L’interculturalité comme contre-poétique chez Édouard Glissant

1 Plutôt que de nous engager dans une interprétation savante de la pensée et de la théorie poétique d’Édouard Glissant, nous allons limiter cette contribution à marquer un territoire méthodologique en posant quatre concepts qui nous semblent essentiels pour une philosophie de l’interculturalité aujourd’hui. Il s’agit des concepts de « poétique », d’« optionalité », d’ « extériorité » et de « désapprentissage ».

2 Ces quatre concepts jouent, comme nous le rappellerons, un rôle fondamental chez différents auteurs décoloniaux comme Walter Mignolo et Nelson Maldonado Torres, mais aussi, avant eux, chez Enrique Dussel et Franz Fanon.

3 Cette manière de procéder nous paraît capitale aussi, à titre de préliminaire, pour démarquer d’emblée un dialogue philosophique avec Glissant des routines de notre rationalité critique ou postcritique, moderne ou spätmodern … Entrer dans l’horizon d’une création poétique c’est, d’abord, pour une réflexion critique, une manière d’interrompre cette routine qui finit par la conduire à des élaborations métanormatives toujours plus sophistiquées pour justifier l’auto-conscience de ses manques et la prétention de pouvoir traverser ses fantasmes.

1. Des limites du formalisme de l’hypercriticisme contemporain

4 De fait, le geste qui prévaut dans ce genre de processus sophistiqué et qui voudrait apparaître comme une sorte d’apprentissage continu, et donc comme une pragmatique de l’auto-correction (essai-erreur-élimination), n’est en réalité qu’un geste « récursif » de méta-stabilisation (ce qui signifie utiliser le résultat d’un ensemble d’opérations comme base d’un nouveau calcul : (n ! = n. (n-1) !, comme dans la fonction factorielle [1]). En créant un régime de comportement correspondant à un certain niveau d’action, comme des types de rationalité chez Appel [2] ou comme le partage de la raison instrumentale et de la raison communicationnelle chez Habermas [3], on peut envisager un nouveau point de vue qui se soustrait à leur compétition pour les interroger comme des formes équivalentes ou symétriques, comme des options, dotées chacune de leur style ou de leur forme de poétique [4]. En posant ce point de vue extérieur qui soumet les compétiteurs à de nouvelles opérations de justifications, relevant d’un ordre supérieur, un nouvel arbitrage devient possible. Cet arbitrage va vérifier, par exemple, les conséquences de telles ou telles options discursives sur la fondation consensuelle d’un monde commun [5]. Grâce à ce mécanisme rationnel de métastabilisation, des critères communs ou transversaux pourraient être partagés et gérés par des rationalités opposées et créer un rapport mutuel à la limite, de telle sorte par exemple qu’une politique de santé puisse se gouverner à la fois en fonction de contraintes de rentabilité et de contraintes d’intérêt public.

5 Nous n’avons cessé de réélaborer un tel polythéisme des valeurs pour établir un point de vue souverain capable de produire un arbitrage acceptable, adapté au pluralisme des visions possibles de l’optimalité sociale. Dans cette logique « récursive », il est toujours de nouveau possible d’établir un champ « métanormatif » quand des fonctions nouvelles se sont stabilisées et ont fini par oblitérer les limites de leur propre point de vue. Ainsi, même si la procéduralisation des normes en droit est devenue une évidence sur le plan des options sociales, même si l’expérimentalisme démocratique s’est imposé comme une nécessité face à l’incertitude, même si la théorie des contrats incomplets a remplacé la théorie standard classique des contrats et modifié le rapport des parties avec la temporalité de leurs engagements, même si l’autorité sur le bien commun est devenue un partenariat entre les intérêts privés et un État-régulateur des modes d’auto-contrôle de ces acteurs privés, etc. qu’importe !, la théorie critique s’ajuste et elle déplace le curseur de la récursivité vers un nouveau méta-cadre. Il peut s’agir, par exemple, en dialogue avec les critiques décoloniales [6], de prendre distance « humblement » avec des modèles qui ont ancré les représentations culturelles et les formations subjectives dans des jugements normatifs sur les institutions libérales occidentales et les modes de vie consuméristes, comme autant de sommets de la rationalisation sociale. Mais il peut s’agir aussi, en dialogue avec la critique écologique, de poser des critères extérieurs renvoyant aux exigences d’un nouvel ordre éco-social capable de décroissance, en mettant en évidence notamment le rapport à la vie des générations futures, la survie des espèces dans leur diversité, voire plus radicalement la nécessité de prendre en compte l’indisponibilité d’un monde [7], toujours supposé donné dans ses potentialités et ses ressources, là même où le fait de l’épuisement de ce monde devrait s’imposer à la manière d’une nouvelle « méta-norme », traversant tous les ordres actuels, et pas simplement apparaître comme une norme en compétition avec d’autres…

6 Suivant ce processus récursif [8] qui caractérise, depuis le tournant des rationalités limitées, l’École de Carnegie, les thèses de Herbert Simon [9], les théories de Tverski et Kahnmeman [10], ou celles de North [11] et Willamson [12] en économie, voire celles d’Ostrom et bien d’autres encore en sciences politiques comme Scharpf [13] et Maintz, on ne cesse d’apprendre en s’efforçant de contrôler ce qui nous arrive (pour paraphraser un titre de Sabel : Learning by monitoring[14]) et de tirer parti de la déstabilisation de nos ordres normatifs pour poser des boucles réflexives (comme le praticien réflexif de Schön [15]) et, de cette manière « monter en généralité » (comme l’a très bien compris l’école française des conventions des Salais et Orléan [16], ainsi que des Thévenot [17], Boltanski [18] et Favereau [19]).

