Secret et transparence : une réflexion à partir de l’analyse des formes de normativité à l’époque contemporaine

1Avec les Lumières, le politique et le pouvoir ont été largement pensés par opposition au secret et à l’arbitraire, en se revendiquant du débat public rationnel[1]. La conception moderne du droit et la définition même de la loi – en tant que règle générale publique – ont pu ainsi être interprétées dans cette tradition comme un rempart édifié contre le secret et l’arbitraire en politique. Or, on peut partir d’un constat : on a assisté, depuis le XIXe siècle au moins, à une transformation des modes de gestion des populations, que Foucault avait visés sous le terme de gouvernementalité. Selon Foucault, un tel mode de gestion, qui vise bien davantage à orienter les comportements qu’à les interdire, ne prend pas appui de façon centrale sur la loi, mais bien plutôt sur des formes d’incitations multiples, qui permettent aujourd’hui de penser tout autrement l’exercice du pouvoir à l’époque de la globalisation et des nouvelles technologies. Et Foucault suggère alors que la loi, qui repose sur la distinction de l’interdit et du licite ainsi que sur l’exercice de la violence légale, a largement cédé la place à d’autres formes de normativités qui épousent le réel et les comportements, ce qui les rend largement invisibles et indolores.

2Le fait de mettre en contraste et de confronter ces deux formes de normativité (juridique et extra-juridique) invite à identifier de nouvelles formes de gestion et/ou de « sécrétion du secret » autour des pratiques normatives. Il invite également à réinterroger le terme de « sociétés de transparence ». C’est à cette réflexion que deux juristes, Isabelle Boucobza et Charlotte Girard, et un philosophe, Thomas Berns, ont bien voulu contribuer. Ils ont aussi accepté de rédiger, dans des encadrés que nous avons insérés au sein de l’entretien, quelques aspects de leurs réflexions et travaux en cours, qui appuient les échanges composant cet entretien.

Charlotte Girard et Isabelle Boucobza : Normes et pratiques du secret

Les trilogues présentent une double originalité : être la procédure privilégiée par les institutions de l’Union européenne pour la production de ses normes législatives et être nés d’une pratique qui leur vaut d’être absents des traités constitutifs de cette Union. Ils sont donc à la fois le produit d’une pratique qui s’institutionnalise progressivement et le lieu de la pratique d’un secret des négociations qui serait au service d’une nécessaire efficacité dans la fabrication de la loi.
Assez classiquement dans les régimes dits démocratiques, la confection de la loi paraît gouvernée par des procédures décrites voire codifiées dans des règles constitutionnelles. Pourtant, au niveau de l’Union européenne, la plus grande majorité des actes législatifs sont adoptés à la suite de négociations à huis clos portant le nom de « trilogues » et dont l’existence n’a été révélée dans des textes officiels qu’assez longtemps après le début de leur pratique.
Les trilogues sont ces réunions informelles auxquelles participent des représentants des trois institutions qui sont à l’origine des lois européennes : la Commission, le Conseil et le Parlement.
Le succès du recours aux trilogues serait dû à l’efficacité qu’ils font gagner à la procédure législative, notamment en termes de temps gagné. À partir du moment où le Parlement est devenu colégislateur dans la procédure de codécision créée par le traité de Maastricht, celui-ci a proposé l’institutionnalisation d’une procédure permettant de trouver un accord dès la première lecture. En effet, les premières années de la codécision avaient été marquées par des processus législatifs extrêmement longs d’après les acteurs. Aucun texte n’était adopté en première lecture mais au bout de la troisième. Depuis le milieu des années 2000, la situation s’est inversée.
Et aujourd’hui, le rapport d’activité du Parlement européen ne manque pas de souligner cette évolution : « La tendance en faveur des accords en première lecture, déjà manifeste lors des législatures précédentes, s’est accentuée[2]. ». En effet, en vingt ans, on est passé de 28 % d’actes relevant de la procédure législative ordinaire, adoptés en première lecture, à 89 %.
On a assisté au fil du temps à la banalisation puis à l’institutionnalisation d’une pratique : les trilogues. Au début de leur fonctionnement, ces trilogues étaient complètement inconnus du public, et même des juristes spécialistes des institutions communautaires. Aucune mention n’en était faite dans les manuels de droit communautaire. Autrement dit, les trilogues passaient sous les radars de la dogmatique juridique. La discrétion de ces négociations est d’ailleurs reconnue par les actes qui, ensuite, ont progressivement[3] levé le voile sur cette pratique. Accords interinstitutionnels et déclarations communes[4] sur ce sujet marquent également la volonté des institutions de « mieux légiférer ». Cette volonté s’exprime dès le mois de mai 1999 parce que le Conseil accueille mal l’irruption du Parlement dans la procédure législative. Les institutions s’obligent alors à « coopérer loyalement afin de rapprocher au maximum leurs positions pour que, dans la mesure du possible, l’acte puisse être arrêté en première lecture[5]  ». Mais les trilogues quoique leur pratique va connaître un succès certain ne sont mentionnés nulle part. En 2003, un acte interinstitutionnel évoque des « contacts intensifs[6]  ». Ce n’est qu’en 2007, dans une déclaration commune sur les modalités pratiques de la procédure de codécision[7] que les « trilogues » sont définis comme des « négociations informelles ».
La procédure législative va donc s’enrichir d’ajouts issus de la pratique courante de ses acteurs institutionnels. « Mieux légiférer » ne signifie pas légiférer autrement, mais continuer de légiférer en améliorant pragmatiquement la procédure en vigueur ; en sorte que les acteurs institutionnels de ces pratiques se font les interprètes de traités qu’ils ne modifient pas mais mettent en œuvre.
C’est pourquoi, il n’a pas été nécessaire de réviser les traités constitutifs pour y introduire et officialiser ces échanges tripartites qui ne modifiaient pas radicalement la procédure législative ordinaire mais l’appliquaient tout en la fluidifiant. Les trilogues sont donc le produit de la pratique et de la volonté des acteurs de la procédure législative elle-même.
La circonstance particulière de la pratique comme lieu de naissance des trilogues ajoute au secret qui les caractérise dans la mesure où une pratique ne se publie pas nécessairement. Elle est constituée par un comportement qui unit des acteurs autour d’un objectif concret. Les acteurs n’agissent pas en vertu d’une règle qu’ils revendiquent. Ils n’agissent qu’en vertu de l’objectif qu’ils partagent. Cet entre-soi les isole du regard et garantit le secret de leurs négociations.
Le huis clos favorisé par les trilogues se présente donc dans l’histoire de la procédure législative européenne comme un atout plutôt que comme un inconvénient. Il finit même par apparaître comme un gage de qualité de la loi européenne, une marque de fabrique. Ainsi, le Parlement européen qui pourrait avoir le plus à perdre dans les trilogues, s’y coule, participe-t-il à leur institutionnalisation et les utilise pour faire pression, notamment sur le Conseil en exigeant de sa part plus de transparence et de publicité sans aller jusqu’à exiger cette même publicité pour les trilogues eux-mêmes[8].
En effet, le secret des trilogues est étroitement lié à leur fonction. Ils sont le lieu où les représentants des institutions colégislatrices cherchent à construire une position commune qui deviendra éventuellement l’acte législatif européen : ce qu’il est convenu d’appeler un processus de rapprochement de leurs positions respectives, en d’autres termes, un compromis. Et comme dans la plupart des négociations, il y a un intérêt pratique à ce que leur contenu ne soit pas dévoilé. Ces négociations pré-législatives mettent en présence les intérêts parfois divergents de chaque institution, un spectacle qu’aucune d’entre elles ne souhaite montrer. D’autre part, l’une des institutions est le Conseil dont la particularité est d’impliquer des instances représentant les pouvoirs exécutifs des États membres. Or lorsqu’un organe intergouvernemental est en négociations, il est habituel que les positions défendues doivent pouvoir demeurer secrètes, raison d’État oblige. C’est une autre raison importante de l’absence de publicité des débats au sein des trilogues. En effet, il n’y a pas de minute et les documents qui relatent la progression des positions de chaque partie ne sont pas immédiatement accessibles.
Il en résulte une opacité entretenue qui ne retire toutefois rien à la qualité de norme juridique des actes ainsi produits.

