (Aristote et sa logique des classes) et le déroulement linéaire d’une histoire dans laquelle une temporalité particulière succède à une temporalité particulière sans échange des humeurs et des humus. La métamorphose opte pour le mouvement plutôt que pour la forme stable. Elle détruit, sans le vouloir, la permanence qui a depuis toujours fait le lit de l’identité.

17Pensons par exemple à Yinka Shonibare, tant vilipendé par Amselle. Il réinvente le grotesque en créolisant ses personnages. Ses cosmonautes [18] à l’instar de tous les êtres créés par Shonibare ont perdu la tête (ou ont la tête ailleurs, on ne sait) et portent des combinaisons en wax. Le wax est lui-même un tissu créolisé dont les deux faces sont imprimées. Au xixe siècle, des colonisateurs hollandais s’inspirent du batik javanais, qui est teint à l’aide de cire – un procédé permettant de mieux fixer les couleurs, d’où le nom « wax », « cire » en français. Les Européens reprennent cette méthode et impriment sur l’étoffe des dessins colorés inspirés des motifs indonésiens [19]. On pourrait considérer que le travail de Yinka Shonibare relève de la créolisation et participe à une décolonisation des images. Pourtant, les grotesques mexicains dont parle Serge Gruzinski procèdent d’une colonisation. Ne sont-ils pas pourtant l’effet d’une créolisation des pratiques picturales ?

18Ils sont à la marge et conjuguent des éléments séparés, s’affranchissant ainsi de la contrainte du vraisemblable et de la décence. Ils sont donc fantastiques et licencieux. L’art mexicain a rencontré des formes européennes et l’art européen a absorbé des formes mexicaines. Côté indigène, Serge Gruzinski interprète ce phénomène insolite de créolisation, au xvie siècle, de la façon suivante :

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Une raison supplémentaire a pu aiguiser l’intérêt indigène pour les grotesques. Celles-ci tournent le dos à ce qui constitue l’objet même de la représentation occidentale, la narration. Elles en bousculent les règles fixées par la rhétorique médiévale : les principes de l’imitation et de la vraisemblance. L’art, selon les textes aristotéliciens, ne pouvait être qu’une mimesis du vrai et du vraisemblable. Or, pas plus que les codex mexicains, les grotesques ne se préoccupent de restituer la réalité immédiate, même si elles en retiennentcomme les codex d’ailleursdes éléments ou des fragments[20].

20L’articulation des principes de production de l’image et des règles de la narration est décisive pour comprendre ce qui se joue, a contrario, dans la créolisation. Généralement, en effet, il s’agit d’arriver quelque part. Or s’il est un geste signifiant dans le style d’Édouard Glissant [21], c’est d’introduire, de façon multiple (Introductions est au pluriel) un discours antillais à partir : à partir d’une situation « bloquée », à partir de ce discours sur un discours, à partir de l’Intention poétique, à partir de Malemort, à partir d’une présentation faite de loi, il y a quelque temps, à partir des traces d’hier et d’aujourd’hui, mêlées, à partir du cri, à partir d’Acoma. Glissant annonce se faire le défenseur, voire l’illustrateur d’une conception « métissée » des cultures [22] sans tomber ni dans le prophétisme, ni dans l’avant-garde. En ce sens, la créolisation n’est pas seulement un processus mais également un travail de traverse. « Traverse » : chemin transversal plus direct que la route ou qui passe où elle ne passe pas, événement ou action qui contrecarre ou fait obstacle au déroulement de quelque chose, élément disposé transversalement dans une construction pour l’assembler. Le Discours antillais consomme tout particulièrement le rejet des termes de la narration :

21

L’intention de ce travail fut d’accumuler à tous les niveaux. L’accumulation est la technique la plus appropriée de dévoilement d’une réalité qui elle-même s’éparpille. Son déroulé s’apparente au ressassement de quelques obsessions qui enracinent, liées à des évidences qui voyagent. Le trajet intellectuel en est voué à un itinéraire géographique, par quoi la « pensée » du Discours explore son espace et s’y tresse[23].