7 Dans cette perspective, les concepts d’une optionalité inhérente aux types de rationalité, de mêmes que les régimes de poétique (éthique discursive, communicationnelle, réflexive, reconstructive, etc.) caractérisant ces options et, enfin, l’extériorité prônée par le geste récursif de métastabilisation sont soumis à la fonction générique de l’apprentissage. Des bifurcations sont possibles en fonction de réarrangements réflexifs (si on reste dans un modèle développemental de type piagétien ou vygotskien) ou de manière diffusive, par anticipation rétrospective (backward looking) ou par des stratégies dites de « coordination ouverte » où interviennent des effets de « déroutinisation » grâce au benchmarking, au co-design et à l’auto-correction [20].

8 Dans un tel cadre d’apprentissage, d’autres éléments « méta » peuvent garantir les effets de récursivité : il peut s’agir des limites internes d’un modèle épistémique produit par la culture scientiste dominante incapable de dialoguer avec d’autres visions de la médecine ou de l’éco-système (natural konwledge) ; il peut s’agir aussi des effets hégémoniques induits par le centralisme politico-économique de la globalisation et son présentisme, voire des biais produits par l’autorité genrée, le patriarcat, le suprématisme, le racisme systémique, etc. Ces éléments multiples peuvent être perçus comme ouvrant des territoires toujours plus vastes pour des entreprises « méta [21]», renforçant les exigences d’apprentissage en relançant récursivement vers les régimes dominant de rationalité, des questions d’occidentalo-centrisme, de décolonialité, d’interculturalité, de sociologie de l’absence, de machisme, etc.

9 Soit on poursuit de la sorte le geste récursif d’une théorie critique apprenant continuellement de ses déstabilisations et de ses méta-stabilisations [22], soit on donne une autre portée aux concepts fondamentaux qui nous relient à ces terrains existentiels où la pensée met en jeu son utilité sociale : l’optionalité supposée des régimes de rationalité, l’extériorité gagnée par la récursivité et l’apport de poétiques dissidentes pour déjouer les biais d’apprentissage. C’est cette culture postmoderne de la raison critique qu’un auteur comme Glissant nous semble inviter à remettre en question et peut-être à dépasser. De fait, notre hypothèse est que chez lui les notions de poétiques poétique, d’optionalité et d’extériorité, toutes fondamentales aussi dans la pensée décoloniale, concourent vers une culture de la pensée très différente de l’hyper-criticisme : l’enjeu premier n’est pas d’apprendre, mais en réalité de désapprendre et donc de chercher un autre passage, hors cadre de ce volontarisme cognitif qui poursuit notre besoin de contrôle de la modernité faillie. Ne serions-nous aux prises, depuis Giddens, avec l’ultime illusion d’une modernité réfléchie, tempérée, assagie par son apocalypse !

2. Poétique

10 Commençons par le concept central de Glissant qui organise ses principales œuvres, celui de poétique. Glissant impose, d’une certaine façon, l’attention au concept de poétique [23]. D’une part, parce que son œuvre relève essentiellement d’un travail sur le langage qui se soustrait aux analyses seulement conceptuelles [24] et, d’autre part, parce que dans son itinéraire la poétique c’est aussi six volumes de réflexions multiples dénommées Poétique[25], construisant une sorte de métadiscours qui s’entrelace avec la production littéraire et la théorie de la culture contemporaine. L’enjeu n’est pas tant que, chez Glissant, dans son registre littéraire, la forme participerait du contenu et lui confèrerait une vérité spécifique jusqu’aux excès d’une parole compulsive et obsessionnelle [26]. Les années 1950 cinquante se sont complues complu, chez certains progressistes, dans la valorisation des « Orphées noirs [27] », dans la reconnaissance de la poésie nègre, poésie négrière en quelque sorte donnant voix aux damnés et retournant vers les bourreaux la violence tue par l’histoire [28]. Ce qui intéresse Glissant dans la création d’une poétique inédite imposée à une langue hégémonique – dans ce cas le français –, ce n’est pas l’effet esthétique qu’elle institue dans l’imaginaire collectif, comme pour interpeller sa mauvaise conscience et mettre en œuvre les effets dialectiques de la conscience malheureuse de l’esclavage. Glissant s’intéresse à la création langagière elle-même, à la ruse des peuples qui ont investi et déformé les langues hégémoniques au point de les subvertir en les créolisant. Ce processus poétique aboutit à un double effet. Le premier est d’ordre symptomatologique : la création poétique modifie la langue et y creuse un milieu pour la transe. Des paroles étrangères y pénètrent et y disent un monde secret, qui la renvoie au-delà d’elle-même vers des langues perdues, mystiques ou codées, par lesquelles la magie du monde réinvestit de ses âmes l’ordre préétabli de la langue hégémonique. Ça parle en quelque sorte, le moi est détrôné, ça parle à travers lui et le créole haïtien, notamment, dit même ça « déparle »… Le deuxième effet dépasse ce processus poétique de forçage et de désublimation de l’ordre établi pour offrir une forme alternative, une langue matricielle qui contient des émotions propres, qui offre un refuge, qui garantit un pouvoir de se défiler des codes conventionnels et de leur emprise [29]. Glissant parle, dans ce cas, de contre-poétique [30]. C’est le cri issu du chaos de l’existence refoulée, « le cri du nègre esclave », qui prend chair du « cri du monde », s’entrelace avec lui et, du coup, le rend problématique [31]. Ce cri est une négation de l’Un dans le champ du Divers, « un pan du Tout qui dévale » et « se nie là où il prétendait s’affirmer [32] »…