3M. Goupy : Avant d’aborder les formes contemporaines de secret politique, comment est-ce que cette notion de transparence, souvent utilisée aujourd’hui pour qualifier nos sociétés, prend sens dans vos travaux ?

4I. Boucobza : Commençons par dire qu’en travaillant sur les trilogues, en travaillant sur la fabrication de la loi, où l’on cherchait à mettre en lumière des pratiques du secret, la question de la transparence s’est imposée à nous. Autrement dit, alors que nous étions allées chercher le secret dans les trilogues, c’est la transparence qui s’est imposée. L’autre surprise, c’est qu’il a rarement été question de publicité. Comme si la transparence effaçait totalement l’idée de publicité.

5C. Girard : Oui, on partait de réflexes classiques en droit : on cherchait le principe de la délibération publique. Et on a trouvé une injonction de transparence. Et cela dans les textes qui sont apparus après la révélation de cette affaire des trilogues. Comme si la transparence était la réponse officielle au problème de l’opacité, qui était aussi celui de la publicité.

6I. Boucobza : Il y a donc une sorte de dualisme entre d’un côté l’opposition publicité-secret et, de l’autre côté, celle de la transparence et du secret. La loi est associée à l’idée de publicité, comme le Parlement l’est à l’ouverture, où le public est attendu ; et de l’autre côté, il y a l’exécutif, le gouvernement et le secret. Avec cette différence que si le gouvernement nous permet d’accéder à une information (les éléments d’une négociation internationale par exemple), c’est qu’il l’accepte : il donne accès, par la transparence, à une information qui – en principe – n’est pas à la portée du public. La transparence est en quelque sorte concédée. Et ce qui se passe, depuis quelques temps, c’est que les frontières entre ces deux univers qui semblaient être face à face, publicité, loi et Parlement d’un côté, secret, acte administratif et exécutif de l’autre, sont en train de se brouiller.

7Thomas Berns : On pourrait parler de « notion » de transparence, en insistant alors sur son caractère flou, qui l’expose à des usages injonctifs (« il faut être transparent »), des mots d’ordre comme dirait Deleuze, et plus largement à des usages multiples et parfois rivaux entre eux. Face à ce niveau diffus et peut-être trop moral de la transparence, il est utile de partir de sa distinction avec l’idée de publicité, telle qu’elle a été fixée au moins depuis les Lumières, depuis Kant. La publicité est peut-être moins une notion qu’un principe. Ce que je veux dire par là, c’est que la publicité est liée à l’idée de limitation. Chez Kant, par exemple, la publicité est l’objet d’un exercice spécifique, un exercice du jugement ; comme telle, elle est limitée, dépendante de sa mise à l’épreuve, par ailleurs très monologique. Sur le plan juridique surtout, il me semble également que la publicité doit être considérée dans son caractère institué : elle est prévue par la loi, elle porte sur des actes spécifiques dont elle vise ainsi le contrôle – contrôler une décision par exemple. De même, ce qui est publié dans un procès-verbal ou un compte-rendu n’est jamais la totalité d’une discussion, mais ce qu’une assemblée décide de rendre public de celle-ci. La publicité est limitée ensuite au sens où elle tolère son vis-à-vis : un vis-à-vis qui peut être protégé par la vie privée par exemple, ou par d’autres institutions qui peuvent pour leur part être protégées par le sceau du secret. Si je me tourne maintenant et sur cette base vers la transparence, c’est au contraire son caractère illimité qui se trouve souligné. Cela ne décrédibilise pas la transparence, mais cela invite à la considérer par rapport à cet univers limité qu’est celui de la publicité, toujours instituée, et donc de la loi. À ce titre, on peut considérer que la transparence, plutôt que de porter sur des actes spécifiques toujours prévus par la loi, a vocation à porter sur la totalité du réel, ou du moins est-elle ouverte vers cette illimitation problématique. La loi porte sur les actes, la transparence porte sur les personnes ou sur la totalité des vies des personnes. Et là où la publicité a pour vocation de permettre le contrôle de certains actes, la transparence a plutôt vocation à diluer la décision. Mon but ici n’est pas de faire l’éloge d’un décisionnisme protégé par le droit, mais seulement de constater ce fait. Si je peux faire référence à mes études sur l’histoire de la statistique ou des pratiques du recensement, il me semble qu’on peut développer des généalogies bien différentes de l’idée de transparence par opposition au principe de publicité. La transparence, comme le dit Montchrétien doit « éventer le secret des maisons et des familles » ; elle permet un type de contrôle dont j’aurais tendance à dire que contrairement au contrôle de la loi, il a une tonalité morale ; surtout, elle a pour but de contrôler, d’un seul et même mouvement, comme de nos jours le moteur de recherche, le tout, la totalité du réel, et le détail du réel. Ce qu’échoue à faire ou que refuse de faire la loi, avec son espace limité propre à la publicité. Dès lors, plutôt qu’une opposition simple entre régime lumière et secret, je pense qu’il y a différentes combinaisons, ou différentes articulations entre transparence et secret, et entre publicité et secret, c’est-à-dire des manières différentes d’exercer le secret.

Thoma Berns : Les clairs obscurs des nouvelles normativités OU Les clairs obscurs de la transparence