22Pour s’y retrouver il faut une « datation », telle celle que l’on trouve à la fin du bien nommé Quatrième siècle (1964), il faut les « Repères » du Discours antillais (1997). En même temps, on ne peut manquer d’observer que Glissant commence par créoliser pour, dans un second temps, théoriser sur la créolisation. Ce n’est pas au grotesque et à ses composites qu’il se réfère mais, alors, au baroque et à ses irrégularités. Instabilité, mobilité, métamorphose sont les caractéristiques du baroque littéraire. Celui-ci multiplie refus des règles et mélanges des genres. Il procède par accumulations, oppositions (antithèses et oxymores), amplifications (hyperboles, anaphores). Il ne partage pas la visée édificatrice des Classiques. Les intrigues y sont complexes, multiples. Pour Glissant, la connaissance baroque détruit les privilèges de l’Un.

23

Pour l’art baroque, la connaissance pousse par l’étendue, l’accumulation, la prolifération, la répétition et non pas avant tout par les profonds et la révélation fulgurante. Le baroque est volontiers de l’ordre (ou du désordre) de l’oralité. Cela rencontre dans les Amériques la beauté toujours recommencée des métissages et des créolisations, où les anges sont indiens, la Vierge noire, les cathédrales comme des végétations de pierre, et cela fait écho à la parole du conteur qui, elle aussi, s’étend dans la nuit tropicale, accumule, répète. Le conteur est créole ou quechua, navajo ou cajun. Dans les Amériques, le baroque est naturalisé[24].

24À considérer la créolisation comme un mode de connaissance et comme un affranchissement des canons même de la connaissance, on peut la concevoir comme participant de la décolonisation ou de la sortie d’une emprise (coloniale) par un travail singulier de déchiffrement et de défrichage qui fait émerger tant les traces que les issues, par l’effet paradoxal d’une certaine répétition que Derrida nomme, pour sa part, différance pour faire entendre les deux significations entremêlées de différer (disons, et dans l’espace et dans le temps) et signifier les espacements qui, toujours, rendent toute identité vaine. Alors, la créolisation peut apparaître comme une issue toujours déjà là plutôt que comme une solution à trouver. Elle n’est pas seulement processus général mais travail singulier. Ainsi entendu, il ne s’agit pas exactement d’un hymne à la joie.

25Dans ce travail, le performatif est central. Le performatif est le contraire de la prophétie. On peut ainsi regarder les textes de Glissant de deux façons : comme des performances d’oraliture, comme des prophéties d’avant-garde. Dans le second cas, on les réinscrit dans une philosophie de l’histoire qui fait des lendemains les améliorations du jour. Dans l’autre cas, on les envisage comme des entreprises risquées aux résultats parfaitement imprévisibles. Le performatif permet justement de réaliser l’imprévisible. Il faut donc à la fois nommer et affirmer, définir et désassortir. C’est pourquoi l’on va trouver maintes déterminations qui, affirmant la créolisation, la font littéralement exister. C’est une migration hors du descriptif et du prédictif. C’est donc, aussi, une expérience.

26

J’appelle créolisation la rencontre, l’interférence, le choc, les harmonies et les dysharmonies entre les cultures, dans la totalité réalisée du monde-terre[25].
La créolisation est la mise en contact de plusieurs cultures ou au moins de plusieurs éléments de cultures distinctes, dans un endroit du monde, avec pour résultante une donnée nouvelle, totalement imprévisible par rapport à la somme ou à la simple synthèse de ces éléments[26].
Je vous présente en offrande le mot créolisation, pour signifier cet imprévisible de résultantes inouïes, qui nous gardent d’être persuadés d’une essence ou d’être raidis dans des exclusives[27].
Depuis les Archipels que j’habite, levés parmi tant d’autres, je vous propose que nous pensions cette créolisation. Processus inarrêtable, qui mêle la matière du monde, qui conjoint et change les cultures des humanités d’aujourd’hui. Ce que la Relation nous donne à imaginer, la créolisation nous l’a donné à vivre[28].

27Quels sont les philosophes qui se sont attaqués, de front, et dans le champ de la philosophie « générale », à la notion de créolisation ? Alain Renaut a proposé une lecture de Glissant dans Un humanisme de la diversité, Essai sur la décolonisation des identités[29]. Considérant que la réflexion sur la créolité et sur la créolisation a été ouverte par le Césaire du Cahier d’un retour au pays natal (1938), il reprend l’histoire du terme « créole [30] » qui, désignant d’abord la population blanche des colonisateurs, réfère ensuite à l’ensemble de ceux qui sont nés dans la colonie, noirs ou blancs. Puis il reprend l’historique martiniquais, Césaire, Fanon, Glissant et insère dans son analyse le différend créé avec Glissant par les auteurs de la créolité : Patrick Chamoiseau, Raphaël Confiant, Jean Bernabé, lorsqu’ils ont publié leur Éloge de la créolité (1989). Pour Renaut, ce texte incarne une conception stérilisante du Divers que Glissant avait dénoncée depuis longtemps déjà alors même que ces auteurs se réclament de lui pour penser la créolité.

