Définir le sens de la peine : un travail de Sisyphe ? Le point de vue du juriste

1 La téléologie pénale, que nous restreindrons ici à l’étude des finalités de la peine [1], est un thème bien connu des philosophes, historiens et sociologues du droit. Pour autant, et nonobstant des réflexions très anciennes [2], il s’agit d’un domaine dans lequel le législateur français ne s’est aventuré que tardivement. Les premières dispositions assignant expressément des objectifs à la peine – privative de liberté exclusivement – apparaissent timidement dans la seconde moitié du XXe siècle. À cet égard, on peut citer l’ancien article 728 alinéa 2 du code de procédure pénale, dans lequel figuraient pour la première fois des notions telles que l’« amendement » ou le « reclassement social » des condamnés, ou encore l’ancien article 1er de la loi pénitentiaire du 22 juin 1987 qui visait quant à lui leur « réinsertion sociale ». Pour autant, le législateur ne s’intéressait aux finalités de la peine qu’avec parcimonie, circonscrivant au surplus sa réflexion à la seule peine privative de liberté. Ainsi, des objectifs assignés aux peines non privatives de liberté, à l’instar par exemple de l’amende ou du travail d’intérêt général, il n’était nullement question. Le nouveau code pénal, entré en vigueur au 1er mars 1994, aurait pu constituer un terrain favorable à l’émergence d’une définition plus générale. Mais au sein de celui qu’on surnommait pourtant le « code des peines », aucun principe commun ne fût précisé et il faudrait attendre le XXIe siècle pour assister à l’émergence, derrière la formule nouvellement consacrée de « sens de la peine [3] », d’une réflexion plus poussée.

2 Passée la période de réserve précédemment évoquée et après un premier rendez-vous manqué en 2001 [4], le « sens de la peine » allait rapidement devenir l’un des thèmes de prédilection du législateur, comme en atteste la prolifération de lois y consacrant des dispositions durant la décennie 2004-2014.

1 – La peine en sens giratoire

3 Les premières indications relatives au sens de la peine étaient apparues à l’article 707 alinéa 2 du Code de procédure pénale, issu de la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité. Celui-ci indiquait que « l’exécution des peines » devait favoriser, « dans le respect des intérêts de la société et des droits des victimes, l’insertion ou la réinsertion des condamnés ainsi que la prévention de la récidive ». Dans un deuxième temps, la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales était venue préciser à l’article 132-24 alinéa 2 du Code pénal que « la nature, le quantum et le régime des peines prononcées » devaient être fixés « de manière à concilier la protection effective de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de favoriser l’insertion ou la réinsertion du condamné et de prévenir la commission de nouvelles infractions ». La loi pénitentiaire du 24 novembre s’était dans un troisième temps attachée à définir le sens de l’exécution de la peine privative de liberté. C’est ainsi qu’on pouvait lire, en son article premier, que le

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régime d’exécution de la peine de privation de liberté concili[ait] la protection de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de préparer l’insertion ou la réinsertion de la personne détenue afin de lui permettre de mener une vie responsable et de prévenir la commission de nouvelles infractions.

5 Cet enchevêtrement de textes, combiné à la juxtaposition de finalités variant au gré des modes, brouillait plus qu’il ne facilitait l’appréhension du sens de la peine. À l’issue de cette première période, la plus grande confusion régnait en la matière. Soucieux de s’affranchir des excès passés, le législateur a procédé, par l’intermédiaire de la loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales, à une remise à zéro des compteurs. La déconstruction du sens de la peine – par l’abrogation de la totalité des dispositions antérieures – s’est accompagnée d’une ultime reconstruction. Désormais, l’article 130-1 du Code pénal nous enseigne qu’

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afin de protéger la société, de prévenir la commission de nouvelles infractions et de restaurer l’équilibre social, dans le respect des intérêts de la victime, la peine a pour fonctions : 1° de sanctionner l’auteur de l’infraction ; 2° de favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion.