Si le secret a sans doute toujours été lié au pouvoir, source de pouvoir, la nouveauté pourrait être que la nécessité d’une zone de secret s’impose désormais au nom et au sein même d’un mouvement de production de transparence. C’est au nom de l’exigence d’une normativité au plus près du réel, expression du réel, que se justifient de nouvelles parts d’ombre du pouvoir, voire des nouveaux secrets du pouvoir.
On peut comprendre l’évolution des pratiques normatives les plus contemporaines en partant de l’idée qu’elles se déploient globalement toujours plus en s’éloignant du modèle défini par la normativité juridique, c’est-à-dire en nourrissant un rapport d’immanence au réel, comme s’il suffisait d’exprimer celui-ci. C’est sur ce mode que leur puissance normative agit. Ainsi, je crois qu’on peut cerner trois grands gestes « primaires » sur la base desquels s’organisent la plupart des dispositifs normatifs contemporains, et qui tous trois témoignent d’un souci d’exprimer le réel : définir le réel (dont les exemples les plus évident sont des institutions comme ISO ou le DSM) ; faire rapport de la réalité ; donner une expression statistique de la réalité.
Qu’il soit bien clair que ces trois gestes, avec leur apparente retenue, ne font que nourrir une hypertrophie gouvernementale ; ils permettent de gouverner sans fin, dans les deux sens du terme : à la fois, gouverner consiste seulement à suivre le réel sans paraître vouloir lui donner une forme spécifique et gouverner peut dès lors être incessant.
Cette évolution normative confirme et radicalise l’analyse foucaldienne c’est-dire l’exigence d’une microphysique du pouvoir qui attire l’attention sur le fait que le pouvoir s’exerce plutôt qu’il n’est une propriété souveraine, qu’il se déploie de manière multiple et hétérogène plutôt qu’il ne se représente de manière unitaire, qu’il agit de manière immanente plutôt que transcendante par rapport à ce sur quoi il porte, et enfin qu’il fait faire quelque chose plutôt qu’il ne réprime et bloque des comportement
En plus de ces acquis fondamentaux de la pensée foucaldienne du pouvoir, il faut prendre acte d’une série d’autres qualités inhérentes au pouvoir qui se déploie au travers des nouvelles normativités, qui toutes nous éloignent de la représentation du pouvoir depuis le modèle de la loi. Les nouvelles normativité témoignent :
  • d’une réconciliation effective entre le caractère sérialisant et individualisant du pouvoir à l’encontre de la mise en tension de ces deux caractères dans la loi
  • d’une continuité de l’action normative à l’opposé du caractère sporadique de l’action de la loi ; cette continuité repose aussi sur l’adaptabilité de la norme, là où l’action sporadique de la loi était le fait d’une norme pensée dans permanence
  • du possible éloignement du nouvel espace normatif eu égard au registre discursif et narratif de la loi : non seulement la loi est fondamentalement discursive, mais elle suppose et développe en son amont (le débat parlementaire) et en son aval (le procès judiciaire) un déploiement narratif. Les normes compliquent désormais ce lien au discursif et au narratif : un algorithme est-il un discours ? Définir les mots que nous employons n’est-il pas une sortie du régime de la discursivité ? Le débat sur les normes et leur épreuve dans un espace comme celui du procès ne sont-ils pas ce dont manque actuellement ce champ normatif ?
Sur cette base, il me semble qu’on peut dessiner trois grandes conséquences qui radicalisent plus encore l’opposition que nous dessinons entre les nouvelles normativités et la normativité juridique.
  • Là où le registre juridique a développé des modalités précises pour questionner la légitimité de ses actes depuis ce qu’il établit ou institue comme étant leur moment « originaire » (la promulgation de la loi, avec la publicité qu’elle réclame, la recherche de ses sources, etc.), les nouvelles normativités brillent au contraire par leur absence de souci pour leur moment d’institution. Elles sont là indépendamment de toute origine ou de tout début. Notons immédiatement que le souci de l’origine qui définirait l’éthos juridique signifie avant tout une capacité à instituer voire à fictionner ses origines. Il ne s’agit pas du tout d’une obsession pour une origine pure et donnée : c’est à ce titre que la discursivité lui est d’ailleurs essentielle ; c’est parce que l’origine n’est pas simplement donnée ni disponible, qu’il faut se la donner, bref que le droit est un art, un art qui fabrique de la fiction !
  • Là où le registre juridique comprend la possibilité de la désobéissance au point de la prévoir et d’en cerner les conditions et sanctions au sein-même de la loi, les nouvelles normativités non seulement ne prévoient pas une telle possibilité, mais on peut même dire qu’elles rendent impossible la désobéissance : au sens strict, l’obéissance est elle aussi compromise. Au profit de quoi ? Quelque chose qui s’apparenterait au « suivre » – telle est en tous cas la question à laquelle il s’agirait de s’atteler pour déterminer les modalités d’une résistance adéquate.
  • Enfin et surtout, là où la norme juridique se pense dans sa visibilité – elle est publiée, elle est classée dans des codes, nul n’est censé l’ignorer, même sa désobéissance doit être sanctionnée publiquement, etc. – les nouvelles normativités sont fondamentalement discrètes, voire invisibles : une norme efficace est une norme qui n’apparaît même pas (et à ce titre échappe essentiellement au débat).
L’efficacité des nouvelles normativités s’accomplirait peut-être même dans leur invisibilisation, qui n’est que la combinaison des caractéristique que j’ai listées : immanence, continuité, non-discursivité, dilution de l’origine, absence de possibilité de désobéissance… C’est ce qui est exemplairement relayé par la littérature de la Commission européenne : « La plupart des biens et des services dont nous disposons aujourd’hui sont soumis à des normes, ce dont on ne se rend généralement pas compte. Telles des forces invisibles, les normes veillent au bon ordre des choses[9]  ». Surtout, c’est ce qui doit absolument être questionné à propos d’un des dispositifs contemporains les plus ambitieux et les plus centraux, à savoir le moteur de recherche.

8M. Goupy : Dans le cadre de la production du droit au niveau européen, à partir du cas des trilogues, est-ce qu’on peut parler d’une « nouvelle forme de secret » en politique, qui serait spécifiquement liée à des transformations historiques – institutionnelles, économiques, etc. ? Par exemple, vous notez dans votre texte que le « secret » qui accompagne le processus décisionnel des trilogues en amont du vote au Parlement, s’est glissé dans la pratique en traduisant à la fois un entre-soi des acteurs européens et une même façon de concevoir finalement l’efficacité politique. Alors est-ce que le secret, sous cette forme d’opacité technicienne grandit dans les institutions occidentales ? Ou ne s’agit-il pas finalement, comme vous semblez le sous-entendre ailleurs, d’une forme de « Raison d’État ordinaire » qui se glisse nécessairement dans la pratique du pouvoir et du droit, et qui s’étend à chaque fois qu’elle n’est pas arrêtée par une forme ou une autre de contre-pouvoir ?

9C. Girard : Je voudrais juste revenir, avant, sur cette délimitation que tu traces, Thomas, entre le champ de la transparence et celui de la publicité et qui coïnciderait avec la distinction entre les champs de la morale et du droit. Pour nous, en tant que juristes, la notion de transparence a acquis un statut juridique. Je suis donc un peu gênée par cette distinction. En revanche, on peut bien parler d’un brouillage des notions, qui permet peut-être de saisir une nouvelle forme de secret. Nous ne sommes pas historiennes, mais pour autant, il semble que l’on puisse dire qu’il y a toujours eu du secret dans la décision politique – le secret étant même l’un des grands critères de son efficacité. Le secret est en tous cas communément attaché à la sphère exécutive du pouvoir, y compris dans le maintien de l’ordre, dans la défense ou dans la gestion des cabinets ministériels par exemple, où l’on trouve à chaque fois mise en œuvre une machinerie traditionnellement secrète qui n’a jamais beaucoup été questionnée. À cette sphère, il semble que l’on peut opposer une sphère apparemment plus transparente : la sphère parlementaire, où tout doit être public. Or, ce distinguo n’est plus tellement d’actualité. Ce brouillage finit d’ailleurs par rejaillir sur l’idée même de Raison d’État. En effet, si la Raison d’État semble être l’apanage du seul pouvoir exécutif – un secret confiné dans les cénacles de la diplomatie ou de la police secrète –, on s’aperçoit que la Raison d’État habite également le pouvoir législatif, ses négociations internes et ses raisons profondes. Autrement dit, l’expression législative publique, parlementaire, de la décision n’est pas aussi visible et transparente qu’on le croit. La distinction apparemment acquise entre les habitudes secrètes de l’exécutif et la culture publique de la fonction parlementaire se brouille. On assiste à une extension de la Raison d’État ordinaire du côté de la fabrication de la norme, avec une indistinction des procédures qui relèvent du champ législatif et celles qui relèvent du champ exécutif. C’est au fond une extension de la sphère exécutive. On la repère clairement en droit constitutionnel, avec les procédures accélérées, les procédures de décret-loi ou d’ordonnance, chez nous en France, mais qui prennent des formes très comparables ailleurs. Partout, on passe par de la législation déléguée, où c’est le pouvoir exécutif qui commande la fabrication de la règle.