28Pour Alain Renaut, bien sûr, la créolisation est une autre idée que celle de créolité. La créolisation est une sortie du « monolinguisme impérialiste occidental », selon les termes de Glissant. S’inspirant de Taguieff [31], qu’il a lu et soutenu, Renaut traduit la créolisation en termes d’universalisme et de différentialisme :

29

Glissant oppose tout naturellement la promotion du Divers à un universalisme systématique ou dogmatique négateur de la diversité ; il l’oppose également, de façon plus originale, à une forme de différentialisme qui extérioriserait tout aussi systématiquement ou dogmatiquement les uns à l’écart des autres les éléments de la diversité culturelle, les figeant chacun comme un absolu défini par un pur et simple rapport d’identité à soi[32].

30C’est une façon de réinscrire la créolisation dans ce à quoi elle devait échapper : l’alternative figée de l’universalisme et du différentialisme. En effet, parler d’universalisme et de différentialisme, c’est évoquer des doctrines constituées, l’une prônant, schématiquement, l’universel sans différence, l’autre la différence dans le particulier. La créolisation ne représente en rien une synthèse et n’est pas le troisième terme d’une dialectique qui commencerait par une opposition simple. C’est ce que défend Glissant, pour éviter la retombée dans l’ornière :

31

L’ouvrage de plus en plus évident de ce que j’ai appelé la créolisation, dépassante, imprévisible, qui est si éloignée des ennuyeuses synthèses, déjà réfutées par Victor Segalen, auxquelles une pensée moralisatrice nous eût conviés[33].

32Alain Renaut recourt finalement à Kant pour expliquer ce qu’il faut entendre, théoriquement, et non pratiquement, par créolisation. Il cherche en effet à élaborer « une pensée normative de la diversité culturelle [34] ». Il n’est pas sûr, toutefois, que la diversité puisse ressortir de la normativité. Il n’en reste pas moins qu’il fait de la créolisation un schème ou un symbole. Un schème (de Skhêma : esquisse) est une représentation mentale qui joue le rôle d’intermédiaire entre les catégories de l’entendement et les phénomènes sensibles. Par exemple, le schème de la quantité est le nombre. Un schème (de l’imagination) met donc en correspondance des déterminations spatio-temporelles avec des déterminations conceptuelles. Un symbole, chez Kant, n’est pas un simple signe arbitraire se substituant conventionnellement à une idée, mais devient la présentation intuitive de l’idée, ici, celle de Relation.

33

Où la créolisation se doit entendre ici, si je peux exprimer ce dont il s’agit dans un autre langage, comme ce que les philosophes d’inspiration kantienne appellent un schème ou, plus précisément, un symbole accomplissant une présentation sensible, au sein d’un vécu partagé, d’une Idée de diversité conçue comme Relation. Présentation toujours incomplète, toujours partielle, mais qui peut en quelque façon faire apercevoir le contenu de l’Idée ou le figurer[35].

34La créolisation, en effet, ne représente pas une réconciliation non plus que l’établissement d’une harmonie. Elle n’est pas une paix de différences qui auraient été en guerre. Elle est peut-être baroque et, comme dans les tableaux de Kehinde Wiley, une texture qui dissout le fond et la forme. Texture est bien le terme car l’artiste travaille à partir de tissus du monde entier, à commencer par les fameux wax. Il collectionne perpétuellement des étoffes diverses, toujours très colorées et surchargées de motifs, de tous les coins du monde, à commencer par le monde africain. Dans son travail, le peintre fait des motifs bariolés du fond des inscriptions sur les formes, des ornementations proliférantes qui investissent les personnages eux-mêmes, les sujets portraiturés. Le réel y est entrelacs. Dans Sir Brooke Boothby (2013), le tape-à-l’œil qui est la caractéristique du peintre, sa griffe, contient des formes discrètes, presque invisibles, largement occultées par l’épaisseur des motifs, leur présence à contre-emploi. Un sofa et son accoudoir sont perceptibles en creux, ou in absentia. N’en demeure pas même une ombre. N’en reste qu’une trace.