7 Rompant avec la présentation « catalogue » retenue jusqu’alors, ce texte opère une hiérarchisation bienvenue entre finalités individuelles et finalités collectives de la peine. Dès lors qu’objectifs individuels et collectifs n’appartiennent plus au même niveau de finalité, ils se complètent au lieu de s’opposer. Ainsi la sanction, l’amendement, l’insertion et la réinsertion ne sont plus envisagés comme des fins en soi mais comme des moyens de parvenir à des buts supérieurs de protection de la société, de prévention des nouvelles infractions et de restauration de l’équilibre social. D’un point de vue formel, cette nouvelle articulation est très satisfaisante et améliore considérablement la lisibilité du sens de la peine. Sur le plan substantiel en revanche, le texte de l’article 130-1 demeure encore largement perfectible.

2 – L’écueil du sens unique

8 Longtemps circonscrit à la seule privation de liberté, le « sens de la peine » a désormais vocation à s’appliquer à l’ensemble des peines. C’est en tout cas ce qui ressort, à première vue, de l’emplacement de l’article 130-1, symboliquement inséré en tête du titre du code pénal consacré aux peines. Il faut cependant se garder d’adhérer trop vite à cette position, tant ce texte pose question, au regard de la diversité des peines contenues dans notre arsenal répressif. La sanction du condamné ne pose guère de difficultés. Par nature, toutes les peines sont afflictives. À des degrés divers, elles occasionnent chez leur destinataire une souffrance ou, à tout du moins, constituent un désagrément ou une gêne sensible. Dans quelques cas, ce lien peut apparaître plus ténu. S’agissant par exemple des peines de stages – stage de citoyenneté, de sensibilisation à la sécurité routière, de responsabilité parentale, de sensibilisation aux dangers de l’usage de produits stupéfiants ou de responsabilisation pour la prévention et la lutte contre les violences au sein du couple et sexistes – il est vrai que leur dimension pédagogique s’expose au premier plan. Pour autant, ils ne sont pas exempts d’une composante afflictive. Ainsi, leur coût est fréquemment supporté par le condamné, et ils occasionnent au demeurant pour les salariés la perte d’une ou deux journées de salaire [5]. La référence à la notion d’amendement est déjà plus problématique, a fortiori lorsque l’on évoque les peines applicables aux personnes morales. À première vue, il peut en effet paraître « téméraire […] de considérer qu’une personne morale, “créature abstraite”, peut être dotée d’une volonté et d’une conscience propre qui lui enjoignent de s’améliorer [6] ». Certes, une analyse inverse n’est pas à exclure, dans la mesure où les juridictions leur reconnaissent parfois des « sentiments » qu’on aurait pensés propres à l’être humain. On a notamment pu considérer qu’une personne morale pouvait souffrir [7], être atteinte dans son honneur [8] voire même se repentir. C’est en tout cas ce qu’ont estimé les juges du tribunal correctionnel de Bonneville par un jugement en date du 27 juillet 2005. Dans cette affaire, qui concernait la catastrophe du Mont-Blanc, ils avaient considéré, pour justifier la peine prononcée à l’encontre des personnes morales françaises poursuivies, qu’elles n’étaient plus « ce qu’elles étaient avant la catastrophe ». Néanmoins, de telles décisions demeurent marginales et on peut dès lors considérer que la transposition du sens de la peine rencontre ici une première limite. Par ailleurs, toutes les peines ne sont pas tutélaires, loin s’en faut. Quoi qu’en dise l’article 130-1, il subsiste au sein du Code pénal des peines répondant à des logiques bien différentes. Ainsi, la peine d’affichage de la décision prononcée ou de diffusion de celle-ci, mentionnée à l’article 131-35 du Code pénal, que d’aucuns considèrent comme une « version douce du pilori [9] », est strictement infâmante. D’autre part, certaines peines répondent bien plus à des logiques de neutralisation que d’insertion ou de réinsertion. Les annulations et suspensions du permis de conduire par exemple, « se préoccupent bien davantage d’écarter du volant les conducteurs constituant un danger pour le public que d’en faire des automobilistes normaux [10] ». La finalité neutralisante des interdictions professionnelles est également reconnue depuis longtemps. Ainsi, en 1971, la Société internationale de défense sociale, à l’occasion de son 7ème congrès international, avait considéré que

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le but des interdictions judiciaires en général et des interdictions professionnelles en particulier est de protéger la société contre les individus qui abusent de telle ou telle situation et de leur enlever les possibilités et l’occasion de commettre de nouvelles infractions en rapport avec leur situation personnelle[11].