10M. Goupy : Vous êtes ainsi parties d’une description des mécanismes de production de la règle au niveau européen, mais ce que vous décrivez serait donc beaucoup plus général ?

11C. Girard : Beaucoup plus général, oui. Disons que la pratique des décrets-lois, par exemple, a toujours eu lieu ; elle est très présente dès la IIIe République, donc avant la construction européenne. Historiquement, ce sont toujours dans les mêmes circonstances que cette évolution a eu lieu : dans des circonstances d’état d’urgence, d’état d’exception pour parler de manière rapide. Mais aujourd’hui, on y a recours en principe, c’est un mode de gouvernement – une pratique très commode. On pourrait l’appeler peut-être « gouvernementalité » aussi.

12I. Boucobza : Finalement le mot qui pointe son nez, c’est celui d’administration ou d’« administrativisation » de ces processus, puisqu’on pourrait dire que, pour ce qui est de notre exemple qui concerne la loi européenne, cette « loi » est produite aux termes d’une négociation assez proche d’une négociation diplomatique. Au moment des débats sur le CETA, je me rappelle qu’un collègue internationaliste m’avait dit : « Mais qu’est-ce qu’ils ont tous à réclamer de la transparence, alors qu’un traité ça s’est toujours négocié en secret ! ça ne s’est jamais fait ! » C’est un peu l’idée de ce gouvernement par décret : on continue à parler de loi, mais toutes les procédures qui permettent de les produire sont des procédures administratives, sans délibération, et après, on leur confère la valeur de loi.

Charlotte Girard et Isabelle Boucobza : Secret de la délibération législative en toute transparence

Cette opacité entretenue ne vient pas entacher la qualité d’acte législatif conférée aux textes qui sont issus de cette procédure législative ordinaire adaptée aux exigences de l’efficacité du droit de l’Union européenne. Autrement dit, dans l’Union européenne, la procédure législative peut demeurer ordinaire, même si elle n’est pas le lieu d’une délibération publique. Les institutions européennes privilégient une forme de propagande de la transparence qui pourrait coexister avec le secret de la délibération législative.
Les trilogues s’officialisent tout en demeurant secrets, c’est-à-dire qu’ils ne comportent pas de compte-rendu des débats. Il existe certes des documents (4 colonnes) qui font état de la position des acteurs de la négociation, mais ils ne sont pas immédiatement accessibles (voir infra). Ainsi, d’un côté, les trilogues font l’objet de formes de codification (codes de bonne conduite, directives à usage interne et règlements intérieurs des institutions,…) où l’exigence de transparence est le mot d’ordre principal. De l’autre côté, leur déroulement demeure parfaitement opaque pour préserver les marges de négociations politiques et notamment pour que la diplomatie puisse s’exercer au Conseil. C’est particulièrement visible à partir de 2007 dans la déclaration commune déjà citée où les trilogues deviennent alors l’objet d’une propagande en faveur de la transparence.
Dans ce premier texte où sont évoqués littéralement les trilogues, la transparence y est énoncée comme l’un des principes directeurs du fonctionnement des institutions[10]. On retrouve cet engagement dans un nouvel accord interinstitutionnel « Mieux légiférer  » de 2016. Un point 32 sous le titre « Transparence et coordination du processus législatif  » y déclare que « les trois institutions reconnaissent que la procédure législative ordinaire s’est développée sur la base de contacts réguliers à tous les stades de la procédure. [Ces institutions] demeurent résolues à continuer d’améliorer le travail effectué dans le cadre de la procédure législative ordinaire conformément aux principes de coopération loyale, de transparence, de responsabilité et d’efficacité. »
Transparence et procédure législative sont constamment liées sans que l’opacité des trilogues ne paraisse les contredire. Pourtant, la bizarrerie qui consiste à confier à ces institutions qui cultivent l’opacité le soin de veiller à la transparence des procédures, saute aux yeux.
D’ailleurs, les critiques ne manquent pas. Le secret rendrait impossible l’exercice de certains droits des citoyens européens : il serait antidémocratique. Face à cette mise en cause, la légitimité démocratique des trilogues se construit dans le cadre d’une méthode communautaire bien rodée où la transparence et l’accès aux documents ont vocation à remplacer utilement la publicité des débats, toujours au nom de l’efficacité.
Le sacrifice des droits politiques des citoyens dans le cadre des trilogues fait écho à la critique classique du « déficit démocratique  » de l’Union. Les plaintes commencent avec certains parlementaires européens eux-mêmes qui expriment un sentiment de mise à l’écart, répétant en cela un scénario bien connu dans les institutions européennes : la mise à l’écart du Parlement en général et des parlementaires en particulier. Pour d’autres acteurs qui participent également à l’animation du débat législatif européen telles les ONG, les trilogues sont devenus une manière de « contourner les bonnes pratiques démocratiques et d’empêcher la participation du public [11]  ». Ces réunions secrètes renforceraient les inégalités d’accès aux informations : aux lobbys les plus puissants, des informations exclusives et aux autres, plus faibles, pas grand-chose.
La pratique des trilogues a également fait l’objet d’une enquête menée par la médiatrice européenne en 2015-2016. Dans son rapport, elle pointe elle aussi les risques que font courir les trilogues à la démocratie représentative européenne en privant les citoyens de la possibilité de tenir « leurs représentants responsables des choix politiques qu’ils font en leur nom [12]  ». Les trilogues seraient également, selon la Médiatrice, un obstacle à la démocratie participative que sont censés mettre en œuvre les traités actuels, en ne donnant pas aux citoyens les moyens de faire entendre leur opinion de manière directe ou indirecte au cours de la procédure décisionnelle.
Mais, c’est sur le terrain judiciaire, comme souvent dans l’histoire communautaire, que les réponses aux critiques donnent à voir la conception européenne de la démocratie et de la délibération législative. Une décision du Tribunal de première instance de l’Union européenne[13] rendue en 2018 confirme et prolonge la position de la médiatrice. Le juge européen annule la décision du Parlement qui a refusé à un justiciable la communication de documents issus des trilogues, notamment dans la partie qui révèle le compromis atteint par les institutions. Dorénavant, le Parlement européen doit en principe donner accès sur demande précise aux documents concernant les trilogues en cours[14]. Cette décision est très importante car elle qualifie les trilogues de phase décisive de la procédure législative en prenant acte du fait que l’accord qui y est obtenu sera presque à coup sûr le texte législatif final[15]. C’est la raison pour laquelle le juge donne raison au justiciable en soulignant que « l’exercice par les citoyens de leurs droits démocratiques présuppose la possibilité de suivre en détail le processus décisionnel […] [16]  ». Pour autant, ce droit « démocratique » d’accès des citoyens à l’information n’emporte pas l’obligation de rendre publiques les délibérations législatives : cette question n’est pas du tout évoquée. Le droit « démocratique  » dont le citoyen demande le respect devant le juge de l’Union est le droit d’accéder à des documents ; pas la publicité des débats. Si la Médiatrice ne recommande la mise à disposition du tableau des négociations des trilogues et notamment la 4e colonne contenant la position de compromis atteinte que « le plus tôt possible après que les négociations ont été conclues [17]  », le juge autorise cette communication à tout moment en cours de trilogue, mais seulement au cas par cas et non de manière générale. La transparence dont il est question ici s’analyserait donc en un droit aux documents. Un droit de rendre visible ce qui ne l’est pas, un droit dont le citoyen doit solliciter la jouissance auprès du juge et selon les circonstances. C’est la conclusion à laquelle on parvient. Car les réponses aux critiques formulées contre le secret des trilogues s’articulent à chaque fois dans les termes de la transparence et non dans ceux de la publicité. C’est à ce prix que l’on maintient le secret ; un secret au service de l’efficacité dans la fabrication de la loi européenne.