11 Comme l’usage du créole est rare dans la langue ciselée et contrôlée de Fanon, les moments d’écart sont d’autant plus significatifs. C’est ainsi que, rapportant l’histoire d’une jeune fille qui entre en transe alors qu’elle écoute un discours de Césaire, Fanon reprend ses mots en créole dans Peau noire, masques blancs[33]. Et justement, ces mots importés dans la texture poétique du français de l’ouvrage, concernent le français de Césaire : son français est trop fort, il est tellement excessif dans sa tournure que son antillanité transit la jeune fille et lui dit secrètement, intérieurement, émotionnellement, bien plus que les assertions logiques et syntaxiquement parfaites qu’il égrène. Cette « langue anormale » ouvre l’espace d’une contre-poétique [34], sorte de parole « dépropriée [35]» qui se détache de son régime de vérité et de pouvoir prédonné pour ouvrir un passage vers des formules capables d’apaiser, de guérir… On passe ainsi, dans la parole contre-poétique, d’une dimension symptomatologique à une dimension thérapeutique par le seul effet de la créolisation et de la création poétique qui la dirige.

3. Optionalité

12 S’agit-il alors simplement d’une « option » entre deux formes de poétique [36] : l’une naturelle caractérisant l’évidence d’une collectivité dont l’expression peut jaillir spontanément pour s’affirmer, même dans la contestation la plus violente ; l’autre forcée, d’emblée dépendante de l’impossible rencontre entre la mise en tension et l’expression légitime de celle-ci ? L’optionalité des poétiques serait-elle la clé du « monolinguisme de l’autre » ?

13 Le concept d’optionalité est fondamental dans les théories décoloniales de Mignolo [37] et de Maldonado Torres [38]. Il permet de rapporter l’option décoloniale à une dimension première et généralement occultée de la rationalité : toute rationalité adhère fondamentalement à un idéal de soi qui la dirige et qu’elle tente de reproduire ou de réaliser. Cette visée de rationalité (dans ce cas parfaite ou imparfaite, peu importe), qui peut aussi se traduire par un primat du raisonnable sur le rationnel, de l’idéalisation d’une balance bénéfice/risque contre les suggestions anxiogènes de la conscience individuelle, de la survalorisation de la science calculatrice sur les réflexions incertaines inspirées par les sentiments holistiques, une telle visée d’un idéal de soi exprime aussi à tous les coups une forme d’adhésion à la projection d’un ordre correspondant à la réalisation de cet idéal. Il est alors possible, au moins à titre heuristique, de mettre en question ces choix primordiaux, d’introduire une distance et d’interroger les occultations qu’ils produisent systématiquement. On ne peut entreprendre autrement une réflexion décoloniale. Elle suppose de partir de cette optionalité de la raison et de l’engager dans un horizon qui s’écarte de l’option coloniale pour un ordre-idéal de soi, civilisateur, universaliste et humaniste, qui a prévalu dans les constructions dominantes.

14 Mais pour Glissant, le concept d’optionalité possède une dimension différente, peut-être, à sa façon, plus radicale encore. Il ne s’agit pas simplement d’un choix méthodologique, comme si on revendiquait la pertinence d’une nouvelle hypothèse de travail. Ce qui est plus radicalement en jeu c’est l’attachement à une représentation sécurisante de soi, c’est le sentiment esthétique qui conduit à défendre l’être qui résulte de l’attachement rendu possible par une image de soi, cette unité imaginaire qui finit par constituer un individu en représentant d’un continent, d’une espèce, d’une race ou d’une culture. Cette ontologie de l’exemplarité Glissant l’appelle l’atavisme [39]. L’optionalité n’est pas d’ordre simplement épistémologique pour Glissant, elle est d’ordre ontologique. Elle renvoie au choix d’un attachement atavique à une manière d’être, de penser, de vivre, qui nous paraît dire qui nous sommes et qui nous constitue en forme exemplaire comme membre de cette existence, en tant qu’ens d’une essentia. L’atavisme, c’est l’attachement à ce que nous projetons imaginairement comme condition de notre subsistance. Mais la culture atavique n’est pas la seule option. On peut en interroger précisément l’optionalité, car elle ne représente qu’un attachement par lequel le soi se sécurise imaginairement. D’autres cultures existent, marquées par l’exil, par la migration et par l’insularité [40]. Pour l’exilé, le déporté, le migrant, il n’y a plus de chez soi et donc plus d’être soi en soi, défini comme partie d’un tout, par l’attachement. Ce qu’on n’est plus, on ne l’est pas tout simplement. Mais ce non-être dans l’entre-deux, ce « ni ni », selon une figure littéraire qu’analyse aussi Fanon dans Peau noire, Masques blancs, Nini, <la> mulâtresse du Sénégal de Abdoulaye Sadji [41], ne se limite pas au manque. C’est une situation que connaissent bien les insulaires déportés par les esclavagistes. L’île n’est pas et ne peut être en aucun cas un mini-continent. Elle est encerclée par l’ailleurs qui la définit, mais elle contient une autre forme d’appartenance, car son lieu n’est jamais un, seul, isolé, il se constitue grâce aux entre-deux archipelliques. Le non-être est la condition de sa mise en relation [42].

4. Extériorité

15 Choisir entre l’un ou l’autre, entre la culture atavique de la raison et la culture archipellique de la raison, c’est encore une manière atavique de voir l’optionalité de la raison. Ce qui importe au contraire, une fois déplacée ainsi la question de l’optionalité, c’est l’option qu’elle recèle à son insu, l’option archipellique précisément [43], celle du « ni ni », du ne pas être soi uniquement, le passage par l’extériorité.