10 Subsistent également des peines obéissant à une logique d’élimination. Avec l’abolition de la peine de mort par la loi du 9 octobre 1981, on la pensait révolue. Cette logique perdure néanmoins au travers de peines telles que la privation de liberté à perpétuité, l’interdiction définitive du territoire français ou encore, s’agissant des personnes morales, la peine de dissolution.

11 Au regard de ce qui précède, force est de constater que l’article 130-1 se révèle en définitive bien en deçà des attentes.

3 – Sens sans avenir ou sens à venir ?

12 Ce texte gagnerait tout d’abord en intelligibilité s’il prenait la peine de clarifier certaines des théories en présence. Ainsi, on ne sait que faire de la mention en son sein des « intérêts de la victime ». Elle n’appartient, semble-t-il, ni à la catégorie des finalités collectives, ni à celle des finalités individuelles. Généralement, à l’endroit des victimes, on évoque plutôt la notion de réparation. C’est en tout cas le choix qui a été opéré par le législateur canadien (art. 718 du code criminel), selon lequel

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le prononcé des peines a pour objectif essentiel de protéger la société et de contribuer, parallèlement à d’autres initiatives de prévention du crime, au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre par l’infliction de sanction justes visant un ou plusieurs des objectifs suivants : […] e) assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité,

14 ou, plus proche de nous, par le législateur britannique (UK Criminal Justice and Court Services Act 2000, part. 12, ch. 1, sect. 142 [12]).

15 La formulation retenue par le code pénal mériterait donc d’être précisée. L’article 130-1 gagnerait ensuite à s’inspirer de son homologue canadien, l’article 718 du Code criminel. L’articulation générale de ce texte est sensiblement la même. Lui aussi opère une distinction entre finalités collectives et finalités individuelles de la peine. La formulation des objectifs collectifs est assez semblable. Ainsi, l’article 718 reconnaît tout d’abord que la peine « a pour objectif essentiel de protéger la société et de contribuer, parallèlement à d’autres initiatives de prévention du crime, au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre par l’infliction de sanctions justes ». C’est surtout s’agissant des finalités individuelles de la peine que ces deux textes diffèrent. En effet, le législateur canadien est ici beaucoup plus loquace que son homologue français, puisqu’il considère que la peine peut avoir pour but de :

  1. dénoncer le comportement illégal et le tort causé par celui-ci aux victimes ou à la collectivité ;
  2. dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions ;
  3. isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société ;
  4. favoriser la réinsertion sociale des délinquants ;
  5. assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité ;
  6. susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes ou à la société.

16 Ces différents objectifs ne sont au demeurant pas cumulatifs – contrairement à l’approche retenue à l’article 130-1 – mais alternatifs, l’article 718 prévoyant la possibilité d’en viser « un ou plusieurs ». Une transposition de ce modèle en droit français serait bienvenue. D’une part, celui-ci serait plus cohérent au regard de la diversité des peines. D’autre part, un tel catalogue permettrait aux juridictions de choisir – au moment du prononcé – la justification la plus pertinente. La compréhension de la peine par ses destinataires n’en serait que renforcée.

17 Définir « le sens de la peine » est, en définitive, une entreprise complexe. Ardue, la tâche n’en est pas moins essentielle, et l’on comprend pourquoi le législateur s’y emploie avec autant d’acharnement. Chacune de ses tentatives s’est jusqu’à présent soldée par un échec. À peine arrivé au sommet de la montagne, voilà que le sol se dérobe sous ses pieds et qu’il faut tout recommencer, encore et encore. Ne gagnerait-on pas, en la matière, à opter pour une approche plus pragmatique ? En juin 2000, on avait considéré que le sens à donner à la peine devait définir « ce qu’on voudrait qu’elle soit [13] ». Peut-être le temps est-il venu de regarder la peine non pour ce qu’on voudrait qu’elle soit mais, plus simplement, pour ce qu’elle est.