13M. Goupy : Thomas, tu décris l’émergence de nouvelles formes de normativité à côté des normes juridiques – celles qui régulent la gestion des marchandises, l’information numérique, ou encore la description des médicaments, etc. – ; et tu montres qu’il s’agit d’une forme de normativité parallèle et beaucoup plus discrète. Peux-tu d’abord expliquer ton idée centrale ici : à savoir que toutes ces normes traduisent bien une nouvelle forme de normativité ? Et quel est selon toi le rapport de cette nouvelle normativité avec cette transformation dans l’exercice du pouvoir, avec cette « gouvernementalisation » décrite par Charlotte et Isabelle ?

14T. Berns : Plutôt qu’une nouvelle forme de pouvoir, je dirais, sur les traces de Foucault, qu’il y a des nouvelles manières d’exercer le pouvoir. Je pars du constat que nos comportements en général sont toujours plus organisés par une série de dispositifs normatifs – qui peuvent relever de la statistique, de pratiques de reporting, etc. – qui prennent une place grandissante dans nos vie, et qui ne peuvent plus être considérés à l’aulne de la norme légale. Ces normativités dessinent un régime de rivalité par rapport à celle-ci. Cette pluralité normative a toujours existé bien évidemment : il y a toujours eu des dispositifs normatifs non légaux, comme celui qui s’organise autour du confessionnal, ou des pratiques disciplinaires, décrites par Foucault, et qui ont géré nos vies. Mais la norme juridique s’est imposée en s’extirpant de ce magma normatif, comme une sorte de régime d’exception, au sens où elle apparaissait comme la norme de référence, dont la légitimité pouvait être réfléchie, voire comme pouvant mettre de l’ordre dans ce magma normatif. C’est ce qui se perd avec ces nouvelles normativités, qui accroissent leur concurrence et induisent une perte de légitimité ou de valeur de référence de la norme juridique. Non seulement plus personne ne doute qu’un moteur de recherche gère une grande partie de notre visibilité sociale, mais je crois que personne ne doute qu’il la gère mieux qu’un instrument de nature juridique – ce qui ne veut évidemment pas dire que ça n’envahit pas nos vies. Or, dans cette situation, on a fini par perdre en compréhension de ce qui nous gouverne – et je dis ceci en sachant évidemment combien cela complique nos manière d’hériter de Foucault ! Ma stratégie est alors de tenter de réfléchir ces nouveaux dispositifs normatifs au travers de leur écart : c’est-à-dire d’éclairer ces dispositifs à l’aune d’une comparaison avec la norme juridique. Ce qui me permet d’éclairer en retour ce à quoi je tiens dans la normativité juridique. Ces nouvelles normativités se nourrissent en effet d’obscurité, et elles induisent, dans la situation de concurrence normative, de l’obscurité. A fortiori si nous sommes focalisés sur l’idée que la norme doit être cette chose publique et lumineuse qu’est la loi. Il y aurait donc d’une part des obscurités propres à ces nouveaux dispositifs normatifs ; il y aurait ensuite les effet de la contamination de cette obscurité dans une situation de pluralité normative ; et enfin, il y aurait un aveuglement produit par la loi au sens où Foucault a pu dire que l’on se trompait en pensant que le pouvoir avait quelque chose à voir avec le souverain : la loi cache le pouvoir plutôt qu’elle ne le dit. Je crois que se sont ces trois composantes-là qui permettraient de dire en quoi il y a de l’obscurité dans notre nouvelle situation normative, c’est-à-dire à la fois qu’on peine à l’éprouver et à la comprendre.

Thomas Berns : un marché de la norme est-il possible ?

Le panorama normatif que nous avons dessiné, avec, en son cœur, une tension entre une normativité qui trouve son modèle dans la loi (et se pense selon ce modèle, c’est-à-dire, plus profondément encore qu’elle est l’objet d’une pensée et d’une tradition !) et des nouvelles normativités qui s’émancipent de ce modèle et se légitiment par leur lien au réel, découle en fait de l’ultime avancée du marché : la production d’un marché de la norme, dans lequel tous seraient pris, décideur aussi bien qu’usager. Cette mise en concurrence des normes (parmi lesquelles la norme juridique, qui n’apparaîtrait plus que comme une option normative parmi d’autres), dans leur exercice et leur efficacité, est en tant que telle une atteinte à la norme juridique avec l’idée d’un monopole de l’espace normatif qu’elle brassait.
Si une telle hypothèse d’un nouveau marché de la norme est crédible, alors il faut évidemment analyser bien plus en avant la question de la discrétion qui protège les nouvelles normes : en effet, le marché qui se dessine est tout particulier, et on comprend que c’est précisément sa visibilité qui peine à apparaître. En quelque sorte, ce marché mettrait face à face d’une part une norme légale, visible, mais accompagnée de la conviction qu’il ne peut y avoir de marché. Et d’autre part, de nouvelles normes multiples, donc porteuses de la possibilité d’un marché, mais discrètes, c’est-à-dire ne cessant de cacher ce marché ! C’est donc un faux marché, un marché invisible, nié par les uns qui le refusent, et caché par les autres qui y participent. Ou alors, c’est précisément là le révélateur de l’asymétrie propre à tout marché : jamais de véritable face à face, mais plutôt une partie de poker menteur. D’où l’importance de la question du secret, qui rend tout cela visible.

15M. Goupy : Est-ce qu’on pourrait qualifier cette ou ces obscurités générées par les nouvelles normativités de nouvelle forme de secret aujourd’hui ?