16 De nouveau, le concept d’extériorité joue un rôle important chez des auteurs décoloniaux comme Castro Gomez [44] et Enrique Dussel [45]. Il concerne d’abord factuellement la mise hors-jeu de toutes les sociétés dominées par le système-monde du colonialisme moderne [46]. Mais il pose indirectement la question cruciale de la posture de l’intellectuel conscient de cette exclusion quand il tente de restaurer un discours décolonial dans l’horizon du savoir dominé [47]. Comment cette extériorité est-elle prise en compte dans la production d’un savoir « insurrectionnel », quand l’intellectuel aborde des sujets aussi délicats que la communauté des victimes, les masses pauvres ou exploitées, les damnés, voire les invisibles ? Il est certain qu’une fonction de porte-parole peut se justifier pour transformer des perceptions et initier des démarches nouvelles, concernant notamment des types nouveaux de violence à l’égard des femmes, la reconnaissance des langues et des cultures indigènes, les perspectives ouvertes par les questions d’intersectionnalité, etc. En même temps, certains modes d’identification rendus possibles par la proximité ont aussi induit des perceptions biaisées des enjeux propres à la démarche intellectuelle. Pensons, par exemple, à un certain ouvriérisme des années 1950 cinquante ou 1960 soixante, aux rapports de Sartre et de Castoriadis avec la lutte ouvrière [48]. L’intellectuel se transforme en compagnon de lutte, il adopte le langage et les perspectives stratégiques de ses interlocuteurs, il ‘milite’ même parfois, appartient à des ‘cellules’, voire investit le parti comme un Althusser [49]. Les discours se mêlent et les différences semblent s’estomper au moment même où, au détour d’une analyse, le concept reprend la main sur le pratico-inerte et le magma social, pour s’en prendre à ces conditionnements invisibles qui s’imposent comme des dominantes à l’action de masse. Pour Dussel, la question de l’extériorité était essentielle quand on prétend, comme lui, parler à partir d’une réalité, celle de l’Amérique latine des années 1970 soixante-dix ou 1990 quatre-vingt-dix, celle des masses paupérisées par les marges de la croissance des mécanismes d’accumulation du capital transnational, ou celle de la grande communauté des victimes des désastres extractivistes et environnementaux, voire plus spécifiquement aussi tel ensemble de communautés indigènes de la région du Chiapas au Mexique. Il était essentiel pour Dussel de savoir ce que signifie « parler à partir de… ». C’est la raison d’être du concept de périphéricité chez cet auteur. Tout en reprenant les schémas du centre et de la périphérie légués par Prebisch et Bettelheim [50], Dussel a soin de dire qu’il parle à partir de la périphéricité[51], et non immédiatement de la périphérie. Il est sensible aux souffrances et épreuves des existences périphéricisées, mais il n’éprouve pas lui-même directement cette situation dans son vécu quotidien. Intellectuellement, il cherche à prendre en compte cette périphéricité objective de populations entières dans leur spécificité (et non dans leur généralité sous la forme d’un être Autre), et la condition pour élaborer un tel travail sur une démarche de pensée, c’est de partir d’une extériorité de soi à ces souffrances, qui laisse toujours incomplet le désir de justice par son impuissance première à connaître vraiment la négation dont il procède et à agir directement à son encontre. L’injustice qui semble devoir ne pas être est hors sens, avant d’être hors norme.

17 Cette intelligence de l’extériorité comme posture intellectuelle joue aussi un rôle essentiel chez Glissant qui y revient constamment. Mais elle prend de nouveau une tournure sensiblement différente. Elle est présente d’abord à travers le mode des luttes et des engagements : Glissant ne cesse de rappeler que s’il demeure par respect et admiration un enfant héritier de Fanon, certes, c’est aussi en extériorité [52], en n’étant pas comme Fanon un intellectuel total pris dans le processus de luttes dont il est devenu l’acteur et le porte-parole. Extérieur à l’héritage décolonial qu’il reçoit, Glissant l’est aussi à l’égard de ce qui est peut-être la clé la plus essentielle, le créole. Malgré son intimité comme locuteur antillais avec les luttes, notamment d’auteurs haïtiens comme Franck Fouché, Jacques Stefen Alexis ou René Depestre [53], il choisit d’en parler de l’extérieur, pour le considérer dans son phénomène social et son psychodrame face à la langue dominante qu’il utilise pour en parler. Il parle à partir de la créolité comme discours et forme d’exil dans les paradoxes identitaires engendrés par la violence coloniale et son déni. Il parvient ainsi à se décaler d’un rôle de promoteur des usages du créole et de promoteur de la culture créole. Il saisit de ce fait la créolité comme un pouvoir dans le Tout-Monde et pas uniquement dans le miroir microscopique d’une langue dominante. L’extériorité n’est donc pas uniquement affaire de désidentification et d’incomplétude du point de vue éthique. Il ne s’agit pas de choisir l’un ou l’autre [54]. L’extériorité crée un rapport spécifique au réel dont tente de parler l’intellectuel en l’adressant différemment : non comme un événement à connaître et à modifier dans l’ordre des rapports de pouvoir, mais comme une manière d’habiter un Tout et de l’adresser à d’autres. Il faut ce rapport d’extériorité à la créolité comme expérience du Tout-Monde pour en ressortir l’idée qu’un avenir commun pourrait se dessiner à travers la créolisation des cultures. Si ce n’était pas le cas, à quel nouvel ethnocentrisme ne serions-nous pas confrontés ? Le rapport d’extériorité d’une parole « à partir de » chez Glissant opère donc à la manière d’un processus ouvrant la possibilité d’un espace tiers, Ni-Ni, ni le sien propre, ni pour autant celui d’un Autre absolu, mais un point de contact qui forme un monde dédié à tout qui se laisse inviter par cette opération de « tercéisation [55]».