35Entendue ainsi, la créolisation n’est ni une politique – nombreux sont ceux qui l’ont observé, Alain Renaut par exemple [36] – ni une éthique. Dans cette perspective, elle est en outre déconnectée de toute indépendance. Et il faut rappeler qu’il y a politiquement deux Glissant : celui des indépendances et de ses combats, celui des décolonisations et de ses processus. Il y a chez Glissant une politique de l’indépendance et une poétique de la relation. Tout-Monde (1993) est comme un passage du premier vers le second. Il contient l’Indochine et l’Algérie, les guerres anticoloniales mais aussi les interrogations sur la poétique.

36

Ainsi donc, dit Thaël, vous croyez que la poésie nous sauvera ? Qu’est-ce que c’est pour vous ? – D’abord, elle ne nous sauvera pas, dit le poète, ce n’est pas son rôle. – Et qu’est-ce que c’est ? – Ensuite, c’est dévoiler ce qu’on ne voit pas, prévoir cela que la plupart ne cherchent pas, fouiller le paysage qui est autour, accorder ensemble des rythmes qui ne se sont jamais connus, comme de la mesure de la voix dans la démesure du tambour [37].

37La créolisation n’est pas non plus une éthique car elle est sans vertu. Le créolisé n’est pas de plus grande valeur que le non-créolisé, si tant est qu’il en existe. En d’autres termes, il n’y a pas de supériorité des Amériques comme berceau de la créolité, ce qui, pour être une revendication narcissique ne relèverait pas de l’éthique pour autant. C’est bien le piège de la « créolité » comme du « métissage » (Soyez noirs et blonds, vous serez différents !). Personne ne sera, dans la créolisation, sauvé. La créolisation, nonobstant, peut être considérée comme une esthétique non des œuvres mais du monde, une esthétique du divers et de la relation qui hérite des réflexions de Segalen sur l’exotisme. Comme le dit Glissant – c’est la première phrase du Discours antillais – « La Martinique n’est pas une île de la Polynésie. » Victor Segalen (1878-1919), médecin affecté en Polynésie, puis en Chine pour soigner les victimes de l’épidémie de peste qui sévit alors en Mandchourie, a livré quelques réflexions éparses sur l’exotisme [38]. L’exotisme est pour lui une « esthétique du divers », à la condition de le faire renaître de ses cendres :

38

Avant tout déblayer le terrain[39]. Jeter par-dessus bord tout ce que contient de mésusé et de rance ce mot d’exotisme. Le dépouiller de tous ses oripeaux : le palmier et le chameau ; casque de colonial ; peaux noires et soleil jaune ; et du même coup se débarrasser de tous ceux qui les employèrent avec une faconde niaise. Il ne s’agira ni des Bonnetain ni des Ajalbert, ni des programmes d’agence Cook, ni des voyageurs pressés et verbeux… Mais, par Hercule !, quel nauséabond déblaiement ! Puis dépouiller ensuite le mot d’exotisme de son acception seulement tropicale, seulement géographique. L’exotisme n’est pas seulement donné dans l’espace, mais également en fonction du temps. Et en arriver très vite à définir, poser la sensation d’Exotisme : qui n’est autre que la notion du différent ; la perception du Divers ; la connaissance que quelque chose n’est pas soi-même ; et le pouvoir d’exotisme, qui n’est que le pouvoir de concevoir autre[40].

39Loin de toute vision kaléidescopique, l’exotisme redéfini est présenté par Segalen comme relevant de la différence et du choc, comme découlant de l’irréductibilité et de la « forte saveur » du divers. Il est également un mode de connaissance puisque, ici, la connaissance du monde ne se fonde pas sur un principe politique ni sur un principe éthique mais sur un principe esthétique.

40Mais, pour moi, c’est une aptitude de ma sensibilité, l’aptitude à sentir le divers, que j’érige en principe esthétique de ma connaissance du monde[41].