Notes

  • [1]
    La téléologie désigne l’étude de la finalité. Appliquée au domaine pénal, elle ne se limite pas à la peine. On pourrait ainsi tout à fait envisager d’étudier les finalités du procès pénal ou du système pénal dans son ensemble.
  • [2]
    Platon s’interrogeait déjà sur le sens de ce qu’il nommait « la punition des méchants » : « celui qui veut punir judicieusement ne punit pas à cause de l’injustice, qui est chose passée, car il ne saurait faire que ce qui est fait ne soit pas fait ; mais il punit en vue de l’avenir afin que le coupable ne retombe plus dans l’injustice et que son châtiment retienne ceux qui en sont les témoins » (Protagoras, 324b).
  • [3]
    La récurrence avec laquelle cette formule est aujourd’hui employée ne doit pas nous faire oublier qu’elle demeurait très marginale avant l’année 2000. C’est en effet à cette date qu’elle allait pour la première fois être consacrée, plus précisément au sein de deux rapports de commissions d’enquête parlementaires rendus le 28 juin 2000. J.-J. V. Hyest et G.-P. Cabanel, « Prisons : une humiliation pour la République », Rapport de la commission d’enquête sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France, créée en vertu d’une résolution adoptée par le Sénat le 10 février 2000, Sénat, 28 juin 2000, n° 449, 775 p. ; cf. L. Mermaz et J. Floch, « La France face à ses prisons », Rapport fait au nom de la commission d’enquête sur la situation dans les prisons françaises, Ass. nat., 28 juin 2000, n° 2521, 893 p.
  • [4]
    Suite à la publication des rapports des commissions d’enquête en juin 2000, un avant-projet de loi « sur la peine et le service public pénitentiaire » avait été présenté à la presse par Marylise Lebranchu, alors Ministre de la Justice, à l’été 2001. Le Titre Ier de cet avant-projet, intitulé « Du sens de la peine », prévoyait d’insérer au sein des codes pénal et de procédure pénale des dispositions relatives aux finalités des peines encourues, prononcées et exécutées. Il n’avait finalement jamais été présenté en Conseil des ministres.
  • [5]
    V. Gautron et P. Raphalen, « Les stages : une nouvelle forme de pénalité ? », Déviance et société, 2013/1, vol. 37, p. 32.
  • [6]
    A. Chouvet-Lefrancois, « Les finalités de la sanction en droit pénal », in À propos de la sanction, LGDJ, 2007, p. 18.
  • [7]
    V. not. Cass. Crim., 27 nov. 1996, n° 96-80.223 ; Cass. Crim., 27 mai 2003, n° 02-84.136 ; Cass. com., 15 mai 2012, n° 11-10.278.
  • [8]
    V. not. Cass. Crim. 22 juin 1999, n° 98-80.593.
  • [9]
    F. Desportes, F. Le Gunehec, Droit pénal général, Paris, Éditions Economica, 15ème éd., 2008, p. 809, n° 847.
  • [10]
    B. Bouloc, Droit de l’exécution des peines, Paris, Éditions Dalloz, 4ème éd., 2011, p. 49.
  • [11]
    Cité par A. Tsitoura, « Les interdictions professionnelles en tant que mesures de substitution aux peines privatives de liberté », in Liber amicorum, Raymond Screvens, Paris, Éditions Némésis, 1986, p. 83-84.
  • [12]
    « Purposes of sentencing – (1) Any court dealing with an offender in respect of his offence must have regard to the following purposes of sentencing – (e) the making of reparation by offenders to persons affected by their offences. »
  • [13]
    L. Mermaz et J. Floch, « La France face à ses prisons », Rapport fait au nom de la commission d’enquête sur la situation dans les prisons françaises, Ass. nat., 28 juin 2000, n° 2521, p. 117.