5. Désapprentissage

18 Ce déplacement progressif des concepts de poétique, d’optionalité et d’extériorité par rapport à leurs usages hypercritiques, mais également décoloniaux, permet d’aborder, je crois, sur une autre base la question d’une sortie des schémas de la raison apprenante, jouant récursivement des options que déstabilisation et métastabilisation lui permettent de symétriser de l’extérieur.

19 Dans le mouvement décolonial, la « désobéissance épistémique » par rapport aux schémas de la raison hégémonique, c’est d’abord le domaine des femmes, celui de la contre-pédagogie et des féministes décoloniales comme Rita Segato [56] ou Raquel Gutierrez, celui des pédagogues décoloniales comme Catherina Walsh [57]. Ces auteures sont bien entendu confrontées au premier plan à la transmission dans l’espace public colonial des structures patriarcales entre hommes dominants et hommes dominés, mais aussi à la répétition de ces structures dans des schémas de domination de ces mêmes espaces aujourd’hui, lorsqu’il s’agit d’affermir un pouvoir, d’effrayer, voire de punir. Comme le note Rita Segato qui a mené des entrevues avec des violeurs de masse [58], intégrés à des gangs et recourant systématiquement à des pratiques féminicides [59], les questions prioritaires face à ces nouveaux génocides genrés, c’est de désapprendre les archétypes incorporés comme ceux de la puissance désensibilisée et de la jouissance prédatrice. Une forme d’idéal type de la puissance de domination continue à s’inculquer [60], y compris dans la manière dont les ordres établis réagissent à ces pratiques, tant par leur médiatisation, que par leur politisation et leur réduction juridique à la sphère familiale, privée et domestique [61]. Désapprendre ces métadiscours légitimateurs est le véritable défi. Et Catherina Walsh précise, d’ailleurs en référence à Glissant [62], que de tels processus collectifs ne peuvent être conçus simplement à la manière de nouveaux apprentissages correctifs, suivant les canaux déjà établis. Il y va de l’élaboration d’une autre forme de relationalité par-delà la fragmentation psychique produite par le trauma colonial, une forme de relationalité où la parole sur les corps n’est pas l’apanage des victimes et de leurs défenseurs, mais repose aussi anthropologiquement sur l’exposition des structures de la violence à travers la parole des bourreaux, en ce qu’elle offre un miroir plus assuré de l’état des représentations sociales.

20 Il apparaît ainsi que l’enjeu crucial du désapprentissage ou de la contre-pédagogie trouve son point d’ancrage dans la production d’une autre philosophie de la relation (Poétique III). Et ce lien entre désapprentissage et relationalité est essentiel pour comprendre la voie tracée par Glissant. Mais pour Glissant, il n’est pas uniquement question de conflit des discursivités, d’articulation entre régimes de vérité et de pouvoir, de sociogenèse de l’espace public ou des rapports hégémoniques, il y aussi l’espace et le temps, la cosmogénèse des dominations qui s’inscrivent pour durer dans les lignages et leurs destinées temporelles.

21 Certes, comme nous avons essayé de l’indiquer, la contre-poétique a partie liée avec une contre-pédagogie. Glissant invite à sortir de l’atavisme culturel, il mobilise une contre-poétique pour y parvenir afin de ménager un passage vers un monde où toutes les négations, de soi et des autres, prises dans le jeu des écarts qui nous archipellisent puissent devenir autant de nouvelles occasions de relations. Mais il n’en reste pas moins que ce genre inédit de relationalité, basé sur le détachement de soi et la valorisation du non-être signalant nos multiples entre-deux, n’est pas le mode relationnel qui dirige habituellement nos apprentissages et donc interrompt la répétition des conditionnements hégémoniques. Ces derniers sont au contraire dominés par la linéarité et la filiation : l’unité d’un continuum d’autorité et de savoir, comme le fait de savoir déstabiliser et récupérer ce choc par une opération de métastabilisation.

22 C’est sur cet enjeu d’interruption de la répétition que la voie esquissée par Glissant nous semble aller plus loin. Le désapprentissage et la contre-pédagogie mettent en évidence chez lui une autre dimension, plus radicale et plus directement reliée à la linéarité du temps, à l’unité imaginaire de la transmission. Il s’agit de celle de la dimension de « défiliation [63]» : désapprendre c’est avant tout prendre le risque de « désengager la filiation [64] », de « débouler » cette mesure qui garantit d’un seul trait la légitimité en s’autorisant d’une sorte de provision de durée : la suite des générations, l’héritage, la transmission. Ce désengagement de l’esprit par « défiliation » est la condition d’un autre rapport au monde, car c’est la filiation qui fonde la conquête, qui permet l’extension de la « racine-temps » pour dévorer d’autres espaces, les réduire en territoires d’outremer, des territoires conquis, alignés comme le serait un lignage naturel qui efface les différents espaces, pour les forger en « concrétion universelle » d’un territoire absolu (la France d’Outre-Mer). Désapprendre cet almanach du temps, c’est selon les mots de Glissant « désoucher » cette linéarité imaginaire, interrompre la racine qui réduit les espaces, pour laisser place au chaos des singularités contre l’identité prétendue d’un temps universel, sans différence des espaces.