41Glissant effectue exactement la même opération. C’est pourquoi il élaborera une poétique. La poétique n’est donc ni une politique, ni une éthique déguisée. Elle constitue plutôt leur évitement. Il n’y a ni premier mot ni mot de la fin mais ressassement, il n’y a pas de ligne ni d’horizon mais prolifération et accumulation. La pensée n’est pas conclusive. Elle n’est pas non plus analytique. Elle est aporétique, et ouvre à des carrefours. C’est pourquoi je ne crois pas qu’on puisse parler de théorie à propos de Glissant. Car on y trouve une élaboration mais non une articulation du divers de sa pensée et de ses styles. Sa pensée elle-même conserve l’hétérogénéité sans la stabilité de la liaison. Le style de Glissant est créolisant en ce qu’il recèle la reconfiguration incessante des liaisons et des déliaisons sans que quelque base que ce soit soit à proprement parler établie. Il n’y a en effet aucun arrêt, aucune étape dans un devenir (de la vie des hommes comme, par mimétisme, de l’écriture de l’auteur) dont les contours empruntent on ne peut plus à Deleuze. Le devenir est à la fois mouvement et événement et contient possibles comme impossibles. En ce sens, la créolisation est un devenir, sans être un devenir créole. Et il y a là, souvent, malentendu.

42

Quand je dis « Alice grandit », je veux dire qu’elle devient plus grande qu’elle n’était. Mais par là même, elle devient plus petite qu’elle n’est maintenant. Bien sûr, ce n’est pas en même temps qu’elle le devient. Mais, c’est en même temps, du même coup qu’on devient plus grand qu’on n’était, et qu’on se fait plus petit qu’on ne devient. Telle est la simultanéité d’un devenir, dont le propre est d’esquiver le présent. En tant qu’il esquive le présent, le devenir ne supporte pas la séparation ni la distinction de l’avant et de l’après, du passé et du futur. Il appartient à l’essence du devenir d’aller, de tirer dans les deux sens à la fois : Alice ne grandit pas sans rapetisser, et inversement. Le bon sens est l’affirmation que, en toutes choses, il y a un sens déterminable ; mais le paradoxe est l’affirmation des deux sens à la fois[42].

43Telle l’exotisme de Segalen, qui n’est pas colonial, la créolisation n’est ni spécifiquement coloniale ni spécifiquement décoloniale. Pour Segalen, c’est le divers vulgarisé et vulgaire qui promeut des valeurs fausses parce qu’il est intrinsèquement colonial. Ainsi de la musique du désert réduite au passage des chameaux ou du concubinage d’une Blanche avec un Noir. L’exotisme n’est ni le changement de couleur ni le changement de température. C’est pourquoi Segalen soutient, en dépit de la connotation du terme « exotisme », que : « le “colonial” est exotique, mais (que) l’exotisme dépasse puissamment le colonial [43] ». On pourrait dire de même : le colonial est créole mais la créolisation dépasse puissamment le colonial. En d’autres termes, si la créolisation n’est pas en elle-même une décolonisation, on conçoit mal, en revanche, une décolonisation sans créolisation. Elle n’est pas désimbrication des hétérogènes ou disparition des discontinuités (hétérotopies et hétérochronies dans le vocabulaire de Foucault) mais superposition des traces et répétition des motifs, dans une autre configuration.

44On retrouvera alors, mises en œuvre par Glissant quelques-unes des idées énoncées par d’autres, ici et là. Notamment, la trace de Segalen, qu’il nomme dans son Traité du Tout-Monde. Les traces ne peuvent, provenant d’affluents différents, dissimuler leur disparité. Elles apparaissent inopinément, autrement dit imprévisiblement, dans des reprises qui ne sont pas, exactement, des répétitions. Elles ne sont pas non plus figées mais, comme les pensées, sont en mouvement, labiles et fluides quelquefois, étalées et transformées car les traces ne se ressemblent pas. Ainsi, ce qui plaît à Glissant, comme à Segalen qu’il a lu, c’est le jeu des idées, non leur sujet : c’est leur enchaînement, leur déroulement, leur engrenage, leur allure, bref, leur écriture et proprement leur poétique. Car, pour Segalen, « la trame des idées est, en philosophie, l’égale des pâtes orchestrales ou picturales [44]. »

45Ce vitalisme, ou ce bergsonisme, se retrouve, chez Deleuze, dans sa croyance au monde, qu’il nomme pietas. La pietas est, avec la virtu, la clementia et la justitia, l’une des quatre vertus impériales. Elle est en effet une vertu romaine qu’on traduit par « devoir » ou « dévotion ». Plus exactement, elle tient au sentiment qui fait reconnaître et accomplir tous les devoirs envers les dieux, les parents, la patrie. Il y a, chez Deleuze, une religion du monde.