16T. Berns : Partir de l’écart entre la normativité juridique et les nouvelles normativités nous conduit à constater des modalités de production de lumière ou de publicité, d’obscurité ou de clair-obscur qui sont de nature différente. Au minimum, ce qui me semble incontestable, c’est l’idée que la norme juridique est portée par un principe de publicité. Face à cela, les nouvelles normativités sont nimbées de discrétion. Ceci ne signifie pas que les lois sont effectivement publiques, connues de toutes et de tous, voire démocratiques, et que les nouvelles normativités sont anti-démocratiques et cachées par des secrets commerciaux par exemple. Cela signifie plutôt qu’à partir de cet écart, on peut se demander de quoi ces deux représentations de la norme, ces deux formes de normativité, sont porteuses. Quels processus de subjectivation elles soutiennent ? Est-ce qu’on parvient à devenir des sujets de nos moteurs de recherche ? La norme juridique brasse des possibilités de subjectivation bien spécifiques, liées à la publicité de la loi et aux narrativités que permet cette publicité. Je pense aux débats parlementaires, aux différents relais de ceux-ci, mais aussi à l’espace judiciaire. Il y a aussi la question de la stabilité de la loi. Quelque chose qui est stable peut être connu. Au contraire, par leur caractère intrinsèquement évolutif, leur projet tendanciel, les nouvelles normativités ne sont pas forcément secrètes, mais elles sont inévitablement plus obscures. De la même manière, la loi a cette particularité qu’elle rend possible sa désobéissance, elle la prévoit, elle comprend dans sa structure même la désobéissance. Tout ça me permet de dessiner un vis-à-vis, une opposition, pour faire apparaître la discrétion de ces nouvelles normativités. Et là, le moteur de recherche est un exemple merveilleux, même si sans doute encore trop paradigmatique. Les suites d’algorithmes qui font fonctionner nos moteurs de recherche sont en constante évolution et, à ce titre, ils sont inconnaissables. Ils sont aussi protégés juridiquement par le secret commercial ou industriel. Ce qui ne signifie pas seulement que c’est une bonne manière d’en tirer profit. Je ne dis pas que c’est faux, mais ce n’est pas encore très intéressant. Ce qui est plus intéressant, c’est que cette obscurité du moteur de recherche est constitutive de son fonctionnement : c’est parce qu’il est secret que le moteur de recherche permet d’organiser efficacement la visibilité, en partant du principe que les pourvoyeurs d’information sur internet restent dans des comportements qui ne sont pas (trop) stratégiques puisqu’il ne savent pas ce qui les ordonne, ce qui les classe. Il y a donc bien un secret constitutif dans le fonctionnement du moteur de recherche, qui est tout à fait merveilleux. Toutes les pratiques d’évaluation que nous subissons dans nos universités sont certes moins nobles, et tout aussi envahissantes ; mais force est de constater que là encore, les dispositifs normatifs qui les dictent agissent sur le mode de la non connaissance de ce qui est à leur initiative. On ne sait jamais d’où ça vient ! Le contre-point par rapport à l’objet juridique est ici. Non que l’on sache toujours d’où vient la loi, qui est bien sûr portée par des intérêts, des lobbies, etc., mais le propre de la loi apparaît alors comme étant de faire de la question de son origine un enjeu primordial. Là, je ne suis pas en train de dire que la loi est la norme primordiale, mais plutôt à l’inverse : la loi est ou a été une norme tout à fait particulière, parce qu’elle est cette norme dont on cherche à dire d’où elle vient. Évidemment, tout ça est fictionnel : les sources auxquelles ne cessent de se référer les juristes ne sont pas les origines réelles d’une loi ou d’une décision judiciaire : elles ne cessent de devoir être établies par l’exercice même du droit. Mais il y a ainsi ce rapport intime, aussi fictionné soit-il, à la question de l’origine qui a partie liée avec cet enjeu de la publicité. Au contraire, les nouvelles normativités sont portées par une obscurité qui les rend peut-être beaucoup plus normales ; elles correspondent en cela à la vie. Et c’est peut-être pour ça que la loi est un miracle, parce qu’elle se préoccupe de ses origines, de manière fictionnelle, je le répète. C’est peut-être ce qu’on se met tout doucement à regretter.

17M. Goupy : Isabelle et Charlotte décrivent une transformation du secret à l’intérieur de pratiques juridiques de production normative, qui seraient liées à un mouvement d’expansion de l’exécutif. Et on pourrait faire référence ici à Léon Duguit, qui défendait dans la première moitié du XXe siècle déjà la nécessité d’un transfert de toute une activité législative vers l’exécutif pour des raison d’efficacité, mais aussi de complexification et de technicisation des questions politiques, qui échappent de ce fait même aux parlementaires, lesquels demeurent des « généralistes ». De son côté, Thomas invite à penser l’essor de nouvelles normativités qui épousent le réel – et ici, on pourrait d’abord se demander si ces normativités sont en quelque sorte « naturelles », comme tu sembles le dire parfois, au sens où ce serait d’une certaine façon le propre de la vie de générer de la norme (une réflexion un peu bachelardienne peut-être), ou si ces normativités sont un produit historique bien spécifique, celui des sociétés capitalistes, où le moteur de ces normativités discrètes serait, en dernière instance, économique. Quoiqu’il en soit de cette question, il serait évidemment intéressant de penser l’articulation de vos deux analyses, entre lesquelles il n’y a pas forcément opposition : on peut penser notamment que la technicisation qui accompagne et justifie cette extension de l’exécutif pourrait être décrite (ou se légitimer ?) comme un effort visant à « épouser le réel économique », la réalité des rapports de forces économiques. Dans ce cas, doit-on encore parler de compétition normative, entre la normativité juridique et les nouvelles normativités, ou ne faudrait-il pas parler plutôt d’une sorte de « complicité normative », qui se dévoilerait précisément dans les mécanismes de gestion du secret que ces normativités produisent ? Est-ce qu’on ne pourrait pas dire, par exemple, que dans les deux cas les formes de normativité dominantes aujourd’hui « épousent » toujours plus le réel ?

18C. Girard : Il y a probablement plus un lien de complémentarité que de compétition entre la normativité juridique et les autres formes de normativité. Le discours de la technicité est souvent employé pour mettre de côté ou renoncer à des formes de normativité juridique plus traditionnelles, où la publicité est de mise. L’argument de la technique permet de dissimuler la dimension politique des décisions qui sont à l’origine des normes. Il y a donc un intérêt bien compris entre la normativité juridique classique et la normativité technique, qui permet de se passer d’un certain nombre d’étapes, de procédures imposées par la publicité. Sous couvert de technicité, on « épargne » le public du débat. Et le discours de la technique permet d’éviter qu’un public ne se sente concerné par les normes, non seulement en tant que destinataire, mais aussi en tant qu’auteur, en tant qu’auteur souverain. Finalement, toute cette question de la normativité revient à la question suivante : « Qui est l’auteur de ces normes ? » C’est aussi celle que suggère l’opacité des Trilogues, par exemple : « Qui sont les auteurs des lois en Europe ? » Est-ce que ce n’est pas cette question qu’il faut systématiquement reposer pour essayer de comprendre comment ça se passe et par où ça passe ? C’est bien la question de l’origine dont tu parlais, Thomas. Or, on s’aperçoit qu’il y a des dispositifs de dissimulation discursifs ou même procéduraux : on a vu se multiplier par exemple ces « corps intermédiaires », les algorithmes ou les puissance économiques mais aussi les agences (agency en anglais), qui participent de techniques de productions normatives qui produisent une sorte de voile dissimulant l’origine des normes.