23 À ce propos, Glissant raconte une petite histoire [65] qui permet de relier ce processus de désapprentissage et sa poétique de la relation interculturelle :

24

Glissant est en Suisse en Hiver. L’homme de Martinique progresse difficilement dans le froid et la neige, ses pas s’écrasent sur les pavés des petites rues médiévales de ce bourg de montagne. L’évidence qui s’impose à lui est le non-être qui établit son mal-être dans cet être compact d’une société de glace, se maintenant sur elle-même comme être-tout, l’excluant lui qui n’est pas de ce monde, le repoussant dans une position intenable. Va-t-il tomber ? Geler ? S’anéantir ? Et pourtant, en se mettant à sautiller d’un bord à l’autre, son « n’être-pas-de-là » a fait de la neige fraîche, qui n’est pas encore glace, une alliée qui permet à son pas de s’accrocher et de se décrocher à son gré. Alors, dans la neige, sautillant, il retrouve chaleur et légèreté, il redevient l’Antillais archipellique « errant de terre en mer [66] » et, selon ses mots, « de l’être à l’étant, de Suisse en Archipel, dans la créolisation [67] ».

25 Ainsi, en désapprenant la linéarité de son rapport à la terre, dans cet espace où il n’est pas (filialement), mais néanmoins dans lequel, de l’extérieur, il se tient comme n’y étant pas, Glissant trouve le rythme qui crée le contre-temps de la relation, en se tenant dans l’entre-deux de ses ces espaces, en créolisant la Suisse pour y énoncer un tout-autre chose, venu de ce « petit-matin » d’un morne antillais ouvrant sur l’inconnu de l’estuaire marin. « La créolisation c’est le non-être en acte [68] », changer et échanger sans se perdre ! Et Glissant de s’exclamer :

26

Tu peux t’échapper de cette rue aux pavés glacés où tu avais égaré ta carcasse, t’échapper pour enfin admirer l’entour et respirer l’air froid [69].

27 Seul le désapprentissage permet cette « dilatation » qui défait « les anciennes souffrances nées de la différence [70] ». Sans cette dilation, pas de guérison. C’est vers ce passage que convergent les concepts de poétique, d’optionalité et d’extériorité que nous avons esquissés.

28 Créolisation, archipellisme, atavisme… morne et déboulement… Nous avons ainsi essayé de reproduire dans notre parcours, de l’extérieur, les mots d’une « contre-poétique », de telle sorte qu’elle puisse constituer une option épistémique recevable, audible, signifiante, pour engager un désapprentissage, lequel passe inévitablement par le désengagement des filiations, point de départ, avons-nous suggéré avec Glissant, des relations interculturelles.