46

Croire au monde, c’est ce qui nous manque le plus ; nous avons tout à fait perdu le monde, on nous en a dépossédés. Croire au monde, c’est aussi bien susciter des événements petits qui échappent au contrôle, ou faire naître de nouveaux espaces-temps, même de surface ou de volume réduits. C’est ce que vous appelez pietàs. C’est au niveau de chaque tentative que se juge la5capacité de résistance ou au contraire la soumission à un contrôle. Il faut à la fois création et peuple[45].

47Parlant de la spirale et du cercle, Glissant, dans son Tout-Monde[46], détaille la composition du jardin créole comme antithèse de la chose isolée, de la race, de la langue, du terrain, de l’idée, de l’unicité comme autant d’erreurs, finalement, auxquelles on croit. La conversation de Mathieu et Roca en vient alors à « ces terres archipélagiques, toutes dans le monde, qui ne pèsent pas et n’oppressent pas, qui sont fragiles et attaquables, mais si fécondes en traces incertaines[47]. » Ces terres ne sont que des variétés ou des variations du Tout-Monde, elles n’en sont pas l’essence. Car il y a, chez Glissant, une religion du monde entendu comme Tout- Monde, c’est-à-dire divers et relation, ou encore créolisation. Il y a une croyance en le Tout- Monde qui fait l’objet d’une Poétique.

48On se souvient de la division aristotélicienne de la métaphysique. Celle-ci est composée de trois sciences : les sciences théorétiques, les sciences pratiques, les sciences poétiques. La pensée de Glissant, on l’a compris, n’appartient ni au théorétique (physique, mathématique, théologie) ni au pratique (économique, éthique et politique [48]). Elle relève de l’epistémè poïétikè qui comprend les arts, la dialectique, la rhétorique et la poétique. Le poète se distingue de l’historien, en ce qu’il ne cherche pas à raconter les choses telles qu’elles sont arrivées mais telles qu’elles pourraient ou auraient pu arriver. Il n’est donc guère étonnant que Glissant ait été entendu des poètes. En ce sens, la créolisation est une possibilité réelle du monde. Elle est également, poétiquement parlant, une possibilité de décolonisation des imaginaires.

49

Il y a recherche du continuum collectif dans le temps, en tant que poétique. […] Pour le poète, se dessinent à la fois une politique du maintien de son individualité et une poétique de la recherche de sa communauté. Vous le remarquez, j’inverse la fonction de ces termes, « politique » et « poétique », et non plus tels qu’on les envisage communément, mais dessinant une nouvelle dialectique. Comme il s’est fait dans le rapport des « vidas [49] » aux « razos [50]  » pour les troubadours : le poème dans l’acte de vivre, et le change dans l’échange[51].

50Au xiiie siècle, l’apparition des vidas et razos[52] est contemporaine d’une crise économique, politique, sociale et culturelle qui affecte le Midi de la France. La lyrique des troubadours risque alors de sombrer dans l’oubli. L’écriture en sauvera la mémoire. Mais comment concilier poétique de l’immédiat (chant) et poétique de la médiation (commentaire) ? Les vidas et razos sont à la fois un discours sur la littérature et un discours littéraire alors que, en dépit du mélange qu’ils effectuent entre fiction et réalité, les lecteurs leur assignent une fonction documentaire. L’oralité (fonction phatique) est extrêmement présente, comme dans une performance orale. Empruntant littérairement à la fois au code lyrique et au code narratif, système non référentiel et pseudo référentiel, ils réunissent deux poétiques plutôt incompatibles. La circularité du chant est élargie jusqu’à inclure un roman du poète. Héritier des troubadours, Glissant renoue avec la tradition de la glose, qui s’inscrit d’abord en marge du texte lyrique devant lequel elle s’efface pour lui donner un sens actuel. La glose relit narrativement le discours lyrique puis elle interfère dans la composition lyrique qu’elle modifie. L’exploration des possibilités narratives de la fiction poétique la détache enfin de son support lyrique qui en devient seulement prétexte à récit. Le commentaire finit par devenir autonome et les romans deviennent des essais.