19I. Boucobza : Dès que se profile l’argument de la technicité, on devrait se poser la question : qui décide de ce qui est « technique » ? Par exemple dans le champ européen, il y a de nombreuses discussions pour savoir si la politique monétaire est une question technique. S’il ne s’agit bien que de technique ou bien plutôt de décision politique. Et surtout : qui décide des frontières entre technique et politique ? Cela rejoint la question plus générale de savoir qui gouverne ? Est-ce le gouvernement ou les cabinets à l’Élysée, par exemple ? Tout ça repose la question de la responsabilité politique ainsi que de la légitimité, que l’on a toujours associée à la loi. Si la loi est le produit d’un processus plutôt administratif, si elle se fait dans le secret des cabinets des collaborateurs du Président de la République, la légitimité de la loi ne dérive plus de la procédure qui permet son adoption : le vote en séance publique par les représentants de la Nation d’un texte proposé par le gouvernement qui est politiquement responsable devant eux. Alors la légitimité se réinvente : elle se présente dans les habits de la compétence, de l’expertise technique, bref d’un savoir scientifique hautement spécialisé.

20C. Girard : Savoir qui gouverne rejoint le trouble généré par l’évolution des procédures de production normative et par les nouvelles normativités : est-ce que toutes ces normes sont vraiment obligatoires ? Quelle est l’efficacité de ces normes, pour le dire en termes kelséniens ? En tous cas, il y a un problème pour penser la notion même de norme : car on ne distingue plus bien ni l’auteur, ni l’effet de la norme, ni son caractère obligatoire. Mais est-ce qu’on a encore affaire à des « normes » ou est-ce qu’on a muté ? C’est le cas des règles qui relèvent de la compliance par exemple, toutes ces normes qui ne disent pas qu’elles sont des normes mais qui sont des règles de bonne de conduite, des chartes, des guidelines, etc. : est-ce que ce sont des normes ? Parce qu’on ne sait plus ni qui les produit, ni quel est leur caractère obligatoire. On parle de cette indétermination là, lorsqu’on se pose la question de savoir s’il existe une autre normativité.

21T. Berns : Je suis avant tout d’accord pour dire que l’écart dont j’ai parlé entre normativité juridique et nouvelles normativités s’accorde parfaitement avec une sorte de complémentarité à caractère profondément stratégique. Quant à l’inanité de la question « qui gouverne ? », à laquelle on est arrivé, je n’entends pas défendre l’État de droit en affirmant qu’il nous proposerait un « qui » bien réel. Ce « qui » est fictionnel, mais j’y suis attaché. De la même manière, je ne veux pas apparaître comme un obsédé de la contrainte, mais ces questions auxquelles nous ont habitué les juristes – « Quelle est l’origine de la loi ? », « S’agit-il d’une obligation ? », « Quelle sanction assure son effectivité ? », etc. – nous permettent de mesurer le pouvoir, de connaître l’exercice du pouvoir. Alors, oui, si l’on n’est plus dans un régime d’obéissance, dans quel régime est-on ? On est dans un régime où « les choses se suivent ». Et peut-être que l’on devrait regretter non la contrainte, mais le fait de pouvoir mesurer ce « suivi » par lequel s’exerce le pouvoir à l’aulne de ce qu’offrait la contrainte – car c’est ce qui permet de subjectiver et de nourrir des résistances politiques. Donc, pour ne pas paraître regretter la contrainte, il faudrait inventer des formes nouvelles d’évaluation aussi performantes que l’était la contrainte, pour se frotter à l’exercice contemporain d’un pouvoir dont la force est d’avoir dépassé la contrainte !

22J’ai dit que la loi était une anomalie dans l’histoire normative. Est-ce que ça veut dire que la réalité est du côté de l’économique ou du technique, là je ne veux pas me positionner. Ce que je veux dire en revanche, c’est qu’il y a une avancée ultime de la concurrence ou du marché qui se dessine au travers de la production d’un marché de la norme. Ou une intensification de cette situation de concurrence normative, bien au-delà de ce que l’on a déjà connu à d’autres époques (la période médiévale est caractérisée par certains au travers d’une compétition normative, et de nouveau, Foucault a bel et bien montré le jeu de cache-cache tout au long de l’époque moderne entre les disciplines, le contrôle, etc.) Je ne suis pas inquiet d’une telle situation de pluralisme normatif. Mais l’intensification de cette compétition, et c’est mon principal souci, donne tout simplement lieu à une frénésie normative. Et là, j’ai envie de mettre ma fatigue sur la table et d’en appeler à une certaine sobriété normative, que la norme juridique a pu peut-être permettre. Ce marché de la norme est quelque chose qui nous épuise au sens strict et nous laisse à ce stade sans prise aucune pour y résister. Penser depuis l’écart entre la normativité juridique et la démultiplication des possibilités normatives contemporaines, c’est aussi vouloir s’inspirer des freins élaborés face à la première pour les développer dans ce nouveau cadre normatif.

23M. Goupy : Ne pourrait-on pas, sous certaines conditions à examiner, se réjouir de l’apparition de ces formes de normativité techniques, qui pourraient aussi amener à voir émerger de nouvelles formes de contrôles sur les normes des conduites sociales de la part de scientifiques ou d’experts – le rôle joué par le Comité scientifique dans la gestion de la crise du Covid étant de ce point de vue peut-être intéressant ? Ou, à l’inverse, et pour revenir sur la question de la responsabilité, n’a-t-on pas assisté plutôt à l’expression d’une croyance en une forme de « légalité naturelle » ou « mécaniste », une légalité épousant donc parfaitement le réel, et dont le format serait analogique et circulerait désormais partout, de la norme juridique à la normes technique, du champ économique à celui du marché ? Ce qui ne signifie pas évidemment qu’il ne soit pas aussi question d’intérêts politiques et économiques tout à fait évidents aujourd’hui, mais plutôt qu’il y aurait une pensée implicite de la normativité qui circule ?

24T. Berns : Que les normes techniques apparaissent comme des effets du réel, est peut-être le point crucial. Ceci veut dire que prétendre gouverner à partir du réel offre des possibilités de gouvernement plus invasives que de prétendre gouverner le réel. Mais si nous nous basons sur la situation que nous venons de vivre, alors j’ai plutôt été frappé par la faiblesse de cet appui sur le réel, quant à sa prétention à vouloir simplement exprimer celui-ci : le réel apparaissait en effet comme toujours pris dans des effets de gouvernement. Compter la réalité la plus crue, la plus simplement dichotomique, être vivant ou être mort, même cela était l’objet de débats ! On peut recourir au beau mot d’Alain Desrosière, « les données ne sont pas données », eh bien, même pour ça, « être vivant ou mort », les données ne sont pas données. Nous avons passé notre temps à produire des statistiques qui disaient des choses différentes. Tout cela nous a montré combien le réel est politique. On voulait du réel, tant nos politiques étaient perdus, et ce qui nous est revenu c’est un réel, même le plus sommaire, toujours déjà intrinsèquement politique. Ça n’a pas freiné la machine à gouverner, qui n’a fait que s’emballer, mais on peut espérer au minimum que cela éclaire le fait que gouverner à partir du réel n’est qu’une modalité parmi d’autre du pouvoir, mais des plus performantes.