Notes

  • [1]
    Nous suivons ici l’usage de cette notion tel que le propose Sabel : « […] the output from one application of a procedure or sequence of operations becomes the input for the next, so that iteration of the same process produces changing results » (Sabel C. F. & Zeitlin J., « Experimentalist Governance », in GR:EEN Working Paper, n° 9, 2012, En ligne, URL : https://cris.unu.edu/experimentalist-governance, p. 4). L’argument sur les raisonnements récursifs a déjà été appliqué à l’idéalisme allemand par Pierre Livet (« Intersubjectivité, réflexivité, et récursivité chez Fichte », in Archives de philosophie, Vol. 50, 1987, n° 4, pp. 581-619) et il est aussi crucial dans l’analyse des formalismes que propose Jean Ladrière (Ladrière J., « Le formalisme et le sens », dans Mouloud N. (dir.), Les langages, le sens, l’histoire, Villeneuve d’Asq, Publications de l’Université de Lille III, 1977, p. 241-277).
  • [2]
    Apel K. O., « Esquisse d’une théorie des types de rationalité », in Le Débat, 1988, n° 49, p. 141-163.
  • [3]
    Un partage qui est lui-même le résultat d’une construction, Habermas J., Théorie de l’agir communicationnel, trad. fr. par Ferry J.M., t. 1, Fayard, Paris, 1987, pp. 294-298.
  • [4]
    C’est la thèse magnifiquement exposée par Pierre Livet (« Normes et faits », in Encyclopédie Philosophique, PUF, Paris, 1989, pp. 124-132) et que nous avons longuement discutée en son temps dans Maesschalck M., Normes et contextes, Les fondements d’une pragmatique contextuelle, Hildesheim, Olms, 2001.
  • [5]
    Pierre Livet précise dans cette optique : « Le cadre de reconnaissance mutuelle des intérêts des personnes par l’État et de l’État par les personnes est une sorte de point fixe de l’opération récursive qui prend pour variables d’une part les intérêts des personnes et de l’autre les attributions de l’État, et pour fonction la reconnaissance ainsi mutualisée. Il est intéressant de noter que ni les personnes ni l’État ne se limitent « elles-mêmes » dans cette opération, puisqu’elles ne sont encore que partiellement définies, tant qu’on n’est pas parvenu au point fixe de la reconnaissance mutuelle », laquelle joue donc aussi comme un élément de métastabilisation de points de vue partiellement concurrentiels et relativement incomplets. Livet P., « Normes sociales, normes morales, et modes de reconnaissance », in Les Sciences de l’éducation - Pour l’Ère nouvelle, vol. 45, 2012, n°. 1-2, pp. 51-66, p. 62.
  • [6]
    Allen A., The End of progress, Decolonizing the Normative Foundations of Critical Theory, New York,Columbia UP, 2016, p. 198-203.
  • [7]
    Rosa H., Rendre le monde indisponible, Paris, La Découverte, 2020, pp. 27-30, sur « le recul énimgatique du monde ».
  • [8]
    Pour les références qui suivent, Lenoble J. & Maesschalck M., Towards a Theory of Governance, The Action of Norms, Kluwer Law International, The Hague/London/New York, 2003.
  • [9]
    March J. G. & Simon H. A., Organizations, John Wiley and Sons, New York, 1958.
  • [10]
    Kahneman D & Tversky A., « Prospect Theory : An Analysis of Decision under Risk», in Econometrica, vol. 47, 1979, n°. 2, pp. 263-292.
  • [11]
    North D., Understanding the Process of Economic Change, Princeton, Princeton University Press, 2005.
  • [12]
    Williamson O. E., The Mechanisms of Governance, Oxford, Oxford University Press, 1996.
  • [13]
    Scharpf F. W., Games Real Actors Play, Actor-Centered Institutionalism in Policy Research, Boulder, Westview, 1997.
  • [14]
    Sabel C. F., Learning by Monitoring, The Institutions of Economic Development, Princeton, Princeton University Press, 1993.
  • [15]
    Schön D. A., The reflective practitioner, How professionals Think in Action, Ashgate, Aldershot, 1996.
  • [16]
    Aglietta M. & Orléan A., La Violence de la monnaie, Paris, PUF, 1982.
  • [17]
    Thévenot L., L’Action au pluriel, Sociologie des régimes d’engagement, Paris, La Découverte, 2006.
  • [18]
    Boltanski L. & Thévenot L., De la justification, Les économies de la grandeur, Paris, Gallimard, 1991.
  • [19]
    Favereau O., « Conventions et régulation », in Boyer R. (ed.), Théorie de la régulation, l’état des savoirs, Paris, La Découverte, 2002, pp. 511-520.
  • [20]
    Dorf M.C. & Sabel C.F., « A Constitution of Democratic Experimentalism », in Columbia Law Review, vol. 98, 1998, p. 267-473.
  • [21]
    Permettant notamment de repenser, plus radicalement que les théoriciens de la Lebenswelt, une critique des formes de vie et les conditions effectives d’une identification d’un problème de forme de vie en soi et pas uniquement de quelques éléments internes à une forme de vie. Jaeggi R., Kritik von Lebensformen, Suhrkamp, Berlin, 2014, pp. 240-242.
  • [22]
    « … stop asking “what is to be done ?” and ask instead, of myself, “What more am I to do?” and “How does what I am doing work?”» (Harcourt, B.E., Critique & Praxis, New York, Columbia UP, 2020, p. 445).
  • [23]
    Voir le bel article de Fonkoua R. « Édouard Glissant : poétique et littérature. Essai sur un art poétique », in Littérature, vol. 174, 2014, no. 2, pp. 5-17, pp. 9-11.
  • [24]
    « Ce que je voudrais établir d’abord c’est la quasi-nécessité d’un chaos d’écriture dans le temps où l’être est tout chaos… » (Glissant É., Soleil de la conscience, Paris, Gallimard, 1997 (1ère éd., Seuil, 1956), p. 20).
  • [25]
    I. Soleil de la conscience (1956), II. L’intention poétique (1969), III. Poétique de la relation (1990), IV. Traité du Tout-Monde (1997), V. La cohée du Lamentin (2005), ainsi qu’Introduction à une poétique du divers (1996).
  • [26]
    Glissant É., Le Discours antillais, Gallimard, Paris, 1997, p. 635.
  • [27]
    Sartre J.-P., « Orphée noir », in Présence Africaine, 1949, n° 6, pp. 9-14. Fanon s’élevait contre cette illusion qui consistait à « orphéiser… ce nègre qui recherche l’universel » (F. Fanon, Peau noire, masques blancs, Seuil, Paris, 1952, p. 170).
  • [28]
    Sartre J.-P., « Les Damnés de la terre », in Situations, V, Colonialisme et néo-colonialisme, Gallimard, Paris, 1964, pp. 167-193.
  • [29]