51À l’automne 2004, Édouard Glissant a organisé une performance à la Maison de l’Amérique latine à Paris : une symphonie poétique. Antonio Tabucchi ou Grecia Caceres y ont lu des textes de Czeslaw Milosz en polonais, de Julio Cortazar en espagnol. Lui-même a lu du Maurice Roch, du René Giroux, du Jean Laude. Comme d’autres interprètent du Haydn ou du Mozart, ces écrivains ont joué une symphonie nouvelle, un « inattendu créolisé » d’instruments à corde et à vent dont les sons archipélisent et créolisent l’Europe. Quelquefois cependant, les migrations s’effectuent à contre-courant. Pour Glissant en effet, « en France, on pratique une espèce de refus fondamental de s’enrichir de la diversité [53] ».

Notes

  • [*]
    Seloua Luste Boulbina est professeur de philosophie, chercheuse associée au LCSP (université Denis Diderot Paris 7) et directrice de programme au CIPh.
  • [1]
    Christiane Taubira, Libération du 6 novembre 2013.
  • [2]
    Jean-Loup Amselle, L’Art de la friche, Essai sur l’art contemporain africain, Éditions Flammarion, 2005, p. 117-127, note p. 186.
  • [3]
    Souligné par moi.
  • [4]
    Idem.
  • [5]
    Ibidem, p. 121-122.
  • [6]
    Ibidem, p. 127.
  • [7]
    Ibidem, p. 124.
  • [8]
    souligné par moi.
  • [9]
    Ibidem, p. 124.
  • [10]
    Karl Marx, Le Manifeste du parti communiste, chapitre 1 « Bourgeois et prolétaires ». https://www.marxists.org/francais/marx/works/1847/00/kmfe18470000a.htm
  • [11]
    Édouard Glissant, Les Entretiens de Baton Rouge, Éditions Gallimard, 2008.
  • [12]
    Ibidem, p. 25.
  • [13]
    Édouard Glissant, Traité du Tout-Monde, Poétique IV, Éditions Gallimard, 1997, p. 242 : « Ils disent que créolisation est vue générale, après quoi on gagnerait, ou profiterait, à passer à des spécificités. C’est revenir à d’anciennes partitions, l’universel, le particulier, etc. ils ne savent pas lire le monde, le monde ne lit pas en eux. ».
  • [14]
    Okwui Enwezor appartient-il au genre « africain » ou au genre « critique d’art » ?
  • [15]
    Stuart Hall, « Créolité and the Process of Creolization » in Créolité and Creolization déjà cité.
  • [16]
    Jonathan Rousseau, « Généalogie – Grotte, grotta, excavation, grottesca, grotesque » in Isabelle Ost, Pierre Piret, Laurent Van Eynde dir., Le Grotesque : théorie, généalogie, figures, Publications des Facultés universitaires de Saint-Louis, 2004, p. 45-62. Citation p. 52.
  • [17]
    Serge Gruzinski, La Pensée métisse, Éditions Fayard, 1999.
  • [18]
    Le Space Walk (2002) de Yinka Shonibare met en scène deux cosmonautes en apesanteur attachés à une même capsule spatiale. Ils portent des costumes en wax. Les motifs représentent des pochettes de disques de la musique soul noire. Vacation (2000) présente une famille de quatre personnes en voyage dans l’espace.
  • [19]
    Les premiers tissus de ce style ont été ramenés par des mercenaires ghanéens au service des Britanniques et des Hollandais en Indonésie. La création et le tissage de ces pagnes ont donné lieu à une véritable industrie, les originaux ayant été produits en Hollande (real Dutch wax). Vlisco, nom de marque de PF Van Vlissingen & Co (Vlisco), est une société fondée en 1846 à Helmond au sud de la Hollande, par Pieter Fentener Van Vlissingen. il est le fabricant du wax hollandais, un tissu obtenu grâce à une technique proche du batik indonésien. Vers la fin du xixe siècle, ses tissus arrivent sur la côte ouest-africaine à travers le Ghana.
  • [20]
    Ibidem, p. 168. Voir aussi le très intéressant Le Renouveau du grotesque dans le roman du xxe siècle, Essai d’anthropologie littéraire de Rémi Astruc, Éditions Classiques Garnier, 2010 et particulièrement sa « Poétique de l’énonciation grotesque », p. 175-205.