25C. Girard : Oui bien sûr, le réel est politique, mais moi ce qui m’a intéressée c’est la manière dont, immédiatement, le politique a cherché à asseoir sa décision sur un dispositif qui consistait à faire parler un comité scientifique pour pouvoir légitimer sa propre décision. Comme si sa propre décision ne suffisait pas, comme si elle manquait d’emblée de légitimité et qu’il y avait donc besoin de ce discours de la « vérité », si ce n’est de la « nature ». Le politique a en réalité instrumentalisé la parole des scientifiques pour donner à sa propre décision du crédit. Donc je suis moins sensible à l’idée de légalité naturelle, mais plutôt à ce jeu de rôles qui a permis aux politiques de produire une décision dont ils pouvaient ne pas être tenus responsables, une décision endossée par les scientifiques. Or, ce qu’on a découvert, ô surprise, c’est que même le discours scientifique était sujet à discussions. Et là, le politique s’est retrouvé face à lui-même. Il a d’ailleurs relativisé très rapidement l’avis scientifique, en le considérant comme consultatif, comme ce qu’il doit être. Plutôt que d’une légalité naturelle, il faut donc parler plutôt de l’instrumentalisation d’une pré-décision, et en ce sens, il y a peut-être une naturalisation de la décision politique. Mais au bout du compte, les masques sont tombés : les politiques prennent des décisions qu’ils cherchent à enrober d’une certaine aura.

26I. Boucobza : L’épisode de la gestion de la crise illustre les limites de ce mode de gouvernement estampillé de savoir, de compétence, de technicité, dont on nous abreuve dans le champ économique. C’est une idéologie : celle de l’ordo-libéralisme, dont on a vu les limites, appliquées au champ de la santé. Mais face à l’incertitude, face à l’absence de vérité scientifique ou à la fragilité du discours scientifique dans ce cas, le politique s’est retrouvé nu. Il a été contraint de laisser apparaître ses préférences. Et c’est ça la politique finalement : quelles sont les valeurs que je décide aujourd’hui de défendre avec les éléments dont je dispose et leurs limites ? Le politique est réapparu dans tout son pouvoir. Et ce pouvoir a bien été obligé de s’exercer, en dépit de tous ces artifices, de manière assez visible.

27C. Girard : … transparente.

28I. Boucobza : Presque transparente.

Notes

  • [1]
    Sur ce point, nous renvoyons à la Préface de ce numéro.
  • [2]
    Rapport d’activité, Évolution et tendances de la procédure législative ordinaire 2014-2019, Période du 1er juillet 2014 au 1er juillet 2019 (Huitième législature), PE 639.611, p. 3)
  • [3]
    Voici ce que le Guide de la procédure législative ordinaire, Parlement Européen, novembre 2017, précisait au sujet des trilogues : « Pour qu’un acte soit adopté selon la procédure législative ordinaire, les colégislateurs doivent, à un moment donné au cours de la procédure, s’accorder sur un texte commun qui soit acceptable à la fois pour le Parlement et le Conseil. Pour cela, les institutions doivent débattre de leurs positions dans le cadre de trilogues, c’est-à-dire de réunions tripartites informelles sur des propositions législatives entre des représentants du Parlement, du Conseil et de la Commission.[…] Les trilogues sont des négociations politiques, bien qu’ils puissent être précédés par des réunions techniques préparatoires […]. »
  • [4]
    La déclaration commune du 30 juin 2007 (207/C145/02) s’inscrit dans la ligne de celle de 1999. Sa particularité est de nommer pour la première fois les « trilogues » : « Les institutions coopèrent loyalement tout au long de la procédure afin de rapprocher leurs positions dans la mesure du possible et, ce faisant, de préparer le terrain, le cas échéant, en vue de l’adoption de l’acte concerné à un stade précoce de la procédure. […]La coopération entre les institutions dans le cadre de la codécision prend souvent la forme de réunions tripartites [« trilogues »]. Ce système de trilogues a fait la preuve de sa vigueur et de sa souplesse […] », points 7, 8, 14 et 23.
  • [5]
    Déclaration commune du Parlement européen, du Conseil et de la Commission, du 4 mai 1999, sur les modalités pratiques de la nouvelle procédure de codécision (article 251 du Traité instituant la Communauté européenne), (JOCE). 28.05.1999, n° C 148.
  • [6]
    Accord interinstitutionnel « Mieux légiférer » du 31 décembre 2003, 2003/C 321/01.
  • [7]
    Déclaration commune sur les modalités pratiques de la procédure de codécision du 30 juin 2007, 2007/C 145/02.
  • [8]
    Proposition de résolution du Parlement européen sur l’interprétation et la mise en œuvre de l’accord interinstitutionnel « Mieux légiférer », 2016/2018(INI) : 63. souligne laccès asymétrique à linformation entre les colégislateurs étant donné que le Conseil peut participer aux réunions des commissions parlementaires, mais que les représentants du Parlement ne sont pas invités à participer aux réunions des groupes de travail du Conseil ; considère dès lors qu’une stratégie transparente et cohérente est souhaitable ; propose que le Conseil tienne en règle générale toutes ses réunions en public, comme le fait le Parlement européen.
  • [9]
    Communication de la Commission au Conseil européen, « Intégration des aspects environnementaux dans la normalisation européenne ».
  • [10]
    Déclaration commune sur les modalités pratiques de la procédure de codécision du 30 juin 2007, préc., point 3. « Dans l’exercice des pouvoirs et le respect des procédures prévus par les traités, et en rappelant l’importance qu’elles attachent à la méthode communautaire, les trois institutions conviennent de respecter des principes généraux, tels que la légitimité démocratique, la subsidiarité et la proportionnalité ainsi que la sécurité juridique. Elles conviennent également de promouvoir la simplicité, la clarté et la cohérence dans la rédaction des textes législatifs, ainsi que la plus grande transparence du processus législatif » (nous soulignons), Accord interinstitutionnel « Mieux légiférer », préc., point 2.
  • [11]
    Voir une lettre publiée fin 2015 par de nombreuses associations, dont La Quadrature du Net en France, l’espagnole Xnet ou encore la plateforme bruxelloise Corporate Europe Observatory (CEO). Pour un eurodéputé, « On est dans un régime bâtard entre la démocratie et la négociation commerciale ».
  • [12]
    V. Propositions formulées par la Médiatrice européenne à l’issue de son enquête stratégique OI/8/2015/JAS sur la transparence des trilogues ayant donné lieu à la décision du 12 juillet 2016.
  • [13]
    Arrêt du Tribunal (septième chambre élargie) du 22 mars 2018, Emilio De Capitani contre Parlement européen, Affaire T-540/15.
  • [14]
    Habituellement, les demandes faites au juge européen d’accéder aux documents concernent davantage des procédures administratives ou juridictionnelles. Cette fois-ci le Parlement et ses colégislateurs sont directement visés sur la base d’un règlement imposant l’accès aux documents de l’Union lui-même pris en application de l’article 15 TFUE par lequel tout citoyen a un droit d’accès aux documents des institutions de l’Union et chaque institution a l’obligation d’assurer la transparence de ses travaux.
  • [15]
    Affaire T-540/15 préc. § 109 : « les travaux des trilogues constituent une phase décisive de la procédure législative, dans la mesure où l’accord convenu à leur issue a vocation à être adopté le plus souvent sans modification substantielle, par les colégislateurs. »
  • [16]
    Affaire T-540/15 préc. § 98.
  • [17]
    Decision of the European Ombudsman setting out proposals following her strategic inquiry OI/8/2015/JAS concerning the transparency of Trilogues, p. 14-15.