    Glissant É., Poétique de la relation, Paris, Gallimard, 1990, pp. 108-112.
  • [30]
    Glissant É, L’Intention poétique, Paris, Gallimard, 1997, pp. 48-49.
  • [31]
    Ibid., pp. 43-44.
  • [32]
    En paraphrasant la présentation de L’Intention poétique, autant d’expressions qui sont marquées par les vers du poème intitulé « Calendrier lagunaire » de Césaire (in Césaire A., Moi, laminaire, Paris, Seuil, 1982).
  • [33]
    « Au milieu de la conférence, une femme s’évanouit. Le lendemain, un camarade, relatant l’affaire, la commentait de la sorte : “Français a té tellement chaud que la femme là tombé malcadi”. Puissance du langage ! » (Fanon F., Peau noire…, p. 51).
  • [34]
    Glissant É., Le Discours antillais, op. cit., pp. 402 et 403.
  • [35]
    Ibid., p. 635.
  • [36]
    Ibid., pp. 401-402.
  • [37]
    Mignolo W., La Désobéissance épistémique, trad. fr. par Jouhari Y. et Maesschalck M., Bruxelles, Peter Lang, 2015, pp. 82-84. On verra également Escobar A., “Mundos y conocimientos de otro modo, El programa de investigación de modernidad/ colonialidad Latinoamericano”, in Tabula Rasa, 2003, n° 1, pp. 51-86.
  • [38]
    En particulier, pour notre sujet, Maldonado-Torres N., « Frantz Fanon and the decolonial turn in psychology: from modern/colonial methods to the decolonial attitude », in South African Journal of Psychology, Vol. 47, 2017, n° 4, pp. 432-441.
  • [39]
    Glissant É., Traité du Tout-Monde, Paris, Gallimard, 1997, pp. 194-195. Ailleurs, Glissant ajoute : « nous avons fait la différence entre les communautés ataviques qui sont basées sur l’idée d’une Genèse […] et d’une filiation […] et les cultures composites nées de la créolisation, où toute idée d’une Genèse ne peut qu’être ou avoir été importée, adoptée ou imposée » (Glissant É., Introduction à un poétique du divers, Paris, Gallimard, 1966, pp. 34-35).
  • [40]
    Glissant É., Poétique de la relation, op. cit., p. 30, où sont distinguées trois options : pensée du territoire et de soi, pensée du voyage et de l’autre, pensée de l’errance et de la totalité.
  • [41]
    Sadji A., « Nini, mulâtresse du Sénégal », in Présence Africaine, 1954, n° 16, pp. 291-415
  • [42]
    Glissant, Traité du Tout-Monde, p. 238.
  • [43]
    Ibid., p. 31.
  • [44]
    Castro-Gómez S., Crítica de la razón latinoamericana, Editorial Pontificia Universidad Javeriana, Bogotá, 2011 (1ère éd., Barcelona, 1996), pp. 235-241.
  • [45]
    Dussel E., Ética de la Liberación en la Edad de la Globalización y de la Exclusión, Madrid, Trotta, 1998, p. 460.
  • [46]
    Castro-Gómez S., « Ciencias sociales, violencia epistémica y el problema de la «invención del otro »», in La Colonialidad del saber: eurocentrismo y ciencias sociales. Perspectivas latinoamericanas, Buenos Aires, CLACSO, 2020, pp. 88-98, p. 92.
  • [47]
    Camelo-Perdomo D. F., « Pueblo, democracia y transmodernidad : Un diálogo crítico entre Enrique Dussel y Santiago Castro-Gómez », in Revista Ciencias y Humanidades, vol. 11, 2020, n° 11, pp. 41-69, pp. 43-45.
  • [48]
    Sartre J.-P., Critique de la raison dialectique, t. 1, Paris, Gallimard, 1960, pp. 297-298 ; Castoriadis C., La Question du mouvement ouvrier, t. 1, Paris, Éditions du Sandre, 2012, pp. 223-226.
  • [49]
    Althusser L., Ce qui ne peut plus durer dans le Parti communiste, Paris, La Découverte, 1978, pp. 33-56.
  • [50]
    Et d’autres auteurs bien connus comme Wallerstein, Emmanuel ou Amin qui ont consolidé et précisé les vues défendues par le célèbre rapport que Raúl Prebisch présenta en 1964 à la première CNUCED (Prebisch R., « Towards a New Trade Policy for Development », New York, UN, 1964, n° 64.II.B.4).
  • [51]
    Dussel E., Ética de la Liberación en la Edad de la Globalización y de la Exclusión, op. cit., p. 71.
  • [52]
    « Il est difficile pour un Antillais d’être le frère, l’ami, ou tout simplement le compagnon ou le « compatriote» de Fanon » (Glissant, Le Discours antillais, p. 56).
  • [53]
    Ibid., pp. 456-464.
  • [54]
    Le point de vue dominé ou le point de vue dominant.
  • [55]
    La mise en perspective de soi et de l’autre dans la possibilité d’un lieu tiers qui n’est ni de soi ni de l’autre, mais ouvre l’espace pour une expérience encore inconnue.
  • [56]
    Segato R. L., Contra-pedagogías de la crueldad, Buenos Aires, Prometeo Libros, 2018.
  • [57]
    Walsh C. E., « Introducción. Lo pedagógico y lo decolonial : Entretejiendo caminos », in Walsh C. E. (ed.), Pedagogías decoloniales, Prácticas insurgentes de resistir, (re)existir y (re)vivir, t. 1, Quito, Ediciones Abya-Yala, 2013, pp. 23-68.
  • [58]
    Segato R. L., L’Écriture sur le corps des femmes assassinées de Ciudad Juarez, Paris, Payot & Rivages, 2020.
  • [59]
    Segato R. L., Las estructuras elementales de la violencia, Buenos Aires, Universidad Nacional de Quilmes Editorial, 2003, pp. 35-36.
  • [60]
    À la manière d’un mandat de pouvoir dans la structure de genre (ibid., pp. 39-40).
  • [61]
    Segato R. L., La guerra contra las mujeres, Madrid, Traficantes de sueños, 2016, pp. 86-88.
  • [62]
    Walsh C. E., « Pedagogías decoloniales caminando y preguntando. Notas a Paulo Freire desde Abya Yala », in Revista Entramados - Educación Y Sociedad, vol. 1, 2014, n° 1, pp. 17-31, p. 24.
  • [63]
    Glissant, Traité du Tout-Monde, pp. 222-223.
  • [64]
    Ibid., p. 223.
  • [65]
    Glissant É., « Totalités », in Traité du Tout-Monde, pp. 237-239.
  • [66]
    Ibid., p. 238. Suivant le vol de cette pensée qui porte, à la façon des « oiseaux archipelliques », la fragile agrégation des petits îlets déserts multipliant leurs vérités singulières… (Glissant É., La Cohée du Lamentin, Poétique V, Paris, Gallimard, 2005, p. 73).
  • [67]
    Glissant, Traité du Tout-Monde, p. 238.
  • [68]
    Ibid., p. 238. Suivant le vol de cette pensée qui porte, à la façon des « oiseaux archipelliques », la fragile agrégation des petits îlets déserts multipliant leurs vérités singulières… (Glissant É., La Cohée du Lamentin, Poétique V, Paris, Gallimard, Paris, 2005, p. 73).
  • [69]
    Glissant, Traité du Tout-Monde, p. 238.
  • [70]
    Ibidem.