  • [21]
    Édouard Glissant, Le Discours antillais, Éditions Gallimard, 1997, collection « Folio ».
  • [22]
    Ibidem, p. 29.
  • [23]
    Ibidem, p. 17.
  • [24]
    Édouard Glissant, Traité du Tout-Monde, Poétique IV, Éditions Gallimard, 1997, p. 116.
  • [25]
    Ibidem, p. 194.
  • [26]
    Ibidem, p. 37.
  • [27]
    Ibidem, p. 26.
  • [28]
    Ibidem, p. 25. Voir aussi : « Alors je dis que le Tout-Monde c’est ce désordre et vous devez courir dedans. » Tout-Monde, p. 134.
  • [29]
    Alain Renaut, Un humanisme de la diversité, Essai sur la décolonisation des identités, Éditions Flammarion, collection « Bibliothèque des savoirs », 2009.
  • [30]
    Créole vient de l’espagnol creolo et du portugais crioullo qui dérivent du latin criare, qui signifie nourrir, élever.
  • [31]
    Pierre-André Taguieff, La Force du préjugé, Essai sur le racisme et ses doubles, Éditions de La Découverte, 1988.
  • [32]
    Ibidem, p. 323-324.
  • [33]
    Édouard Glissant, Traité du Tout-Monde, p. 16.
  • [34]
    Ouvrage cité, p. 314.
  • [35]
    Ouvrage cité, p. 326.
  • [36]
    Ouvrage cité, p. 342-343 : « Glissant pour sa part, à quelques indications et interventions près, a plutôt choisi de ne pas prendre à sa charge la question de la traduction politique de sa théorie de la diversité, et s’est réfugié, faute de construire une véritable politique de la diversité, dans ce qu’il présente énigmatiquement comme une “poétique” : plus précisément une “poétique de la Relation” ».
  • [37]
    Édouard Glissant, Tout-Monde, Éditions Gallimard, collection « Folio », 1993, p. 180.
  • [38]
    Victor Segalen, Essai sur l’exotisme, Édition Hachette, collection « Le Livre de poche », 2009.
  • [39]
    Voir aussi, p. 61 : « Déblaiement : le colon, le fonctionnaire colonial… ».
  • [40]
    Ibidem, p. 41.
  • [41]
    Ibidem, p. 50.
  • [42]
    Gilles Deleuze, Logique du sens, Éditions de Minuit, 1969, p. 9.
  • [43]
    Victor Segalen, ouvrage cité p. 98.
  • [44]
    Ibidem, p. 63.
  • [45]
    Gilles Deleuze, Pourparlers : 1972-1990, Éditions de Minuit, p. 239.
  • [46]
    Opuscule cité, p. 555.
  • [47]
    Ibidem, p. 557.
  • [48]
    Michel Wievorka a très bien montré l’antinomie entre créolisation d’une part, droits civils et politiques d’autre part dans « Différences dans la différence » in Revue de Philosophie et de Sciences sociales n° 1 « Comprendre les identités culturelles » sous la direction de Will Kymlicka et Sylvie Mesure, Éditions des puf, 2000, p. 297-309.
  • [49]
    Une vida (mot occitan signifiant Vie de troubadour ou biographie de troubadour) est un texte en prose anonyme, écrit au xive siècle ou au début du xive siècle en langue d’oc, racontant la vie d’un troubadour. Certains poèmes sont quelquefois également accompagnés de razós détaillant les circonstances dans lesquelles le poème a été composé.
  • [50]
    Le terme razo (lat. rationem) signifie « raison » en occitan, et désigne ainsi la raison pour laquelle un poème a été écrit et son sujet.
  • [51]
    Édouard Glissant, Les Entretiens de Baton Rouge, Éditions Gallimard, 2008, p. 38.
  • [52]
    Voir Jean-Michel Caluwé, « Vidas et Razos : une fiction de chant », in Cahiers de civilisation médiévale, 1989, volume 32, n° 32-125, p. 3-23. Voir aussi Laura Kendrick, « L’image du troubadour », in Michel Zimmermann dir., Auctor & auctoritas, Invention et conformisme dans l’écriture médiévale, Mémoires et documents de l’École des Chartes n° 59, 2001.
  • [53]
    Entretien avec Édouard Glissant, Le Monde, n° 18641 du vendredi 31 décembre 2004.